Test | Nukeproof Mega Carbon 290 RS : vers l’enduro et au-delà
Par Léo Kervran -
Le Mega fait peau neuve ! 10 ans après le lancement de la première version, Nukeproof présentait en octobre dernier la 4e itération de sa plateforme d’enduro, sur laquelle les choses changent à la fois beaucoup… et très peu. La recette pour rester au sommet des podiums sur les enduros tout autour de la planète ? Nous avons roulé pendant plusieurs mois avec la version haut de gamme RS, voici ce que nous en avons pensé :
A quel point faut-il changer un châssis qui a remporté les trois derniers classements généraux « officiels » (la saison 2020 n’a pas donné lieu à un classement général) des EWS ? C’est à cette question difficile que les équipes de Nukeproof doivent répondre chaque année avec la domination presque sans partage de Sam Hill sur la coupe du monde d’Enduro.
Depuis 2018 toutefois, la marque nord-irlandaise semble avoir opté pour une approche par « petites touches », avec un vélo qui évolue légèrement chaque année. Surtout, pas de révolution ou de gros changements qui pourraient perturber les résultats de la machine en compétition. Comme nous l’écrivions au moment de la sortie du vélo en octobre dernier (voir notre news), c’est encore le cas pour 2021 : « Si Nukeproof a développé une toute nouvelle plateforme, ce n’est pas pour modifier le débattement ou la géométrie mais plutôt pour répondre à d’autres problématiques : retravailler la suspension et la rigidité du cadre, revoir l’échelle de tailles ou encore pouvoir y intégrer (enfin !) un porte-bidon. »
Châssis
Si les changements techniques sont relativement discrets, il en est autrement sur le plan esthétique. On perd notamment le tube supérieur courbé et le petit triangle de rigidification qui rendaient les anciens Mega facilement reconnaissables, au profit d’un tube plus droit et plus simple. Cela a un certain intérêt sur le plan fonctionnel, mais de loin, ce Mega V4 affiche des lignes plus consensuelles et ne ressemble pas beaucoup à ses prédécesseurs.
En s’approchant, on se rend toutefois compte que la marque de Belfast a conservé certains éléments « signature » du Mega, comme cette petite biellette en forme de « C » placée au-dessus de l’amortisseur (seule pièce en aluminium sur notre modèle en carbone) ou ce pont de rigidification plutôt imposant entre les haubans.
On remarque également que les tubes qui composent le triangle arrière sont particulièrement massifs, aussi bien les haubans avec leur grosse section carrée que les bases plus rectangulaires. Cette caractéristique est propre au cadre en carbone, les déclinaisons en aluminium sont plus discrètes de ce côté.
Au-delà de la « modernisation » du vélo, ces nouvelles lignes servent aussi un objectif fonctionnel : pour la première fois depuis sa naissance il y a 10 ans, en 2011, le Nukeproof Mega accepte un porte-bidon ! La marque nord-irlandaise a même trouvé la place d’ajouter un support pour accessoires sous le tube supérieur, ce qui permettra de partir léger sur les petites sorties.
Les protections de cadre sont de belle facture, notamment sur le triangle arrière où la base et le hauban côté transmission sont généreusement recouverts de caoutchouc. Sous le tube diagonal, on aurait aimé que la protection remonte un peu plus haut, mais c’est surtout pour notre tranquillité d’esprit, car aucun impact n’a été à déplorer sur la partie non protégée au cours de ce test. L’imposant coude que forme le tube avant le boîtier de pédalier, qui semble prêt à briser le moindre rocher qui aurait l’audace de se dresser sur le chemin, est en revanche bien « cuirassé ».
Pour terminer sur le sujet, tous les Mega Carbon sont vendus avec un film de protection transparent, que seul un examen consciencieux du cadre permet de détecter. Ce dernier ne recouvre pas tout le vélo, certaines zones comme les côtés de la douille de direction sont laissées nues, mais dans l’ensemble, il protège tout de même une bonne partie du cadre des rayures, frottements et petits impacts.
Les câbles et Durits passent en interne, c’est la norme, mais ils sont entièrement guidés pour faciliter l’entretien. A défaut d’être très discrets, les orifices de sortie à l’arrière du triangle avant inspirent confiance, avec un liner autour de la gaine pour l’étanchéité et une pièce vissée pour la guider dans la bonne direction.
