Visite | Rockrider à Passy : une marque en transition(s)
Par Léo Kervran -
Inutile de vous présenter Rockrider, mais savez-vous où la marque conçoit et dessine ses vélos ? Historiquement installée à Lille, le fief de Decathlon, elle cherche aujourd’hui à se réinventer et depuis quelques temps, une petite équipe a rejoint le site de Passy où l’on trouvait déjà Quechua, Forclaz ou encore Wedze. Une transition qui pourrait bien en cacher une autre et pour en savoir plus, nous leur avons rendu visite :
Bienvenue au Mountain Store à Passy, en Haute-Savoie, au pied du mont Blanc. Dans ce bâtiment hybride de 16 000 m² inauguré il y a 10 ans, on trouve évidemment un magasin Decathlon mais aussi des bureaux. Beaucoup de bureaux : c’est ici, et non à Lille au siège de l’entreprise, que les marques « montagne » du groupe, soit Quechua, Forclaz et Wedze, sont installées. Et Simond, spécialisée dans l’alpinisme et rachetée par Decathlon en 2008, est à quelques kilomètres de là, à l’entrée de Chamonix.
Vous le savez peut-être déjà mais le groupe a une politique de développement sur les terrains de pratique. La plupart des marques ont leurs équipes basées à Lille car elles ne requièrent aucun environnement particulier (athlétisme, course à pied, sports d’intérieur, sports collectifs…) mais quelques-unes se sont « expatriées » afin d’être au plus proche de leur terrain.
C’est le cas des marques de sports d’eau (natation, surf, plongée…) installées à Hendaye, de Tribord (voile) qui a posé ses bagages à La Rochelle après avoir longtemps occupé le site d’Hendaye, et donc de ce trio Quechua-Forclaz-Wedze à Passy. Les intérêts sont multiples : il s’agit à la fois d’être sur place quand il faut tester du matériel, d’être au contact des pratiquants et pratiquantes au quotidien et d’attirer plus facilement des candidatures lorsqu’il s’agit de recruter.
Et le vélo dans tout ça ? Normalement, tout le monde est à Lille au B’Twin Village. Impossible de le nier, le vélo dans le nord de la France c’est toute une histoire… mais c’est surtout valable pour la route, le cyclo-cross ou la piste. Côté VTT, c’est plus compliqué. La région compte peut-être beaucoup de pratiquants mais quand on est vététiste, on rêve plus souvent de belles montagnes ou a minima de parcours sérieusement vallonnés au pied de sa porte que de terrils et de passages entre les champs.
Chez Rockrider, on réfléchit donc à d’autres choses et c’est dans cette réflexion qu’il y peu, une petite équipe a fait ses valises pour Passy. Côté face, ce n’est qu’une goutte d’eau dans la ruche du Mountain Store : ils ne sont que cinq à être ici toute l’année, alors que le site peut compter jusqu’à 550 personnes. Mais côté pile, un énorme potentiel : un petit recensement a montré que parmi ces 550 personnes travaillant toutes chez Decathlon, on compte environ 140 vététistes réguliers. Autant de testeurs, de testeuses et d’idées à aller chercher pour faire évoluer les produits !
En attendant, ce ne sont pas cinq personnes qui vont développer un catalogue aussi vaste que celui de Rockrider. L’équipe du Mountain Store se concentre donc sur une chose : les e-bikes, dont la nouvelle gamme vient d’être dévoilée (lire Prise en main | Rockrider E-Expl 520 S & 700 S : gros succès en vue). La raison de ce choix, on la doit encore une fois à cette question de terrains de pratique : « On peut tester des vélos à Lille mais c’est ici qu’on découvre des problèmes », nous glisse l’un des ingénieurs.
Difficile, en effet, de trouver des montées de 1500 m de dénivelé positif pour pousser le moteur dans ses retranchements dans le nord de la France. Auparavant, les équipes partaient régulièrement en « mission test » pour confronter le matériel à ce genre de situation mais lorsqu’on développe une cartographie d’assistance, c’est tout de même bien plus simple de pouvoir partir à n’importe quel moment sur une boucle de test que de devoir tout concentrer sur trois jours dans le mois ou dans l’année.
Résultat, ce sont maintenant les équipes de Rockrider à Lille qui viennent régulièrement rendre visite à l’antenne de Passy. Lors de notre passage, une petite « délégation » d’ingénieurs et designers est ainsi arrivée en cours de journée, les uns pour rencontrer certains partenaires ou fournisseurs et les autres pour des réunions de travail.
Le pôle design chez Rockrider, c’est en effet quelque chose de récent : l’équipe, qui compte 8 personnes, n’est en place que depuis deux ans. Comme nous l’explique Baptiste, le directeur du design, « on commence tout juste à voir le fruit de notre travail ». Protections, e-bikes, textile, XC, all-mountain, modélisation… Si chacun et chacune a son domaine d’expertise et sa spécialité, la ligne générale et les codes qui permettent de reconnaître les différents produits sont bien l’œuvre d’un travail d’équipe.
