Test – Specialized Turbo Levo : un vrai vtt (électrique)
Par Olivier Béart -
Specialized a mis du temps pour arriver sur le marché en plein boom du vélo électrique. Mais cela valait la peine d’attendre car son Turbo Levo marque une évolution importante par rapport à ce qui était offert sur le marché jusqu’à présent : intégration, autonomie, géométrie, équipements,… le vélo électrique entre dans une nouvelle ère et semble arriver à une certaine maturité. Nous avons eu l’occasion de discuter de tout cela en détails avec les concepteurs des vélos. Mais il reste aussi à voir si les promesses du papier se vérifient sur le terrain. C’est ce que nous avons voulu savoir avec ce premier galop d’essai réalisé lors du dealer event de la marque à Spa, en Belgique, sur des terrains que nous connaissons bien.
Specialized Turbo Levo FSR : la parole aux ingénieurs
La première chose sur laquelle les deux compères insistent, c’est leur volonté de faire quelque chose de différent et de ne pas juste rajouter un moteur sur un châssis existant. « Nous avons beaucoup travaillé la géométrie, avec 67° d’angle à l’avant afin que le vélo soit plus stable car on a plus de poids et un boîtier de pédalier à 342mm au lieu de 335 sur un Stumpjumper vu qu’en VAE, on pédale plus souvent, y compris sur les obstacles (marches,etc). Nous avons aussi voulu rester dans l’ADN Specialized avec des bases très courtes sur le Turbo Levo : 459mm, soit 22mm de plus que le Stumpjumper FSR 29” et 20mm de plus que le 6Fattie, mais seulement 4mm de plus que le précédent Stumpjumper FSR en 29 pouces ».
« Très vite, nous avons aussi été convaincus par le format de roues « Plus » avec pneus de 3 ». Au départ, nous pensions faire un vélo classique en 29 », mais ce sont les gars aux US qui nous ont envoyé ces roues pour tester. On doit avouer qu’au début, on a un peu rigolé et qu’ils ont dû nous pousser. Mais une fois qu’on a roulé avec cela sur l’électrique, cela s’impose comme une évidence sur ce genre de machine, vu le poids et la puissance. On peut rouler à 1bar de pression et profiter de l’assistance sans se soucier des risques de pincement et sans pertes d’adhérence. »
Autre point important, la simplicité du système, puisque la partie électrique des modèles de la gamme Turbo Levo n’est constituée que de quatre pièces : Un moteur, une batterie, un connecteur, un capteur de freinage pour couper le moteur, et c’est tout. « Nous avons voulu aller à l’essentiel, ce qui permet de maîtriser le poids. Le moteur ne fait que 2,8kg et la batterie 3,4kg. Le tout se recharge en 3,5h et sort 530W avec un couple de 90Nm qui est, selon nous la valeur la plus importante sur le terrain.
« Nous n’avons rien voulu mettre sur le cintre. Si le pilote le souhaite, il connecte le système à son smartphone ou à un GPS Ant+ pour avoir les infos, mais nous ne voulions pas d’un gros écran de contrôle lourd et complexe sur le cintre. Les seuls boutons et voyants sont sur le côté gauche du vélo avec un indicateur de charge par leds et les boutons +/- qui permettent de sélectionner le mode d’assistance : Eco, Trail et Turbo. »
« Retirer la batterie est aussi un jeu d’enfant, puisqu’une clé Allen suffit. Cela permet notamment d’accéder au passage interne des câbles et gaines ou de charger la batterie hors du vélo, même si on peut aussi la charger dessus. »
« Le moteur est issu de chez Brose, nous ne faisons pas de secret là dessus. Mais une des forces de ce fournisseur est de laisser beaucoup de liberté à ses clients. Nous avons donc pu travailler énormément sur la gestion électronique qui est, au final, ce qui donne le vrai caractère du moteur et la personnalité du vélo. La batterie LiOn est aussi spécifique, avec un centre de gravité abaissé. A notre sens, on peut donc dire qu’il s’agit d’un moteur Specialized. »
« Nous sommes aussi très fiers de l’intégration du moteur dans la châssis. Il est placé latéralement dans le cadre, par le côté droit. Sur le côté gauche, on trouve une pièce forgée avec une presse de 2500 tonnes, qui est une sorte de berceau pour accueillir le moteur. Les câbles passent aussi par là pour donner un look clean. Le tout est très facile à entretenir, avec un axe Isis facile à retirer, comme les roulements, des manivelles 4 branches classiques qui accueillent des plateaux 4 branches tout aussi standard. Et, contrairement à d’autres marques, on peut changer les braquets comme on le souhaite sans devoir reprogrammer quoi que ce soit. »
Specialized Turbo Levo : les questions des lecteurs
Suite à la première présentation du vélo, vous avez été nombreux à nous poser des questions, que nous n’avons pas manqué de relayer aux deux responsables du développement. Globalement, celles-ci peuvent être regroupées en trois grandes thématiques. La principale concerne l’autonomie, dont il n’est jamais vraiment question dans les documents de la marque : « c’est compliqué d’annoncer des chiffres car cela dépend énormément de l’utilisation que le biker va en faire et du relief de la région où le vélo va être utilisé. Ce que nous avons dit aux revendeurs, dont beaucoup vont avoir très rapidement des exemplaires de test, c’est de les prendre pour rouler autour de chez eux et de les confier à leurs clients pour voir ce que cela donne.
