Test nouveauté | Mondraker Dusty : qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse
Par Léo Kervran -
Un e-gravel à fourche suspendue et tige de selle télescopique chez une marque spécialiste du VTT et connue avant tout pour ses vélos à gros débattement ou sa réflexion en matière de suspension et de géométrie… Autant vous dire que lorsqu’on a reçu une invitation pour le lancement du nouveau Dusty, on ne savait pas trop où on allait mettre les pieds. Mais qu’est-ce que Mondraker vient faire là-dedans ? Une fois sur le terrain, le concept s’est toutefois révélé bien plus intéressant et polyvalent qu’on aurait pu le croire…
Jusqu’à aujourd’hui, Mondraker était une des rares marques du marché à ne compter que des VTT dans son catalogue. Même ses modèles étiquetés « Urbain », tous des e-bikes, sont basés sur des cadres de VTT et ne se différencient que par l’équipement.
Néanmoins, l’essor du gravel ces dernières années n’a pas échappé à la marque d’Alicante. Comment aurait-il pu en être autrement dans cette région de l’Espagne où petites routes sinueuses et pistes escarpées dessinent un terrain de jeu idéal pour cette pratique ?
La discipline ayant le vent en poupe tant d’un point de vue commercial que marketing, il était encore plus tentant de s’y essayer. D’autant plus que le segment est jeune, très divers, et qu’on peut y faire rentrer un peu ce qu’on veut pourvu que le cintre soit recourbé (et encore)… Il était donc tout à fait possible pour Mondraker de se lancer sur le sujet sans perdre de vue son identité, celle d’une marque « gravity » venue de la DH. Un peu à l’image de YT, qui présentait le Szepter il y a quelques mois.
C’est donc dans ce contexte qu’arrive le Dusty. Toutefois, le vélo cache une surprise de taille : un moteur ! L’ assistance électrique X20 de l’Allemand Mahle plus précisément, différente de celles qu’on connaît en VTT avec son moteur à la roue arrière. Pourquoi un moteur ? « Parce que c’est plus fun et plus polyvalent » nous a-t-on répondu, en admettant derrière que la porte n’était pas fermée pour un gravel sans assistance dans le futur. D’une certaine manière, on ne peut pas leur donner tort : on peut aller plus loin, plus vite, plus facilement et pour une pratique qui se veut tournée vers l’aventure c’est forcément intéressant.
Néanmoins, une assistance c’est aussi plus de poids et un comportement pas toujours naturel, qui peut entraver le pilotage et modifier complètement les sensations de pédalage. Évidemment, ce n’est pas du goût de Mondraker qui souhaitait concevoir un vélo en accord avec ses valeurs, sportivité et agressivité en tête.
Après avoir testé différentes options, la marque a donc opté pour l’assistance Mahle X20, composée d’une batterie de 350 Wh dans le tube diagonal et d’un moteur qui délivre 23 N m à la roue arrière soit « l’équivalent de 55 N m en moteur central » pour un poids total de 3,2 kg. Au-delà de cette fiche technique flatteuse, quasiment identique à celle du TQ HPR-50, sa particularité est bien sûr son moteur placé dans le moyeu de la roue arrière et non au niveau du boîtier de pédalier comme on en a l’habitude en VTT.
Sur le papier, cette conception a un avantage de taille : l’absence totale de frottements lorsqu’on dépasse la limite légale des 25 km/h ou lorsqu’on roule moteur éteint. Autrement dit, sans assistance, le Dusty doit offrir exactement les mêmes sensations de pédalage qu’un vélo sans assistance. Pour un gravel c’est particulièrement intéressant car on peut facilement dépasser les 25 km/h sur le plat pour peu que le revêtement soit assez roulant. Il n’y a alors rien de pire que de devoir se battre contre les engrenages d’un moteur qui ne sert plus à rien.
Cependant, elle a aussi un ou deux points faibles. D’abord, il n’est pas possible d’utiliser une autre roue arrière : le cadre dispose de pattes spécifiques conçues pour ce moteur/moyeu. Si on souhaite faire évoluer ses roues pour une raison ou une autre, on n’a pas d’autre choix que de faire relier une nouvelle jante au moyeu Mahle X20.
Ensuite, la répartition du poids est différente. Ici, tout n’est pas concentré au centre du vélo comme avec un moteur au pédalier mais réparti entre l’avant (batterie dans le tube diagonal) et l’arrière (moteur dans la roue). Alourdi à ses deux extrémités, le vélo devrait donc se montrer plus stable et moins joueur qu’un équivalent à moteur central. Avantage ou inconvénient, cela reste à définir et cela dépend aussi de la personne à qui on s’adresse.
