Test nouveauté | Moteur Eagle Powertrain : Sram se lance dans l’e-bike

Par Léo Kervran -

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Test nouveauté | Moteur Eagle Powertrain : Sram se lance dans l’e-bike

Sram débarque dans l’e-bike ! Après plusieurs années de prototypage et de test, la marque américaine dévoile aujourd’hui son premier système d’assistance sous le nom Eagle Powertrain. Relation étroite avec la transmission AXS, Auto Shift… On vous explique tout et même nos premières sensations, puisque nous avons déjà pu le rouler.

 

Depuis le printemps 2022, on se doutait qu’il se tramait quelque chose autour de l’assistance électrique chez Sram. Sur les EWS-E l’année dernière, le Français Yannick Pontal roulait pour un mystérieux « BlackBox Test Pilot Program » (lire Spy Shot : bientôt un moteur e-bike chez Sram ?), devenu cette année « Sram Factory Enduro Racing ».

En parallèle, la marque a lancé en début d’année la nouvelle génération de ses transmissions sans fil Eagle AXS (voir Reportage | Sram Eagle AXS 2023 : entrée dans un nouvel âge), caractérisée entre autres par une certaine capacité à changer de rapport à pleine charge et sans relâcher l’effort…

D’une certaine manière, ce lancement était donc attendu. Ce n’est pas tous les jours qu’un groupe de l’envergure de Sram se lance dans l’e-bike ! Et au-delà de l’arrivée d’un nouvel acteur, c’est aussi l’approche du groupe, sa vision de la chose, qui intéressent particulièrement. Sur ses autres produits, Sram nous a habitués à arriver avec des nouveautés par le haut de gamme avant de les décliner au fur et à mesure en versions plus accessibles.

Avec un système d’assistance, c’est plus compliqué de suivre le même schéma mais d’un autre côté, la pratique compétition qui sert de base de communication aux marques du groupe et qui touche une partie des vététistes tient une part confidentielle en e-bike. Autre façon de faire du vélo, autres méthodes et même avec les quelques indices évoqués plus haut, on avait bien du mal à imaginer précisément à quoi cette fameuse assistance Sram allait ressembler.

Le moteur

Côté moteur, surprise… Ou plutôt, pas de surprise ! A l’image de Specialized il y a quelques années, Sram s’est associé à Brose pour développer son système d’assistance. Si Sram avait agité le monde de l’e-bike au mois de janvier en faisant l’acquisition d’Amprio, un fabricant allemand de moteur basé à Düsseldorf, la marque n’est visiblement pas encore prête à se lancer d’elle-même et a préféré compter sur le soutien d’un poids lourd du marché.

Le moteur est donc un Brose Drive S Mag tout ce qu’il y a de plus courant, capable de développer au maximum 680 W et 90 Nm de couple pour 2,9 kg. L’avantage de ce choix, c’est que le réseau existe déjà et qu’en cas de problème sur du hardware, il ne devrait pas être difficile de trouver une solution.

Les batteries sont en revanche spécifiques à Sram mais leurs caractéristiques sont en phase avec ce qu’on connaît : on a une 630 Wh à 3,1 kg conçue pour les vélos où on la retire par l’une des faces du tube diagonal et une 720 Wh à 4,1 kg prévue pour les cadres où la batterie coulisse dans le tube diagonal. Et on pourra également leur adjoindre un Range Extender de 250 Wh, à monter sur un support spécifique à l’emplacement du porte-bidon.

Le logiciel

Si vous connaissez un peu le milieu de l’e-bike, vous savez aussi bien que nous que la base technique impose certaines contraintes, mais c’est son logiciel de fonctionnement qui dicte le comportement et qui donne sa personnalité au système, qui le différencie des autres. Et chez Sram, il y a de quoi se différencier !

En effet, Sram a développé l’Eagle Powertrain en étroite relation avec les nouvelles transmissions Eagle AXS T-Type afin que le dérailleur et le moteur soit capables de communiquer entre eux. Et cela donne… une transmission automatique ! Dans l’absolu, ce n’est pas une nouveauté, même en VTT : Shimano le fait déjà depuis le printemps avec le Di2 et le moteur EP801 (voir Test nouveauté | Shimano Di2 Auto Shift et Free Shift : la transmission automatique pour VTT). Cependant, la marque japonaise peine à livrer son système ce qui fait qu’on n’en a pas encore vu beaucoup sur les sentiers.

