Visite | Effigear : la boîte de vitesses à l’aube d’une nouvelle ère ?

Par Léo Kervran -

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Visite | Effigear : la boîte de vitesses à l’aube d’une nouvelle ère ?

La transmission à boîte de vitesses en VTT, c’est toujours la même rengaine. Présentée et attendue comme le Messie par certains depuis presque aussi longtemps qu’on utilise des dérailleurs (on en trouvait déjà dans les années 1930), elles n’ont jamais réussi à se montrer suffisamment convaincantes pour s’imposer à grande échelle. Cependant, une révolution récente pourrait bien leur donner une deuxième chance et peut-être leur meilleure jusqu’à présent : l’e-bike. Pour y voir plus clair à ce sujet, nous avons rendu visite à Effigear, un acteur historique au coeur d’un projet ambitieux qui pourrait bien chambouler le monde du vélo.

Maclas, dans la Loire, au pied des collines du Pilat. C’est ici qu’Effigear, spécialiste des boîtes de vitesses pour vélo depuis 12 ans, a posé ses machines, rapidement rejointe par les vélos Cavalerie qui font office de vitrine technologique pour la première. C’est aussi ici qu’Effigear produit l’essentiel des composants nécessaires à ses produits.

Très attachée à la production locale, aussi bien pour les boîtes de vitesses que les vélos, Effigear met un point d’honneur à faire le maximum de choses sur place… Et quand ce n’est pas possible, à trouver des sous-traitants en France voire à quelques kilomètres.

Ainsi, pour la boîte de vitesses, la seule pièce qui n’est pas fabriquée dans l’atelier est le carter en magnésium. David Rouméas, l’un des dirigeants, nous explique que « l’outil de production est dimensionné pour 2000 boîtes par an ».

Barres et billots de matière première sont stockés dans un coin du hangar et ensuite, des anciens tours réservés au prototypage (on trouve également une imprimante 3D pas très loin) ou à des modifications côtoient des machines à commande numérique plus récentes, coeur de la ligne de production.

Il faut dire que si la fabrication d’une boîte de vitesses est un processus exigeant qui ne tolère aucune erreur ou approximation sur les tolérances de fabrication, les opérations se ressemblent plus que pour un dérailleur : une boîte de vitesses, ce sont surtout des axes et des engrenages.

Certaines pièces nécessitent toutefois un peu plus de minutie, notamment quand il s’agit de manipuler et d’installer les tout petits cliquets qui servent à la sélection des rapports.

Au fait, une boîte de vitesses, comment ça fonctionne ?

Si une boîte de vitesses comme celle d’Effigear est impressionnante lorsqu’on l’ouvre pour la première fois, le fonctionnement est relativement simple à comprendre. A l’intérieur, on trouve deux trains d’engrenages accouplés, chacun monté sur un axe. L’un est relié à « l’entrée », à savoir la manivelle par laquelle arrive l’effort du ou de la pilote, et l’autre est connecté à la « sortie », le plateau qui entraîne la chaîne ou la courroie qui transmet les forces à la roue arrière.

Sur l’un des deux axes, le train d’engrenages est fixe et si l’axe tourne, tout le monde tourne avec lui. Sur l’autre, elles sont libres et si aucun rapport n’était engagé, l’axe pourrait tourner sans faire bouger un seul engrenage ou vice-versa, un engrenage peut tourner sans entraîner l’axe. C’est exactement comme le point mort sur une voiture ou une moto. Sur cet axe, on trouve des petits cliquets placés précisément sous chaque roue crantée.

Sur l’Effigear Mimic, le dernier modèle en date (plus récent que la boîte originale de la photo ci-dessus), l’axe à cliquets est celui qui est relié (indirectement) au plateau et l’axe avec les engrenages fixés pour de bon est celui connecté au pédalier.

Lorsqu’on engage un rapport, on soulève les cliquets correspondants et on connecte donc l’axe à un engrenage. Le pédalier entraîne son axe avec tous les engrenages dessus mais en face, l’engrenage connecté fait désormais tourner son axe qui emmène avec lui le plateau.

Dans les faits, les engrenages des deux axes tournent tous en même temps : comme ils sont entraînés par le pédalier et fixés sur l’axe, tous les engrenages du premier axe font tourner leur partenaire sur l’autre axe. Cependant, un seul couple est connecté par les cliquets à la sortie de la boîte de vitesses, les autres tournent dans le vide.

