Test – Kross Moon Z2 : l’enduro polonais
Par Olivier Béart -
Kross n’est pas encore une marque très connue en Europe de l’Ouest. Mais, à l’Est et spécialement dans son pays d’origine, la Pologne, c’est un des leaders du marché. Elle a aussi des vues internationales et elle a recruté de grands noms pour son team XC avec notamment la star du pays, Maja Włoszczowska. Contrairement à ce que son nom et son team international pourraient laisser penser, il n’y a pas que des vélos de… cross dans sa gamme. La preuve avec le Moon de 150mm de débattement dont nous avons testé la version Z2 sur nos sentiers. Voici nos impressions sur cet enduro bien équipé proposé à 3299€.
Kross n’est pas encore très présent en Europe de l’Ouest, mais en Belgique notamment, la marque commence à faire son petit bout de chemin grâce au dynamisme de l’importateur qui sponsorise un des plus importants teams d’enduro en Belgique (team Kross Xtrem Gravity), ainsi que quelques coureurs en XC même si, dans le domaine, Kross est plutôt bien servi à l’international. Il n’est donc pas rare de croiser le Kross Moon sur les courses d’enduro noir-jaune-rouge, ce qui nous a donné envie de voir ce que l’engin vaut sur nos terrains de jeu dans cette version Z2 milieu de gamme en roues de 27,5 » (il était encore proposé en 26 » jusqu’à cette année).
Le look du Kross Moon est assez « brut de fonderie », même si les soudures de son cadre en aluminium superlite sont légèrement polies et si sa peinture satinée est originale et agréable à l’oeil, malgré quelques griffes et traces d’usure qui témoignent des nombreuses heures de roulage du modèle de test millésime 2015 qui nous a été confié. Par contre, au-delà de la cosmétique, la suspension n’a pris aucun jeu, ce qui est plutôt bon signe vu le nombre de roulements et d’axes de sa suspension RVS.
Analyse de la cinématique
La cinématique « Revo Virtual Suspension » est propre à la marque. Elle équipe le Kross Moon d’enduro avec 150mm de débattement, mais aussi le nouveau Soil Trail 120mm présenté cette année à l’Eurobike. Au niveau du type de cinématique, il s’agit d’un point de pivot virtuel. On retrouve deux biellettes assez courtes, et un triangle arrière en une seule pièce. La différence par rapport au VPP tel qu’on le connaît chez Santa Cruz et Intense notamment, c’est que la biellette supérieure est ici placée très en avant sur le cadre. Cela permet de dégager de la place pour positionner l’amortisseur le long du tube de selle, pratiquement à la verticale, en étant actionné par la biellette supérieure qui dessine une forme de « hache ».
L’évolution du ratio de la suspension est pratiquement linéaire sur les premiers 30% de la course de l’amortisseur, et devient ensuite progressif sur tout le reste de la course. On retrouve donc une suspension assez efficace dans la pente, ne rentrant pas trop facilement dans le débattement, mais avec un manque de sensibilité théorique en début de course à cause de cette portion linéaire.
Au niveau du pédalage, la cinématique a été optimisée autour d’une transmission à double plateau. On retrouve des valeurs d’anti-squat légèrement supérieures à 100% sur le grand plateau (38 dents), afin d’avoir un pédalage efficace sans toutefois se retrouver avec une suspension verrouillée, histoire que les relances à grande vitesse permettent toujours de laisser la suspension travailler. La tendance actuelle est plutôt de retrouver ce type de valeurs sur un plateau de 32, pour le montage en monoplateau, mais Kross préfère jouer la carte de la polyvalence. Lorsqu’on est sur le petit plateau, l’anti-pompage est par contre beaucoup plus prononcé, ce qui n’est pas un problème étant donné qu’il est utilisé uniquement pour les fortes côtes, où la suspension n’a pas besoin d’être très active.
Géométrie
Du côté de la géométrie, le Kross Moon est plutôt long et bas. Avec un reach de 436mm en taille M, on se situe par exemple entre la version classique du Canyon Strive et sa déclinaison Race dessinée par Fabien Barel, qu’on sait très amateur de cadres profonds. Autres exemples, c’est 11mm de plus qu’un Santa Cruz Bronson, mais c’est 8mm de moins que le nouveau Lapierre Zesty AM. Pour le stack, c’est un des vélos les plus bas et ramassés de la production actuelle, ce qui se voit du premier coup d’oeil vu la configuration des tubes. Quant à l’angle de direction, il est particulièrement couché avec 65,5°, soit 0,5° de moins qu’un Santa Cruz Bronson ou qu’un Canyon Strive Race, voire carrément 1° de moins que le Zesty. Restent les bases, assez longues pour un 27,5 » avec 440mm.