On a donc une transmission capable de changer de rapport toute seule pour s’adapter au profil du sentier et à l’effort fourni, sans la moindre action du ou de la pilote. Sram ne nous a évidemment pas donné le détail de son algorithme mais d’après nos premières sensations, on sait que le système prend au moins en compte la vitesse de rotation de la roue et la fréquence de pédalage.

La fonction est programmable sur sept niveaux, de -3 à +3, pour l’orienter vers un pédalage plus en force (-3) ou plus en fréquence (+3). On peut aussi prendre le contrôle à tout moment depuis la manette (Override, en anglais) ou la désactiver purement et simplement, pour utiliser le dérailleur manuellement comme avec n’importe quelle transmission.

En parallèle, le système est aussi capable de changer de vitesse sans coup de pédale : c’est le Coast Shift, le changement de rapport en roue libre. Le moteur détecte qu’on ne pédale pas et selon la vitesse de la roue arrière (mesurée avec 6 aimants, soit plus précis qu’ailleurs), le dérailleur ajuste le rapport engagé pour avoir quelque chose de cohérent quand on reprend le pédalage. Et de la même façon que l’Auto Shift peut se plier à des changements depuis le poste de pilotage, on peut également utiliser le Coast Shift depuis la commande. Vous vous souvenez peut-être du pédalier HXR Easy Shift qui permettait de changer de rapport sans pédaler : ici c’est exactement la même chose, une fonction automatique en plus !

Autre particularité importante, le Sram Eagle Powertrain n’a que deux modes : Range et Rally, personnalisables via une application (l’AXS App, la même que pour les transmissions) comme tout système d’assistance qui se respecte. Notez que contrairement à d’autres systèmes, on peut modifier le couple maximal et le niveau d’assistance, c’est-à-dire l’apport du moteur par rapport à l’effort fourni par le ou la pilote mais pas la réactivité de l’assistance.

Pour commander tout cela, on utilise les mêmes AXS Pods que pour la transmission. Avec la possibilité d’avoir un appui long, chaque bouton peut offrir deux fonctions, ce qui suffit à contrôler tout le système, même avec une tige de selle RockShox Reverb AXS comme sur notre modèle de test :

  • en haut à gauche : changement de mode (appui court) + assistance à la marche (appui long)
  • en bas à gauche : tige de selle télescopique
  • en haut à droite : dérailleur vers le haut de la cassette (appui court) + activation et désactivation de l’Auto Shift (appui long)
  • en bas à droite : dérailleur vers le bas de la cassette + personnalisation de l’Auto Shift (appui long)

A l’exception de l’assistance à la marche qui doit rester en haut à gauche, tous les emplacements sont personnalisables sur l’AXS App. En revanche, la manette Sram AXS « originale », celle sortie avec la première génération de la transmission, n’est pas compatible avec l’Eagle Powertrain.

Dans un souci de discrétion, l’affichage prend place sur le tube supérieur et on doit bien admettre que l’effet est réussi : le poste de pilotage est identique à celui d’un vélo sans assistance, aussi simple et épuré ! Les informations affichées correspondent au strict nécessaire, à savoir le mode engagé, le statut de l’Auto Shift et le niveau de batterie. Pour avoir les informations de vitesse ou de distance il faut passer par un service externe, application ou montre.

De part et d’autre de l’écran, on trouve deux boutons : celui qui permet de mettre en route le système et celui qui permet de faire l’appairage avec l’application (ou de changer de mode). Une pression courte sur le premier permet aussi de passer en mode « assistance off » tout en gardant le système allumé, ce qui est particulièrement important dans le cas de cet Eagle Powertrain.

En effet, le dérailleur AXS n’a plus de batterie : il est relié par un câble à celle du vélo. Certaines ou certains ironiseront sur le fait de mettre un câble sur un dérailleur dont la principale caractéristique était d’être sans fil (et on les comprend) mais dans les faits, ça fait toujours une batterie de moins à charger. De plus, Sram annonce que le dérailleur ne tombera pas en panne même s’il n’y a plus assez de batterie pour l’assistance donc cela aurait été dommage de s’en priver.

