Test | Santa Cruz Stigmata 4 : le gravel pour descendeurs ?
Par Léo Kervran -
Quand Santa Cruz essaye de faire du gravel, qu’est-ce que ça donne ? Seul modèle exclusivement en cintre recourbé au catalogue de la marque américaine, le Stigmata était historiquement dévolu au cyclo-cross mais il a bien évolué ces dernières années. Nous l’avons essayé dans une version bodybuildée, qui brouille les frontières entre gravel et VTT… Un peu trop ? Voici notre avis :
Pour l’anecdote, le Stigmata n’est pas le premier vélo à cintre « course » de Santa Cruz : entre 1999 et 2005, la marque comptait dans sa gamme un véritable vélo de route, le Roadster. Une erreur de jeunesse ?
Plaisanterie mise à part, Santa Cruz n’a donc pas poursuivi dans cette voie et le Roadster fut arrêté en 2005. En 2007, c’est le Stigmata qui a pris sa relève. On garde le cintre recourbé mais cette fois, les pneus sont plus larges et ils ont des crampons ! Toutefois, le vélo a bien évolué au fil des années : après deux premières générations très orientées cyclo-cross (dégagement maximal de 35 mm), la plateforme a pris un nouveau virage en 2019 en se lançant dans l’aventure « gravel ».
Chez Vojo, Esteban avait eu l’occasion de passer du temps en sa compagnie (lire La ruée vers l’Or : une aventure en pneus étroits avec le Santa Cruz Stigmata) et l’année dernière, après 4 ans de bons et loyaux services, cette troisième génération a laissé la place à sa remplaçante (voir Nouveauté 2023 | Santa Cruz Stigmata : le tout-terrain en point de mire).
Géométrie audacieuse, boîte à gants dans le tube diagonal, fourche suspendue et tige de selle télescopique sur certains modèles… En apparence, celle-ci n’a plus rien à voir avec le modèle originel. Toutefois, on sait que les apparences peuvent être trompeuses, alors pour se faire un avis sur la nouvelle interprétation du gravel par Santa Cruz, rien ne valait un essai.
Châssis
Côté cadre, on pourrait dire que le diable se cache dans les détails. En effet, Santa Cruz a essentiellement fait des choix très classiques pour la construction de ce Stigmata, privilégiant la polyvalence à une identité très affirmée comme peuvent le faire d’autres marques.
Ce cadre, proposé en carbone CC uniquement (le carbone haut de gamme de Santa Cruz, avec des propriétés mécaniques similaires à celles du carbone C mais plus léger), est compatible avec les transmissions mono ou double plateau et adopte des passages de câbles internes très simples, avec des entrées en haut du tube diagonal.
Le triangle avant est équipés d’emplacements pour trois porte-bidons (le troisième est sous le tube diagonal) et ménage un grand espace pour installer une sacoche de cadre pour celles et ceux qui aiment voyager à vélo. De même, le triangle arrière est équipé d’inserts discrets pour installer un garde-boue ou un porte-bagage : ça ne coûte pas grand chose et c’est parfois bien utile donc on apprécie.
Toujours sur ce sujet, le Stigmata est équipé d’une « boîte à gants » dans le tube diagonal. Maintenant relativement courant en VTT, cet accessoire s’impose également de plus en plus en gravel : on en trouve notamment sur le Specialized Diverge, l’Orbea Terra ou encore le Trek Checkpoint. Celle du Stigmata est identique aux VTT Santa Cruz, et on retrouve donc à l’intérieur les deux pochettes habituelles : l’une pour la chambre à air, l’autre pour les outils… en théorie. Dans les faits rien ne vous empêche de les utiliser à d’autres fins, ou même de vous en passer si vous souhaitez glisser quelque chose d’autre dans cet espace.
En revanche, pas d’inserts pour une petite sacoche sur le tube supérieur, juste derrière la potence. On peut comprendre ce choix dans la mesure où la boîte à gants est là pour ranger son matériel mais on ne peut s’empêcher de trouver cela un peu dommage : pourquoi ne pas avoir les deux ? La boîte à gants pour le kit de réparation et la sacoche pour le petit ravitaillement par exemple, qu’on aime bien avoir sous la main. On apprécierait également une petite protection sous le tube diagonal, qui est laissé exposé aux projections de pierres.
Enfin, côté standards, on notera que le Stigmata utilise un boîtier de pédalier fileté (BSA 68) comme tous les Santa Cruz et qu’il offre un dégagement suffisant pour des pneus en 700×50. Et comme on vous parlait de détails au début de cette section, en voici un qui met ce Stigmata un peu à part de la plupart des gravel : il est doté d’une patte de dérailleur UDH, ce qui signifie que c’est l’un des rares modèles de gravel à être compatible avec la dernière génération de transmissions Sram sans patte de dérailleur (Santa Cruz précise même la longueur de chaîne et la configuration de la Setup Key sur son site si vous souhaitez en installer une).
