Test | Triban GRVL900 Ti : un gravel titane à 2400€, la noblesse accessible ?
Par Olivier Béart -
Le titane est un matériau synonyme de luxe et d’exclusivité. Avant que la vague du carbone emporte presque tout sur son passage, il était inévitable dans le haut de gamme, surtout en VTT. Avec le gravel, voilà de nouveau ce « matériau magique » sous le feu des projecteurs… et c’est maintenant le géant Decathlon qui le remet au goût du jour dans sa gamme, avec cet inattendu Triban GRVL900 Ti, soudé en Italie sur base de tubes Dedacciai. Vojo a eu l’occasion de l’essayer en avant-première.
Du titane chez Decathlon, ce n’est pas une première. Le géant du sport s’y était déjà essayé en 2004, quand la marque équipait l’équipe pro route AG2R, qui avait demandé un vélo spécifique pour briller sur les pavés de Paris-Roubaix. Dans les années 90′, il y a aussi eu un VTT, le 760, et un cadre route, le 780. On peut donc parler d’un retour, qui s’effectue aujourd’hui sous la marque Triban, orientée tourisme et aventure dans la galaxie des noms liés au cyclisme au sein de l’univers Decathlon (entre Van Rysel pour la route et le gravel sportif, et Rockrider pour le VTT).
Pour son Triban GRVL900 Ti, l’enseigne n’est pas juste allée chercher un cadre tout fait en asie. Les équipes du centre R&D de Lille n’ont pas fait les choses à moitié, en s’adressant au spécialiste Dedacciai pour les tubes (à base de titane produit en Chine mais mis en forme en Italie), et à une autre firme italienne, Bonetti, pour la soudure. Enfin, on revient à Lille pour l’assemblage, qui se fait au sein du BTwin Village, avec un technicien qui assure le montage du vélo de A à Z (pas de montage à la chaîne, donc). Bref, c’est à une aventure en grande partie européenne qu’on a affaire avec ce vélo, et cela mérite d’être souligné. Voyons cela en détails :
Cadre
On a beau être un géant du sport, travailler avec un spécialiste permet de disposer d’une connaissance spécifique difficile à acquérir rapidement, même quand on y met les moyens. Les équipes de Triban ont donc travaillé avec celles de Dedacciai pour que les formes, épaisseurs et section des tubes collent parfaitement avec le cahier des charges fixé et donnent au vélo le comportement voulu. En tout, Deda et Triban parlent d’une dizaine d’heures de travail par cadre pour la mise en forme.
On trouve donc une douille de direction très imposante pour la précision de l’avant, un tube diagonal de forte section pour rigidifier la connexion avec le boîtier, le tout couplé à un haut de cadre plus fin, notamment au niveau des haubans aplatis et rattachés assez bas sur le tube de selle pour améliorer l’absorption des chocs.
Le titane utilisé est classiquement l’alliage 3Al/2.5V, sauf pour certains éléments spécifiques comme le boîtier de pédalier ou la douille de direction qui sont en 6Al/4V, plus rigide et adapté à ces éléments. Au niveau du comportement, le but recherché avec le titane est souvent de marier un réel confort, par une excellente dissipation des vibrations, avec un côté dynamique, vif et nerveux grâce à l’élasticité du matériau. Le tout avec un côté plus « feutré » que le carbone.
Autre élément important pour le gravel : la longévité. Non peints et simplement brossés, les tubes ne craindront pas l’oxydation si on roule dans des conditions humides, pas plus que les rayures ou les lourdes charges si on roule avec des bagages sur sa machine pour de petites ou grandes escapades.
Le cadre est annoncé à 1600g, ce qui est un poids dans la moyenne pour ce genre de machine. Quant à la fourche, elle est en carbone, et elle pèse 435g. Elle dispose d’œillets pour le montage de porte-bagages. L’ensemble est garanti à vie.
On remarque le passage interne des câbles et gaines, avec une ouverture laissée vide ici qui permettra soit le montage en double plateau avec un dérailleur avant, soit le montage d’une tige de selle télescopique (qui intéresse de plus en plus de monde en gravel, surtout pour une pratique dans des régions à dénivelé important). Le boîtier de pédalier est de type Press-Fit (ce qui décevra certains pour qui la longévité du titane ne se combine qu’avec un boîtier fileté) et la fixation de l’étrier de frein à disque au format Flat-Mount.
