Test | Stevens Jura Carbon ES Di2 : la polyvalence incarnée
Par Olivier Béart -
Le Stevens Jura Carbon ES appartient à une catégorie de vélos plus trop sous les feux de la rampe aujourd’hui. Entre des machines de XC/Marathon de plus en plus spécialisées et tournées vers la compétition pure et dure, et des vélos All-Mountain/Enduro de plus en plus radicaux, la catégorie des randonneurs sportifs n’a plus vraiment la cote. Et pourtant, même s’ils ne sont plus vraiment à la mode, ces vélos capables de rouler vite et longtemps, apportant à la fois plaisir et confort, sont sans doute ceux qui s’adressent au plus grand nombre. Et cette interprétation en 120mm et roues de 29″ faite par les Allemands de Stevens mérite qu’on s’y intéresse à plus d’un titre ! Essai :
Passages de câbles, taille des roulements, qualité de la peinture, soin apporté aux assemblages : tout sur cette machine inspire confiance et témoigne d’une vraie réflexion de la part des concepteurs. Et on sait immédiatement qu’ils ne se contentent pas de rester derrière leur bureaux. Comme vous et moi, ils roulent et on sent qu’ils savent ce que c’est de laver un vélo, de pester quand ça grince et que ça claque de tous les côtés ou de pleurer quand on voit la finition de son joujou se détériorer après quelques sorties seulement.
Comme son nom l’indique, le Stevens Jura Carbon ES est en… carbone. Oui, mais entièrement en carbone, bases/haubans aussi et pas juste le triangle avant. Seule la biellette reste en aluminium mais pour le reste il n’y a que des fibres au menu, ce qui permet à ce cadre en Boost 148 de n’afficher que 2020g sur la balance d’après la marque (ce n’est pas précisé mais on suppose que c’est sans amortisseur tout de même, ce qui reste un beau score). Le poids vérifié de notre vélo de test s’établit à 11,740kg… soit 60g sous le poids annoncé par la marque, ce qui tend à montrer qu’elle n’essaie pas de tricher sur les chiffres.
Dans la gamme Stevens, c’est le full suspendu offrant le plus petit débattement : 120mm. Il est classé en catégorie « marathon » par la marque, et c’est un qualificatif qui lui colle assez bien. Plus que XC, même s’il est parfois utilisé par les pilotes du team en Coupe du Monde. De notre côté, nous trouvons que la définition qui lui colle sans doute le mieux est celle de « randonneur sportif ». Car il est capable d’aller à peu près partout et de séduire à des allures qui vont de la promenade tranquille à la grosse attaque sur les pires terrains. En de nombreux points, il nous rappelle un certain Specialized Camber, ou un Scott Spark 120. Mais nous vous expliquerons cela plus en détails juste après.
Cinématique et suspensions
Pour la suspension de 120mm de débattement du Jura ES, les gars de chez Stevens sont restés fidèles au fameux Four Bar Linkage avec son non moins fameux pivot Horst Link sur les haubans. Une solution qui, sur le papier, n’est peut-être pas optimale pour le rendement pur (ce n’est pas un hasard si Specialized utilise le blocage automatique Brain sur l’Epic destiné au XC) mais qui a fait ses preuves en matière de confort et d’efficacité pure.
L’amortisseur est un classique Fox Float Evol, alors qu’à l’avant on retrouve également une suspension Fox avec la fourche F32 Performance Elite. Il ne s’agit pas de la très légère Step Cast pour la simple et bonne raison qu’elle n’est pas disponible au-delà de 100mm de débattement. Quant à la version Performance Elite, elle reprend les mêmes pièces internes que le haut de gamme Factory, mais pas les plongeurs au traitement Kashima. Autant dire que, sur le terrain, la différence est insensible et qu’on est en présence de ce qui se fait de mieux.
Les deux suspensions peuvent être réglées sur 3 positions depuis le guidon, ce qui est bien utile sur ce genre de machine. La commande est la vieillissante usine à gaz que Fox propose depuis de longues années en dépit des soucis qu’elle a occasionné à de nombreux bikers (réglages difficiles, dure à manipuler, sensible à l’encrassement,…) mais grâce notamment au soin apporté au montage sur les chaînes d’assemblage de Stevens, nous n’avons cette fois pas rencontré de souci particulier avec ce petit accessoire. Ouf.
Géométrie
Sans partir dans des cotes extrêmes, le Stevens Jura Carbon est par contre tout à fait à la page côté géométrie. Son reach de 433mm de taille M combiné à une potence de 80mm et un angle de direction de 68,5° en font un vélo bien dans son époque et la lecture des cotes laisse envisager un bel équilibre sur les sentiers. Le tube de selle assez redressé (74,5°) ramène le bassin plus en avant pour les portions de pédalage, alors que les bases en 445mm de long laissent présager que Stevens a voulu jouer la carte de la stabilité avec un empattement plutôt important. A noter aussi que le 16″ a des bases en 430mm de long pour éviter de devenir un camion et cela montre que les 445mm des tailles supérieures sont bien un choix des concepteurs et pas une contrainte technique avec laquelle ils ont dû composer.
