Une boîte de vitesses sur un VTT, qu’est-ce que ça change ?

Par Léo Kervran -

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Une boîte de vitesses sur un VTT, qu’est-ce que ça change ?

Le coût et la complexité des dérailleurs classiques allant croissant, on entend régulièrement revenir le refrain de la boîte de vitesses. Mais au-delà des différences sur la transmission elle-même, le système a aussi une influence non négligeable sur la conception et le comportement de tout le vélo. Alors, comment ça roule un VTT à boîte de vitesses ? Nous avons pu essayer le Cavalerie Anakin V2.2, doté de la boîte de vitesse Effigear Original, pour nous en faire une idée :

Ceci n’est pas un test, ou plutôt, pas un test de vélo comme vous avez l’habitude d’en voir dans nos pages. A la fin de notre visite chez Effigear et Cavalerie (lire Visite | Effigear : la boîte de vitesses à l’aube d’une nouvelle ère ?), nous ne sommes pas rentrés les mains vides : la marque nous a proposé de repartir avec un Anakin V2.2, le « gros » vélo du catalogue… et le seul, en attendant peut-être un retour de l’Anatrail.

Si vous connaissiez déjà l’Anakin V2, le V2.2 reprend la même base mais bénéficie d’un arrière légèrement plus précis et rigide (grâce à un yoke en une seule pièce pour relier les bases) et surtout des organes internes de Mimic dans la boîte de vitesses en remplacement des anciens engrenages (pignons plus larges donc moins de problèmes de réglage et plus fiable).

Essayer un nouveau vélo est toujours intéressant mais celui-ci a une dimension supplémentaire : comme tous les vélos Cavalerie il est équipé d’une boîte de vitesses Effigear, puisque les deux marques sont liées et que la première fait office de « vitrine » pour la seconde, le véritable coeur de l’activité de l’entreprise.

Au-delà des éléments inhérents au fait de rouler avec une boîte de vitesses plutôt qu’une transmission à dérailleur (plus de dérailleur exposé aux chocs, frottements plus importants au pédalage…), nous voulions nous attarder un peu sur tout ce que change l’intégration d’une boîte de vitesse sur un vélo, et un VTT en particulier. En effet, on ne fait pas que « déplacer » le dérailleur. On déplace aussi des masses et des volumes, qui ont une importance parfois capitale dans le comportement ou la conception de certaines pièces.

Commençons par la roue : sans dérailleur ni cassette mais avec un seul pignon à la place, on gagne de la place. L’absence de mécanisme de roue libre, désormais dans la boîte de vitesse, en libère elle aussi. Toute cette place libérée permet d’écarter les flasques du moyeux, donc d’augmenter l’angle des rayons vis-à-vis de la jante. Ça paraît anecdotique mais cela permet d’obtenir non seulement une roue plus rigide latéralement si on le souhaite, mais aussi et surtout plus solide et plus fiable comme on vous l’expliquait dans un épisode de notre série MTB Anatomy : MTB Anatomy #6 : les secrets d’une roue.

Ainsi, Cavalerie nous explique que grâce à cette possibilité d’optimisation, il était déjà possible d’avoir des roues très performantes avec l’ancien standard d’axe, en 142 mm de long. Cependant, la marque a préféré passer l’Anakin au format Boost (148 mm) pour cette V2 afin de suivre le marché et garder la compatibilité avec une grande offre de moyeux.

Ajoutez à cela le moyeu à pignon fixe lui-même plus simple et plus fiable qu’un équivalent à roue libre et vous comprenez qu’avec une boîte de vitesses, ce n’est pas seulement la transmission que l’on renforce ou que l’on protège : c’est tout l’arrière du vélo, tout ce qui est situé derrière le ou la pilote et de ce fait plus exposé aux « mauvais traitements ».

Dans la même optique, on peut évoquer la possibilité d’utiliser une courroie plutôt qu’une chaîne pour transmettre les efforts du pédalier vers la roue arrière. Cette solution n’est toutefois pas réservée aux boîtes de vitesses puisqu’elle est également envisageable avec à un moyeu à vitesses intégrées type Rolhoff (ou les Shimanos Nexus et Alfine de ville) ; elle fonctionnera sur tous les systèmes singlespeed. L’avantage reste le même : une courroie nécessite beaucoup moins d’attention et d’entretien qu’une chaîne, elle est moins sensible aux éléments et dure plus longtemps (on parle de dépasser les 30 000 km voire 40 000 km en vélo sans changer quoi que ce soit). Cavalerie nous indique à ce sujet que « chez nous, la courroie est une option à 250 € mais 90 % des vélos qui sortent en sont équipés ».

