Visite & Test | Zafi Cycles : un gravel en bois belge, vraiment ?

Par Adrien Protano -

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Visite & Test | Zafi Cycles : un gravel en bois belge, vraiment ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître, Zafi est une marque belge produisant des vélos en bois ! En plus d’être écologique, le bois utilisé provenant de la forêt située à quelques kilomètres de l’atelier de la marque, Zafi explique que cela apporte divers avantages sur le terrain. Nous sommes allés à la rencontre de Simon Malvaux, co-fondateur de la marque, qui nous a ouvert les portes de son atelier le temps d’une matinée. Nous sommes finalement repartis avec un modèle gravel que nous avons mis à l’essai sur nos parcours de test habituels durant plusieurs semaines. Que peut bien valoir un gravel en bois sur le terrain ? Verdict : 

Si le gravel a explosé ces dernières années et que sa popularité ne cesse de croître au sein de la petite planète du deux-roues, un châssis construit en bois est par contre beaucoup moins commun. Si on vous a déjà parlé d’un modèle VTT en bois par le passé (cf. Prise en main | Atelier Suji Drop : un vélo en bois, comment ça roule ?), c’est ici vers le segment du gravel que Zafi s’est orienté.

Basée dans le Brabant wallon, à quelques kilomètres de la capitale belge, Zafi est une jeune marque belge fondée en 2021 par trois copains fraîchement diplômés : Simon, bioingénieur et cycliste depuis son plus jeune âge, Johan, bioingénieur et passionné par le travail du bois, et enfin, Loïc, ingénieur industriel féru de défis techniques.

C’est Simon qui nous a ouvert les portes de l’atelier Zafi pour nous présenter l’histoire de la marque, leurs vélos et surtout le procédé de fabrication de ces drôles de châssis.

Souvent, les vélos sont fabriqués avec des matières premières qui viennent de loin. J'ai tenu à rapatrier ce savoir-faire chez nous.
Simon, cofondateur de Zafi

« Souvent, les vélos sont fabriqués avec des matières premières qui viennent de loin. Je me suis rendu compte pendant le Covid que nous étions dépendants de cette main d’oeuvre étrangère et j’ai tenu à rapatrier une partie de ce savoir-faire chez nous. C’est la raison qui nous a poussés à essayer de fabriquer un vélo avec des matériaux locaux. Le bois étant un matériau formidable, notamment dans sa capacité d’absorption des vibrations, dans sa facilité de travail ou encore dans sa signature visuelle… On s’est dit pourquoi ne pas essayer ! », explique le cofondateur de la marque.

« C’est par hasard que j’ai découvert sur le net le concept de vélo en bois. Étant passionné de vélo depuis toujours, je me suis lancé le défi d’en fabriquer un moi-même, pour moi. Mes études m’ont appris la modélisation 3D pour la conception et je suis familier avec la géométrie du vélo. Par contre, je ne connaissais pas grand-chose aux techniques d’assemblage, je me suis donc renseigné auprès de professionnels et de menuisiers, et j’ai finalement réalisé une dizaine de prototypes en noyer et en frêne. On a ensuite lancé un crowdfunding qui a été couronné de succès, et on a commencé la production de nos différentes commandes, l’aventure Zafi avait débuté ! », continue Simon.

 

Le nom de la marque fait référence à un peuple de Madagascar qui s’appelle les Zafimaniry, caractérisé par un savoir-faire impressionnant du travail du bois et victime directe de la déforestation. Joli clin d’œil, surtout pour une marque écoresponsable !

Visite : quand passion rencontre fonctionnalité

Qui dit vélo en bois, dit évidemment choix, stockage et séchage de la matière première… qui s’avère être des grumes de bois provenant de la forêt de Soignes, dans la périphérie de la capitale belge, et à quelques kilomètres de l’atelier de la marque. « Avec un tronc, on fait environ une cinquantaine de cadres », précise Simon. « Les troncs sont découpés en planches, qui sont ensuite stockées ici durant un certain temps afin qu’elles sèchent correctement. Cela permet d’éviter que le bois travaille une fois transformé en cadre », enchaîne-t-il.