Equipements
Nous l’avion déjà vu il y a deux ans avec notre test du Sledge d’enduro, Stevens est très fort lorsqu’il s’agit de parler de rapport qualité/prix. Nous avons testé ici le Stevens Jura Carbon ES Di2, équipé du groupe Shimano XT électronique. Cette version est facturée un peu plus de 5000€, mais vous pouvez avoir l’exact équivalent en XT mécanique pour 4379€. A ce tarif, des concurrents comme les Specialized Camber ou Scott Spark 120 ont un triangle arrière en aluminium et des équipements un petit cran en dessous. Il existe également un Jura Carbon ES Team en XTR Di2 à 7119€, alors que le premier prix carbone est à 3049€ (SLX/XT et triangle arrière alu) et l’entrée de gamme alu à 2399€ (SLX/XT).
Notre modèle d’essai à 5089€ se situe dans le haut de gamme et il s’affiche à un tarif coquet, mais force est de constater que si on cherche un full 29 » en carbone avec transmission Di2, il n’a pas beaucoup de concurrence. Et c’est un des moins chers à proposer le groupe Shimano électronique. Stevens ne travaille d’ailleurs qu’avec Shimano et l’intégration du Di2 a été très bien pensée avec des passages soignés pour les fils et une discrète petite trappe sous le boîtier de pédalier pour y loger la batterie sans qu’elle ne bouge.
Question de polyvalence, on trouve ici la version 2×11 avec pédalier 36/26 et cassette 11/40. Nous sommes de grands amateurs de mono-plateau, mais sur ce genre de machine, le double reste pertinent. D’autant que, sur le poste de pilotage, on ne trouve qu’une seule commande de changement de vitesse puisque le Synchroshift est activé d’office. Et c’est une bonne chose car il permet (presque) de profiter des avantages du double avec la simplicité du mono puisque l’électronique gère les passages des deux dérailleurs avec un seul shifter. Le tout est configurable par Bluetooth en combinaison avec l’appli e-Tubes, et cela fonctionne très bien… même si, pour être tout à fait honnêtes, nous ne sommes pas persuadés que le surcoût de 700€ par rapport au modèle en XT mécanique vaut vraiment le coup.
A ce tarif, Stevens ne se moque pas non plus du monde sur le reste des composants et il n’y a absolument aucun accessoire sur lequel on sent qu’il y a eu une volonté de gratter quelques euros. On le remarque notamment au niveau du poste de pilotage qui provient de chez Syntace, avec notamment l’excellent cintre Vector avec une angulation de 12° que nous trouvons très confortable pour les poignets. Les excellents grips Ergon complètent un tableau qui frise la perfection.
Au niveau du train roulant, ce n’est pas du tout haut de gamme, mais on se réjouit de retrouver les excellentes roues DT Swiss M1700 Spline qui brillent une fois de plus par leur homogénéité et qui valorisent vraiment le comportement du vélo. Quant aux freins Shimano XT, maintenant que les petits soucis de jeunesse de la dernière version M8000 sont réglés, c’est également une valeur sûre. Enfin, les pneus Schwalbe Rocket Ron ne plaisent pas à tous et des Nobby Nic auraient peut-être mieux collé au programme du vélo, mais il faut leur reconnaître une certaine polyvalence et une faible résistance au roulement.
Stevens Jura Carbon ES Di2 : le test terrain
On n’a peut-être pas la même excitation – très subjective – qu’on ressent au moment de prendre le guidon de certaines machines plus démonstratives mais par contre on trouve directement ses repères aux commandes du Stevens Jura Carbon ES. Les masses sont parfaitement centrées et les points d’appuis équilibrés à la perfection. On se sent assis confortablement sans que cela vire à la caricature de la position nez dans le vent. Et on va vite se rendre compte qu’un des principaux traits de caractère de ce vélo est de savoir jouer la carte de l’équilibre et du compromis avec une rare maitrise.
Pour le réglage de l’amortisseur, nous sommes restés sur un SAG de 20%, largement suffisant pour profiter de l’onctuosité de la suspension 4Bar Linkage du Stevens. Cela permet d’éviter de ressentir trop de pompage ou un affaissement dérangeant dans les fortes ascensions. Mais force est de reconnaître que la cinématique a été bien travaillée sur le Jura Carbon ES pour ne pas ressentir ce genre de défaut. Les trois modes des suspensions (ouvert, compression intermédiaire et quasi bloqué) sont bien utiles, tout comme la commande au guidon.
Le Stevens Jura Carbon ES ne dégage peut-être pas immédiatement une impression de rendement bluffante, dans le sens où ce n’est pas une petite bombe de cross, mais il dégage une belle impression de légèreté et on n’a jamais l’impression de se traîner à son guidon.
