Visite | Commencal : leçon de passion
Par Léo Kervran -
Avec « seulement » 21 ans d’existence, Commencal est une marque plus jeune que la plupart de ses concurrentes sur le marché. On a pourtant vite tendance à l’oublier quand on voit la position enviable dans laquelle elle a su se placer au fil des années : connue et présente dans le monde entier, omniprésente en compétition, des vélos de caractère souvent plébiscités qui savent rester accessibles… Pour mieux comprendre comment elle en est arrivée là, nous lui avons rendu visite, au cœur des montagnes andorranes :
Port d’Envalira, paroisse (commune) d’Encamp, 2 409 m d’altitude. Quand on se rend chez Commencal depuis la France, ce passage, le plus haut col routier des Pyrénées, marque l’entrée sur le territoire andorran. Un territoire montagneux et pentu, perché entre 840 et 2942 m d’altitude, et dont l’élévation moyenne frôle les 2000 m. Mais aussi un territoire avec assez peu de falaises au regard de ces données, donc un territoire sur lequel il est possible de faire du vélo pour peu qu’on ait le matériel adapté…
Vous nous voyez venir ? La marque fondée il y a 21 ans par Max Commencal dans une de ces petites vallées a une identité particulièrement ancrée dans la culture gravity, et face au paysage qui s’étend devant nous, on se dit qu’il ne pouvait en être autrement.
Pour rejoindre le siège, il faut descendre jusqu’à Andorre-la-Vieille puis remonter en direction des montagnes jusqu’à un tout petit village, un hameau même : Erts. Le tracé de la coupe du Monde de DH arrive quelques kilomètres plus bas sur la grande route, on passe devant en montant depuis la capitale tandis que le bikepark de Vallnord n’est qu’une dizaine de kilomètres plus haut.
Commencal a choisi de s’établir ici, au cœur des montagnes, et ça en dit déjà un peu sur l’esprit qui imprègne la marque, ou l’image qu’elle veut renvoyer au minimum. En arrivant sur place, on se demande même si on est au bon endroit. L’avenir d’une des marques les plus populaires du marché et les mieux représentées sur nos terres se jouerait dans ce petit bâtiment, à peine plus grand qu’une belle maison ?
Oui ! Et jusqu’il y a peu, c’était encore plus petit nous indique en nous accueillant Léa Giraud, responsable Marketing et Communication. En 4 ans, les effectifs sont passés de 40 à 80 personnes et il a fallu s’étendre, en investissant le bâtiment d’à côté.
Une croissance importante qui n’effraie pas Max Commencal, qui nous expliquera plus tard que « c’est vrai que nous grossissons vite, et nous faisons tout pour. Donc, nous anticipons afin de ne pas être surpris ou piégés. C’est la même démarche que pour concevoir un vélo qui ne verra le jour que dans 2 ou 3 ans. Se projeter et organiser est juste notre travail. Et nous aimons énormément cela. »
Au rez-de-chaussée du bâtiment historique, on découvre un lieu qui fait à la fois office de showroom et de magasin, ouvert à tout le monde. On y navigue entre des vélos du catalogue, des pièces uniques, des vêtements de la collection textile en cours, des maillots iconiques…
Il faut dire qu’avec une histoire aussi étroitement liée à la compétition que celle de Commencal (première victoire en compétition dès sa première année d’existence, avec Christophe Dupouey sur le Roc d’Azur), le musée est facile à remplir.
Juste au-dessus, sans même une porte ou un mur pour séparer du showroom, on entre dans le premier des trois grands open spaces qui organisent l’entreprise. Ici, c’est la pièce « vélo » : marketing, relation aux athlètes, textile, choix et gestion des pièces et composants… Le bureau de Max Commencal se situe quelque part au milieu de ces grandes tables, sans rien pour le distinguer des autres.
Là encore, la décoration rappelle les grandes heures de la marque, notamment en coupe du Monde de DH. Et elles sont nombreuses !
Dans l’autre bâtiment, un deuxième open space pour les tâches « pratiques » comme la gestion du site internet, les ventes, les relations avec les équipes à l’international et surtout, au rez-de-chaussée, l’équipe de design et d’ingénierie.
Jusqu’il y a peu, elle était encore dans le premier open space mais elle dispose désormais de son propre espace avec un atelier / laboratoire dédié juste à côté. Ici, c’est le « saint des saints » et vu ce qui traînait sur les écrans ou les tables à côté des ordinateurs, impossible de prendre des photos…
Parmi ces bureaux se trouve celui de Thomas Moret, le designer de Commencal depuis de longues années. Ça tombe bien, on a une question pour lui : qu’est-ce-que ça fait pour un designer de travailler chez Commencal, une marque qui ne jure que par l’aluminium ?
