Sur les chemins blancs du Tour de France 2024 : à la mode champenoise en gravel

Autrefois peu enclin aux changements qui pouvaient ternir la tradition cycliste, le vélo de route entame sa révolution. Ainsi, la pratique du gravel s’immisce au sein du peloton professionnel, pour le plus grand bonheur du spectacle. Sur les Strade Bianche, lors des quelques étapes du Giro et du Tour féminin, les coureurs apprivoisent de plus en plus les chemins de gravier. Même s’ils ne troquent pas leurs purs vélos de course pour nos chers gravel, ils empruntent ces fameux chemins blancs, ces voies champêtres qui se dessinent dans le paysage et qui permettent aux vignerons de rejoindre leurs cultures.

En ce jour de janvier, la lecture de magazines permet l’évasion alors que l’on est calfeutré au coin du feu. Une info n’est cependant pas passée inaperçue. A la lecture du descriptif du Tour de France 2024, notre curiosité de graveliste nous a titillés. Le 7 juillet, la neuvième étape de la grande boucle partira de Troyes et y reviendra après avoir emprunté les chemins blancs de Champagne, ceux que nous avons découverts il y a presque 4 ans avec Vincent Ancelin, en pleine période de pandémie.

Le devenir d’une Classique

Depuis cette annonce, sur les réseaux sociaux, les infos de toutes parts se bousculent et se prêtent à toutes les spéculations : cette étape devient vite une légende avant même qu’elle ne soit parcourue ! Va-t-elle, au même titre que les Strade Bianche en Toscane, devenir une grande Classique ?

Les pros vont sans doute user de leurs pneus de route sur ces chemins de calcaire : il ne s’agit pas d’une course de gravel proprement dite car les coureurs sillonneront l’Aube à toute allure sur 199 km ce jour-là, mais les 32 km réservés aux chemins pourraient changer la donne et transfigurer la course. Les vététistes du peloton ou crossmen comme Mathieu van der Poel, Wout van Aert ou Tom Pidcock pourraient sortir leur épingle du jeu et bouleverser le classement. D’ailleurs, l’Anglais et Remco Evenepoel découvraient déjà à Noël les chemins blancs de Champagne, ces 14 tronçons qui jalonneront le parcours du jour. Il nous tardait également d’aller pour vous reconnaître aussi au plus vite ces chemins d’une légende en devenir.

Un coup de fil à Vincent Ancelin et nous rejoignons le département de l’Aube. En traversant l’Ardenne, le temps est magnifique et froid. Dans la plaine de Reims, le temps change et il se met à neiger ! L’autoroute A26 est transformée en patinoire : le lendemain, les petites routes et les chemins seront saupoudrés d’un léger manteau blanc, une image oubliée depuis plus de 10 ans en Champagne. Nous nous attendions à un autre blanc…

Troyes, la médiévale

Cette étape du Tour comptabilise 199 km, en majeure partie sur la route : on ne vous fera donc pas l’affront de l’effectuer dans sa totalité. Nous allons plutôt reconnaître les secteurs des chemins blancs, soit 32 km et vous proposer une petite trace sympa. En détaillant l’itinéraire, il nous semble opportun de partir de Troyes, de visiter la ville médiévale et de vous conter son histoire.

La cité se développa grâce aux foires de Champagne où se rencontraient les marchands venus de Flandre ou d’Italie, la cité se situant sur un axe commercial très important. Le succès de ces foires était assuré par les comtes de Champagne qui promettaient aux marchands la sécurité du voyage et assuraient leurs privilèges.

Au XIXe siècle, la Révolution Industrielle vit l’émergence de filatures où naquirent des marques françaises de prêt-à-porter. Lacoste, Petit Bateau ou le Coq Sportif ont contribué au rayonnement et à la richesse de Troyes. Et comble de chance, la cité ne subira pas les destructions des deux guerres mondiales. De nos jours, elle a gardé son patrimoine médiéval. Ce dont nous nous délectons en sillonnant les ruelles étroites arborées de maisons en pans de bois.

Blanc est le calcaire

Ensuite, direction le lac d’Orient et son magnifique paysage où passeront les coureurs. Il fut construit dans les années 1960 afin de protéger le bassin parisien des grandes crues de la Seine et de la Marne. Le lac constitue une aire de repos pour les échassiers migrateurs et il est également le refuge de l’avifaune des vasières et des roselières.