En revanche, cela signifie qu’il faut obligatoirement que le système soit allumé si on veut utiliser le dérailleur. Le mode « off mais pas éteint » devient donc essentiel à l’atelier pour travailler sur sa transmission sans perdre un doigt (ou plus).

Enfin, notez que le moteur peut techniquement être monté avec d’autres transmissions et qu’il n’est pas obligatoire de l’associer à un nouveau groupe AXS. Toutefois, on ne profitera pas des fonctions annexes Auto Shift et Coast Shift et c’est pourquoi il sera toujours associé à une transmission AXS T-Type en première monte, que ce soit du GX, du X0 ou du XX.

Les vélos

A l’heure actuelle, seules quatre marques ont répondu suffisamment rapidement à l’appel de Sram pour développer une plateforme autour de ce système : Nukeproof avec un nouveau Megawatt, Propain avec ce qu’on imagine être un Ekano remanié, GasGas avec une nouvelle plateforme et Transition. Toutefois, on connait la force de Sram quand il s’agit de pousser ses produits de manière générale, et on ne serait pas surpris de voir d’autres marques rejoindre cette liste au fur et à mesure.

A première vue, les prix devraient être élevés. Sram ne nous a pas communiqué les tarifs de l’Eagle Powertrain seul mais avec « l’obligation » pour les marques de l’associer à une transmission Sram T-Type, la facture est par défaut importante et de ce qu’on sait du Nukeproof Megawatt (plus d’infos là-dessus très bientôt), ne vous attendez pas à voir le Sram Eagle Powertrain sur des e-bikes à 5000 € de sitôt.

Sram Eagle Powertrain : le test terrain

Nous n’avons pu faire que quelques sorties avec ce moteur, bien trop peu pour un test complet mais on peut tout de même vous partager nos premières impressions. Au départ, sans aucun doute c’est perturbant d’avoir un système qui change de vitesse à notre place. En montée facile, sur piste 4×4 où on ne se concentre pas sur le pilotage, on a vraiment l’impression que c’est le vélo qui fait tout le travail et qu’on se fait promener, comme un simple passager.

Heureusement, cette (désagréable) sensation disparaît dès qu’on rentre dans des sentiers plus étroits ou techniques et qu’il faut se concentrer sur le pilotage. Sur le papier, c’est la même chose : on pédale, on a une assistance et le dérailleur change de rapport tout seul. En pratique, c’est différent. Lorsqu’on doit faire attention à ses lignes, au grip et de manière générale être plus actif sur le vélo, on retrouve la sensation d’être acteur de ce qui se passe et on oublie complètement le système, qui fait son travail tranquillement en arrière-plan… à condition d’avoir trouvé le bon réglage.

C’est plus simple que chez Shimano, plus pointu mais plus difficile à exploiter, et nous avons trouvé que pousser le biais du système vers un pédalage le plus en fréquence possible (à « + 3 ») était ce qui nous convenait le mieux dans les limites du système. De l’autre côté du spectre, le réglage « – 3 » fait tourner les jambes à 20 ou 30 tours par minute et on a bien du mal à imaginer qui pourrait l’utiliser.

A nos yeux, avoir un réglage simple est plutôt une bonne idée pour ne pas se perdre mais nous aurions préféré une plage d’ajustement un peu plus décalée vers la fréquence de pédalage, un « – 2 à + 4 » par rapport à la plage actuelle. En attendant, on apprend à jouer de sa fréquence de pédalage pour « forcer » le passage de rapport les quelques fois où ça traîne un peu pour réagir.

Dans l’ensemble, le système n’est pas aussi performant qu’une commande humaine pour un usage « performance » mais on a tout de même été surpris de sa cohérence et ça fonctionne correctement si on ne fait pas la course. Tant mieux, car nous n’avons pas été impressionnés par l’Override, le changement de rapport manuel tout en gardant l’Auto Shift allumé.

En effet, nous avons eu l’impression que le temps de réaction du système était plus lent que sur un vélo classique. Toutefois, ça ne nous a pas été confirmé par Sram donc on n’écarte pas la possibilité que ce soit une simple impression, liée au fait que lorsqu’on décide de changement manuellement, c’est parce qu’on n’est pas satisfait du rapport engagé. Ou, dit autrement, dans une situation inconfortable où chaque instant nous apparaît plus long qu’il ne l’est réellement.

