Rencontre | Malène Degn : une sirène dans l’arène de l’élite

Par Olivier Béart -

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Rencontre | Malène Degn : une sirène dans l’arène de l’élite
Malène Degn n’est pas encore tout à fait une star dans le petit monde du XC féminin. Sans doute est-ce dû à son jeune âge et au fait qu’elle courait encore chez les moins de 23 ans l’an dernier. Mais depuis les Courtney, Rissveds, Neff et Ferrand-Prevot, on sait que dans le domaine, la valeur n’attend pas forcément le nombre des années. Danoise d’origine, habitant en Espagne et partageant la vie d’un célèbre descendeur français, Loïc Bruni, Malène est une personnalité que beaucoup dans le milieu nous avaient décrite comme attachante et intéressante. Sans compter qu’elle vient de rejoindre l’équipe française KMC-Ekoi-Orbea, en pleine internationalisation. Nous sommes donc partis à sa rencontre, chez elle, dans un petit village au nord de Barcelone.

Mais oui, c’est un peu comme la Belgique ! Quand on ne connaît pas, on s’imagine que c’est tout plat et que donc on ne peut pas y faire du VTT, mais c’est faux. Le VTT, ce n’est pas que du vélo de montagne ! A deux pas de Copenhague, on a beaucoup de collines et d’immenses forêts. De chez mes parents, je peux faire 4h de VTT sans jamais sortir des bois. On ne peut pas y rouler en DH ou en enduro, mais moi qui ai eu la chance de voyager un peu, je trouve toujours que c’est un des plus beaux endroits au monde pour le XC. Nous avons aussi la chance d’avoir plein de trails spécialement aménagés et très bien entretenus par les « Copenhagen Trail Builders ». Ce sont des enchaînements de petites montées de 30s/1min et de petites descentes. En fait, quoi que tu fasses par chez nous, tu fais des intervalles ! C’est peut-être pour cela qu’on a pas mal de bons crosseurs danois !

Toi, comment as-tu commencé ?

Avec mon papa. Au départ, ce n’était pas une passion spécifique pour le vélo et j’ai commencé tard, vers 10 ans. En fait, c’était surtout pour me rapprocher de lui. Je commençais à me rendre compte qu’on ne passait pas beaucoup de temps ensemble. Alors je me suis intéressée à son sport favori… et ça m’a plu ! Par contre, c’était vraiment une pratique loisir.
 

Et la compétition, ça a commencé comment ?

Mal ! (rires) Je ne vais pas te raconter une histoire comme plein de champions qui ont une sorte de don et qui semblent tous avoir commencé à faire tourner le compteur de victoires à leur première course. Bon, j’ai terminé sur le podium… mais nous n’étions que 4 filles et une a abandonné. Donc, en fait, pour être honnête, il faut dire que j’ai terminé dernière. 

Cela ne t’a pas dégoûtée ?

Non, pas du tout ! J’ai bien aimé… et cette belle dernière place m’a motivée à m’entraîner pour l’année suivante afin de voir ce dont j’étais réellement capable. Là, ça a marché, j’ai commencé à gagner et aussi, à 17 ans, j’ai terminé 2e des UE Youth Games, ce qui était un de mes premiers vrais résultats internationaux.

La suite, on la connaît : tu t’es positionnée comme une des filles les plus régulières au top de la catégorie des moins de 23 ans en coupe du monde. Par contre, tu as dû attendre 2018, ta dernière année dans la catégorie, pour gagner une manche…

Oui, je suis quelqu’un qui a plus une progression régulière, une bosseuse. Et jusqu’à présent, j’arrive plutôt bien à atteindre mes objectifs, même si cela met parfois un peu de temps. 

C’est justement pour mieux te préparer que tu es venue habiter ici en Espagne ?

Oui, mais aussi pour habiter avec Loïc (Bruni, son compagnon, NDLR). On sort ensemble depuis 3 ans, on voulait passer ce cap. On cherchait un endroit calme, proche des trails, avec une bonne météo, pas trop loin d’une grande ville et d’un aéroport pour faciliter les déplacements. Finalement, on a trouvé dans une petite ville au nord de Barcelone. Le nom ne dira rien à personne, mais on a Tomi Misser, Andreu Lacondeguy et d’autres bons riders espagnols comme voisins. Les routes sont top, il y a de belles traces XC, tout ce que Loïc veut en DH, et on a aussi trouvé très facilement des gens compétents et très impliqués pour nous entourer. Je pense à un kiné, à des compagnons de sortie pour rendre certains entraînements moins pénibles et/ou plus efficaces. Ils sont fiers de nous accueillir chez eux et dans leur région, c’est très agréable.