Géométrie
La géométrie de ce Stigmata 4e génération, c’est quelque chose. On ne sait pas trop ce qui est passé par la tête des ingénieurs de Santa Cruz au moment de la mettre au point… ou plutôt si, on croit savoir : de la même manière que le Tallboy est vendu comme « un vélo de XC pour descendeurs », on imagine que la marque a voulu faire du Stigmata un « gravel pour descendeurs ».
Reach (très) long, angle de direction (très) ouvert, boîtier de pédalier bas, le vélo a des airs de machine qui n’a peur de rien. Tout cela nous rappelle d’ailleurs un autre gravel qu’on eu l’occasion d’essayer : le BMC Urs LT (lire Face-à-face | BMC Kaius et Urs LT : une question d’approche). Sur le papier, le Stigmata et l’Urs LT sont très proches, ce qui est plutôt encourageant pour l’Américain vu nos sensations au guidon du Suisse : « Le vélo a une capacité à mettre en confiance digne d’un VTT, c’est un modèle de grip et de stabilité dans le monde des gravel », écrivait-on lors du test de ce dernier. Toutefois, on verra sur le terrain que cette approche audacieuse de la géométrie gravel a aussi des limites et n’est pas faite pour tout le monde.
Equipements
On l’évoquait en introduction et vous l’aurez remarqué au fil des photos qui illustrent l’article, notre Stigmata n’a pas l’équipement d’un gravel standard. Ce montage, baptisé « Force-1x AXS RSV » (un nom beaucoup trop long, si vous voulez notre avis), reçoit une fourche RockShox Rudy Ultimate XPLR de 40 mm de débattement ainsi qu’une tige de selle Reverb AXS XPLT de la même marque, en 75 mm de course.
C’est la seule version du Stigmata à disposer de ces éléments, tous les autres sont en fourche rigide et tige de selle classique. A ce titre, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il s’agit aussi de la version la plus chère : pas moins de 8299 € en prix public.
Bien que ce prix puisse paraître ridiculement élevé pour un gravel quand on vient du VTT, on n’a même pas ce qui se fait de mieux sur les autres postes d’équipement. En effet, la transmission est une Sram Force XPLR AXS (équivalent du X0/X01 en VTT, il y a le groupe Red au-dessus), ici en mono-plateau avec des rapports polyvalents : plateau de 40 dents, cassette 10-44. Les disques de frein, des Sram CLX R issus de la gamme route, sont en 160 mm de diamètre.
Même chose côté train roulant, où l’on quitte momentanément Sram pour trouver du Reserve (la marque lancée par Santa Cruz, toujours dans le même groupe mais plus autonome aujourd’hui) avec le modèle 25 GR. Très basses et larges (18 mm de haut, 25 mm de largeur interne), ces jantes sont reliées aux biens connus moyeux DT Swiss 350… mais à ce prix, on aurait pu espérer des 240, plus légers. Cette paire de roue est annoncée à 1435 g officiellement.
Elles sont chaussées de pneus Maxxis Rambler en 700×45 de section et carcasse Exo, identique à celles des pneus de XC de la marque.
On revient dans le giron Sram pour le poste de pilotage avec un ensemble Zipp Service Course en aluminium, potence en 70 mm et cintre de 44 cm entre cocottes. Enfin, la selle est une WTB Silverado Medium à rails titane, un modèle passe-partout qu’on a l’habitude de voir sur les Santa Cruz.
Avec un tel niveau d’équipement, le vélo est sans surprise assez lourd : nous avons pesé notre modèle en taille L à 9,53 kg avec un porte-bidon et les pochettes (vides) de la boîte à gants mais sans pédales. C’est un poil mieux que ce qui est annoncé par Santa Cruz, puisque la marque affiche sur son site exactement le même poids mais sans porte-bidon. Pour un gravel en carbone, ça n’a rien de flatteur mais sans les pièces RockShox, on retomberait dans des valeurs bien plus honorables.
Versions et tarifs
Avec un cadre uniquement en carbone, les tarifs du Stigmata commencent assez haut : le montage le plus accessible (et le seul en transmission à câble), avec un groupe Sram Apex XPLR et des roues WTB EZR i23p / DT Swiss 370, est affiché à 3999 €.
L’échelon supérieur, en Sram Rival XPLR AXS mono ou double plateau (au choix) et roues Easton ARC 25 / DT Swiss 370, est à 5299 €. Enfin, la version en double plateau (pédalier 43-30 et cassette 11-36) et sans éléments de suspension de notre modèle, le Force-2x AXS, point à 7499 €. Le Stigmata est également disponible en cadre nu pour les montages personnalisés, au prix de 2799 €. En revanche, pas le choix du coloris : c’est rouge Matte Brick Red ou rien. Les deux autres teintes affichées sur le site de la marque correspondent à l’ancienne génération de Stigmata, reconnaissable entre autres à ses passages de gaine différents et son absence de boîte à gants.
