Test : l’Epic World Cup met le feu !
Par Olivier Béart -
S’il y a bien un full qui incarne la compétition de XC, c’est lui : le Specialized Epic. Seul double suspendu vainqueur des Jeux Olympiques, champion du Monde, vainqueur au plus haut niveau tant en XC qu’en marathon, il se paie à présent le luxe d’être décliné dans une version encore plus extrême baptisée World Cup et destinée uniquement à un usage mono-plateau. Une bête de course, au sens le plus pur du terme, qui a bravé l’eau, la terre et le feu en notre compagnie pendant plus de 6 semaines. Verdict !
C’est ce fameux petit dernier de la bande que nous testons aujourd’hui dans sa version la plus « accessible », l’Expert World Cup, proposée à 5699€ tout de même, soit 200€ de plus que la version double plateau classique qui n’est pas moins bien équipée (en Shimano) mais qui n’a pas droit aux bases en carbone du World Cup. On l’a dit plus haut, l’idée de cette ultime variante de l’Epic est de proposer une machine sans concession. Partant du constat que les compétiteurs de haut niveau, dont ceux du team (Kulhavy, Sauser, Wells,…), roulent tous en 1×11, Specialized s’est permis le luxe de développer une version spécifique. Une fois le dérailleur avant aux oubliettes, de nouveaux horizons s’ouvrent avec des bases en carbone spécifiques qui peuvent être plus courtes : 439mm, soit 9mm de moins qu’un Epic « normal ». Et un score exceptionnel pour un 29 » ! Elles sont aussi body-buildées, au point de faire passer celles de la version classique pour de simples cure-dents. Les haubans en carbone restent le privilège du modèle S-Works, comme le cadre avec les fibres les plus légères « FACT 11M ». Mais pour le reste, l’ossature est identique à celle utilisée par les stars du team. Les bases ne sont pas la seule différence de la version World Cup, puisque le débattement est réduit à 95mm au lieu de 100 et les angles sont plus droits et donc plus agressifs: 74,25° au lieu de 73,75° pour le tube de selle et 71° devant au lieu de 70,5°. Bref, ce n’est pas vraiment un vélo pour aller chercher le pain (ou alors très vite), mais plutôt un athlète affûté façon Dieu du stade. Au niveau de la suspension, même si le débattement est réduit, le principe ne change pas. Rien d’étonnant, le système Brain est indissociable de l’Epic. La cinématique de suspension est l’inusable FSR de Specialized, soit un 4 Bar Linkage avec son fameux pivot Horst-Link placé sur les bases. Une suspension qui a de nombreux atouts avec une courbe qui ne présente presque que des avantages (sensibilité en début de course, bonne gestion de gros impacts avec plus de progressivité en finale,…) mais qui a comme inconvénient d’être plus sujette que d’autres au pompage. Specialized n’a eu de cesse de raffiner cette cinématique pour atténuer ce trait de caractère, mais pour en faire une vraie machine de course sans concession, il fallait trouver une astuce. Et ce fut le Brain, ce génial système de blocage automatique des suspensions, qui est expliqué très clairement dans cette vidéo : Cela ne se voit pas, mais pour 2015, 25g ont été gagnés sur le système Mini-Brain et les seuils de déclenchement et de ré-enclenchement sont encore plus sensibles et donc plus rapides qu’auparavant. L’amortisseur est également doté, depuis l’an dernier, du génial système Auto SAG qui permet de régler l’amortisseur à la pression recommandée en quelques gestes seulement sans risque de se tromper. Il suffit de gonfler à 300psi et d’actionner la petite valve rouge sur le côté qui va automatiquement éliminer l’air superflu pour votre poids (pour en savoir plus en video, rendez-vous ici) La fourche a aussi droit au système Brain. Ce n’est pas le cas sur les premiers montages de l’Epic, mais cela nous semble indispensable pour vraiment goûter aux saveurs de l’engin. Surtout quand il s’agit, comme ici, d’une RockShox SID, véritable référence en XC, qui est « customisée » à la mode