Tu retournes encore souvent au Danemark ?

J’y retourne, oui. Souvent, non. Disons que maintenant, j’y vais en vacances. Mes parents m’ont toujours soutenue, et le VTT nous a vraiment soudés, car comme j’étais souvent partie, quand j’étais à la maison, c’était juste pour de bons moments. Ce n’est pas comme ces parents et ados qui, à force d’être tout le temps ensemble, se bouffent le nez en permanence. Je n’ai pas vécu cela, je ne me suis jamais sentie oppressée par mes parents. Mais aujourd’hui, ça continue un peu comme cela : on se voit peu, mais quand on se voit, c’est très qualitatif. c’est notre façon de fonctionner. Par contre, avec Loïc, on avait vraiment envie d’avoir un petit chez-nous. L’hiver, au lieu de partir tout le temps en stage à gauche à droite, on a choisi d’habiter où les autres viennent habituellement se préparer.  On fait nos training camps… à la maison. Quand on rentre de l’entraînement, on est chez nous, pas à glander dans un hôtel.

Nouveau team, nouveau départ

Partir en Espagne, c’est un changement important, mais il y en a un autre : tu as changé de team pour rejoindre l’équipe KMC-Ekoi-Orbea. Bon, d’accord, l’équipe s’internationalise de plus en plus, mais après le petit copain français, le team français…

Haha, oui, c’est vrai que la France envahit ma vie de plus en plus ! En fait, oui, c’est vrai que j’aime bien la façon d’être des Français, assez directs mais chaleureux, pas toujours à l’heure – et ce n’est pas un drame si on a un peu de retard,… ça me va bien.

Plus sérieusement, qu’est-ce qui t’a poussée à changer ?

J’ai vécu deux très belles saisons avec Ghost. L’an dernier, j’ai fait de bons résultats et cela m’a ouvert des portes. J’ai reçu plusieurs belles offres. Je n’avais rien à reprocher à mon équipe, mais cela m’a simplement rendue curieuse. J’ai senti que je devais aller voir ailleurs, d’autres façons de travailler, de fonctionner, rencontrer de nouvelles personnes pour progresser. Puis, je voulais aussi un bon tout suspendu !

Comment as-tu fait ton choix ?

Sur le relationnel. J’ai vraiment eu un bon feeling avec Michel (Hutsebaut) et Pierre (Lebreton) qui dirigent l’équipe. On a parlé, j’ai aimé leur vision, le projet d’internationalisation du team, la mixité (nous n’étions que des filles chez Ghost). Je ne connaissais pas vraiment le team avant d’y rentrer, mais je les suivais et je sentais que c’était une des équipes où je pourrais me sentir bien. On n’a pas encore passé beaucoup de temps tous ensemble, mais la visite de l’usine Orbea et la première coupe de France à Marseille ont été de très bons moments.  

Le team a changé ta façon de travailler ?

Non, pas fondamentalement. Ils savent que chaque athlète a sa façon de fonctionner, de travailler, et qu’il faut le respecter. Par contre, j’ai senti que Pierre était quelqu’un avec qui on allait bien pouvoir échanger pour fixer les bons objectifs, recadrer en cours de saison si besoin. Au quotidien, il n’y a pas grand-chose qui change mais sur les grandes orientations, le feeling, là, je sens qu’on va bien bosser avec la nouvelle équipe. L’objectif est clairement de viser non pas juste la qualif pour les JO en 2020, mais de pouvoir y jouer un rôle. L’équipe m’a aussi bien aidée sur le plan technique pour que la transition vers le nouveau vélo, mon premier full, se passe pour le mieux.

Justement, parlons un peu matos. Tu roules maintenant sur l’Orbea Oiz… mais tu ne vas pas me dire que c’est ton premier full ?

Eh bien si ! J’ai déjà roulé sur un full d’enduro bien sûr, mais en XC, oui, c’est mon tout premier ! Je suis heureuse, parce que c’est comme je l’imaginais : pas de vraie perte en rendement, mais du grip, de la vitesse, moins de fatigue en descente. Je me suis habituée si vite que cela a été super dur de retourner sur le hardtail en vue de la première manche à Albstadt (Allemagne), où cela aura encore moins de sens qu’avant de rouler en full. Mais c’est une exception sur le calendrier. 