Le test du Santa Cruz Stigmata
Vous le savez, on insiste régulièrement sur l’importance du montage des vélos que nous testons : certains choix d’équipement peuvent avoir un rôle déterminant dans le comportement du vélo et si on peut étendre certaines sensations à l’ensemble des modèles peu importe leur niveau de gamme, ce n’est pas le cas de toutes. Ce fut particulièrement vrai avec ce Stigmata, qui est capable de montrer des visages bien différents de celui que Santa Cruz lui a donné ici. Mais procédons dans l’ordre.
Reach long, potence courte, cintre large… En montant sur le Stigmata, on ne perd pas ses repères. Et avec la fourche suspendue et la tige de selle télescopique (qu’on active en appuyant sur les deux palettes en même temps, elle n’a pas de commande dédiée), il n’y a guère que la forme du cintre pour nous rappeler qu’on n’est pas vraiment sur un VTT.
En roulant, c’est un peu la même chose. Le coup de pédale est facile et le vélo répond bien, on peut s’amuser avec des relances appuyées sans problème mais lorsqu’il faut poursuivre l’effort, on sent tout de même qu’on n’est pas sur un gravel hyper sportif comme le BMC Kaius ou le Scott Addict Gravel, dans ce montage en tout cas. En cause notamment, le train roulant et surtout les pneus. Les Maxxis Rambler ne sont naturellement pas les pneus de gravel les plus rapides qu’on connaisse, et deviennent vraiment lents – sur route comme sur chemins – lorsqu’on passe en dessous des deux bars (oui, c’est possible en gravel, lire Dégonflez vos pneus (de gravel), vous nous remercierez !).
Ils se rattrapent toutefois avec un excellent grip : sur sol sec il presque impossible de les prendre en défaut et sur le mouillé, ils s’en sortent encore très bien compte tenu de leur faible hauteur de crampons. Leurs seuls ennemis sont les fines flaques de boue séchante ou les pellicules grasses sur sol dur, mais sans crampons de VTT c’est difficile de faire mieux.
Côté confort, notre Stigmata est particulier dans ce montage : à l’avant, c’est royal grâce à la fourche suspendue et à la section de 45 mm. Sur les petits chocs, on est plus ou moins au niveau d’un VTT de XC et il faut aller chercher des racines de bonne taille pour sentir une différence. A l’arrière en revanche, lorsqu’on est assis sur la selle c’est plus ferme et on compte surtout sur le pneu. Et aussi gros soit-il pour du gravel, il a ses limites et le volume reste assez faible dans l’absolu.
Sans être aussi rigide et exigeant que celui d’un gravel « race », le triangle arrière transmet des retours du terrain, plus que sur un VTT semi-rigide. Normal pour un gravel et si ce n’est pas gênant sur un vélo en fourche rigide, cela crée un décalage sur ce montage avec une fourche suspendue. Ça donne des situations où les mains ont l’impression que tout se passe bien et qu’on peut rouler relativement vite ou s’aventurer sur des terrains plus techniques, mais où l’assise et le dos tressautent déjà sur des successions de petits chocs et n’ont certainement pas envie de se faire secouer encore plus. Dans le fond, le Stigmata n’est pas du tout inconfortable et fait même bien mieux que d’autres gravel en carbone, mais ce décalage en donne l’impression.
Quoi qu’il en soit, la fonction de suspension de la tige de selle RockShox Reverb XPLR est alors bienvenue pour rééquilibrer les choses et apporter un peu de confort. Elle fonctionne réellement, mais on l’utilise au final très peu à cause de ce qui est à nos yeux une erreur de conception : pour profiter de la suspension, il faut descendre un peu la selle. Les positions haute et basse sont parfaitement rigides, et il n’y a qu’entre les deux qu’on a cette petite suspension. Or, si on veut une suspension au niveau de la selle c’est justement pour pédaler plus facilement, donc sans descendre celle-ci… Un levier permettant d’alterner manuellement entre un mode bloqué et un mode suspendu, les deux en position haute, serait plus intéressant selon nous.
En descente rapide, tout cela disparaît : le Stigmata descend comme un VTT ! Moins le côté joueur évidemment, la faute au cintre, mais en termes de stabilité c’est impressionnant. L’accroche des pneus permet de découper les grandes courbes sans ralentir, la fourche décuple le grip et la tige de selle télescopique permet de vraiment se servir de ses jambes, tout problème de confort est complètement oublié. Sur ce terrain, le Stigmata est sans conteste l’un des gravel les plus sécurisants qu’on connaisse.