Cependant, le choix de la courroie ne vient pas sans inconvénients. Une courroie ne pouvant être ouverte ou coupée puis ré-assemblée, il faut que le cadre soit adapté à son installation. Pour bien fonctionner, une courroie doit aussi être placée sous une certaine tension et cette tension s’oppose à sa mise en mouvement. Autrement dit, elle génère une perte d’énergie ce qui fait qu’à basse puissance (sous les 200 W), une courroie offre un rendement légèrement moins bon qu’une chaîne bien entretenue et lubrifiée avec un produit performant.

Reste que pour l’instant, nous n’avons évoqué que des composants, et si avoir des pièces moins fragiles ou qui durent plus longtemps est appréciable, ça ne change pas grand-chose dans la façon de rouler. En revanche, il est un autre effet des boîtes de vitesses qui a un impact beaucoup plus sensible sur le terrain.

En allégeant la roue arrière (autour de 1 kg de gagnés en enlevant la cassette, le dérailleur et le corps de roue libre), on rend la suspension beaucoup plus sensible. La roue a moins d’inertie et se met plus facilement en mouvement ce qui permet à la suspension de mieux suivre et absorber les irrégularités du terrain. En d’autres termes, on rend la suspension plus performante.

Ce fut particulièrement sensible sur notre Anakin V2.2. Monté en mulet (il accepte aussi du 29″ et du 27,5″ selon le débattement choisi), le vélo offre un confort digne d’une machine en 29″… mais avec l’avantage de la petite roue arrière pour la maniabilité. Du fait de son diamètre moins important, une roue arrière en 27,5″ a tendance à « accrocher » un peu plus les obstacles que son équivalent en 29″, même dans le cas d’une suspension à point de pivot haut comme ici, mais sur l’Anakin V2.2, rien de tout ça et on avait l’impression d’effacer les obstacles comme au guidon d’un 29″ bien confortable. Le meilleur des deux mondes ?

Côté pratique, cela a aussi une conséquence « amusante » : du fait de cette roue plus légère ou de cette réduction des masses non-suspendues, appelez cela comme vous voulez, les forces transmises à l’amortisseur sont beaucoup plus importantes qu’avec une transmission classique. Avec un ratio de suspension courant, comme c’est le cas de l’Anakin V2.2 (début à 3,2 et fin à 2,4), il faut donc un ressort plus fort ou une pression d’air plus élevée pour que le système fonctionne normalement.

Pris à l’envers, cela signifie aussi qu’on peut concevoir le vélo avec des ratios nettement plus bas qu’ailleurs. Cela permet « d’épargner » l’amortisseur, notamment pour les utilisateurs les plus lourds, puisqu’on s’éloigne des limites de sa plage de fonctionnement tant en termes de pression (si amortisseur à air) que de compression et de rebond (si les forces à l’entrée et celle du ressort en sortie sont élevées, il faut beaucoup de freinage hydraulique pour les contrôler).

Enfin, le choix de la boîte de vitesses a un dernier effet notable sur le terrain : en déplaçant le poids de la roue arrière au boîtier de pédalier, on déplace le centre de gravité du vélo. Ça va même un peu plus loin puisqu’une boîte de vitesses pèse plus lourd qu’une transmission à dérailleur. Pour la Mimic, le modèle actuel et présenté en 2021 (l’Anakin V2.2 est équipé  d’un « croisement » entre le modèle original et la Mimic), Effigear annonce un poids « inférieur à 2 kg », soit un surpoids « de l’ordre de 900 grammes » vis-à-vis d’une transmission à dérailleur.

Presque 1 kg de plus sur le poids total du vélo ce n’est pas rien et 2 kg en tout au niveau du boîtier de pédalier, c’est particulièrement sensible. Avec un centre de gravité plus bas et plus centré, le vélo est particulièrement stable longitudinalement. « Il est super stable et rassurant sur les sauts », sentait ainsi un de nos testeurs avant de préciser, « on a presque la sensation de sauter en e-bike mais dans le bon sens du terme ».

En théorie, ce positionnement bas du centre de gravité devrait le rendre plutôt vif latéralement mais ici, on est limité par la masse du système : ces 2 kg ont une certaine inertie et avec une suspension plus orientée « tapis volant » que « bâton sauteur » en plus, il faut mettre un peu d’énergie pour initier le mouvement et changer de trajectoire. A nouveau, cela rappelle les sensations qu’on peut avoir sur un vélo à assistance électrique, dans une moindre mesure du fait du surpoids contenu.

Le test du Cavalerie Anakin V2.2

Et au-delà de l’influence de la boîte de vitesses sur le vélo, à quoi ressemble cet Anakin V2.2 version « bikepark » (montage mulet, 164 mm de débattement à l’arrière et 170 mm à l’avant) dans l’ensemble ?

Clairement, le vélo ne brille pas au pédalage. Entre le poids du cadre en aluminium, le surpoids apporté par la boîte de vitesses et les frottements à l’intérieur de celle-ci, l’Anakin V2.2 n’avance pas très vite et plus la pente est raide, plus on y laisse d’énergie, et ce malgré une position tout à fait correcte (angle de tube de selle de 77°).

