Test | Transition Sentinel Carbon : l’artillerie lourde !
Par Olivier Béart -
La marque américaine Transition n’est arrivée chez nous que récemment, mais elle a réussi, en quelques années, à se faire une belle place dans le cœur des riders qui aiment envoyer du lourd et s’attaquer aux grands espaces montagnards. Avec le Sentinel, ils livrent leur interprétation de ce que doit être un enduro à roues de 29 pouces, avec notamment la Speed Balanced Geometry qu’il nous tardait d’essayer. Verdict de notre essai du Transition Sentinel Carbon :
Transition est né il y a une quinzaine d’années de la rencontre d’une bande de passionnés, dans l’état de Washington, non loin de la frontière canadienne, de Vancouver et des mythiques pistes de Colombie Britannique. Avec un terroir pareil comme berceau, il ne faut pas longtemps pour comprendre l’orientation que prennent les productions de la maison. Pas de XC trop sérieux ici, mais des vélos faits pour s’amuser, aller vite en descente et explorer les plus beaux trails du coin. C’est aussi une marque de passionnés, qui font des vélos qui leur ressemblent et qu’ils aiment rouler.
Voilà, le décor est planté et on peut maintenant s’intéresser au Transition Sentinel Carbon qui est l’objet de notre test. Il se place dans le haut de la gamme en ce qui concerne le débattement, et clairement sur le segment enduro… même s’il n’offre que 140mm à l’arrière (et 160 à l’avant) ! Mais nous verrons plus loin qu’il ne faut pas s’arrêter aux seuls chiffres. Il se place ainsi au-dessus du Smuggler 29, plus orienté trail en 120/140mm, et aux côtés du Patrol qui offre lui 160/170mm de débattement, mais en roues de 27,5 ».
Le cadre
Le Transition Sentinel existe en deux versions : alu et carbone. C’est cette dernière que nous avons essayée ici. Mais chez Transition, on ne pense pas le carbone pour chasser les grammes. Bien sûr, le cadre carbone est plus léger que l’alu, 3,2kg contre 4,3kg (sans amortisseur), ce qui fait tout de même une belle différence, mais on parle aussi de plus grande rigidité sur le carbone.
On le voit, le Transition Sentinel ne joue pas aux ballerines et d’ailleurs, son look en impose directement. Les tubes sont massifs, particulièrement au niveau du boîtier de pédalier et de la douille de direction, en ce compris la jonction entre les tubes diagonal et supérieur. Les lignes sont fluides, en rondeurs, et le côté très bas et compact du cadre ajoute encore à son aspect presque intimidant.
On peut vraiment parler de version carbone avec ce Transition Sentinel, dans la mesure où non seulement le triangle avant est en fibres noires, mais aussi l’arrière, ce qui est loin d’être la norme dans ce segment enduro. Le passage de la gaine du dérailleur arrière et de la commande de tige de selle télescopique se faitt en interne, mais la Durit de frein a la bonne idée de rester en externe tout en se faisant discrète. Toujours dans l’idée de se montrer fiable et orienté vers le confort de l’utilisateur, le boîtier de pédalier est fileté, et tous les pivots sont montés sur des roulements Enduro Bearings Max. Une patte ISCG05 permet le montage d’un anti-déraillement et la patte de disque PM est faite pour le montage de disques de 180mm sans adaptateur.
Géométrie
La géométrie est un des points clés sur ce Transition Sentinel. La marque a été une des premières à se lancer dans la voie des vélos longs, avec beaucoup d’angle devant, mais un déport de fourche réduit. Voilà résumé en quelques mots le concept de Speed Balanced Geometry développé par Sentinel principalement pour ses vélos à grandes roues.
Selon la marque, « la SBG permet de maintenir une bonne agilité à basse vitesse, du grip sur la roue avant et une répartition du poids du rider, tout en augmentant la confiance dans les fortes descentes et à haute vitesse. L’angle de direction très couché est combiné avec une fourche à déport réduit pour éviter à la roue avant d’être trop éloignée et permet à la fois d’avoir une bonne maniabilité à basse vitesse, ainsi que de la stabilité quand on va vite. »
Concrètement, dans les chiffres, cela se traduit par un reach (profondeur du cadre) important, de 450mm en taille M (soit la même valeur que sur un Orbea Rallon en L ou encore 5mm de plus que sur un Specialized Stumpjumper en L, mais 20mm de moins qu’un Mondraker Foxy RR) couplé à une potence en 40mm seulement et à un angle de direction de 64° (65 sur un Rallon, 66,5 sur un Stumpjumper), un angle de selle très droit de 76,8° et des bases courtes de 435mm.