Sur du plat en mode Eco, nous avons déjà fait plus de 140km…
Mais bon, plus de 100 bornes sur le plat, ce n’est pas significatif. Ce qu’on peut par contre vous dire c’est qu’en Suisse, là où se trouve le bureau R&D e-bike de Specialized, nous faisons des sorties de 40 bornes avec 1500m de D+ tout le temps en mode Turbo (le plus consommateur d’énergie, NDLR) et que la batterie n’est pas du tout vide quand on rentre. Via l’application smartphone, on peut aussi paramétrer la distance qu’on veut faire et laisser le cerveau du vélo gérer l’assistance de façon optimale pour arriver à son objectif. »
Au niveau de la cinématique, plusieurs lecteurs nous ont demandé s’il s’agissait d’un Stumpjumper ou si des changements avaient été effectués. « La cinématique a été adaptée, de même que l’amortisseur, en raison du surpoids. Mais le but des modifications est que le pilote retrouve les mêmes sensations que sur un Stumpjumper justement, avec un ratio identique. Nous avons aussi travaillé sur la durabilité, en doublant les roulements sur le pivot principal et la rigidité a aussi été améliorée en remettant le petit pontet entre les haubans ».
Enfin, dernière thématique qui a beaucoup intéressé nos lecteurs : la garantie et le service après-vente. « le SAV sera organisé par Specialized en direct avec un échange standard de batterie sous 48h en cas de souci. Le moteur est garanti 3 ans et demi et pour la batterie, nous assurons qu’elle garde 75% de sa capacité après 500 cycles, soit environ 5 ans d’utilisation au rythme de deux sorties par semaine. Pour le cadre, c’est comme sur les autres modèles de la gamme : à vie sur le triangle avant et 2 ans sur le bras arrière ».
Bon, maintenant, assez bavardé, prenons congé des deux ingénieurs et voyons sur le terrain ce que cela donne.
Specialized Turbo Levo FSR : le test terrain
Sur le parking en vérifiant juste que tout est ok au niveau des réglages avant de partir dans les bois, on a déjà une première bonne surprise : on arrive à faire un peu ce qu’on veut avec le vélo ! Bunny-up, nose-turn, petits wheelings,… c’est un vrai petit jouet et malgré ses 21,06kg vérifiés (sans pédales), il ne donne pas du tout l’impression d’être coulé au sol ou d’être pataud. On teste les différents modes et c’est finalement le mode intermédiaire (Trail) qui va nous accompagner pour presque toute cette sortie. L’Eco est plus à réserver aux sorties cool et le Turbo est sympa dans l’optique d’une sortie nerveuse, mais le mode Trail permet déjà un pilotage très sportif.
Quand on attaque les portions de vrai vtt avec l’assistance en mode intermédiaire, on ne ressent aucun a-coup. Le coup de pouce de l’électrique est bien présent, mais les maîtres-mots sont douceur et progressivité. Par contre, ça avance ! Si on est accompagné d’un biker sans assistance, on voit vite qu’on lui colle plusieurs mètres à chaque relance. Inversement, dès qu’arrive la possibilité de dépasser les 25 ou 27km/h sur un faux-plat, il peut reprendre l’ascendant car il faut alors emmener le Levo à la seule force des mollets. On n’a cependant pas l’impression de se heurter à un mur infranchissable et de devoir déployer des efforts surhumains pour approcher les 30km/h avec le Specialized Turbo Levo, contrairement à d’autres machines que nous avons déjà eu l’occasion de tester et sur lesquelles cette barrière légale de coupure de l’assistance se transforme en barrière physique à cause du poids du vélo et des frottements. Des frottements qui sont ici identiques à ceux d’un vélo classique lorsque le moteur est débrayé.