Qui plus est, le fonctionnement de la boîte de vitesses Effigear a une caractéristique particulièrement usante sur les longues montées au train : pour passer sur un rapport plus facile, il faut soulager légèrement la pression sur les pédales (le fonctionnement de la boîte en détail est expliqué dans notre visite chez Effigear). On peut le pré-sélectionner à l’avance mais tant qu’on n’aura pas relevé le pied, on restera sur le rapport actuellement engagé.

Sur le papier ça ne semble pas si gênant mais dans les faits nous n’avons jamais réussi à passer sur un rapport plus facile sans arrêter complètement de pédaler, nous n’avons pas réussi à soulager suffisamment la pression sans couper complètement l’effort. La coupure dans le pédalage peut être très brève, une demi-seconde à peine, mais elle est nécessaire et sur des longues montées où on a déjà du mal à faire avancer le vélo, on s’en passerait bien. Sur du sentier technique avec un pédalage irrégulier ça peut se passer plus naturellement mais quand on est sur une petite route ou une grande piste roulante, impossible de faire autrement.

Signalons tout de même un bon point : nous avons trouvé l’étagement de la boîte très cohérent et bien qu’il n’y ait « que » neufs rapports, nous n’avons jamais eu l’impression d’être entre deux positions. Effigear annonce cette transmission comme équivalente à un système 1×11 avec dérailleur et on les rejoint facilement sur ce point.

En descente en revanche, l’Anakin a de sérieux arguments à faire valoir ! Au niveau de la boîte de vitesses d’abord, les rapports descendent plus rapidement et de façon plus souple qu’avec n’importe quelle transmission à dérailleur, c’est presque instantané et très agréable. Et comme la roue et la courroie tournent en permanence (puisque la roue libre est au niveau du pédalier), on peut aussi remonter les rapports sans pédaler ce qui est utile pour anticiper une remontée ou un passage plus lent.

Au-delà de ça, le vélo est très bon dans les appuis marqués et les réceptions de saut, où il offre un bel équilibre entre confort, sécurité et maintien pour ne pas « s’enterrer » et conserver de la vitesse en sortie. Comme tout vélo avec une suspension à pivot haut, il a aussi un bon grip dans les passages en dévers et au freinage mais comme on l’évoquait plus haut, il faut de l’énergie pour initier le changement d’angle ou de ligne.

Néanmoins, de manière générale, l’Anakin V2.2 est un vélo facile à prendre en main et qui incite à envoyer gros. Une ou deux descentes suffisent pour être à l’aise à son guidon et ensuite, il en faut beaucoup plus pour aller chercher la limite ! Rouler vite et sauter loin, l’Anakin semble fait pour ça.

Une boîte de vitesses, pour qui ?

A nos yeux, les boîtes de vitesses ne s’adressent pas aux personnes qui pédalent beaucoup en VTT, pour une pratique classique de sorties de quelques heures dans nos contrées au moins. Les avantages en termes de comportement et de robustesse ne parviennent pas à contrebalancer les problèmes de surpoids, de frottements et de coupure du pédalage pour passer sur un rapport plus facile.

En revanche, c’est une excellente alternative aux vélos classiques pour celles et ceux qui passent l’été à rouler en station, qui penchent sérieusement vers le bikepark ou le freeride. Dans ce cadre, une boîte de vitesses bien exploitée a de sérieux arguments et le Cavalerie Anakin V2.2 a de quoi briller dans cet usage. Pour reprendre les mots d’un de nos testeurs, c’est un vélo « pour celles et ceux qui adorent casser du matos et se mettre des plats, histoire de leur donner un peu de fil à retordre » ! Ces personnes apprécieront aussi les passages de gaines externes, un choix maintenant rare mais de loin le plus pratique lorsqu’il s’agit de faire de la mécanique.

Le mot de la fin

« On ne remplace pas le dérailleur », nous expliquait Effigear pendant notre visite, « on offre une alternative qui répond à certains besoins ». Lucide, la marque française sait que les transmissions à dérailleur sont trop bien installées pour être délogées aussi facilement, sur les vélos sans assistance en particulier. Néanmoins, on a pu voir qu’une boîte de vitesse offre aussi de réels avantages qui dépassent le simple cadre de la robustesse des composants et qui font de ce choix une alternative réellement crédible pour certains usages, quand le pédalage ne fait pas trop partie du menu notamment. L’autre lien évident est bien sûr avec les e-bikes, qui bénéficieraient à la fois d’une suspension plus libre et de pièces plus robustes et chez qui les contraintes au pédalage ne sont plus (trop) un problème. Mais ça, on aura le temps d’en reparler !

Plus d’informations : cavalerie-bikes.com

ParLéo Kervran