Côté gestion, l’assistance Mahle propose 3 modes, ce qui est selon nous l’idéal. Trois modes, c’est simple, facile à gérer et on navigue facilement de l’un à l’autre sans se perdre. Leur comportement a été adapté aux spécificités du gravel et à la vision de Mondraker, portée comme on l’a déjà dit sur la sportivité. C’est ce que la marque appelle le réglage « Watts on demand », centré sur la progressivité de l’assistance et l’amplification naturelle de l’effort. « Un miroir du pédalage » a-t-on ainsi entendu pour qualifier ce comportement, plutôt qu’un moteur qui vient pousser son ou sa pilote. D’ailleurs, on notera que l’équipe de Mahle préfère parler en W/kg (« 1,5 à 3 W/kg en plus »), ce qui ramène le coup de pouce de l’assistance au poids du pilote, plutôt qu’en Watts ou en newton mètre qui caractérisent l’assistance indépendamment du reste.
Comme de coutume, une application est disponible pour suivre ses sorties et personnaliser le comportement de l’assistance. Baptisée My Smart Bike, elle propose 3 pré-réglages enregistrés (Eco, Urban et Sport) en plus de la cartographie par défaut définie par Mondraker et un onglet Lab où on peut faire ce qu’on veut. On le verra sur le terrain, cette liberté s’est révélée très intéressante et permet au Dusty d’offrir plusieurs visages. Notez qu’elle se distingue aussi par la possibilité de modifier les réglages du système en roulant, sans s’arrêter.
Enfin, Mahle propose aussi un Range Extender de 171 Wh pour 1,1 kg à glisser dans le porte-bidon. Honnêtement, vu l’autonomie impressionnante qu’offre déjà le système, il faudra sûrement dépasser les 100 km pour en avoir besoin.
Fin du chapitre électronique mais heureusement, ce n’est pas la seule chose qui fait du Dusty un vélo intéressant. Spécialiste des expérimentations en matière de géométrie depuis 2013 et le début de la réflexion autour du concept Forward Geometry, précurseur de ce qu’on trouve sur tous les VTT aujourd’hui, Mondraker s’est aussi amusé à repousser les limites de ce qu’on connaît en gravel.
Le Dusty offre ainsi un reach (très) long pour le segment : 393 mm en taille S, soit l’équivalent d’une taille M voire L sur un gravel plus classique. Il est accompagné par un angle de direction de 70°, donc couché pour la catégorie (la moyenne tourne plutôt entre 71° et 72°) et des bases qui se situent elles dans la moyenne (425 mm).
Côté construction, le cadre nu est annoncé à un peu moins de 1,3 kg. Pour un e-gravel qui se veut sportif, l’équipement est plutôt généreux ce qui montre que Mondraker n’est pas fermé à l’idée d’un usage plus polyvalent du Dusty. On trouve ainsi un support pour le montage d’un dérailleur avant, des inserts pour garde-boue et porte-bagages, un dégagement suffisant pour des pneus en 700×47… Sans grande surprise, les gaines et Durits passent en interne via le jeu de direction comme c’est la tendance aujourd’hui et sont ensuite guidés tout au long du tube diagonal. Une gamme de sacoches spécialement adaptées au cadre a également été développée, en partenariat avec le spécialiste Apidura.
Les formes sont plutôt simples tout en rappelant l’identité Mondraker, avec ces tubes droits parcourus d’arêtes marquées, mais à l’arrière, il y a tout de même quelque chose qui se distingue : ce décrochage si particulier des haubans avant de rejoindre le tube de selle. La forme peut rappeler les tout-suspendus de la marque et ce n’est certainement pas innocent mais cela a aussi un véritable intérêt technique, ainsi qu’on nous l’explique.
Il s’agit d’amener du confort sur l’arrière du vélo et de procurer une forme d’amortissement, sans les systèmes lourds et encombrants qui y sont habituellement associés. Avec le moteur qui alourdit la roue arrière c’est en effet une bonne idée, mais reste à voir si ce sera réellement efficace sur le terrain.
Au catalogue, ce Dusty se décline en trois modèles bien différents. Tout en haut, il y a le Dusty XR : 9999 € et une fourche RockShox Rudy XPLR en 40 mm, une tige de selle télescopique Rockshox Reverb XPLR, une cassette de Sram X01 de VTT en 10-52 et le dérailleur qui va avec (plateau de 40 dents à l’avant) ou encore des pneus Maxxis Rambler en 700×45. C’est le porte-étendard de la gamme mais aussi le modèle le plus exclusif et « dérangeant », celui qui fait tourner les têtes et qui interroge sur la limite avec le VTT. Il est annoncé à 13,8 kg.