Specialized. Comme le système Brain doit se situer au plus près de l’axe de roue, le réglage du rebond migre sur le dessus de la fourche, alors que la molette d’ajustement du seuil de déclenchement du Brain est située en bas. On ne peut que se réjouir de la très vaste plage de réglage du Brain au niveau de la fourche. Au début, on se demande à qui peuvent servir ces dizaines de crans, mais sur le terrain, on se rend vite compte que ce n’est pas un gadget et, au fil des kilomètres, cran par cran, on finit par trouver LE compromis idéal pour son poids et sa pratique; celui où la fourche est sensible mais ne pompe pas, même en danseuse. On en vient presque à regretter que l’arrière ne compte « que » 5 clics et ne permette donc pas autant de finesse même si, nous le verrons, on parvient aussi à trouver un réglage plus que convaincant. Pour le reste, l’équipement de l’Expert World Cup est assez fourni et « ready to race ». Au niveau de la transmission, vu que Shimano ne dispose encore que du très cher XTR en 1×11, c’est évidemment vers Sram que Specialized s’est tourné pour équiper ce modèle dédié au mono-plateau. On retrouve un « vrai » groupe complet XO1, y compris la cassette qui n’a pas été piochée un cran en-dessous, et les manivelles en carbone (avec plateau de 32 dents), ce qui est très important pour le poids. Et si le poste de pilotage reste en alu, comme la tige de selle,ce qui peut paraître un peu mesquin à ce prix, on a droit à un (gros) lot de consolation avec les roues Roval Control Carbon. Ce n’est pas le haut de gamme SL, mais c’est un excellent choix de la part de Specialized. Car, à défaut de battre des records de poids (1580g, soit 200g de plus que les SL) elles offrent une rigidité et un répondant qui collent à merveille aux qualités de l’Epic. Elles ont aussi une largeur interne de 22mm qui permet aux pneus de développer pleinement leur ballon et d’offrir le meilleur en terme d’accroche latérale. C’est le cas notamment avec les Fast Track 2.0, très légers (560g en version Control renforcée) et qui ne font pas mentir leur nom avec leur rendement de haut vol. Mais il n’y a pas de miracles: si, à l’arrière, on peut le garder toute l’année dans une optique performance, à l’avant cela devient vite du rodéo quand le terrain est gras et humide. Etre au guidon d’un vélo appelé « World Cup » ne transforme hélas pas en top pilote même quand on a de l’expérience. Dans une optique de polyvalence, nous avons donc monté un Ground Control à l’avant et nous avons tout de suite mieux pu profiter de l’Epic durant ce début d’hiver plutôt mouillé. Il reste quelques détails que nous ne pouvions pas manquer avant d’aller rouler : l’Epic est livré avec d’excellente poignées en silicone, d’inspiration ESI Grips. C’est léger, d’un confort royal, ça améliore la prise en mains du cintre et ça ne tourne pas,… Bref, on adore, même si les extrémités sont fragiles. On ne peut qu’apprécier aussi d’avoir un poste de pilotage aussi dégagé, avec seulement un câble et deux durits. Venant de l’Orbea Oiz testé un peu plus tôt, le contraste est frappant ! Le cadre est également bien protégé d’origine par un film adhésif solide et discret placé aux endroits sensibles. Nous avons aussi usé et abusé du multi-outil SWAT intégré au cadre, juste devant l’amortisseur. Encore une fois, Specialized innove avec des détails qui, à l’usage, se révèlent vite complètement indispensables. Si nous l’avons surtout utilisé pour des réglages et ajustements normaux, il nous a aussi hélas servi pour régler un petit souci de passage des vitesses qui s’est présenté à deux reprises: la gaine de dérailleur arrière a tendance à bouger entre le boîtier de pédalier et le triangle arrière, sous l’effet des mouvements de suspension, ce qui peut dérégler légèrement les vitesses. Il suffit de repositionner le tout à la main, mais cela nous a valu deux séances de réglages inutiles du dérailleur avant de comprendre qu’il