A propos de ces passages de câbles, un détail « trahit » l’origine anglo-saxonne du Mega : la Durit du frein arrière entre dans le cadre par le côté droit de la douille de direction, et non le côté gauche comme sur la plupart de nos vélos. En effet, en Irlande et au Royaume-Uni, on roule avec le frein arrière à gauche donc la Durit doit rentrer dans le cadre par le côté droit pour suivre un trajet propre.
Notre Mega Carbon 290 RS est équipé de freins Sram Code RSC qui sont parfaitement réversibles, le passage en montage « continental » ne pose donc aucun problème, il suffit d’inverser les deux leviers, mais cela donne un ensemble de gaines et Durits un peu moins bien organisé que sur d’autres vélos.
Suspension
Le débattement est le même que sur la génération précédente (160 mm) et Nukeproof fait toujours appel à une architecture de type 4 bar linkage type Horst Link pour le retranscrire sur les 65 mm de course de l’amortisseur.
Pour voir des changements, il faut rentrer un peu plus dans les détails et se pencher sur la cinématique de la suspension, c’est-à-dire les courbes et données qui décrivent son comportement. Comme on le voit sur le graphique de gauche, Nukeproof a souhaité rendre le V4 un peu plus sensible en début de course que le V3 (ratio plus important). La fin de course a également été retravaillée pour être moins progressive, de façon à offrir plus d’options de réglages et de personnalisation.
L’anti-squat augmente pour rendre le vélo plus dynamique au pédalage et plus vivant en descente tandis que pour l’anti-rise, c’est l’inverse : il diminue légèrement pour rendre la suspension plus active au freinage.
Géométrie
La géométrie évolue elle aussi par petites touches. Ainsi, sur cette version 29″ l’angle de direction perd 0,5° (64°) et les bases sont raccourcies de 10 mm (440 mm sur toutes les tailles). Pour voir des changements un peu plus importants, il faut se tourner vers le tube de selle : sa longueur est réduite de 10 à 18 mm grâce à la disparition du triangle de jonction avec le tube supérieur (pratique pour monter une tige de selle à grand débattement) tandis que l’angle se redresse encore un peu pour atteindre 77,5° (S,M) voire 78° (L à XXL).
L’angle de tube de selle plus droit sur les grandes tailles, c’est un choix fait par Nukeproof pour contrer le recul de plus en plus important de la selle au fur et à mesure que sa hauteur (par rapport boîtier de pédalier) augmente. Encore trop rare, cette mesure permet aux « grands » de ne pas se retrouver assis au-dessus de la roue arrière en montée et chez Vojo, Paul l’a apprécié à sa juste valeur.
Enfin, on relèvera que l’échelle des tailles est revue à ses deux extrémités. Les taille M et L changent peu, voire pas du tout, mais le XL est raccourci, tandis que le S et le XXL font leur apparition. Objectif, avoir des écarts plus réguliers entre chaque taille et permettre à tous le monde de rouler en 29″, y compris les personnes de moins d’1 m 70 (la taille S est recommandée à partir de 1 m 59).
Equipements
Contrairement aux autres modèles de la gamme Carbon 290, équipés en Shimano / Fox, cette version haut de gamme RS est doté d’un package RockShox / Sram (presque) complet. Côté suspensions, on a droit à une Zeb Ultimate en 170 mm de débattement à l’avant, couplée à un SuperDeluxe Ultimate à l’arrière.
La transmission vient pour l’essentiel de la série X01 Eagle, à l’exception de la chaîne (GX Eagle) et du pédalier, un Truvativ Descendant Carbon. On relève aussi que ce dernier est monté avec un plateau de 30 dents, signe que ce Mega V4 n’a pas peur des longues journées enduro à la pédale. Un ensemble guide-chaîne et bash de MRP le protège des chocs et des déraillements.
Les freins sont les biens connus Code RSC, avec visserie oil slick qui ajoute une touche de bling bling sur le vélo. Pour les disques, on a droit à du 200 mm devant et du 180 mm derrière (mais le cadre accepte sans mal du 200 mm).