Il met aussi très à l’aise dans les ascensions raides où ses bases plutôt longues sont un atout pour garder les deux roues bien collées au sol sans devoir déployer des trésors de pilotage. Le cadre est rigide juste ce qu’il faut, les relances sont franches, les accélérations nettes et il sait préserver les forces du pilote pour lui permettre de rouler vite durant de très longues heures.
Si on cherche l’analogie avec l’automobile, c’est à une grande routière (allemande) qu’on le comparera
A ce titre, il mérite pleinement son qualificatif de marathonien et on pourra l’emmener sans souci sur de longues distances ou des épreuves par étapes… avec ou sans chrono. Et si on cherche l’analogie avec l’automobile, c’est à une grande routière (allemande) qu’on le comparera, mais plutôt un modèle sportif car le Stevens n’est pas dénué d’agilité et il n’y a pas que sur les chemins façon « autobahn » qu’il est à l’aide.
Quand on cherche à l’emmener à la limite dans les descentes les plus techniques de nos parcours de test, on s’attend à ce qu’il soit sécurisant. Et il l’est. On le verrait bien équipé d’une tige de selle télescopique pour mettre encore plus à l’aise le pilote, mais déjà dans sa configuration d’origine avec une selle haute, son côté rassurant permet d’aller d’emblée très vite à son guidon.
Mais on lui découvre aussi un vrai tempérament joueur, du caractère et une « âme » à laquelle on s’attendait moins. A force de repousser les limites du vélo et celles du pilote, on se rend compte qu’il aime sauter, qu’il adore quand on le jette d’un virage à l’autre et qu’on le brusque un peu. Et tout cela en restant toujours très prévenant et en pardonnant les erreurs. Quelle bonne surprise !
En cela, il rappelle un certain Specialized Camber qui, bien que bon rouleur, ne joue plus du tout dans la catégorie « marathon » depuis le millésime 2017 qui s’est un peu radicalisé. Son principal concurrent pourrait-être le Spark 120 mais qui a selon nous du mal à se situer entre l’excellent RC purement XC et le génial Spark Plus. A tel point que son compromis nous semble moins abouti et revendiqué que dans le cas de ce Stevens Jura Carbon ES.
Au-delà de la géométrie particulièrement bien pensée et qui permet de s’amuser autant que de se relaxer, la qualité des suspensions est aussi à souligner. 70% du temps, on le roule en position intermédiaire, calibrée plutôt souple mais qui permet de réduire les mouvements au pédalage. La position bloquée ne s’utilise que très rarement, et en descente on ouvre tout pour littéralement voler au-dessus des obstacles comme s’ils étaient soudainement recouverts d’une épaisse couche de mousse. En usage typé enduro, on parvient à voir ses limites et à consommer un peu trop vite tout le débattement, mais si jamais l’envie vous prend d’essayer la discipline, ce n’est pas inenvisageable (évitez quand même une épreuve de haut niveau dans les Alpes).
Enfin, le confort est également une des qualités marquantes du vélo et nul besoin d’aller vite pour en profiter. Les randonneurs qui n’ont aucun objectif de performance mais qui aiment se faire plaisir avec du beau matériel et qui veulent un vélo léger pour compenser leurs quelques kilos en trop (ne rigolez pas, cela n’a rien d’idiot et nous sommes beaucoup dans le cas, ou nous le serons très probablement un jour) trouveront avec ce Stevens Jura Carbon ES un excellent compagnon pour leurs sorties dominicales. Avec en plus le Shimano XT Di2 qui, s’il est loin d’être indispensable, ajoute un petit confort d’utilisation et une facilité de réglages qui plaira à ce type d’utilisateurs.
Verdict
On peut regretter que le Stevens Jura Carbon ES n’ait pas un look plus affirmé, et certains trouveront qu’il n’a peut-être pas un caractère assez tranché. Mais justement ! A l’heure où de plus en plus de machines se spécialisent et s’adressent à des pratiquants de plus en plus pointus, ce Stevens choisit de s’adresser au plus grand nombre et de faire de son côté passe-partout son principal atout. Car le « All-Mountain », ce n’est pas que s’amuser en descente, c’est aussi avaler les portions roulantes sans se fatiguer et rouler des heures durant en gardant de la fraîcheur pour profiter des plus belles portions. Ce test nous a en tout cas montré que Stevens manie à la perfection l’art du compromis en réussissant à positionner son Jura pile-poil entre le XC et l’Enduro. D’ailleurs, à l’issue de ce test, on se dit que son nom ne pouvait être mieux choisi dans la mesure où le massif jurassien séduit car il a les charmes de la montagne sans être aussi extrême que les hauts sommets alpins !
Liens utiles : www.stevensbikes.de – Notre test des roues DT-Swiss X1700 et du groupe Shimano XT M8000