Test | Norco Sight C3 : un gros potentiel mal exploité
Par Léo Kervran -
Le Sight, c’est le vélo « all-mountain » de la marque canadienne Norco. Enfin, all-mountain… C’est un peu plus compliqué que cela. Pour 2020, il grandit et passe d’une petite plateforme polyvalente en 130/140 mm à quelque chose de plus massif et tourné vers la descente avec 150/160 mm de débattement. Nous avons passé plusieurs semaines sur le modèle C3, l’entrée de gamme en carbone affichée à 4699 €, pour mesurer l’importance de ces changements. Voici notre avis.
Relativement peu connue dans nos contrées, Norco est l’une des plus anciennes marques canadiennes de vélo puisqu’elle fut fondée en 1964, sous le nom de Norco Cycles Industries. Les premiers VTT arriveront 20 ans plus tard, suivis des premiers tous-suspendus 10 ans après, en 1994. Le Sight, né en 2013, fut l’un des deux premiers vélos en 27,5″ de la marque aux côtés du Range Killer B d’enduro. Le vélo a très rapidement connu un certain succès dans la presse comme aux mains des pratiquants, sans jamais quitter sa place d’all-mountain dans la gamme.
Cette nouvelle version évolue de manière sensible puisqu’en plus d’augmenter le débattement, Norco a complètement revu la géométrie du Sight pour l’inscrire dans la tendance actuelle, avec un angle de selle très droit combiné à un reach long et un angle de direction très couché. Cette « nouvelle » orientation, initiée par des précurseurs comme Nicolai puis Mondraker voilà des années, se répand de plus en plus et la plupart des grandes marques suivent elles aussi cette direction aujourd’hui.
Châssis
Le C3 est le premier modèle à disposer d’un cadre en carbone dans la famille Sight 2020. On devrait plutôt dire carbone/aluminium puisque le triangle arrière, basculeur compris, reste en aluminium sur tous les modèles jusqu’à la version haut de gamme C1. Comme de coutume chez Norco, tous les montages et toutes les tailles sont disponibles en 27,5″ ou 29″ (jusqu’à 2.6″ de large). C’est quelque chose de plus en plus rare aujourd’hui mais la marque canadienne a décidé de laisser le choix aux pratiquants, pour que chacun puisse avoir le vélo qui lui convient selon son pilotage, sa pratique…
Visuellement, le vélo reprend les lignes de son prédécesseur, que nous avions essayé en 2017. Ici, rien ne sort de l’ordinaire, on est sur du très classique mais tout le monde ne souhaite pas un vélo tape-à-l’œil. Cette discrétion est renforcée par la finition très sobre sur cette version, une peinture bleu-gris matte dénommée State Blue/Concrete.
Lorsqu’on s’approche un peu plus, on remarque néanmoins plusieurs petits détails intéressants qui montrent qu’on est bien sur un nouveau cadre et pas un simple « recyclage » de l’ancienne plateforme. On pense notamment aux trajets de gaines et de Durits, toujours en interne et non guidés dans le triangle avant, mais qui passent désormais au-dessus du boitier de pédalier plutôt qu’en dessous, là où ils étaient exposés aux chocs. Pour les maintenir en place, Norco a opté pour une solution connue mais toujours appréciée, avec des petits guides montés directement sur le point d’ancrage de l’amortisseur.
Autres nouveautés, un support d’outillage sur la face inférieure du tube supérieur et un protège-base séparé en plusieurs sections, dans l’optique de réduire les bruits de chaîne. Malheureusement, il est un peu court et ne protège pas parfaitement le cadre des impacts.
Suspensions
Côté suspensions, on est toujours sur une architecture de type 4 bar linkage, un système fiable et éprouvé très courant sur les tout-suspendus du trail à l’enduro. C’est d’ailleurs bien la seule chose que reprend ce nouveau Sight de l’ancien dans ce domaine puisque Norco a décidé d’augmenter son débattement de 20 mm !
Dans sa version 2020, le Sight affiche donc 150 mm de débattement à l’arrière et 160 mm à l’avant, des valeurs qui le placent à la porte du monde de l’enduro. Sur notre modèle, c’est Rock Shox qui s’occupe de gérer tout ça, avec une Lyrik Select (cartouche Charger RC) à l’avant et un SuperDeluxe Select+ à l’arrière.