n’était pas en cause. A revoir. Le boîtier PF30 Sram a aussi montré quelques signes de faiblesse et semble avoir bu la tasse. Un remplacement rapide par un modèle plus résistant sera donc à prévoir rapidement. Chris King, Reset Racing, Hope,… les alternatives ne manquent pas et nous ne ferons pas le procès du PressFit 30 qui a bien des avantages. Avant que l’athlète ne quitte la piste synthétique pour aller se frotter à la dure réalité des sentiers tour à tour gelés et détrempés, signalons que le champion a aussi brillamment passé la pesée, avec seulement 10,46kg vérifié sans pédales mais avec le multi-outil SWAT et le porte-bidon. À noter aussi que dès à présent, Specialized garantit ses cadres vie (pour le premier propriétaire). Vous croyez connaître l’Epic ? Il a bien changé ! La toute première qualité qui impressionne sur l’Epic, c’est son rendement. Cela fait un peu tarte à la crème de le dire, mais chaque fois c’est cette sensation qui prédomine. Et sur le World Cup, elle semble encore plus marquée. Vous me direz que ce n’est pas très recommandé mais si on accélérait les yeux bandés avec un hardtail et cet Epic, pas sûr que la différence serait évidente. Evidemment, il y a le Brain qui bloque les suspensions. Mais sur cette version, les bases courtes et gonflées rajoutent encore un petit quelque chose que nous ne nous rappelons pas avoir ressenti quand, l’an dernier, nous avons roulé plusieurs semaines avec la version Comp Carbon dotée d’un arrière en aluminium. L’Epic World Cup incite clairement à un pilotage agressif, fait de relances en danseuse, de coups de jarrets tranchants et de gestes précis des bras pour placer le vélo à chaque corde. Mais, même si la position est clairement typée course, elle n’est pas inconfortable pour autant. C’est un peu comme une Porsche GT3 : reine des chronos, hyper précise, légère, mais malgré tout utilisable au quotidien. La toute dernière évolution de la suspension est très subtile mais avant même que Specialized ne nous explique qu’il y avait eu évolution, nous avions bien senti que le Brain de ce millésime était encore un petit peu plus finement ajusté que par le passé. La fameuse sensation « pneu crevé » quand le système se débloque a (presque) complètement disparu et la transition ouvert/fermé se fait aujourd’hui de façon (presque) insensible. Le grip en côte s’en trouve aussi amélioré, dans la mesure où la suspension ne se bloque plus complètement, mais est plutôt dans un mode où la compression lente est très freinée. C’est un signe : bien qu’étant habitués à des vélos plus souples et avec nettement plus de débattement, nous avons cette fois roulé l’Epic avec le Brain réglé dans la position la plus ferme à l’arrière car on peut aujourd’hui profiter pleinement de ce réglage extrême sans en subir les conséquences. Comme dit plus haut, on aurait toutefois aimé pouvoir jouer encore un peu plus finement avec cette molette, comme avec celle de la fourche. Une SID en toute grande forme sur notre modèle de test, et dont l’amortissement comme le tarage du Brain sont en accord parfait avec l’arrière. On l’avait aperçu avec la position, mais cela se confirme quand on se lance sur de plus longues sorties à son guidon, l’Epic World Cup est un dur au coeur tendre. C’est une de ses grandes forces : quand vous avez une baisse de régime, il n’est pas comme certains semi-rigides qui continuent de vous enfoncer à chaque choc. Lui, il les adoucit, les arrondit, et vous facilite la tâche. Comme un vrai full, XC ou pas. L’Epic est-il confortable ? On ose dire que oui ! Du moins à sa manière. Il ne faut pas absolument rouler vite pour profiter de ses suspensions, mais c’est clair que plus on file, plus il est à l’aise et plus ses qualités se révèlent. On sent que, fort logiquement, ce n’est pas pour randonner paisiblement qu’il a été développé. Mais pour se souvenir de la version 26 pouces, on se dit que les grandes roues lui vont