Si on passe sur un rapport plus dur, on engage les cliquets correspondant à une autre roue crantée. Celle qui était en service jusque-là reste en fonction car il faudrait décharger les manivelles un bref instant pour désengager ses cliquets mais ce n’est pas grave : le nouveau rapport étant plus gros, il a l’avantage et l’autre se désengagera tôt ou tard en tournant légèrement plus vite que l’axe, entraîné par la force du nouveau rapport.

Si on veut passer sur un rapport plus facile en revanche, les nouveaux cliquets correspondants s’engagent aussitôt mais il faut couper l’effort un bref instant pour permettre aux « anciens » de libérer le gros rapport qu’on utilisait avant. S’il a ses inconvénients, ce fonctionnement a aussi un avantage : on peut pré-sélectionner un rapport à l’avance, plusieurs minutes à l’avance si on le souhaite (en pratique, ce sera plutôt quelques secondes) et on pourra le passer au moment souhaité en soulageant rapidement l’effort sur les pédales.

Retour à la visite

Cependant, ce n’est pas pour parler industrialisation que nous sommes là. De petite société avec un produit non sans intérêt mais qu’on peut facilement qualifier de « niche », Effigear s’est retrouvée propulsée dans la cour des grands en dévoilant en 2022, en collaboration avec le géant de l’industrie Valeo, un système d’assistance pour e-bike avec boîte de vitesses intégrée (lire Cavalerie : un proto e-bike made in France avec Valéo !) et un mode entièrement automatisé qui plus est.

A l’époque, Shimano n’avait pas encore dévoilé ses dernières avancées en matière d’automatisation sur son système EP801 et on ne parlait même pas du Sram Powertrain. En Europe, les allemands de Pinion, leader du marché des boîtes de vitesses, n’avaient pas encore communiqué sur leur système MGU, aujourd’hui concurrent direct de ce Valeo Cyclee conçu en partenariat avec Effigear.

Sans parler de prendre par surprise, car beaucoup dans l’industrie savaient qu’un tel projet était en cours, les deux marques françaises sont donc arrivées avec un temps d’avance. « On a eu les premiers contacts avec Valeo fin 2019 ou début 2020 via leur entité SVA, Special Vehicle Application, qui doit créer de nouveaux marchés pour Valeo », nous raconte David Rouméas. « En fait », poursuit-il, « on avait un prototype, une preuve de concept depuis 2018. On l’avait présenté à l’Eurobike avec Mubea [une société allemande spécialisée dans la mobilité légère] et ça a permis de convaincre Valeo, on a signé le contrat fin juin [de la même année] ».

Malgré la différence d’envergure entre les deux sociétés, 15 personnes chez Effigear contre près de 110 000 salariés dans tout Valeo, c’est une véritable collaboration qui a vu le jour. « C’est un vrai co-développement, on a déposé les brevets en commun », confirme David, avant de détailler, « Valeo fait la partie moteur-réducteur et l’assemblage avec la boîte de vitesse, on travaille en commun pour la distribution ».

Le Valeo Cyclee en chiffres, cela donne ceci : jusqu’à 130 Nm de couple, 750 W de puissance et 800 % d’assistance, 4,9 kg, 7 rapports avec un ratio de 450 %, un fonctionnement entièrement automatique (avec une commande pour forcer les passages si on le souhaite), une marche arrière et capable de tirer jusqu’à 315 kg de charge. En d’autres termes, un système conçu avant tout pour la ville et les vélos cargo, la « cyclo-logistique » comme on l’appelle ici.

En VTT, le système présente certaines caractéristiques intéressantes mais il a encore des limites importantes sur certains points, ainsi qu’on a pu le constater en faisant quelques tours de roue sur les routes autour du bâtiment. Dans sa configuration actuelle, le Cyclee se repose beaucoup sur son couple pour gérer les relances ou les changements d’allure et les passages de rapports interviennent trop tard pour une véritable pratique tout-terrain, on tire presque systématiquement trop gros. Le fait de n’avoir que 7 rapports, même bien étagés, pourrait également être limitant en tout-terrain.