Simon travaille avec deux espèces de bois pour donner vie à ses cadres : le frêne ou le noyer, ayant chacun une signature visuelle un peu différente comme on le verra un peu plus bas.

« À l’image des métaux, chaque essence de bois a des propriétés qui lui sont propres, et certaines sont donc plus adaptées pour la création d’un vélo. Nous avons choisi le noyer et le frêne car ce sont deux essences qui ont fait leurs preuves dans le monde sportif, comme les battes de baseball, les manches de raquettes de tennis, les sticks de hockey ou encore les skis. Ces essences sont capables de filtrer les vibrations et de se déformer sans casser », détaille Simon.

Mais entre des planches de bois brutes et un cadre de vélo, il y a un monde de différence ! La première étape est de découper ces longues planches de bois séchées en planches de taille standard prêtes à être transformées en cadre.

Ces lamelles sont agencées d’une manière précise, sous forme d’empilement de triangles et en analysant minutieusement les fibres du bois afin de profiter au maximum des propriétés uniques du matériau : « Le bois a des propriétés intrinsèques intéressantes, il absorbe naturellement les vibrations. Comme pour les matériaux composites, selon que l’on travaille parallèlement ou perpendiculairement à la direction des fibres, il ne travaille pas de la même manière », nous explique Simon.

Grâce à un dessin 3D de son cadre, ce dernier est usiné avec une fraiseuse numérique. Celle-ci vient découper avec une grande précision le cadre dans ces planches assemblées. C’est en réalité un processus en deux étapes puisque cet assemblage de planches ne crée qu’un seul demi-cadre.

La machine est déjà très précise, ce qui facilite le travail de finition de Simon. Le cadre, ou du moins la moitié de cadre à ce stade, est creusé en son intérieur dans deux objectifs : gagner du poids évidemment, tout en conservant la résistance nécessaire, et permettre le passage interne des gaines. Pour ce faire, un gainage en aluminium permet de guider les câbles à travers ces différents « caissons » au coeur des tubes.

Nous pouvons continuer à faire évoluer notre cadre, notamment du côté du poids
Simon, cofondateur de Zafi

C’est un point sur lequel Zafi pense pouvoir encore sensiblement évoluer : « Actuellement, tous nos cadres sont certifiés ISO4210-6. Nous pensons pouvoir continuer à faire évoluer notre cadre, notamment du côté du poids en continuant à réduire la matière à l’intérieur du cadre. Actuellement, le cadre (NDLR. en taille 58) est à 3,3 kg tandis que le vélo complet varie de 9 à 12,5 kg. »

Côté gauche, côté droit… Ces deux demi-cadres sont ensuite collées l’un à l’autre pour former le cadre. Si cela ne se voit que très peu une fois le vernis apposé, un trait de colle maintient pourtant les deux parties du cadre ensemble.

Pour le triangle arrière, ce sont des planches de plus fine épaisseur qui sont cintrées à la chaleur, avant d’être posées dans un gabarit de pressage sous une presse hydraulique.

Simon fixe les bases arrière au triangle avant, à l’aide d’un cadreur classique. Les jonction entre les bases et les haubans sont des pièces développées en interne, tandis que les autres pièces de fixations (dérailleur, freins…) proviennent de chez Paragon Machine Works, une entreprise américaine.

Et voilà que le cadre prend forme ! Dernière étape : la finition, avec au choix un vernis mat ou brillant. « C’est l’avantage de faire un vélo à la carte, on est modulable en fonction des envies du client. On peut imaginer changer la couleur du logo, faire une ligne de frêne dans un cadre en noyer… On fait également des cadres sur mesure, mais cela dépend des attentes et besoins du client », explique Simon.