Un point nous a aussi rapidement interpellé : avec l’assistance enclenchée, la transmission émet des bruits impressionnants si on change de vitesses en appuyant un peu sur les pédales (pas juste en tournant les jambes). C’est troublant car on ne ressent aucun a-coup, mais il faudra voir la durabilité des éléments actuels lors d’un test plus long.
On en profite pour faire une petite parenthèse concernant la perception du vélo électrique par les autres usagers des sentiers. Nous nous abstiendrons de tirer de grandes conclusions mais, lors de notre test du Specialized Turbo Levo autour de Spa, (qui est une zone très touristique l’été), nous avons roulé sur certaines portions de chemins empruntées par de nombreux promeneurs. Bien entendu, nous avons adopté une attitude respectueuse, mais…
…nous n’avons perçu aucune animosité de la part des marcheurs par rapport à ce genre de machine.
Certains ont bien perçu que nous avancions vite en côte, mais les vitesses atteintes restent limitées (faire du 25km/h dans une côte raide, même en Turbo Levo, reste une illusion) et vu le silence du moteur, c’est surtout la largeur des pneus qui a frappé les autres usagers avec, à la clé, des réactions curieuses et étonnées du type « oooh, t’as vu les gros pneus », mais aucun commentaire négatif. Bref, plus que le type de machine qu’on chevauche, cela semble bien être le comportement du biker (et l’ouverture d’esprit des autres usagers) qui importe.
Revenons à nos moutons et tordons aussi directement le cou à un autre cliché souvent entendu sur les vélos électriques : cela reste du vrai vtt et si on veut aller vite, il faut se donner physiquement ! Le Specialized Turbo Levo n’est pas une moto, c’est un vrai vélo avec une assistance qui peut soit aider à passer à allure moyenne les côtes sans (trop) se fatiguer, soit à passer plus vite dans certaines portions raides et techniques, mais tout en réclamant toujours un gros investissement physique de la part du pilote. Le haut du corps est aussi plus mis à contribution.
Par contre, on peut aussi se lancer dans certaines portions qui seraient infranchissables avec un vélo classique, notamment des portions très raides où on peut se concentrer uniquement sur le pilotage. L’équilibre du vélo est parfait, avec une répartition des masses plus équilibrée que sur les VAE que nous avons testé jusqu’à présent et sur lesquels nous avons souvent eu l’impression d’un avant fort léger et pas toujours facile à placer.
Dans les portions sinueuses, on oublie vite qu’on est au guidon d’un vélo à assistance électrique. Il y a bien le poids qu’il faut assumer physiquement et qui nécessite de brusquer un peu le vélo dans les changements de direction, mais on retrouve bien une géométrie à la Specialized, à savoir ludique et qui ne réserve pas ses charmes aux seuls pilotes experts. Par contre, quand on décide d’ouvrir les gaz, on peut le faire sans arrière pensée ! C’est la tout première fois que nous éprouvons de telles sensations en descente au guidon d’un VAE ! Soyons honnêtes, nous avons beaucoup moins d’expérience dans ce segment qu’avec des vélos « classiques ». Mais par rapport à la petite dizaine de machines électriques que nous avons déjà eu l’occasion de rouler, c’est la première fois qu’on sent qu’on peut attaquer sans retenue, sans se soucier du poids du vélo, ni de son moteur.