Par ailleurs, et malgré les améliorations apportées en début d’année, le système (moteur et boîte de vitesse) reste relativement bruyant, plus que les moteurs classiques de Bosch, Shimano et consorts.

Enfin, le poids est conséquent : les 4,1 kg incluent la boîte de vitesses donc le surpoids n’est pas si important que cela quand on rajoute la transmission complète (chaîne, dérailleur, cassette) au poids d’un moteur classique, mais recentrer ce poids autour du boîtier de pédalier au lieu de le répartir risque d’avoir une influence sur le comportement du vélo. Frein ou atout ? A ce stade, il est encore difficile de se prononcer.

« Le système est bien en urbain ou sur les cargo mais il y a des améliorations logicielles à faire pour le VTT », confirme David. Il reconnaît également que le système a rencontré « de gros soucis au début, liés à l’industrialisation. Heureusement qu’il y avait la force de Valeo pour tenir. Cette fiabilité des débuts a cassé l’image mais aujourd’hui on a un produit qui marche bien. En deux ans, on a fait des optimisations équivalentes à ce qu’on voit en cinq ans chez Bosch. »

Et Cavalerie dans tout ça ?

On parle beaucoup d’Effigear dans cet article mais si les boîtes de vitesses sont connues, c’est aussi et peut-être surtout grâce à la marque de vélos Cavalerie. Facilement reconnaissables sur les salons avec leurs tubes carrés en aluminium (« 2 h de ponçage par cadre », nous glisse Tom Donnadieu, leur concepteur), les machines attirent l’oeil et c’est souvent de là que la discussion dérive vers les boîtes de vitesses.

David Rouméas met les choses au clair : « Notre coeur de métier c’est Effigear, la boîte de vitesses. Cavalerie, c’est une vitrine technologique et on en profite pour se faire plaisir. Ce qu’on fait avec des VTT et une approche performance nous permet d’attirer des projets mobilité sur la boîte de vitesses. »

Et ça se voit dans l’organisation de l’entreprise : dans les 15 personnes présentes ici, seules 3 travaillent sur Cavalerie. Et encore, pas toutes à temps plein. Néanmoins, les deux marques affichent les mêmes valeurs et d’une certain façon, les mêmes ambitions. Ici aussi, on met tout en place pour produire au plus proche : Tom Donnadieu nous indique que pour les pièces en aluminium, les sous-traitants sont du côté de Lyon (grugeage et soudage) ou Saint-Etienne (anodisation).

Plus rare, le triangle avant en carbone du prototype d’e-bike est lui aussi fait en France, que ce soit au niveau de l’usinage du moule ou du drapage et de la cuisson du cadre proprement dit, qui sont réalisés à Valence. Lyon, Saint-Etienne, Valence : les trois grandes villes autour du siège de l’entreprise, toutes à moins de 70 km. Produire localement, vous disiez ?

Cette « vitrine » a également permis à Effigear / Cavalerie de développer ses compétences et aujourd’hui, l’équipe propose ses services de conception aux petites marques qui souhaiteraient développer un vélo à boîte de vitesses. « On peut même accompagner sur de l’industrialisation pour de la petite ou moyenne série si nécessaire, c’est à la carte », complète David Rouméas.

En parallèle, Tom nous confie qu’il aimerait bien faire revenir l’Anatrail dans le catalogue, et cite notamment les Santa Cruz 5010 ou Raaw Jib pour dessiner les contours qu’il souhaite donner au vélo. Une machine bonne pédaleuse donc mais aussi joueuse, plus que l’Anakin qui a un caractère très « freeride » et plus que l’ancien Anatrail, que nous avions pu essayer il y a quelques années (lire Découverte : le Cavalerie Anatrail et sa boîte de vitesses Effigear).

Le mot de la fin

La boîte de vitesses, l’avenir du VTT ? On n’y croit pas vraiment… mais du VTT à assistance électrique, peut-être. Sûrement ? Avec Valeo et comme quelques concurrents, Effigear pourrait être à un tournant de son histoire et de l’histoire du vélo tout court. L’avenir nous le dira, mais sur un e-bike les inconvénients des boîtes de vitesses (frottements, points de montages spécifiques) sont moins gênants et le système a de nombreux avantages en plus de sa robustesse (lire Une boîte de vitesses sur un VTT, qu’est-ce que ça change ?).

ParLéo Kervran