En dessous, on a les Dusty RR (6299 €) et R (4999 €). Les « petits frères », à tous points de vue. On a ici une fourche rigide classique (dotée de trois inserts de chaque côté pour installer diverses charges) une tige de selle droite classique et des pneus en 700×40 tandis que la transmission est plus proche de ce qu’on a l’habitude de voir en gravel : Rival XPLR AXS avec cassette 10-44 pour le Dusty RR, Rival 1 en 11 pignons et cassette 10-42 pour le Dusty R et plateau de 40 dents dans les deux cas. Une fois n’est pas coutume, c’est le modèle le plus accessible qui est le plus léger puisque le Dusty R est donné pour 12,6 kg alors que le Dusty RR pointe à 13,1 kg.
Sur le terrain
Avec un reach aussi long, on grimpe sur une taille 54 (M) plutôt que 56 (L) comme on a l’habitude et à l’arrêt, ça surprend un peu : assis sur la selle, le vélo paraît plus court que beaucoup de gravel. En mouvement en revanche, ça se fait un peu plus oublier et on ne s’est jamais senti à l’étroit sur la machine.
« On ne fait pas de vélo loisir » nous avait glissé un représentant de la marque avant la présentation, comme pour nous donner le ton de la nouveauté qu’on s’apprêtait à découvrir. Dès les premiers tours de roues, cette phrase nous est revenue en tête : le Dusty ne demande qu’une chose, rouler vite !
C’est même surprenant pour un vélo doté d’une assistance électrique mais Mondraker n’avait pas menti sur la sportivité de sa machine. Même sur le premier mode d’assistance, le Dusty est déconcertant de facilité dans les pourcentages à deux chiffres et on prend naturellement un bon rythme. Mieux encore, le naturel du pédalage est parfaitement conservé et on ne se sent pas « privé » de sensations par la présence du moteur.
Ce caractère peut toutefois surprendre en passant sur les modes d’assistance supérieurs. En niveau 2 comme en niveau 3, les choses ne deviennent pas beaucoup plus faciles d’une simple pression sur le bouton de commande, parfaitement intégré au cintre et très agréable à utiliser soit dit en passant. Non, on dirait plutôt qu’ils démarrent à peu près de la même façon que le niveau 1 mais accompagnent plus loin l’effort du pilote. L’assistance est un peu plus présente mais c’est vraiment minime et c’est surtout son plafond qui est relevé.
C’est intéressant pour l’autonomie et le côté sportif de la machine mais ça peut aussi la rendre exigeante, notamment dans les plus gros pourcentages. Un exemple parlant : le parcours tracé par Mondraker à proximité de son siège d’Alicante empruntait un passage connu dans la région comme le « col Contador ». Une piste, assez peu caillouteuse mais de plus en plus raide avec un final à 22 % après plusieurs centaines de mètres déjà bien raides. Au guidon du Dusty et avec l’assistance au niveau 3, on avait l’impression d’être sur du 12-15 %. Autrement dit, le moteur Mahle facilite un peu la tâche mais il y a tout de même un bel effort à fournir.
Ça, c’est en configuration d’origine. Comme on l’expliquait plus haut, l’application My Smart Bike de Mahle permet de modifier facilement le comportement de l’assistance, et ce même en roulant, ce qui est plutôt rare. On a donc essayé d’augmenter un peu le support des niveaux 2 et 3… et ça a complètement transformé notre expérience avec le Dusty.
Avec nos ajustements, l’assistance offre un comportement beaucoup plus proche de ce qu’on a l’habitude sur un e-bike. On a gardé le niveau 1 sportif pour le plaisir et l’autonomie si besoin mais au-dessus, le niveau 2 est bien plus à l’aise dans la pente ou les sections à faible rendement et le niveau 3 « soulage » réellement l’effort dans les passages les plus difficiles. En d’autres termes, le vélo est devenu bien plus accessible à tout un chacun. Le côté naturel de l’assistance n’est pas affecté et le vélo offre toujours d’excellents sensations de pédalage, comparables à celles que procure le TQ HPR-50.
Les deux systèmes partagent aussi un certain talent pour la discrétion : on n’entend presque pas le Mahle, voire pas du tout quand on quitte l’asphalte, et la coupure à 25 km/h se fait en douceur. On sent qu’on perd le coup de pouce offert par l’assistance (déjà plus léger lorsqu’on approche de cette allure) mais il n’y a pas d’à-coups ou d’hésitation. Rouler plus vite sur le plat est tout à fait envisageable et couper le moteur également puisqu’il n’y a strictement aucun frottement indésirable, ainsi qu’on vous l’expliquait plus haut.