Dernier élément du pack, une tige de selle RockShox Reverb Stealth. Le tube de selle raccourci permet l’utilisation de grand débattement et on profite sur notre taille L de la version en 175 mm.
Le reste des périphériques (cintre en carbone, potence, poignées, selle mais aussi jeu de direction), de très belle facture, est siglé Nukeproof. La marque nord-irlandaise développe depuis longtemps ses propres composants (depuis ses origines américaines en fait, dans les années 90) et on profite ici de la série Horizon, c’est-à-dire le haut de gamme. En plus d’être jolis, ces composants semblent très fonctionnels puisque certains de nos testeurs ont particulièrement apprécié l’ergonomie du poste de pilotage et le confort de la selle.
Enfin, en ce qui concerne le train roulant on a droit à un couple assez inhabituel mais qui reflète bien l’esprit du vélo. Les roues sont des Mavic Deemax Pro Sam Hill, en 28 mm de largeur interne et annoncées à 1930 g nues. Et puisque le team EWS roule sur Michelin, elles sont chaussées de pneus de la marque. Toutefois, vous ne vous transformerez pas instantanément en Sam Hill au guidon de ce Mega car Nukeproof a sélectionné un montage plus polyvalent que les DH 22 et DH 34, très efficaces mais lourds. On retrouve donc un Wild Enduro Front à l’avant et un Wild Enduro Rear à l’arrière, tous deux en section de 2,4″ et gomme Gum-X.
Versions et tarifs
3 montages complets sont proposés pour ce Mega Carbon 290. Les tarifs commencent à 4 699 € avec la version Elite couleur Bullet Grey, passe à 5 699 € pour le modèle Factory en vert Artichoke Green et montent jusqu’à 6 399 € pour notre Mega Carbon 290 RS Bottle Blue. Une certaine somme dans l’absolu mais quand on compare à d’autres marques, le Mega offre un rapport équipement / prix intéressant.
Le kit cadre est quant à lui disponible au prix de 2 999 €, en couleur Bullet Grey ou dans le jaune caractéristique de la marque (également roulé par les pilotes du team enduro, Sam Hill en tête).
Cependant, la famille Mega est bien plus vaste que ces trois modèles et deux cadres puisque le vélo se décline aussi en aluminium et en 27,5″, en carbone comme en aluminium. Au total, ce sont pas moins de 10 vélos et 4 kits cadres différents qui sont disponibles, avec des tarifs qui commencent à 3 149 € pour un montage complet.
Le Nukeproof Mega Carbon 290 RS sur le terrain
Comme tout bon enduro moderne, le Mega version 2021 offre une position de pédalage agréable. La suspension est plutôt du genre actif, ce qui a ses avantages et ses inconvénients. D’un côté, c’est très confortable et on profite d’une bonne adhérence, mais de l’autre, on est à la limite du pompage en montant assis au train.
De ce fait, nous n’avons pas hésité pas à utiliser le blocage dès que le chemin était relativement lisse pour verrouiller le tube de selle et avoir un peu de répondant sous les pédales, d’autant que le train roulant ne dynamise pas vraiment le vélo. En-dehors de ça, le poids reste tout à fait honnête (14,4 kg en taille M d’après la marque) et on peut sans peine envisager de longues sorties à condition de prendre son temps en montée.
En descente, son domaine d’excellence, le Mega se montre d’abord facile à prendre en main. Le cadre est stable, pardonne beaucoup et n’incite pas à faire preuve d’un maximum de précision, on choisit à peu près sa ligne et rien de bien grave si on en dévie un peu, le vélo encaisse. Attention à ne pas s’endormir tout de même, car on peut facilement atteindre des vitesses (très) élevées sans vraiment s’en rendre compte !
De son côté, la suspension arrière peut enfin exprimer tout son potentiel. La roue arrière est littéralement collée au sol et l’amortisseur avale tout ce que le pneu rencontre sans sourciller, jusque dans les zones de freinage. Sur terrain lisse, c’est un peu déroutant car cette grande sensibilité peut donner une impression de flou, de ne pas savoir exactement où est sa roue arrière, mais dès que l’on rencontre des cailloux et des racines, c’est un régal.