Dans un monde idéal, j'aimerais travailler uniquement avec des composants européens
Simon, cofondateur de Zafi

« Quoi qu’il en soit, chaque cadre est une rencontre avec le client. En plus de choisir l’essence et la finition du vélo, on définit ensemble un cahier des charges avec le client. En fonction de ses besoins et préférences, on adapte le vélo (le dégagement pour les pneus par exemple) mais également les choix de composants. Dans un monde idéal, j’aimerais travailler uniquement avec des composants européens, mais pour l’instant cela n’est pas encore le cas », termine l’homme derrière Zafi.

Pour garantir la qualité de ses vélos, Zafi ne vend uniquement que des cadres montés à ce stade. « Si le client désire intégrer des pièces auxquelles il tient, il est toujours possible de s’arranger », nuance Simon. Le ticket d’entrée pour obtenir un vélo Zafi est de 4500€, c’est ensuite le choix de composants plus haut de gamme qui fait grimper le prix.

Le but de Simon est d’étendre la gamme – il n’est pas impossible que la marque songe à un VTT ainsi qu’à un VAE – mais de toutefois rester dans une production artisanale et de conserver un contact direct avec le client pour lui offrir un cadre au plus proche de ses besoins.

Zafi Cycles Gravel : le test terrain

Maintenant que l’on sait comment sont mis au monde ces curieux vélos en bois, il est temps de mettre l’un d’eux à l’épreuve sur nos circuits de tests habituels. Est-ce que le bois a un vrai avantage sur le terrain ? Comment ce matériau réagit sur les sentiers ? Est-il capable de filtrer correctement les chocs et vibrations du terrain ? Verdict !

Pour ce test sur le terrain, la marque nous a mis à disposition ce magnifique modèle en noyer durant plusieurs semaines . Faisons rapidement le tour du propriétaire !

Si chacun appréciera les formes du cadre selon ses propres goûts, impossible de rester de marbre face à ce châssis en bois (vous l’avez ?) et ses magnifiques finitions : dessin du bois, jonctions entre les différentes structures du cadre, angles marqués… On est autant face à un joli objet en tant que tel que face à un vélo.

Comme une multitude de composants sur ce modèle (tige de selle, poste de pilotage), la fourche provient de chez Ritchey, avec une WCS Adventure en carbone. Elle est compatible avec des pneus allant jusqu’à 48 mm de section et dispose de 3 trous de montage multifonctions sur chaque côté pour accueillir de la bagagerie.

Sram s’occupe de la transmission avec un groupe Rival 1×11 mécanique avec cassette 10/42  associée à un plateau de 42 dents à l’avant. Rien d’extravagant mais un groupe fiable qui fait le job !

Les freins sont des Sram Rival avec disques de 160mm à l’avant comme à l’arrière. Là par contre, il y a à redire car la puissance est un peu juste à notre goût, et le toucher des leviers n’est pas aussi convaincant que chez Shimano.

Le train roulant est belgo-belge également avec une paire de roues signées Enigma. Fondée en 2019 par Manu Lhoir, ancien coureur professionnel sur route, Enigma Wheels propose un catalogue complet de roues artisanales en carbone. C’est ici le modèle Nova en 38 mm de hauteur et 25 mm de largeur interne qui équipe notre modèle d’essai. Les pneus proviennent de chez Vittoria avec le modèle Terreno Wet, un choix malin au vu des conditions dans lesquelles a été réalisé ce test.

Côté géométrie, le Zafi (en taille 54) se caractérise par un stack assez important (56 cm), facteur de confort en redressant la position du cycliste, un angle de direction ainsi qu’un angle de tube de selle de 72,5° et des bases de 430mm. Des cotes assez classiques, mais tout à fait dans la lignée des gravel contemporains.