Equipements
Pour 3299€, on est plutôt bien servi sur cette version intermédiaire et on ne retrouve presque que des grandes marques, à commencer par Sram qui se taille la part du lion. Les suspensions sont confiées à RockShox avec une Pike RC en 160mm à l’avant et un amortisseur Monarch Plus RC3 qui rentre au chausse-pied.
On l’a dit, Kross a optimisé la cinématique du Moon pour le double plateau et c’est donc un Sram S1400 (manivelles alu) en 38/24 qu’on retrouve ici, couplé à une transmission Sram X9 en 10 vitesses. Pour le millésime 2016, on parle désormais de Kross Moon 2.0, affiché à 3499€ (soit 200€ d’augmentation) et qui est, comme son grand frère 3.0 haut de gamme, monté en mono-plateau avec dans ce cas du Sram GX 1×11 en plateau de 32 dents. Enfin, les freins viennent aussi de la même maison, avec les Sram Guide RS en disques de 180mm.
Pour le reste, c’est Easton qui est choisi pour le poste de pilotage, ou encore DT Swiss pour les roues et Schwalbe pour les pneus. Les plus attentifs auront sans doute remarqué que la roue arrière de notre vélo de test n’est pas conforme au catalogue. C’est exact et la raison est simple : nous avons été victime d’une casse de la roue-libre de la DT1900 Spline. Nous avons donc poursuivi avec une DT XR1501 plus haut de gamme et un (excellent) pneu WTB Vigilante qui équipe normalement la version haut de gamme. Comme vous voyez, on n’épargne pas le matériel chez Vojo et il est temps de passer au ressenti sur le terrain. Dernier détail (qui n’en est pas un) avant de monter en selle : nous avons pesé le vélo à 14,83kg. Malgré des équipements homogènes et bien adaptés au programme, ça commence à compter.
Kross Moon Z2 – le test terrain :
Assez rapidement, il est apparu que le Kross Moon est un vélo de paradoxes. Malgré sa géométrie carrément engagée que nous avons détaillée plus haut, le Moon donne l’impression d’être plus orienté all-mountain que vraiment enduro. En partant sur un SAG de 25% de la course de l’amortisseur, on se retrouve avec un vélo qui a tendance à rester très haut de l’arrière. C’est plutôt bien sur les portions roulantes et en côte, où on est épaté par l’absence vraiment totale de pompage.
Même debout sur les pédales en sprint, rien ne bouge, sans bloquer la suspension. Heureusement, d’ailleurs, qu’il ne faut pas trop jouer du levier bleu de l’amortisseur car il n’est pas facilement accessible et on a peur de se faire pincer les doigts lors d’un mouvement inattendu de la biellette lorsqu’on tente de l’atteindre. En plus, en fin de test, nous avons perdu le fameux levier sur le terrain, et ce n’est pas la première fois que cela nous arrive avec le Monarch Plus.
Malgré l’absence de mouvements de la suspension et la grande rigidité du cadre, les relances ne sont pas fulgurantes pour autant et le vélo n’aime pas spécialement rouler vite en côte. Quand on se rappelle de son poids, qui dépasse les 15kg une fois équipé de pédales, on se dit que ce n’est pas vraiment étonnant. Alors, tant qu’à faire, on va baisser la pression dans l’amortisseur et rouler avec un bon 35% de SAG pour avoir un peu de souplesse de l’arrière, histoire d’obtenir une position qui permet de vraiment attaquer en descente et de se sentir à l’aise dans le très pentu.
Là, petit miracle : la suspension ne pompe toujours pas dans les phases de pédalage, preuve d’une cinématique qui fait bien le job, mais on a enfin un peu de moelleux. Avant, on avait l’impression que la suspension considérait que les petits chocs n’étaient pas son affaire. Ici, ce n’est plus le cas et elle fonctionne particulièrement bien sur les impacts de moyenne importance. Le comportement global sur les spéciales rapides devient très intéressant, avec une suspension efficace.
Le souci avec autant de SAG, c’est qu’on perd une partie du débattement et l’arrière est vite dépassé dès qu’on s’envoie en l’air ou qu’arrivent des gros impacts où, soi dit en passant, la RockShox Pike talonne aussi très vite, mais cela a vite été réglé en lui ajoutant deux « tokens » pour limiter le volume de la chambre d’air et la rendre plus progressive. On se dit que l’amortisseur aurait sans doute eu besoin d’un traitement similaire (encore que, ce n’est pas nécessairement de tokens dont il aurait besoin, mais plutôt d’une chambre négative plus importante afin d’augmenter la sensibilité en début de course même avec 25% de SAG), mais on considère ici plus qu’il s’agit de la responsabilité de la marque de livrer directement le vélo avec un amortisseur au setting optimal. Nous n’avons pas eu l’occasion de tester le Moon 3.0 ou Z3, équipés d’un amortisseur Fox, mais dans le cas présent, le couple Monarch/suspension RVS mériterait quelques ajustements pour donner le meilleur de lui-même.