Quant au fameux déport de fourche, il utilise l’option 44mm (Fox) ou 42mm (RockShox) apparu récemment, justement à destination de ce genre de vélos (comme aussi l’Orbea Rallon ou encore le Mondraker Foxy RR par exemple). Cette histoire de déport un peu technique et complexe à comprendre, mais nous allons nous efforcer de rendre cela le plus simple possible en reprenant une explication que nous avons déjà eu l’occasion de donner lors de notre test du Specialized Epic. En fait, en réduisant l’offset (déport), on augmente le « trail », ou « chasse au pneu » en français. Concrètement, cela donne plus de grip à la roue avant, et ça augmente le phénomène d’auto-centrage de la roue (ce qui permet, quand on roule à une certaine vitesse, de garder la roue droite et de la ramener vers son « point milieu » même quand on lâche les mains du guidon par exemple). C’est un peu comme tenir un chien en laisse : plus cette dernière est longue, plus l’animal a de liberté de mouvement. Et inversement.
Avec un angle de chasse réduit/plus couché, on augmente la stabilité, mais en réduisant le déport, on évite le sentiment d’effondrement de la roue en virage. On est donc plus stable en virage tout en étant moins sous-vireur, et donc sans perdre en maniabilité du vélo. On a par contre moins de micro-mouvements de la roue avant, sans pour autant avoir une direction lourde. Reste maintenant à voir sur le terrain comment cela fonctionne !
Cinématique et suspensions
Au niveau de la suspension, Transition livre son interprétation du classique 4 Bar Linkage, baptisée Giddy Up 2.0HH suspension… rien que cela ! Par « Giddy Up », qu’on peut littéralement traduire par « Hue ! », comme l’ordre qu’on donne aux chevaux pour avancer, Transition veut faire passer l’idée que si la suspension est vraiment pensée pour performer en descente, elle n’oublie pas l’efficacité au pédalage. Et si elle n’offre « que » 140mm de débattement, nous allons vite voir lors de l’essai qu’elle n’a rien à envier à d’autres qui offrent 1 à 2 cm de plus !
Sur papier, ce type de cinématique est censée offrir une bonne sensibilité sur les petits chocs, mais aussi un bon maintien sur le reste du débattement. Transition a fait le choix de limiter la valeur d’allongement de la chaîne, qui est le plus élevé au point de SAG, mais qui diminue très fortement quand on s’enfonce dans le débattement. De quoi jouer la carte de la traction en côte et éviter que la tension de chaîne n’influence négativement le travail de la suspension.
La marque annonce que le pompage reste limité et que jouer du levier permettant d’activer la plateforme de pédalage n’est pas absolument nécessaire, mais on sent tout de même que la suspension a été plus développée pour performer en descente que pour faire du Sentinel un des enduros les plus nerveux à l’accélération.
L’amortisseur choisi pour le Transition Sentinel est le Fox Float DPX2 en version Performance (plus d’infos dans notre présentation détaillée : https://www.vojomag.com/nouveaute-2018-fox-dpx2-la-surprise-du-chef/). Il s’agit du « petit » amortisseur enduro/trail de la marque, qui dispose d’un levier pour durcir la compression (plateforme de pédalage), d’un réglage du rebond et aussi de la possibilité d’ajuster le volume d’air interne au moyen de volume spacers. Ce que nous ne nous sommes pas privés de faire pour mettre le token le plus gros afin de compenser la tendance naturelle de la suspension à plonger un peu trop dans le débattement. Nous en reparlerons un peu plus loin lors de l’essai terrain. Il est en mesure métrique et utilise une monte type Trunion sur le haut (vis plus grosses fixées directement dans l’amortisseur et pas de spacers pour récupérer l’espace séparant la fixation de la biellette) pour plus de rigidité, et sachez que le montage d’un amortisseur à ressort ou à air plus gros (type Float X2) est tout à fait possible car ce n’est pas la place qui manque.