Plusieurs facteurs expliquent cela. Le premier, c’est l’adoption des pneus « Plus » en 3 pouces de section. Pour nous, c’est une évidence en électrique afin de ne pas crever de façon intempestive ou de ne pas devoir surgonfler les pneus pour compenser le surpoids (mort) de la machine. Ces pneus offrent aussi un grip qui se marie bien à la présence d’un moteur. Même si nous sommes encore sceptiques quant à leur intérêt pour des vélos sans assistance, dans ce cas, nous pensons qu’ils sont pour beaucoup dans la sensation de retrouver enfin un vrai vtt malgré la présence d’un moteur. Car jusqu’à présent, nous avions toujours eu l’impression de rouler avec des vélos équipés de roues et de pneus largement sous-dimensionnés pour supporter le poids et la puissance de la machine. Plusieurs autres marques ont fait le choix du « Plus » pour leurs VAE et ce n’est pas un hasard (on pense notamment au Scott e-Genius Plus que nous aurons bientôt en test, mais il y en a bien d’autres)
Specialized a aussi fait fort au niveau du choix des équipements : la fourche RockShox Pike est parfaite au niveau fonctionnement ainsi que de la rigidité et ses 140mm de débattement sont le bon compromis pour rouler en VAE comme on roule habituellement avec un vélo de all-mountain 120/130mm. Les adaptations de la suspension arrière permettent aussi de retrouver le comportement d’un Stumpjumper sans moteur, alors que les freins équipés de disques de 200mm permettent de s’arrêter en toutes circonstances. C’est une des leçons de ce test : en VAE, il ne faut pas hésiter à aller un cran au-dessus en pneus (3″ au lieu de 2.25), en suspensions (140mm au lieu de 120/130mm) ou encore en freins (disques de 200mm et étriers 4 pistons au lieu de 180/160mm en deux pistons) pour retrouver tout simplement un vrai vtt polyvalent.
Enfin, dernier point : la discrétion et la subtilité de l’assistance sont également des atouts en descente. Avec la plupart des autres modèles que nous avons déjà eu l’occasion de tester, nous avions pris l’habitude de couper l’assistance dans les descentes techniques et trialisantes, afin de ne pas risquer une mise en route inopportune du moteur capable de vous envoyer dans le décor (c’est après avoir vécu quelques fois la situation que nous avons fait ce choix).
Ici, il n’est pas nécessaire de tout couper, ni même de réduire le niveau d’assistance. Cette dernière parvient à donner l’impression qu’elle se met en route instantanément quand on veut relancer franchement, mais elle se fait complètement oublier quand on donne simplement quelques coups de pédales souples pour reprendre un peu de vitesse ou tout simplement pour changer ses appuis. N’oublions pas non plus le couple du moteur et la transmission 1×11 avec cassette 10/42 qui permettent de faire face aux pires raidars, même cachés et qui vous prennent par surprise, alors que nous nous sommes souvent retrouvés coincés dans pareilles circonstances avec d’autres VAE qui sont hélas souvent moins coupleux et dotés de développements plus limités.
Specialized Turbo Levo FSR : Premières conclusions
Très clairement, le Specialized Turbo Levo nous a bluffés, principalement car c’est la première fois que nous avons d’abord l’impression de rouler sur un vtt, puis de nous souvenir qu’il dispose d’une assistance électrique, et non l’inverse. Habituellement, le côté électrique prend le dessus, et rarement dans le bon sens. Certes, c’est agréable dans certains ascensions qu’on passe sans se fatiguer mais le reste du temps, nous avions jusqu’ici toujours eu l’impression de coltiner un lourd fardeau avec notamment un poids important qui se fait fortement sentir dès qu’on veut piloter un peu le bike, et des composants inadaptés qui ne tiennent pas le coup (pneus trop étroits qui n’ont aucun grip et qui crèvent tout le temps, roues manquant de rigidité, freins dépassés, suspensions également,etc). Le Turbo Levo FSR n’est pas spécialement plus léger que ses concurrents, mais sa géométrie, sa cinématique de suspension et ses composants parfaitement adaptés au VAE permettent justement d’oublier la présence du moteur et de retrouver des sensations de vrai vtt. Cela permet aussi de mieux profiter de l’assistance électrique pour décupler son plaisir en réussissant à franchir des passages jusque là (presque) impossibles, en allongeant ses sorties ou en permettant de passer plus vite les portions les moins intéressantes pour se concentrer sur les plus jouissives. Avec le Specialized Turbo Levo FSR, le vtt électrique semble entrer dans une nouvelle ère. Et heureusement, les concurrents réagissent déjà avec pas mal de machines alléchantes que nous nous réjouissons de tester pour voir si elles parviennent à égaler le bijou de la firme de Morgan Hill.
EDIT juillet 2017 : Depuis, le Specialized Levo Carbone a été dévoilé ! Découvrez notre essai ici :
www.vojomag.com/premier-essai-specialized-levo-carbone-2018-toujours-un-vrai-vtt-electrique/