Au niveau de la transition de ton vélo précédent à celui-ci, qu’est-ce que tu as changé ?

Au niveau de la position, la selle est un peu plus en avant, le buste un poil plus allongé. Puis, il y a aussi les suspensions. Avant, je ne m’en occupais pas trop car il n’y avait que la fourche, mais là, je me suis beaucoup plus impliquée. J’ai eu le support de Fox, on a fait des journées de test et je sens le résultat. 

En route vers l’Elite

Comme s’il n’y avait pas encore assez de changements, tu passes aussi dans la catégorie Elite cette année ! Quelles sont tes attentes ?

L’an dernier, j’ai eu une très bonne saison chez les U23. Donc j’ai revu mes ambitions à la hausse. J’ai la conviction que je peux faire partie du top en Elite. Mais je le dis avec beaucoup d’humilité, car je sais que le niveau est très élevé et que cela peut aller très vite ou au contraire prendre plus de temps, comme toutes les bonnes choses. Je suis ambitieuse mais aussi réaliste. Je pense que c’est la meilleure façon d’avoir de bonnes surprises. Même si je sens et si je sais que je suis plus forte que jamais à l’aube de cette nouvelle saison. 

Il y a peu de trophées sur les étagères chez Malène et Loïc. C’est un choix. Mais le premier en Elite de la jeune bikeuse trône tout de même en bonne place.

Tu as déjà fait deux deuxièmes places sur tes premières courses de préparation en Elite, c’est encourageant.

Oui, mais cela ne veut pas tout dire. Tout le monde n’est pas là sur ces courses et aussi, je dois apprendre beaucoup de choses sur le peloton Elite : à côté de qui est-ce mieux de se placer au départ – car certaines sont plus dangereuses et d’autres bien plus prévisibles et safe pour rouler côte à côte dans la cohue, etc.

Concrètement, les premières coupes du monde, tu vas les aborder comment ?

Ce que je voudrais de moi-même, c’est réussir une bonne course à Albstadt, « être dans le coup », pour apprendre un maximum et avoir un résultat motivant. Puis réussir à m’améliorer dès Nove Mesto, sur la base de ce que j’aurai déjà appris, et ainsi de suite. J’ai envie de sentir un développement en cours d’année, une vraie progression. Tokyo, c’est l’an prochain, je dois apprendre vite !

Tu n’es pas seule pour les Jeux, il y a bien sûr Annika Langvad, mais ta place est assurée ?

Rien n’est jamais sûr mais nous avons deux places en ce moment. Annika est incontournable et je suis juste derrière. Il y a aussi Caroline en U23 qui pousse fort. 

Le succès rapide de Kate Courtney, championne du monde dès sa première année en Elite, ça te donne des idées ?

Oui, forcément, ça fait rêver. Je n’étais pas loin d’elle en U23. J’ai un peu deux sentiments : d’un côté, c’est incroyable ce qu’elle a fait et, par définition, l’exceptionnel ne se reproduit pas facilement. Mais d’un autre côté, elle a montré que c’était possible pour des jeunes de directement peser chez les Elites, comme Jolanda, Pauline, Jenny et d’autres. À nouveau, je monte en Elite humblement mais sans complexes.

Malène, côté femme

L’égalité hommes/femmes est vraiment un sujet d’actualité. Comment vois-tu le sport cycliste à ce niveau ?

Je pense que nous ne sommes pas mal loties du tout. Il y a eu de bonnes évolutions ces dernières années. Les primes sont les mêmes, la diffusion par RedBull est de la même qualité que pour les hommes et en live aussi. J’ai même entendu dire qu’en 2018, les audiences des filles ont dépassé celles des hommes ! Au niveau des marques aussi, on sent de plus en plus d’implication auprès des filles, et pas pour proposer des vélos roses, mais pour nous soutenir comme athlètes de haut niveau, pour proposer des produits réellement adaptés, etc.

Et dans le grand public, tu vois un changement ? Cela reste quand même fort un «  sport de mecs » …

Oui, mais tu vois, ma première course où j’ai fait 3e et dernière il y a 7/8 ans, eh bien, maintenant, il y a 20 filles au départ. Les clubs au Danemark font beaucoup pour le côté social, le contact avec la nature. Et garçons ou filles, cela ne change rien. Le vélo est un sport très apprécié au Danemark, sans différence de sexe, du moins chez les jeunes. Après, ici, en Espagne, c’est encore un peu différent. Quand je rattrape un gars en côte ou dans un single, je sens que c’est dur de se faire doubler par une nana, même si elle roule en coupe du monde et que lui est un amateur, qui n’a logiquement pas les mêmes possibilités que moi pour s’entraîner.