« Ah c’est sûr que si on ne faisait que du carbone, ce serait plus facile pour moi ! (rires) Non, il ne faut pas voir l’aluminium comme un problème mais comme une contrainte de travail, qui a aussi ses côtés positifs. »
« Le gros point compliqué ce sont les soudures, il faut y penser dès la phase de modélisation 3D pour ne pas en avoir au mauvais endroit et que ça gêne pour d’autre choses, un protège-base par exemple. Pour moi c’est un challenge, j’essaye par exemple de les utiliser comme des transitions entre des tubes pour qu’elles apportent réellement quelque chose au lieu d’avoir un cordon au milieu d’un volume. »
« En revanche, vis-à-vis du carbone l’aluminium a de réels avantages sur tout ce qui est rapidité et flexibilité lors du développement, on peut changer ou modifier des choses beaucoup plus facilement. Au maximum il y a un peu d’outillage à refaire, mais rien de comparable à l’ouverture d’un moule. »
« Pour moi, le collage représente l’avenir des vélos alu » Thomas Moret, designer.
« On parle de soudures mais on peut aussi réfléchir au collage, ça se fait sur les roues, dans l’automobile… C’est une autre technique, ça oblige à revoir la conception des pièces car il faut un manchon pour augmenter la surface de contact mais d’un autre côté, ça permet de se libérer des alus soudables donc on aurait beaucoup plus de choix dans le matériau de base, pour optimiser ses propriétés. Pour moi c’est l’avenir du vélo alu mais ce sera peut-être réservé au haut de gamme, au moins dans un premier temps. »
Une contrainte mais aussi un marqueur important de l’identité Commencal. D’ailleurs, au-delà de l’aluminium, est-ce qu’il y a une « signature » Commencal sur le design des vélos ? « L’intégration », répond Thomas sans hésiter, « toute cette zone autour de l’amortisseur et du tube supérieur. Quand je dessine, le vélo doit rentrer en deux lignes fortes puis il faut ajouter les éléments un à un en essayant de polluer les deux lignes de base le moins possible. Et ensuite, on joue sur les formes des tubes pour garder des continuités entre les arêtes et les volumes. »
« La zone du boîtier de pédalier est très particulière par exemple, le tube de selle rond arrive sur une surface « carrée ». Je ne peux pas laisser ça comme ça donc je travaille avec des préformes, les arêtes et les soudures pour obtenir une transition harmonieuse. »
« Ceci dit, les formes dépendent aussi des ingénieurs, ils influencent de plus en plus le design. Ça dépend du type de vélo mais il y a des choses que je ne peux pas dessiner parce que ça modifierait la rigidité, le confort… Ça dépend aussi du type de vélo, sur un tout-suspendu ils me donnent un fichier avec des angles et des points de cinématique et je dois trouver les deux lignes directrices. C’est plus ou moins limpide sur l’organisation des éléments mais ensuite, le passage à la 3D fait souvent changer les choses. Mais comme mon bureau est au milieu des ingénieurs et des modeleurs ça va très vite, on échange tout le temps. »
Justement, on en profite pour changer de bureau et se tourner vers Arthur Quet, l’un des ingénieurs clé de Commencal, pour lui poser à lui aussi la question de l’identité de la marque, d’un point de vue technique. Réponse : « On est une marque DH, c’est nous qui avons relancé le pivot haut il y a quelques années par exemple. On fait du freeride et du petit débattement car c’est ce qui est roulé au quotidien, mais c’est roulé par des descendeurs. »
Un positionnement fort et assumé qui peut parfois emmener loin, comme lors du développement du dernier Meta AM, très orienté DH pour un enduro. Trop loin ? On a ainsi vu que le Meta SX, sorti cet automne, affichait une géométrie d’apparence moins exclusive et plus polyvalente.
« On fait du freeride et du petit débattement car c’est ce qui est roulé au quotidien, mais c’est roulé par des descendeurs » Arthur Quet, ingénieur.
« Ce n’est pas évident de concevoir ce genre de vélo car le public « vélo enduro » est très vaste », explique Arthur, « mais c’est vrai qu’on doit sortir un peu plus de la tribu Commencal pour comprendre les autres pratiquants. Pour le Meta SX, il a fallu replacer un peu le curseur sans perdre notre identité. »
S’ensuit un cours de conception complètement improvisé, fort intéressant et largement assez complet pour mériter un article à part entière, pour nous expliquer ce qui a amené à la naissance de ce Meta SX. Comme souvent avec Arthur d’ailleurs, l’homme est aussi passionné par son travail que passionnant à écouter !