Sur le papier, la suspension affiche des ratios assez élevés (de 3,22 en début de course à 2,62 en fin de course) et paraît plutôt linéaire, avec environ 18,5 % de progressivité. C’est moins que le nouveau Transition Sentinel par exemple, assez similaire dans sa conception mais qui affiche 25 % de progressivité. Traduit en termes terrain, cela signifie qu’on s’attend à avoir un vélo pas spécialement dynamique et plutôt posé, du genre à encaisser tout ce qu’on lui présente en gardant les roues au sol : avec un bras de levier important, la suspension devrait pouvoir se compresser facilement sous les actions du pilote et face aux obstacles.
Géométrie
La géométrie, c’est la clé de ce Norco, son principal élément caractéristique mais aussi celui qui est le plus à même d’attirer les critiques. Elle accompagne l’évolution du débattement et elle est particulièrement extrême pour un vélo censé faire partie de la catégorie des « all-mountain », en tout cas d’après la marque. C’est simple, le Sight est plus long et plus couché que le Range d’enduro !
Ce nouveau Sight ne partage plus grand-chose avec son prédécesseur, jugez plutôt : le reach augmente de 27 mm en taille L, l’angle de direction perd 3° pour atteindre 64° et le tube de selle se redresse d’autant (entre +2,8° et +4,3° selon la taille, pour être précis)… Seules les bases ne changent pas et restent sur des valeurs moyennes, de 430 mm en taille S à 445 mm en XL. Norco est une des rares marques à les adapter autant à la taille du vélo et c’est un bon point pour eux. Avec la variation importante de l’angle du tube de selle, cela permet de garder le centre de gravité du pilote toujours au même endroit sur le vélo d’une taille à l’autre et donc d’avoir un comportement similaire.
Le changement est donc de taille mais une fois tous les éléments mis en relation, cette nouvelle géométrie apparaît cohérente. Le tube de selle très droit permet d’avoir une bonne position au pédalage et de garder un peu de poids sur l’avant du vélo malgré le reach long et l’angle de direction à 64°. On apprécie aussi le tube de selle assez court, qui permet de monter une tige de selle télescopique à grand débattement.
Ces données sont aussi valables sur les modèles en 27,5″ puisque Norco a fait le choix de proposer la même géométrie – à quelques détails près – pour les deux tailles de roues. On retrouve donc le même reach, les mêmes bases ou encore le même angle de selle sur les versions « petites roues ». Les seuls éléments qui évoluent sont des adaptations liées au diamètre inférieur (angle de direction à 63,5°, offset de fourche plus court de 5 mm et douille de direction un peu plus longue) ou des éléments inhérents à cette réduction de taille, comme l’empattement un peu plus court ou le boîtier de pédalier plus bas de quelques millimètres.
Equipements
Avec son prix de 4699 €, le C3 est le modèle « d’entrée de gamme » pour les versions carbone du Sight et l’équipement est prévu en conséquence, avec des composants simples et solides mais pas forcément les plus performants. Pour la transmission, on retrouve ainsi du Sram SX Eagle, avec un plateau en 32 dents associé à une cassette 11-50.
Petite infidélité au duo Sram/Rock Shox sur le freinage avec des Shimano MT520, des freins 4 pistons hors séries classiques (SLX, Deore XT…) mais qu’on pourrait apparenter à une ancienne génération de Deore. C’est encore du Shimano sur le train roulant avec de vrais moyeux Deore pour le coup, associés à des jantes WTB en 29 mm de largeur interne. Des pneus Maxxis assurent la liaison au sol, avec le classique duo Minion DHF à l’avant et DHR II à l’arrière, tous deux en carcasse EXO.
Enfin, du côté des périphériques, c’est Norco qui fournit elle-même le poste de pilotage, avec une potence en 40 mm et un cintre de 800 mm de large au standard 35 mm. Les poignées sont les très fines et dures SDG Slater tandis que la tige de selle est une TranzX YSP-39JL (et non TransX comme indiqué sur la fiche technique), avec une course de 150, 170 ou 200 mm suivant la taille du vélo.