Elle est aussi particulièrement impressionnante sur les gros chocs comme les sauts, les réceptions de marche à plat… ou les erreurs de trajectoires. Dans ces situations, le vélo reste parfaitement stable et la suspension efface en douceur l’impact avec juste ce qu’il faut de support pour ne pas donner la sensation d’un vélo qui s’affaisse. C’est comme sauter dans un canapé ou sur un matelas haut de gamme, on a presque l’impression d’y être allé trop doucement et on remonte pour réessayer en tirant plus fort !
On en vient à se demander ce qu’il reste au Giga, le nouveau vélo de freeride de la marque (voir Nukeproof Giga : le freeride gourmand). Nous n’avons pas encore eu l’occasion de mettre nos mains dessus mais nous serions curieux de voir ce qu’un tel vélo peut apporter face au Mega, déjà très solide en descente et probablement plus polyvalent.
En revanche, le Mega n’est pas un vélo très dynamique malgré la tentative de Nukeproof pour le faire progresser dans ce domaine. Est-ce le revers de la médaille de cette tolérance ? En tout cas, il ne reprend pas de la vitesse dès qu’on pousse sur les jambes en sortie de virage et il faut s’employer en relance, ce n’est pas naturel comme sur un Trek Slash par exemple. Avec le Mega, on mise donc plutôt sur la conservation de la vitesse et des trajectoire les plus « rondes » possible, avec des angles adoucis pour réduire au maximum les gros freinages.
Sur sentier plus doux, le Mega reste utilisable grâce à sa facilité mais on sent qu’il n’est pas vraiment dans son domaine et qu’il a besoin d’un peu de vitesse ou de pente pour se révéler. Même chose dans le lent et trialisant, il passe mais ce n’est pas sa tasse de thé. Ce n’est pas non plus un vélo très joueur, il décolle bien en bunny-hop pour éviter les obstacles mais ce n’est pas gratifiant comme cela peut l’être avec d’autres vélos.
Pour terminer, un mot sur les composants et plus particulièrement le train roulant. Côté roues, les Mavic Deemax Pro Sam Hill se font oublier, leur rigidité est bien dosée. On note également qu’elles semblent plutôt résistantes, leurs flancs ne sont pas du tout marqués après notre test et c’est quelque chose d’assez rare pour être signalé. En ce qui concerne les pneus, on apprécie le montage d’un bon pneu avant polyvalent mais le Michelin Wild Enduro Front a un comportement un peu imprévisible : il a un très bon grip la plupart du temps et décroche rarement, mais lorsque cela arrive, c’est soudain et presque violent. A l’arrière, le Wild Enduro Rear s’en sort sur terrain sec ou souple mais dès que cela devient légèrement humide, il part très facilement en glisse à cause de sa bande centrale aux crampons bas et rapprochés. Le bon côté de la chose, c’est que c’est prévisible et qu’on sait qu’il va partir, mais le mauvais, c’est qu’il part très souvent !
Verdict
Avec cette nouvelle plateforme, Nukeproof oriente encore plus le Mega vers la caste des gros enduros, des vélos qui « acceptent » de pédaler pour rejoindre le départ des spéciales mais ne donnent leur pleine mesure que dans la pente, les gros chocs et la vitesse. Un paradoxe, car le vélo gagne d’une certaine manière en polyvalence en acceptant désormais un porte-bidon, mais d’un point de vue comportement, le résultat est là. On pourrait presque parler de mini-DH, d’autant que si ce Mega est plutôt facile à prendre en main et à piloter, il lui faut tout de même un terrain adapté pour s’exprimer. Il nous a beaucoup fait penser au Commencal Meta AM et si votre pratique se partage entre bikepark voire DH et enduros engagés, il y a de fortes chances pour que l’enduro à la sauce Nukeproof vous plaise. En revanche, si votre terrain de jeu est moins éprouvant ou que vous cherchez un vélo réellement polyvalent, ce nouveau Nukeproof Mega ne sera pas le plus adapté.
Nukeproof Mega 290 RS
6 399 €
14,4 kg(taille M, poids constructeur)
- Ensemble cadre-roues tolérant sans être mou
- Fonctionnement de la suspension en descente
- Stabilité
- Manque de dynamisme
- RAS
Évaluation des testeurs
- Prix d'excellence
- Coup de coeur
- Rapport qualité / prix
Plus d’informations : nukeproof.com