Pour faire court, retenez que selon lui, « face au 29″ le mulet est suffisamment rapide et plus ludique, plus safe et moins fatiguant. […] Le SX est très bien pour la masse des pratiquants, […] plus adapté aux vitesses moins élevées. »
D’ailleurs, la croissance qu’on évoquait avec Léa Giraud en début de visite est aussi un challenge pour les ingénieurs : « Pour faire grandir la marque, il faut toucher plus de monde mais il faut réussir à le faire en gardant du caractère, sans tomber dans des vélos insipides. »
En parlant de toucher du monde, on évoque avec Max le sujet de la vidéo, un domaine où Commencal se distingue régulièrement depuis quelques années avec l’équipe de Léon Perrin ou ce que fait Kilian Bron par exemple. Il nous explique que « nous aimons considérer la vidéo comme un art, et non pas comme un unique moyen pour vendre. Ce sont les rencontres avec des personnes exceptionnelles (notamment celles que tu viens de citer) qui nous motivent à les suivre. »
« Pour que ça fonctionne, ce n’est pas qu’une question de moyens. Il faut que ça « matche » dans les deux sens. Et c’est le cas. Puis, si d’autres marques réalisent de beaux édits, tant mieux. Cela donnera envie aux gens de rouler, et c’est juste le but. »
Commencal grandit vite et son avenir se jouera peut-être aussi dans d’autres domaines que le seul monde du vélo. Depuis plusieurs années, la marque diversifie ses activités et avance ses pions, jamais en panne d’idées.
On pense bien sûr au Spot, le restaurant/bar/terrasse situé un peu plus bas à La Massanna, juste en face de l’arrivée du tracé de la coupe du Monde de DH de Vallnord et désormais bien installé dans le paysage local.
Au ski aussi, d’abord via une collaboration avec Faction en 2017 puis avec ses propres produits depuis 2019. La gamme s’étoffe d’année en année et compte maintenant 4 modèles ainsi qu’une splitboard. Une marque de vélo basée au milieu des montagnes présente dans le ski, le lien est facile à faire et encore plus quand on fait le rapprochement avec ce que Max Commencal nous a glissé sur un autre sujet : « Il faut savoir qu’à la base, nous ne sommes pas des cyclistes ! Dans le sens le plus primaire du terme. Nous aimons le vélo pour le plaisir qu’il procure, pas seulement pour l’effort physique qu’il exige. »
Troisième domaine en développement, le textile. Il y a deux ans, la marque a opéré un changement de stratégie dans le domaine, nous éclairent Lucie Ceresa, chef produit textile, et Lucie Souchière, designer. Fini les vêtements uniquement conçus pour les fans de la marque, désormais « on veut développer le lifestyle et le technique, travailler sur le style de vie « gravity » comme il existe un style « surf », avec une influence streetwear ».
Commencal a ainsi créé un véritable département textile, avec le recrutement de 4 personnes, de façon à accélérer sur le sujet. Comme toujours chez la marque, la volonté de tout faire soi-même est bien présente et si ça peut l’être à proximité, c’est encore mieux. Ainsi, le lifestyle sort d’une usine au Portugal tandis que le technique est cousu en Lituanie avec des tissus qui viennent d’Espagne. Textile technique qui est d’ailleurs personnalisable directement sur place, puisque la machine trône au fond du showroom.
Un restaurant, des skis, du textile, un effectif qui approche doucement les 100 personnes… Une petite évolution en 20 ans, n’est-ce pas Max ? « L’évolution a été spectaculaire ! Il y a 20 ans, nous étions « vélo de l’année » avec le Supernormal ! Un vélo hardtail fait de 7 tubes ronds, une bonne géométrie et quelques composants bien choisis ! C’est tout. Aujourd’hui, surtout avec les Power, nous avons besoin de plusieurs ingénieurs, et d’un travail fou pour sortir un vélo au top. Rien à voir donc ! »
L’avenir reste à écrire mais une chose est sûre, « vendre la marque n’est absolument pas d’actualité. C’est un job familial qui nous passionne mes enfants et moi, et tout est réuni pour que ça continue comme ça. Nous prenons plaisir à aller au bureau, à travailler, à voyager ! Donc ça va perdurer. Nous sommes largement majoritaires et avons tous les pouvoirs de décision. Donc pas de risques. Et puis, je compte m’impliquer encore un bon moment (rires). »
Si on devait résumer cette visite chez Commencal en un mot, ce serait « passion ». Les personnes à qui nous avons parlé, les open spaces parfois un peu brouillons mais qui fourmillent de petits détails, la transparence dont la marque a fait preuve en nous accueillant aussi… Tout respire la passion chez Commencal, une passion du vélo, de la belle mécanique et des montagnes qu’on a rarement ressentie aussi forte ailleurs.
Les choix techniques moins consensuels que ceux d’autres marques peuvent ne pas plaire à tout le monde mais maintenant, on comprend mieux d’où ils viennent et aussi pourquoi malgré cela, la marque a su séduire et s’imposer si vite sur le marché. On vous laisse, la visite nous a donné envie d’aller rouler !