On ne vous cache pas que pour ce prix, on aurait aimé voir un peu mieux, au moins sur un poste en particulier (suspension, freins, transmission ou roues). Ici, rien ne se détache et certains éléments paraissent un peu hors programme, comme les pneus Maxxis en carcasse Exo, très souple et légère et pas vraiment à sa place sur un vélo avec une telle géométrie et autant de débattement. Comme vous pouvez le voir sur les photos, nous avons d’ailleurs essayé d’autres pneus sur le vélo (Hutchinson Griffus et Specialized Butcher notamment), pour mieux cerner le comportement de la plateforme, sans être limité par les gommes.
Versions et tarifs
En effet, on rappelle que notre Sight C3 est affiché à 4 699 €, ce qui représente déjà une belle somme. On n’achètera pas ce Norco pour son rapport qualité/prix. En France, la gamme Norco Sight est forte de 9 modèles, 4 en carbone plus un kit cadre et 4 en aluminium. Parmi ces derniers, on trouve une version femme, mais la différence avec les autres modèles est minime puisque seules la couleur et la selle changent.
Côté tarifs, il faudra donc compter entre 4 699 € et 9 999 € pour un montage complet en carbone, 3 399 € pour le cadre (avec amortisseur Fox Float X2) dans ce même matériau tandis que les versions en aluminium sont logiquement plus accessibles, avec des prix allant de 2 999 € à 4 699 €.
Le Norco Sight C3 sur le terrain
Notre modèle d’essai était en taille L, que Norco recommande pour des personnes entre 1m72 et 1m82. Il est passé entre les mains de deux testeurs, qui mesurent respectivement 1m79 et 1m83, et les deux se sont tout de suite très bien sentis sur le vélo. En revanche, on peut s’attendre à ce que la position soit un peu plus exigeante pour les personnes plus petites car le reach de 485 mm apparaît vraiment grand si vous mesurez autour de 1m72-73 (en général, on est plutôt autour de 440-450 mm pour cette taille en enduro).
Pour vous aider dans vos premiers réglages, la marque propose sur son site le Ride Aligned Setup Guide, un outil très complet qui vous indiquera vos pressions de pneus et de suspensions, les réglages de rebond ou encore le nombre de tokens à ajouter suivant le modèle précis de vélo, votre taille, votre poids, votre sexe et votre niveau de pilotage. Trop pressés d’aller rouler, nous n’avons découvert l’existence de ce guide qu’après le test et nous ne pouvons donc pas nous prononcer sur la justesse des recommandations mais les valeurs paraissent cohérentes pour une base de travail.
Au pédalage, la position est excellente avec ce tube de selle très droit et nous avons trouvé la selle confortable (même si c’est très personnel). Sur chemin roulant, le vélo ne pompe pas tant qu’on reste assis sur la selle et quand ça devient technique, la suspension dispose d’une adhérence à toute épreuve.
Son seul souci en montée c’est son poids. En effet, le Sight est lourd, très lourd dans cette version C3 malgré son triangle avant en carbone : plus de 15 kg en taille L. En soi, ce poids ne signifie pas grand-chose et pour un vélo d’enduro tout équipé et prêt à attaquer les spéciales, avec de gros pneus, des bons freins et des suspensions performantes, ce ne serait ni choquant ni dérangeant. Le problème, c’est que le Sight est censé être un vélo d’all-mountain et il est ici équipé de pneus biens légers par rapport à ses capacités, sans parler du reste de l’équipement.
Son comportement au pédalage nous rappelle le Transition Scout dont nous avons publié l’essai il y a quelques semaines : c’est un vélo qui vous emmènera en haut de n’importe quelle montagne, à condition de ne pas être pressé. Ce comportement s’explique aussi par un anti-squat relativement faible, 91 % à 30 % de sag. Tant qu’on est à allure constante, ça va, mais lorsqu’on essaye d’accélérer la suspension commence à pomper, même si on reste assis sur la selle. Une ode à la lenteur, d’une certaine façon… Après tout, on est si bien installé, pourquoi vouloir se hâter ?