Géométrie
Les équipes Triban expliquent avoir voulu mettre l’accent sur le confort plutôt que sur la performance pure. On retrouve donc un avant assez relevé, caractéristique des vélos de la gamme Triban, une potence courte et un tube supérieur allongé un peu comme en VTT. L’angle de direction est de 71,5°, dans une recherche de bon compromis maniabilité/stabilité. Il est disponible en 5 tailles, de XS à XL.
Equipements
Il n’y a pas à proprement parler de « gamme » sur base de ce cadre, mais un modèle unique qui est proposé au tarif de 2400€. Attention : il s’agit d’une série limitée à 401 exemplaires très exactement, dont la vente débutera en ligne le 12 novembre 2020 à 12h précises. Il faudra donc probablement être devant son ordinateur à l’heure H pour espérer en avoir un… et si vous ne faites pas partie des heureux élus, il restera à croiser les doigts pour que ce succès annoncé donne envie à la marque de se lancer dans la production régulière de modèles gravel en titane !
A ce tarif, élevé pour la marque mais plutôt très bas pour du titane, on dispose d’un montage milieu de gamme, cohérent, qui met les priorités là où il faut. En cherchant un peu, on a quand même trouvé quasiment équivalent chez Sauvage, la marque « accessible » des Cycles Léon. Et aussi chez Caminade, où le premier All-Road est à 2625€ avec son original cadre dont les tu es titane sont coupés sur mesure et collés avec des raccords carbone. Mais on est tout de même clairement sur un des titanes les moins chers du marché.
Le groupe est l’excellent Shimano GRX, avec un mix des séries 800 pour le dérailleur, 400 pour les shifters et 600 pour le pédalier en 40 dents. La cassette est quant à elle une 11 vitesses en 11-42 (une vieille connaissance, puisqu’elle est identique à la cassette XT 11 vitesses). Certains préfèreront le double plateau, dont la polyvalence est effectivement intéressante en gravel, mais les développements choisis ne nous ont que très rarement limités. Et le Shimano GRX offre des changements de rapport très vifs et précis.
Les freins à disque proviennent aussi du groupe Shimano GRX, avec la série 400. Puissants et facilement dosables, ils nous ont conquis. Mention spéciale aussi pour l’ergonomie des leviers qui est un cran au-dessus de ce qu’on trouve chez la concurrence et qui joue un grand rôle dans la bonne conduite de l’engin dans les portions techniques, ainsi que pour le confort d’utilisation sur le long terme.
Au niveau des roues, c’est Fulcrum qui a été retenu. Il s’agit de la marque de roues liée à Campagnolo, plus trop présente dans le VTT mais encore assez populaire sur route et qui offre quelques produits intéressants en gravel. Sur ces Rapid Red en 700c, on dispose de jantes tubeless et d’un original rayonnage radial d’un côté, à l’avant comme à l’arrière. Réputé pour donner plus de rigidité verticale et latérale, ce rayonnage ne rend pourtant pas les roues trop exigeantes et nous avons trouvé ces roues globalement agréables, même si on sent qu’on pourra facilement améliorer le comportement global du vélo en les changeant par la suite pour un modèle plus haut de gamme.
Les pneus tubeless proviennent de chez Hutchinson, avec les Touareg en 40mm de section. Le cadre accepte une monte jusque 45c en 700, ou 55c avec des roues en 650. Pneus de compromis, les Touareg se comportent très bien sur route et chemins durs. Sur le sec, ils mettent aussi en confiance, mais ils montrent leurs limites quand il fait humide, surtout en traction, car les petits crampons latéraux restent sécurisants dans les appuis. Même si on glisse, on n’est pas pris par surprise.
Enfin, les équipements comme la tige de selle, le cintre et la potence, proviennent de la « banque d’organes » maison. La tige de selle avec recul n’a rien de spécial et on pourra gagner en poids et en confort en la changeant. La potence est belle et légère, mais le cintre nous a moins convaincus par sa forme encore un peu trop « route » à notre goût. Par contre, la selle mérite une mention spéciale ! Sur notre modèle de test, il s’agissait d’un modèle à la base « femme », qui nous a conquis par son excellent confort. Voyons maintenant ce que la bête a dans le ventre et si les attentes sont rencontrées sur le terrain.