Toutefois, on peut le mettre en difficulté en l’emmenant ailleurs. Sur route d’abord : on l’a déjà dit dans d’autres essais, mais une fourche suspendue comme la RockShox Rudy est moins précise qu’une fourche classique, on a l’impression qu’elle est moins rigide latéralement. Sur les pistes ça ne pose pas de problème car on sent surtout ses effets bénéfiques sur l’adhérence, mais sur route, où le grip est là quoi qu’il arrive, on peut sentir un peu de flex ou avoir du mal à tenir certaines trajectoires dans les courbes en appui marqué. Il faut donc garder toujours un peu de marge mais normalement, si vous avez une fourche suspendue sur votre vélo, ce n’est pas pour aller faire le col du Galibier… Ou en tout cas, pas par la route.
Sur les sentiers monotraces, c’est par sa maniabilité que le Stigmata pèche : avec ses bases longues et son angle de direction couché, le vélo tourne moins serré que la plupart de ses contemporains. Dans ces situations, on se sent plus comme sur un XC voire un peu moins bien du fait de la position (les mains sont plus basses), et il faut parfois se concentrer ou même le brusquer un peu pour l’emmener là où on le veut. Dommage, car ce côté très réactif est habituellement ce qui fait le sel des gravel face à nos VTT… mais il y a peut-être une solution à cela.
On l’a dit, ce Santa Cruz Stigmata est long. Très long. Tellement long, en fait, que sous-tailler peut être une option à considérer sérieusement. Pour les 1m79 de votre serviteur, Santa Cruz conseille une taille L mais une taille M fonctionnerait tout aussi bien, dans la mesure où elle correspond à un taillant plus « sportif ». Et ce d’autant plus que comme on le disait plus tôt, le cadre a de bonnes qualités dynamiques et n’a certainement pas peur de se transformer en machine de course, avec des composants adaptés.
Notre conseil, c’est donc de réfléchir un peu à l’usage que vous souhaitez faire du vélo :
- si vous êtes à la recherche d’une machine confortable et sécurisante, écoutez Santa Cruz et faites confiance à l’échelle des tailles. Cela peut également être intéressant si vous envisagez de voyager chargé. Pour le montage, libre à vous de partir sur ce qui vous intéresse le plus et pour encore plus de confort, n’oubliez pas que le cadre peu accueillir des pneus de 50 mm de section ;
- si vous cherchez un vélo fun mais sportif, n’hésitez pas à descendre d’une taille, cela rendra le vélo plus joueur et réactif. Et si le budget n’est pas un problème, le montage testé ici a un sacré potentiel pour s’amuser sur les sentiers ;
- enfin, si vous êtes en quête d’un gravel polyvalent mais très dynamique avec éventuellement l’idée de prendre le départ de quelques épreuves chronométrées, on vous conseille là aussi de sous-tailler mais aussi en plus d’allonger un peu la potence et de changer au moins les pneus… ou de partir sur un montage personnalisé à partir du cadre seul.
Verdict
Avis nuancé sur ce Santa Cruz Stigmata en montage Force-1x AXS RSV. Le travail effectué par la marque américaine sur la conception du cadre donne à la machine d’énormes qualités en descente mais l’équipement de cette version en rajoute une couche et ça devient presque trop. On perd ce côté maniable, amusant et efficace sur les terrains roulants qui nous font habituellement choisir un gravel, sans avoir pour autant le confort ou le comportement joueur d’un VTT. Dans cette configuration, le Stigmata nous paraît conçu pour descendre des pistes à 70 km/h de moyenne, une conception très américaine du gravel qui trouve moins d’écho dans nos contrées. Toutefois, il ne faut pas se laisser induire en erreur par ce montage audacieux : le cadre a aussi de belles qualités dynamiques et on ne doute pas qu’il se montrera bien plus adapté à notre pratique dans des versions plus classiques. Le Stigmata est un excellent gravel, et figurerait sans doute dans notre top 5 dans une autre configuration (taille et/ou équipement), mais il faut prendre le temps de bien réfléchir à sa pratique et ne pas faire aveuglément confiance à la marque pour faire le bon choix.
Santa Cruz Stigmata Force-1x AXS RSV
8299 €
9,53 kg taille L, avec porte-bidon et sans pédales
- Comportement stable et sécurisant
- Facile à prendre en main
- Réactivité en relance
- Excellente finition
- Dégagement pour des pneus jusqu'à 50 mm
- Pas d'inserts pour une petite sacoche sur le tube supérieur
- Pneus très adhérents mais peu roulants
- Poids ?
- Prix élevé
- Manque de maniabilité si on se fie à l'échelle des tailles Santa Cruz
Évaluation des testeurs
- Prix d'excellence
- Coup de coeur
- Rapport qualité / prix
Plus d’informations : santacruzbicycles.com