Pour arriver plus vite au départ de la descente, pardi ! On s’en doutait vu la géométrie mais c’est quand la pente s’inverse que le Sight dévoile son vrai caractère : une machine à pente raide et sentiers défoncés. Le vélo reste stable en toute circonstance et avale les pires obstacles sans sourciller. Si le profil du chemin s’y prête, on pourra même sentir l’effet de l’inertie du train roulant qui vient pousser et faire accélérer le vélo.
En revanche, ne comptez pas sur lui pour prendre la voie des airs à chaque petit rocher ou racine. Entre son poids et sa suspension, le vélo est solidement rivé au sol et il faudra réussir le geste parfait à chaque bunny-up pour décoller, sans quoi vous vous retrouverez simplement à soulever votre roue avant tandis que la roue arrière encaissera l’obstacle en roulant.
C’est très amusant de tirer tout droit dans les sections les plus chaotiques qu’on connaisse mais tous les chemins ont des virages, et au bout d’un moment, il va bien falloir ralentir ou tourner et c’est là que les problèmes font leur apparition. D’abord ceux liés à la plateforme et à la géométrie : le Sight est un vélo plutôt long, avec un angle de direction très couché et un offset court. Encore maniable à basse vitesse, il devient sous-vireur dans les virages serrés quand on va un peu plus vite et il faut un pilotage assez actif pour ne pas se laisser embarquer et finir dans le décor en sortie de virage.
Ce comportement est renforcé par les spécificités du montage, avec l’inertie des roues et des freins vraiment justes lorsqu’on prend de la vitesse. Il faut donc freiner plus longtemps, ce qui dégrade l’efficacité de la suspension. En parallèle, la fourche manque de support et « mange » très rapidement une partie du débattement, ce qui complique encore les freinages lorsque le sentier n’est pas parfaitement lisse. De manière générale, le Sight C3 est donc un vélo assez peu accessible, qui se pilote sans difficulté au ralenti mais demande un certain niveau dès qu’on accélère un peu.
Enfin, on notera que le vélo est plutôt bruyant, entre les roues qui résonnent à chaque choc et le protège-base qui protège ce qu’il peut mais ne réduit absolument pas le bruit des impacts de la chaîne sur le cadre. On s’y fait mais il y a clairement quelque chose à revoir de ce côté, les longs pavés adoptés par Norco semblent bien moins efficaces que les petites lamelles choisies par beaucoup d’autres marques.
Verdict
Notre avis est assez mitigé sur ce Norco Sight C3. Sur le modèle en lui-même, le rapport qualité-prix ne fait pas rêver et pour le même tarif, on vous conseille plutôt de vous diriger vers la version haut de gamme en aluminium, le Sight A1. En soi, le châssis est bon et très moderne mais il est mal exploité dans cette version C3. En choisissant le modèle A1 (ou une version carbone plus haut de gamme), vous gagnerez des suspensions et des freins de très bon niveau, un train roulant plus adapté au programme du vélo et une transmission un peu plus en rapport avec le prix. De plus, il est bien possible que la pénalité de poids due à l’aluminium soit rattrapée par les composants plus haut de gamme. Sur la plateforme de manière générale, ce n’est pas vraiment l’idée qu’on se fait d’un all-mountain, bien moins que pour l’ancienne version. Si on passe outre le poids de ce montage, le Sight monte bien au train et excelle dans le technique mais sa géométrie le rend exigeant en descente, alors même qu’il affiche des capacités impressionnantes dans ce domaine. Pour nous, c’est un bon vélo d’enduro moderne, bien plus que le Range qui paraît très classique en comparaison ; un vélo qui se destine aux pilotes ayant un certain niveau et qui sauront en exploiter le potentiel.
Norco Sight C3
4 699 €
- Position à la montée
- Comportement dans la pente et le défoncé
- Tige de selle à grand débattement
- Poids
- Exigeant en virages
- Bruyant
- Pas d'intérêt par rapport au haut de gamme aluminium
- Freins trop justes par rapport aux capacités du vélo
Évaluation des testeurs
- Prix d'excellence
- Coup de coeur
- Rapport qualité / prix
Plus d’informations : norco.com