Au fil des kilomètres de cette étape du Tour, le département de l’Aube va s’élever, se courber en douceur, sans agresser le paysage. Le village de Barsy s’intègre dans les champs de vignes. Là, nous retrouvons Mathis Guérin. Il est l’un des spécialistes du gravel dans le département. Sa grande carcasse a écumé les épreuves de XC marathon et il s’adonne depuis à l’ultra distance.

Au début fut l’Eroica

Curieusement, cet anachronisme du chemin blanc, en héritage des routes de l’après-guerre, fait partie intégrante du cyclisme actuel. Comme le cyclo-cross qui renaît de son passé de kermesse. Un petit retour en arrière s’impose. En Italie, l’Eroica connut au début des années 2000 un succès retentissant. Cette randonnée voyait alors des passionnés de vélos vintage se lancer sur les chemins de Toscane à partir de Gaïole, dans le Chianti : nous en avons d’ailleurs fait partie…

La passion de la bécane ancienne va engendrer une épreuve mythique en empruntant en grande partie le tracé originel de l’Eroica : les Strade Bianche. Très vite, les pros y virent une épreuve élégante et très exigeante. Les plus grands, Philippe Gilbert, Fabian Cancellara ou Julian Alaphilippe ont marqué ces chemins de leur empreinte. Les Strade Bianche en Toscane sont vite devenues un Monument dans le cyclisme, au même titre que Paris-Roubaix. Il n’y a pas de raison à ce que les chemins blancs de Champagne ne connaissent pas le même engouement.

L’enfer du chemin blanc 

A Loches-sur-Ource, le sol gelé est devenu un bloc brut : aucun gravier ne glisse, les pneus mordent parfaitement le sol gelé. En juillet, la poussière va sans nul doute s’élever comme un nuage et se coller à la sueur. Les routiers d’aujourd’hui vont ressembler aux pionnier du Tour de France, hirsutes et sales comme des charbonniers. La lutte sera impitoyable, les corps en souffrance ploieront sous les coups de pédales pour gravir au plus vite ces petites côtes redoutables.

Par chance, nous aurons comme guide Raphaël Piconnet et Paul Clergeot, passionnés de gravel et viticulteurs de surcroit ! Ils nous emportent pour un voyage dans leur côte des Bar, là où passeront les coureurs du Tour de France. Les chemins de ces côteaux nous sont apparus plus tortueux et techniques, comparés à ceux de l’Eroica, suite à notre petite expérience de participant. Dans les descentes étroites, il faut filer vite et bien droit : les gars des Classiques vont sans doute se disputer la victoire. Des grands panoramas sont au bout du sommet, d’une côte où trône parfois une cadole. Faite de pierres sèches, il s’agit d’un abri pour protéger les vignerons de la chaleur ou des intempéries.

Une esthétique paysagère

A Essoyes, nous rejoignons le lieu que Renoir aimait tant peindre. Aux alentours, la campagne fut source d’inspiration pour le maître. La contemplation du paysage champenois apaise le regard et rassure. Les vignes auréolent les collines de leurs lignes géométriques. Et nous les contournons en roulant sur ces chemins blancs dessinés avec harmonie. L’esthétique de notre sport côtoie celle des tableaux de l’impressionniste.

A la fin de la randonnée, Raphaël et Hannah nous invite à déguster le champagne dans leur Domaine de Bichery. A Neuville-sur-Seine, ils cultivent quelques hectares de cépages de Pinot Noir, de Pinot Meunier et de Chardonnay en agriculture biologique. Une évidence pour Raphaël qui perpétue et prend un soin tout particulier à cette terre familiale qu’il chérit. Ces champagnes sont tous issus d’une seule vendange et leurs fermentations sont naturelles, sans ajout de sucre. A la dégustation d’un verre d’une bouteille de La Source, nous goûtons à une cuvée remarquable, reflétant toute la richesse de ce terroir d’exception.

En ce jour de janvier, nous avons été enivrés par cette terre de Champagne qui séduit par ses chemins blancs, à l’aube d’une nouvelle légende du Tour de France. Le spectacle peut commencer ce dimanche 7 juillet.

Carnet pratique