La première chose qui nous a marqués sur ce Zafi est son confort… ou plus particulièrement la filtration des impacts offerte par le châssis. Pour une première expérience au guidon d’un vélo en bois, nous ne savions pas à quoi nous attendre et nos seuls points de comparaison étaient les autres matériaux utilisés dans le monde du VTT et du gravel (carbone, alu, acier ou encore titane). Le Zafi offre cette sensibilité sur les petits impacts (gravillons, petites cassures de terrain, revêtement poreux…) très appréciable sur les plus longues sorties. Rouler confortablement, c’est rouler plus longtemps !

Le bois filtre différemment, comme s'il éliminait les vibrations en les digérant en son sein...

Il est difficile de comparer avec les autres matériaux habituellement utilisés dans la fabrication des cadres de gravel, tant chaque vélo offre un ressenti qui lui est propre : deux vélos en carbone par exemple ne vont pas avoir des propriétés identiques, et il est donc difficile de généraliser un comportement uniquement à la lumière du matériau utilisé. On se contentera ainsi de dire que la rigidité du cadre s’assimile à celle d’un vélo en carbone, avec l’amortissement naturel caractéristique de l’acier ou la douceur du titane. De manière plus concrète, le bois filtre différemment, comme s’il éliminait les vibrations en les digérant en son sein… ce qu’il s’assimile à une bonne filtration puisque l’on ne ressent (presque) rien en tant que pilote. Nous pouvons affirmer qu’il s’agit là d’un des modèles gravel les plus confortables que l’on a essayés jusqu’à présent.

Sans être décevant, le Zafi n’est le modèle le plus explosif que l’on ait roulé en tant que tel. Le coup de pédale est facile et le vélo répond bien, on enchaîne les relances appuyées sans problème mais on sent tout de même qu’on n’est pas sur un gravel hyper sportif comme le BMC Kaius ou le Scott Addict Gravel lorsqu’il faut poursuivre l’effort.

La position offerte par le Zafi est agréable et l’on est bien installé pour pédaler pendant de longues heures. Le poids du pilote est bien réparti, et aidé par le bon train de pneumatiques, on a une très bonne motricité même dans les montées plus techniques et cassantes.

Avec cette bonne filtration des chocs et cette agréable position, on n’a pas pu résister à l’envie de l’emmener sur des singletracks davantage chaotiques et presque typés VTT, et le Zafi s’en est largement bien sorti. Au-delà du matériau, la géométrie du châssis permet d’offrir le bon mix entre stabilité et maniabilité. Dans les petits sentiers ludiques, le vélo se montre suffisamment maniable et vraiment agréable à piloter, sans pouvoir toutefois venir titiller les modèles gravel à la frontière du VTT… Tout est question de compromis, et ça, Zafi l’a bien compris !

Verdict :

Avant d’être un châssis agréable pour enchaîner les kilomètres, le gravel Zafi est avant tout une aventure : une aventure humaine avec le projet artisanal et éco-responsable en arrière-plan, mais également une affaire de passion ! C’est l’amour du vélo qui a porté Simon Malvaux et ses deux acolytes (Johan et Loïc) dans ce projet où bois et gravel se mêlent dans un étonnant combo. Impossible de rester de marbre face à ce magnifique châssis et à ses multiples détails et finitions ; le Zafi est autant un joli objet qu’un vrai vélo plus que fonctionnel ! 

Au-delà du côté local, original et esthétique, l’utilisation du bois pour ce segment du gravel apporte de véritables qualités dynamiques si l’essence est bien choisie et bien mise en œuvre. Avec sa capacité naturelle d’absorption des vibrations et des (petits) impacts, le bois utilisé dans la construction de ce Zafi (noyer et/ou frêne) permet d’offrir beaucoup de confort une fois sur le terrain. Ajouter à cela une agréable position, un bon rendement et un comportement procurant beaucoup de plaisir de pilotage, et vous avez ce Zafi taillé pour l’aventure durant de longues journées en selle ! 

Pour plus d’informations : https://zaficycles.be

ParAdrien Protano