Et Loïc, tu me disais quand on roulait ensemble que ça t’énervait un peu quand les gens te disaient « Ah! c’est pratique d’avoir le champion du monde de DH comme petit copain, il peut t’apprendre à descendre »…

Oui, en fait, je crois que Loïc peut presque tout m’apprendre, sauf ça ! Il a un tel niveau, une telle vitesse, que c’est à des années-lumière de ce dont j’ai besoin pour le XC. Puis, il sait comment aller vite, lui, mais ce n’est pas pour cela qu’il sait vraiment l’expliquer. En fait, on roule parfois ensemble, mais c’est plus pour se donner des points de rencontre, rouler au même moment, mais vraiment roue dans roue, c’est rare.

Qu’est-ce que tu sens qu’il t’apporte, Loïc ?

Il me rend relax, plus humaine, il me fait sortir de ma bulle d’athlète tout en comprenant que parfois, je dois la garder. C’est mon équilibre.

C’est aussi un athlète de haut niveau, ça vous aide mutuellement à vous comprendre ?

Oui, c’est vraiment cela. Etre cycliste, ce n’est pas une vie ennuyante, mais c’est 24h/24 et 7j/7. On réfléchit toujours à bien dormir, bien manger, quand aller rouler, etc. Si on n’est pas avec quelqu’un qui est dans le même trip, cela peut être difficile à comprendre. Par exemple, la semaine avant une coupe du monde, il va comprendre que je sois un peu bizarre, excitée. Parce que lui aussi, il connaît cela !

Et toi, qu’est-ce que tu penses lui apporter ?

Il faudrait lui demander… mais je pense quand même que je lui ai appris quelques trucs au niveau de l’entraînement. Je suis vraiment une « Nerd » de l’analyse des données. Avant, il sortait souvent sans son Garmin, mais plus maintenant ! Il a même un capteur de puissance !

Deux stars du VTT ensemble, ce n’est pas les Kardashian, mais ce n’est pas trop dur de passer inaperçus ?

Non, franchement, le VTT pour cela, c’est relax ! On est reconnus sur les courses, mais pas en dehors, ou c’est très rare. Et c’est tant mieux. 

Même quand, comme aujourd’hui, on expose tous beaucoup de notre vie sur les réseaux sociaux ?

Personnellement, j’ai grandi avec, ils ont toujours fait partie de ma vie. Je sais que ce n’est pas le cas pour tout le monde et que certains athlètes le font plus par obligation contractuelle. Mais ce n’est pas mon cas. J’aime cela et je suis à l’aise avec le fait de poster des photos sur les réseaux sociaux. Comme je suis à l’aise, je le fais moi-même, donc je fais mes propres choix et cela joue certainement aussi un rôle. Je trouve que c’est super agréable de poster une photo et d’avoir plein de petits likes, comme autant d’encouragements après un entraînement, par exemple. Puis, sans les réseaux sociaux, jamais je n’aurais trouvé aussi vite les bons coins pour aller rouler ici en Espagne et des gens qui sont devenus des copains de sortie. 

Tu aimes la photo, mais aussi la peinture il me semble. On reste dans l’image, mais dans quelque chose de plus intime.

Oui, peindre pour moi, c’est m’accorder un moment de quiétude, de relâchement, faire tout à fait autre chose et ne plus penser au vélo. Loïc m’a offert du matériel et quand je suis seule, c’est mon moyen de m’évader. C’est important, quand on pense et vit pour son sport en permanence, d’avoir quand même encore quelques autres points d’évasion. 
Après cette journée passée en compagnie de Malène Degn, on confirme en effet qu’elle gagne à être connue. Simple, entière, déterminée mais pleine d’humilité voire d’un brin de timidité, elle semble avoir tout en main pour réussir, mais aussi pour garder la tête sur les épaules et bâtir une carrière durable. Avec Loïc Bruni, ils forment un très beau couple où chacun pourra sans aucun doute compter sur l’autre pour atteindre et rester au sommet.
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Photos : Olivier Béart pour Vojo et Rémi Fabregue (action course à Marseille)

ParOlivier Béart