vraiment à merveille, justement pour pallier le manque de sensibilité du Brain sur les tout petits impacts. Une version 650b de ce châssis serait d’ailleurs, à nos yeux, complètement superflue. C’est d’autant plus vrai que l’Epic est et reste un des vélos de XC les plus amusants à piloter de toute la production actuelle. Emmenez-le sur un circuit de XC contemporain, ou même sur un champ de bosses et vous verrez. Il n’attend qu’une chose : s’envoyer en l’air ! Ah, ces bases courtes ! On tire à peine sur le guidon, le vélo se cabre et décolle avec style et assurance. C’est d’autant plus facile que les suspensions, bloquées, ne mangent aucune énergie lors de l’impulsion. Mais l’équilibre global reste intact et, dans les côtes raides, on ne sent par contre jamais la roue avant quitter le sol. Retour en descente avec des virages relevés ? Un vrai bobsleigh qui vire sur un rail. La vitesse s’accélère ? Il y a des pierres au sol ? De plus en plus grosses ? Aucun souci non plus, le Brain laisse bien les suspensions jouer leur rôle. Les 5mm de débattement rabotés par rapport au modèle classique ne se sentent absolument pas et l’Epic fait même preuve d’une réelle onctuosité et d’une capacité assez intéressante à avaler les gros impacts. Bien sûr, il pardonne peu et il demande un pilotage assuré pour ne pas se faire balader. Mais si on sait lui tenir fermement la bride, ce n’est que du bonheur. Le cintre plat de 700mm et les grips silicone apportent aussi leur petite pierre à l’édifice, comme les freins Magura MTS. Malgré un disque de 160mm à l’avant, ça freine vraiment très fort tout en restant dosable. Le toucher des leviers est juste un poil moins agréable que les MT8 carbone que nous avons testés récemment, mais c’est du détail. Enfin, n’oublions pas les roues, qui nous ont une fois de plus séduit par leur comportement tout à fait en rapport avec celui de l’Epic malgré un léger embonpoint qui s’oublie complètement quand on roule. Et ce mono-plateau finalement ? Eh bien, aussi étonnant que cela puisse paraître, on l’avait presque oublié celui-là ! C’est peut-être finalement le plus beau compliment qu’on peut lui faire, non ? Le vélo a été testé sur des terrains vallonnés, mais pas en montagne, ce qui explique sans doute en partie cela. Mais même pour des sorties où nous avons accumulé plus de 1500m de d+ en 40km (si, si, c’est possible en Belgique !), nous ne nous sommes jamais sentis handicapés par l’absence de dérailleur avant. Perd-t-on en polyvalence ? Oui, certainement. Mais en pratique, on se rend vite compte que c’est bien moins que ce qu’on pouvait imaginer. Surtout qu’on peut monter sans souci un plateau de 30 dents si on doit affronter des reliefs plus importants ou de très longues distances. Mais pour des parcours faits de répétitions d’ascensions pas trop longues et même pour des sorties de plusieurs heures, nul besoin d’être au niveau du top mondial pour en profiter ! Par le passé, alors que nous avions testé l’Epic pour d’autres médias, il nous est arrivé d’être très critique car le modèle s’est parfois cherché, notamment au niveau des suspensions et du calibrage du Brain. Mais, comme le très bon vin, il s’est bonifié en vieillissant. L’eau, la terre et même les airs : rien ne lui fait peur et il met littéralement le feu aux sentiers, encore plus dans cette version World Cup atypique, unique dans la production actuelle, qui rend l’Epic plus savoureux que jamais. C’est quand on voit ce genre d’évolutions autorisées par la suppression du dérailleur avant qu’on se réjouit du développement de plus en plus important des transmissions mono-plateau ! Tiens, on veut même bien prendre les paris que dans quelques années, l’Epic World Cup pourrait devenir l’Epic tout court, à la façon du 29 » qui a enterré le 26 » dans un passé très récent. Plus d’infos, géométrie et détails du montage : www.specialized.com/epic-expert-carbon-world-cup-29Specialized… pas si spécialisé