Triban GRVL900 Ti : le test terrain
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce Triban a de la gueule. Sobre, très bien fini, il donne vraiment envie d’être enfourché. Une fois en selle, tout tombe très naturellement sous les mains. La position est assez ramassée, voire même limite courte. Nous avons testé un M, seul modèle disponible au moment de notre essai, mais pour un pilote au-delà de 175cm, nous recommanderions plutôt un L car il taille court. Tel quel, c’était aussi tout juste pour éviter le « toe overlap », soit le bout du pied qui peut venir toucher le pneu avant quand on tourne le guidon et que les manivelles sont à l’horizontale.
Malgré cette taille un peu juste pour nous, on s’est senti vraiment agréablement installé au guidon de ce Triban GRVL900 Ti, et nous avons apprécié cette position qui atteint un excellent compromis entre confort et une certaine envie de performance. Car même s’il donne envie de pédaler longtemps et de partir pour un beau road-trip, il sait aussi se montrer tranchant quand on vient le taquiner.
Quand on lance un sprint, il répond sans retard et on est loin du titane mou et pataud qu’on rencontre parfois en entrée de gamme. Nous ne le cachons pas, nous avons beaucoup moins d’expérience en test de vélos de gravel qu’en matière de VTT, mais ce Triban nous a rappelé des sensations d’accélération ressenties avec quelques très luxueux VTT en titane que nous avons eu l’occasion d’essayer par le passé (Seven, Moots, Merlin, etc).
Par rapport au carbone, le titane offre une élasticité plus feutrée, plus douce, qui fait que même si ça envoie fort, les accélérations restent contrôlées. Pour faire un parallèle avec le monde de l’automobile, le carbone fait souvent plus penser à un petit moteur turbo, et le titane à un gros V8 plein de couple. C’est assez intéressant en mode gravel, dans la mesure où cela permet souvent de garder plus facilement le grip quand on tente une accélération sur sol défoncé.
Que ce soit à allure paisible, où quand on croise à plus haute vitesse hors asphalte, le Triban GRVL900 Ti prend des airs de tapis volant. Malgré une tige de selle qui ne filtre pas grand chose, son cadre arrondit remarquablement les impacts et on voyage vraiment en classe confort. En plus de la position, voilà encore un trait de caractère qui le rendra bien adapté pour les voyages et les longues sorties.
Il sait aussi se montrer joueur dans les petits singletracks sinueux, sans se montrer traître. Un vélo docile tout en étant plein de vie : voilà quelque chose qu’on aime beaucoup ! Dans les descentes typées VTT, plutôt raides, c’est plus le grip des pneus qui a eu tendance à nous limiter, mais nous sommes toujours arrivés en bas en un seul morceau, et avec un agréable sentiment de confiance.
Seul un point nous a un peu perturbés : au fil des sorties, nous avons ressenti un léger déséquilibre entre l’arrière doux et confortable tout en étant réactif, et l’avant qui est nettement plus rigide et verrouillé.
La douille de direction très imposante y est certainement pour quelque chose, tout comme la fourche carbone qu’on imagine généreusement renforcée pour accepter le montage de bagages et pour passer tous les tests Decathlon, connus pour être fort sévères. Rien de dramatique, mais l’accord avant/arrière n’est pas parfait… et sur un vélo qui, à part cela, est justement presque parfait, ça se ressent.
Verdict
Decathlon pourrait se contenter de faire juste du business et de vendre des produits génériques en faisant le plus de marge possible. Au lieu de cela, la marque ne choisit pas la voie de la facilité et nous sort de plus en plus régulièrement des produits derrière lesquels on sent à la fois une vraie réflexion et le travail de petites équipes de passionnés réunies à Lille au sein du BTwin Village. Cerise sur le gâteau, il est produit largement en Europe. Mais cela ne serait rien s’il n’était pas convaincant sur le terrain. Et pour être convaincant, il l’est ! A la fois doux et réactif comme on l’aime de la part d’un titane, il est une véritable invitation au voyage et à la découverte. Produit en édition limitée, il ne fera pas vraiment d’ombre à qui que ce soit, mais il permettra à 401 chanceux de rouler avec une très belle et bonne machine, originale et proposée à un tarif qui rend pour une fois accessible ce noble matériau.
Plus d’infos : https://www.decathlon.fr/p/velo-gravel-triban-grvl-900-cadre-titane-shimano-grx/_/R-p-325632