Ceci dit, pour avoir besoin de couper le moteur il faudra déjà prévoir de belles sorties. A l’issue de cette première sortie avec le Dusty le compteur affichait environ 50 km et 1500 m de dénivelé positif et… 41 % de batterie restant, pour un pilote de 65 kg. Les 30 premiers kilomètres ont été faits principalement en niveau 1 avec le système en configuration d’origine puis nous sommes passés sur notre programme personnalisé pour les 20 derniers km, avec beaucoup moins de gestion et de longues minutes en niveau 3 à pousser l’assistance au maximum de ses capacités sur des montées usantes à très mauvais rendement.
Côté châssis, c’est un peu la même chose : s’il est présenté comme un vélo pour pilote sportif voire agressif et un peu expérimenté de préférence, le Dusty se révèle également très intéressant pour les débutants. D’abord par son confort, impressionnant dans cette version XR. Avec la fourche télescopique et les pneus de 45 mm, l’avant survole à peu près tout ce qu’on lui présente sans se poser de question et l’arrière surprend par sa capacité à préserver le dos de son ou sa pilote.
La fixation si particulière des haubans sur le triangle avant semble réellement fonctionner et on peut affirmer sans l’ombre d’un doute que le Dusty est l’un des gravel les plus confortables qu’il nous ait été donné d’essayer. Et on pourrait encore améliorer les choses en réduisant la pression des pneus : on s’est arrêté à 2 bars par sécurité et pour éviter de toucher trop souvent la jante vu les capacités de la bête en descente (ce qui nous est tout de même arrivé quelques fois) mais un pilote à la conduite plus prudente pourra sans risque descendre plus bas.
Ces capacités en descente, parlons-en. Dans ce domaine, les performances du Dusty XR tiennent à la combinaison de 3 éléments : la géométrie inspirée du VTT, le grand confort et l’équilibre procuré par la répartition des masses. Avec le moteur à l’arrière, la batterie plus ou moins au centre et la fourche télescopique à l’avant, le Dusty XR est très homogène. L’inconvénient de la chose, c’est qu’il est moins joueur qu’un e-bike à moteur central mais l’avantage, c’est qu’il est extrêmement stable.
Rajoutez à cela à la liberté de mouvement offerte par la tige de selle télescopique et vous aurez, au choix, un vélo extrêmement sécurisant qui n’a pas peur d’aborder quelques singletracks ou une machine redoutable pour chasser le chrono sur piste. Petits pneus, dépassements en drifts à l’intérieur et pied sorti dans tous les virages, on se croirait de retour dans les années 1990 ! La géométrie fait vraiment son travail et vis-à-vis du « commun des gravel », l’effet est comme passer d’un VTT d’il y a 6 ans à un vélo d’aujourd’hui : on est plus à l’aise quand ça va vite, quand ça secoue ou quand il y a de la pente.
En revanche, on arrive vite aux limites des freins et des disques en 180 mm ne seraient pas de trop, au moins à l’avant par sécurité. Même chose sur les petites routes raides de la région, où l’on prend (très) facilement de la vitesse tant le vélo met en confiance.
Le lendemain, on eu l’occasion de faire quelques tours de roues au guidon du RR et son équipement plus classique. Sans surprise, on retrouve l’essentiel du XR, c’est-à-dire un vélo sécurisant, facile et naturel, sportif si on le souhaite, avec un caractère un peu plus sage en tout-terrain du fait de la fourche rigide mais surtout de la tige de selle fixe. Sur route en revanche, la fourche rigide le rend plus précis et plus incisif donc plus sportif, on a encore plus envie de rouler vite. Seule petite faute de goût à nos yeux, la taille des pneus : le passage à une section de 40 mm n’apporte rien et diminue le confort, alors qu’on perd déjà la fourche suspendue. Avec les pneus en 45 mm du XR, les Dusty R et RR ne seraient pas loin de la perfection, pour cette catégorie évidemment.
Verdict
Vous l’avez sûrement déjà compris à la lecture des lignes qui précèdent, le Dusty nous a séduits. Sous ses grands airs de machine marginale et exclusive, il s’est révélé bien plus polyvalent qu’on pouvait le penser. Vous voulez un gravel « augmenté », capable de vous emmener plus loin et plus vite sans vous priver d’aucune des sensations d’un gravel classique ? Il est né pour ça. Vous cherchez un e-bike confortable et docile pour vous balader sur de belles pistes et quelques petits singletracks à l’occasion ? Un petit ajustement sur le fonctionnement de l’assistance et c’est parti pour l’aventure. D’ailleurs, il peut sans mal remplacer un VTTAE tout-suspendu pour ce type d’usage… Ce Mondraker Dusty est décidément un drôle d’engin, à la croisée des mondes entre gravel et VTT, mais c’est précisément ce qui le rend si intéressant, et à son guidon on se délecte de ce plaisir si particulier (et coupable ?) de s’amuser autant sur ce vélo qui ne ressemble à nul autre.
Plus d’informations : mondraker.com
Photos Nacho Trued & Iván Marruecos / Mondraker