On l’a dit, la rigidité latérale du vélo est exemplaire, ce qui est un avantage dans les appuis, les relances en sortie de virage et les longues courbes… mais c’est aussi parfois un inconvénient. Sur sol gras par exemple ou quand l’humidité recouvre les racines et les pierriers, le vélo a tendance à balader le pilote de droite à gauche en rebondissant sur les obstacles plutot que de rester collé au sol et d’enrouler tout. Bref, niveau stabilité, ce n’est pas le meilleur malgré un empattement généreux et on est constamment obligé de se battre avec le vélo, dont le pilotage devient exigeant en certaines circonstances.
Malgré cela, le Kross Moon a d’autres atouts : on a parlé de son efficacité au pédalage, mais il y a aussi sa maniabilité qui est un de ses points forts. Vu son angle de direction, il faut faire preuve d’un peu de poigne à basse vitesse, mais dès que le rythme augmente, il se transforme en vrai vélo plaisir et on est vraiment bien positionné pour se faufiller entre les arbres et les rochers avec efficacité et précision. C’est d’ailleurs ce qu’on retient du vélo qui, malgré les réserves émises plus haut, reste une machine globalement agréable.
Au niveau des équipements, Le Kross Moon s’en sort bien avec des choix pertinents, que ce soit pour la tige de selle Reverb qui est toujours une référence, les freins Sram Guide faciles à doser et à la puissance inépuisable, la selle WTB très confortable, le poste de pilotage impeccable jusqu’aux grips, les pneus solides et parfaitement adaptés au programme (le WTB Vigilante, assez proche d’un Nobby Nic au niveau du dessin, nous a particulièrement surpris), ou encore les roues DT1900 au-dessus de tout reproche au niveau du comportement même si elles sont lourdes. Le remplacement par une XR1501 à l’arrière n’a d’ailleurs pas métamorphosé le vélo. Par contre, on n’oubliera pas que ce remplacement était la conséquence d’une casse de la roue-libre, problème paraît-il pas si rare que cela sur ce modèle, même si nous n’en avions jamais été victimes par le passé (et si nous roulons régulièrement les modèles supérieurs, X1700 et 1501, exempts de tout souci).
Au niveau de la transmission, même si l’analyse de la cinématique montre une optimisation pour le double et même si le petit plateau est parfois agréable en liaison, nous aurions préféré une transmission 1×11. Coup de bol, le Kross Moon 2.0 en version 2016 en est équipé ! On se demande ce que cela aura comme influence sur le comportement de la suspension, mais cela permettra sans aucun doute de limiter les déraillements dont nous avons été souvent victimes malgré la présence d’un anti-déraillement, ainsi que les limites de la cassette 10 vitesses 11/36 sur des spéciales abordées au rythme de course lors desquelles on ne se sert pas du dérailleur avant pour repasser sur le petit plateau.
Verdict
Kross ne se contente pas de reprendre un cadre asiatique et d’y apposer ses autocollants. La marque a une réelle démarche de conception et elle utilise une cinématique de suspension propre. La démarche mérite d’être soulignée et saluée ! Cela dit, l’avantage d’utiliser des solutions éprouvées… c’est justement qu’elles sont éprouvées. Ici, Kross ne semble pas encore avoir trouvé l’alchimie parfaite entre sa suspension RVS et l’amortisseur RockShox Monarch. C’est dommage car il est rare de trouver un enduro aussi peu sensible au pompage et sa géométrie engagée nous a séduits. L’amortisseur Fox qui équipe le Kross Moon Z3 haut de gamme est peut-être plus adapté, du moins à en croire les quelques possesseurs du vélo que nous avons pu interroger. Nous ne demandons qu’à vérifier et nous sommes aussi curieux d’essayer le petit frère du Moon, le Kross Soil en 120mm.
Plus d’infos : www.kross.pl/en/2016/enduro/moon-2-0
Equipements du pilote : short et maillot Mavic CrossMax Ltd, casque Specialized Ambush, genouillères Specialized Atlas et chaussures Shimano M200. Pour découvrir nos tests de ces vêtements, rendez-vous dans ce dossier spécialet sur cet article pour les chaussures Shimano.