Sur un niveau plus large, ce « déménagement » est aussi l’occasion de partager des ressources, même si avec une si petite équipe cela profite pour l’instant plus à Rockrider qu’à Wedze, Quechua ou Forclaz. Discuter avec les équipes du ski sur des projets de protections, avec celles de la randonnée sur des choix de textile ou de finition… Autre exemple, ces impressionnantes bibliothèques de matériaux rangées par usage (tenir au frais ou au chaud, protéger de la pluie ou du vent) et performance.
Comme nous avons pu le constater lors de notre prise en main, cette nouvelle organisation semble avoir porté ses fruits : la gamme E-Expl, la première véritable famille de VTTAE conçue par Rockrider, est très réussie et les vélos nous ont surpris par leur comportement sur les sentiers compte tenu du prix auquel ils sont proposés.
De quoi donner des idées pour l’avenir ? A l’heure actuelle, la structure actuelle de Rockrider à Passy n’est qu’une antenne et il n’y a pas de grand plan de déménagement. Si l’idée séduit du monde, elle se heurte aussi à des problèmes logistiques : il a déjà fallu pousser les murs du Mountain Store pour accueillir ces 5 personnes, alors une marque entière….
Des structures essentielles comme le laboratoire de mécanique (lire Visite | Decathlon : au coeur du laboratoire de mécanique) se trouvent aussi à Lille, des structures difficiles à répliquer et impossibles à déplacer puisqu’elle sont partagées avec d’autres marques du groupe. Et quand bien même une solution serait trouvée, déménager toutes les équipes Rockrider impliquerait de faire bouger et de reloger des dizaines de familles.
Toutefois, ce questionnement est aussi l’occasion d’interroger le futur de Rockrider. Un sujet qu’on aborde avec Raffaele, chef produit, Eric, responsable des relations presse, et Benjamin, designer. Comment voient-ils l’avenir de la marque ?
Ça ne vous aura pas échappé, Rockrider a passé un cap depuis 5 à 6 ans : cela a commencé avec des séries limitées haut de gamme au succès exceptionnel et cela s’est poursuivi avec le développement de machines plus pointues comme le Feel 900 S Team Edition dont on vous reparlera bientôt et la création d’une équipe de coupe du monde, qui roule actuellement sur un Race 940 S prototype et s’est installée dans le top 5 mondial dès sa deuxième saison d’existence.
Cette réflexion s’applique en réalité à Decathlon de manière générale : sur la route, Van Rysel n’a pas peur de jouer dans le haut de gamme et a fait son retour sur le circuit World Tour en tant que fournisseur textile de l’équipe Cofidis. Il se dit même que les vélos pourraient revenir dans le peloton l’année prochaine… Même chose en course à pied, en trail et dans de plus en plus d’activités : les marques du groupe montent en gamme, tant du point de vue de la technicité des produits que de la communication, et s’associent désormais à certains et certaines des meilleurs athlètes de chaque discipline.
Cette montée en gamme n’est pas innocente. Sans être les plus engagées ou à la pointe du sujet, les marques du groupe apparaissent relativement préoccupées par leur impact environnemental et vendre des produits plus haut de gamme peut être une façon de réduire son empreinte carbone, ainsi qu’on nous l’explique : on vend moins donc on produit moins et qui plus est, les produits durent plus longtemps puisqu’ils sont de meilleure qualité. Le tout sans être perdant économiquement parlant, puisqu’on vend plus cher…
Quand on a été habitué au Decathlon leader et référence sur les segments de l’entrée et du milieu de gamme, ce genre de réflexion peut surprendre, sinon choquer. Heureusement, Raffaele nous explique ensuite que le questionnement ne s’arrête pas là. Le groupe est bien conscient de son positionnement comme de son image et cherche aussi des façons de réinventer les domaines où il excelle.
En France métropolitaine, Decathlon a ainsi lancé le programme Seconde Vie qui consiste à reprendre des produits achetés dans le réseau (VAE, tentes, matériel de fitness, sacs et vêtements) pour les reconditionner et les proposer à nouveau à la vente, à des tarifs plus accessibles bien sûr. De l’occasion encadrée en fait, quelque chose qui se développe de plus en plus et sur lequel beaucoup de marques misent à l’heure actuelle. On pourrait aussi parler des services de location d’équipements sportifs mais au final, le point est le même : dans le futur, les produits d’entrée de gamme neufs pourraient tout simplement disparaître. A la place, on trouverait du milieu de gamme d’occasion, ou en location pour les usages très occasionnels.
Si nos interlocuteurs précisent bien qu’il ne s’agit, pour l’instant, que de réflexion et de remise en question, on a l’impression que les projets sont peut-être plus avancés qu’on veut bien nous le dire. Quoi qu’il en soit, cette interrogation montre, au même titre que cette nouvelle antenne à Passy, que Rockrider est sans doute à un tournant de son existence. Quelle sera la situation de la marque dans 4 ou 5 ans ? Impossible de répondre à cette question à notre échelle mais une chose est sûre : qu’on aime ou pas ses produits et son image, Rockrider est une des marques les plus importantes pour la pratique du vélo dans nos contrées et elle n’a jamais été aussi intéressante à suivre qu’aujourd’hui.