En revanche, on a réellement apprécié le Coast Shift, le changement autonome en roue libre, qui permet de se sortir de situation parfois compliquées en e-bike comme une remontée au milieu d’une descente, attaquée sans élan à cause d’un virage ou d’un passage technique. Le système détecte qu’on ralentit et change de vitesse tout seul alors qu’on est encore en train de négocier le virage ou le passage technique. Résultat, lorsqu’on reprend le pédalage quelques secondes plus tard, on est déjà sur un rapport plus ou moins adapté.

Ceci dit, ça n’empêche pas d’anticiper ce qui arrive : l’Eagle Powertrain ne lit pas le sentier devant nous et on peut mettre en défaut cette automatisation sur des remontées attaquées avec de l’élan. Dans ces situations, on peut alors utiliser le fonctionnement « manuel » du Coast Shift, en changeant de rapport soi-même (mais toujours sans pédaler) dans les quelques mètres qui précèdent la remontée.

Par ailleurs, on a vite compris pourquoi Sram n’a pas sorti l’Eagle Powertrain plus tôt, avec l’ancienne génération d’AXS : comme le système peut changer de rapport n’importe quand, on ne déleste pas la transmission comme on le ferait lors d’un changement manuel. Le dérailleur change souvent en pleine charge et ça fait peur au début mais avec ces transmissions T-Type, ça fonctionne, parfois avec un peu de bruit mais sans délai ou saut de chaîne. Reste bien sûr à voir la durée de vie mais là, c’est encore trop tôt pour se prononcer.

Sur le moteur en lui-même, on a l’impression que Sram a opté pour une approche très naturelle et facile à prendre en main plutôt qu’un comportement très sportif et puissant. La réactivité est proche d’un pédalage sans assistance et sur notre Nukeproof Megawatt, la configuration d’origine du mode Rally donnait 600 W et 80 % d’assistance, donc pas le maximum que peut offrir le système.

Avec ce réglage, le vélo assiste bien mais ne donne pas la sensation de pousser comme un Bosch en mode Turbo. On peut bien sûr passer à 680 W et 100 % via l’application mais cela donne tout de même une certaine idée de la direction que Sram souhaite prendre. Bien sûr, rien ne remplace une comparaison en face-à-face avec la concurrence pour en avoir le cœur net mais nous n’avons pas encore eu l’occasion de procéder à un tel test.

Le fait de n’avoir que deux modes pourrait aussi jouer un rôle dans cette impression et pour être tout à fait transparent, ce choix ne nous a pas vraiment convaincus. Range et Rally, les noms sont bien trouvés mais avec deux modes, on est toujours limité. On peut faire l’équivalent d’un « Eco » et d’un « Trail », d’un « Trail » et d’un « Boost » voire d’un « Eco » et d’un « Boost », éventuellement deux modes intermédiaires à mi-chemin entre tout ça, mais on sacrifie toujours quelque chose dans l’affaire, que ce soit la puissance maximale, le confort sur sentier vallonné ou l’autonomie maximale.

Avec trois modes, on peut tout avoir en même temps et on a l’impression que ça nous permet de mieux profiter, ainsi que de gérer la batterie plus facilement si besoin. Mais encore une fois, ça demandera des tests plus approfondis.

A l’issue de cette prise en main il est encore bien trop tôt pour décider si l’orientation choisie par Sram est une « bonne » chose, si c’est une direction qu’on veut bien suivre ou si cela dénature trop l’expérience. La facilité de prise en main du système, son côté naturel et son intégration avec la famille AXS qui permet de conserver des postes de pilotage épurés nous ont séduits, mais la gestion de l’assistance avec seulement deux modes et l’Auto Shift demanderont plus de temps… ou de raffinement du côté de Sram. Quoi qu’il en soit, le fait d’avoir un nouvel acteur sur ce marché rend les choses intéressantes et pourrait bien faire bouger les lignes, encore plus si la marque parvient à prendre l’avantage sur Shimano au niveau des délais de livraison. Pour le reste, on compte bien passer plus de temps avec le système dans les prochains mois pour creuser nos sensations et on espère qu’on pourra vous proposer un test complet plus tard !

Plus d’informations : sram.com

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Photos : Mountain Bike Connection Summer – Rupert Fowler / Sram / Léo Kervran

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