A l’avant, Transition fait aussi confiance à Fox, avec la F36 Performance Elite, qui n’a en fait que le revêtement Kashima sur les plongeurs en moins par rapport au haut de gamme. Pour le millésime 2019, elle hérite de l’excellente nouvelle cartouche Grip2, qui n’était pas encore présente sur notre modèle de test millésime 2018. Dont la fourche fonctionnait cependant déjà très, très bien.
Equipement, tarifs et versions
Le Transition Sentinel est proposé en cadre seul à 1999€ en version alu et 3199€ en carbone. Un tarif qui nécessite d’avoir une bourse bien fournie, surtout en carbone, pour s’offrir un montage cohérent, mais on est dans la lignée voire un peu en-dessous de ce que proposent d’autres marques exclusives comme Yeti ou d’autres.
Des kits de montage sont aussi proposés, comme le nôtre qui est la version haut de gamme en Sram XO1 Eagle. Pour 2019, peu de choses changent, si ce n’est le remplacement du poste de pilotage Race Face par un ANVL, et le passage des roues e13 à des NoTubes Flow Mk3. Le prix de ce kit est de 3800€, ce qui amène le vélo complet à 6999€. Deux autres kits existent en Sram GX Eagle/Fox 36 Grip1/Flow S1 à 2600€ et en NX Eagle/RockShox Yari/WTB à 1600€. Sur le cadre alu, le kit GX est à 2800€ et le NX à 1700€, ce qui fait un modèle d’entrée de gamme à 3699€.
Outre les suspensions qui ont leur chapitre dédié, parmi les composants qui nous ont particulièrement plu sur ce Transition Sentinel, on relève les freins Sram Code RSC, vraiment puissants tout en restant modulables (pas autant que des Guide mais plus que des Shimano Saint par exemple), ou encore les pneus Maxxis Minion DHR/DHF en 2.4 à l’arrière et 2.5 Wide Trail devant, qui comptent vraiment parmi nos pneus favoris pour ce genre de machine. Par contre, les roues e13 ne sont toujours pas notre tasse de thé à cause de leur manque de rigidité latérale et on voit d’un bon œil qu’elles soient remplacées en 2019.
Pour 2019 on note aussi l’apparition de nouvelles couleurs, dont un gris qui ne se différencie que très peu de notre modèle de test, et un nouveau rouge bordeaux qui remplace le bleu/noir du millésime précédent. Côté poids, nous avons pesé notre vélo complet sans pédales à 13,86kg, ce qui reste un bon score de la catégorie enduro 29 à l’heure actuelle.
Transition Sentinel Carbon XO1 : le test terrain
On ne va pas vous le cacher, le Transition Sentinel impressionne par son look, et aussi quand on en prend les commandes. Ce n’est pas comme avec l’Orbea Rallon qui nous intimidait au départ mais qui s’est finalement révélé bien plus facile à prendre en main que nous ne l’imaginions ; ici, on a affaire à un vélo pour des bikers avec un vrai bon niveau de pilotage en plus d’une certaine dose d’expérience, et cela se sent.
On perçoit immédiatement que le vélo est long, même si avec la potence courte, et le tube de selle très droit, les appuis restent assez familiers. Aux premiers coups de pédales, la suspension réglée avec 25% de SAG comme recommandé se montre comme promis assez neutre tant que le terrain est lisse. On tente une accélération et c’est vrai qu’elle ne pompe pas trop même sans activer la plateforme de l’amortisseur. Par contre, quand on grimpe ou qu’on est sur un chemin plat mais au relief tourmenté, elle a tendance à s’enfoncer rapidement et, comme le boîtier de pédalier est bas, on tape très souvent les manivelles au sol.
On tente d’ajouter un peu de pression, mais on perd alors en sensibilité et ce n’est plus au niveau de ce qu’on attend d’un vélo de ce style. Voilà typiquement le genre de situation dans laquelle il faut investiguer du côté des volume spacers dans l’amortisseur. Et en effet, c’est une cale intermédiaire qui est montée d’origine et nous sommes passés directement à une cale de gros volume pour éviter de devoir monter en pression, garder la sensibilité en début de course, mais éviter l’effet de plongée trop rapide dans le débattement. Voilà, maintenant le vrai test peut commencer !
L’impression qui prédomine au guidon du Transition Sentinel, c’est d’être aux commandes d’un vrai gros vélo, fait pour rouler vite et envoyer du lourd dans la pente. Contairement au Mondraker Foxy RR qui est plutôt un gros vélo de trail engagé, ou à l’Orbea Rallon qui garde une certaine polyvalence malgré son tempérament enduro race, le Sentinel ne dévoile tout son potentiel que quand on lui rentre dedans et quand on a la technique et les capacités physiques pour l’exploiter. Votre serviteur, qui vient au départ de l’univers du XC, a d’ailleurs eu beaucoup de mal à trouver le mode d’emploi du Transition. Par contre, d’autres de nos testeurs venant plus de la moto, de la DH ou ayant un gros niveau en enduro ont réussi à ouvrir le coffre au trésor et à découvrir ses capacités presque sans limites.
Pas trop pénalisante à basse vitesse, contrairement à la suspension qui a un petit côté pataud que nous ne sommes jamais vraiment parvenus à éliminer même si elle ne pompe que très peu, la géométrie du Transition Sentinel fait merveille dès qu’on rentre dans des sections très pentues et/ou rapides. La stabilité est bluffante, les suspensions avalent tout sur leur passage (incroyable avec seulement 140mm derrière) et les grandes roues, littéralement collées au sol, font aussi leur part du job. Mais il réussit aussi le tour de force de se montrer assez agile dans le sinueux, du moins pour les pilotes qui ont le bagage technique pour l’exploiter. En tout cas, la taille des roues n’est pas vraiment en cause et ceux qui avaient encore des préjugés sur le 29 ont vite fait de les oublier, à ceci près, une fois encore, qu’au guidon du Sentinel, il faut être capable d’aller vite pour être vraiment ébloui.
Plus que le côté fun et jouet, c’est dans l’efficacité et les vitesses de passage stratosphériques qu’on va chercher le plaisir et le côté grisant avec le Sentinel. Quand on est capable de piloter avec tout le corps et qu’on maîtrise tous les fondamentaux techniques, on parvient toujours à l’inscrire dans la trajectoire idéale pour la chasse au chrono. Et s’il y a des obstacles qui gênent sur cette trace, peu importe, on a ce qu’il faut du côté des suspensions et des roues pour ne pas trop s’en préoccuper. Autre illustration de ce caractère « réservé aux experts » de ce Transition : les sauts. Tentez un bunny-up approximatif, la suspension va vous bouffer toute l’énergie mise à le faire décoller et le bike va rester au sol. Faites-le à la perfection et il va décoller avec style et efficacité.
Apprécier le Transition Sentinel, c’est aussi une question de terrain : il faut de la pente et un sol défoncé pour vraiment l’apprécier à sa juste valeur. Dans les Ardennes ou pour les reliefs de l’Est de la France, il nous semble un peu « too much ». Par contre, pour la haute montagne avec un peu de pédalage mais surtout des remontées mécaniques, prendre du gaz, s’amuser en bikepark et sur les traces cachées qui permettent de dévaler plus de 1000m de négatif d’une traite, c’est sans aucun doute un programme bien plus adapté à ses qualités. Dans cette optique, le montage est plutôt très bien pensé et seules les roues e13, fort souples et pas vraiment dynamiques, ne nous ont pas comblés. Mais sur les montages 2019, elles seront remplacées par des NoTubes Flow et les Transition sont aussi largement vendus chez nous en cadre seul.
Verdict :
Le Transition Sentinel n’est pas à mettre entre toutes les mains. C’est un outil d’expert, qui pourra s’avérer frustrant pour un débutant ou un pilote pas au top de sa forme, mais qui se révèlera jouissif et d’une efficacité rare aux mains de gars ayant un bon niveau et qui l’emmèneront sur des terrains exigeants et/ou avec du gros dénivelé où il pourra s’exprimer pleinement. Là, sa géométrie radicale mais bien pensée et ses suspensions ultra efficaces permettront de chasser les chronos tout en ayant un sentiment presque déconcertant de sécurité et de facilité. Loin d’être consensuel et accessible, c’est un vélo typé qui respire le terroir dans lequel il est né et la passion de ses pères pour une certaine conception du VTT. Et même si tous nos testeurs n’ont pas pu profiter de ses charmes, on ne peut que se réjouir que ce genre de vélo radical existe car si tout le monde était dans le consensus, qu’est-ce qu’on s’ennuierait !
Plus d’infos : www.transitionbikes.com et sur le site de l’importateur français : www.racecompany.fr