Rencontre | Malène Degn : une sirène dans l’arène de l’élite
Par Olivier Béart -
Mais oui, c’est un peu comme la Belgique ! Quand on ne connaît pas, on s’imagine que c’est tout plat et que donc on ne peut pas y faire du VTT, mais c’est faux. Le VTT, ce n’est pas que du vélo de montagne ! A deux pas de Copenhague, on a beaucoup de collines et d’immenses forêts. De chez mes parents, je peux faire 4h de VTT sans jamais sortir des bois. On ne peut pas y rouler en DH ou en enduro, mais moi qui ai eu la chance de voyager un peu, je trouve toujours que c’est un des plus beaux endroits au monde pour le XC. Nous avons aussi la chance d’avoir plein de trails spécialement aménagés et très bien entretenus par les « Copenhagen Trail Builders ». Ce sont des enchaînements de petites montées de 30s/1min et de petites descentes. En fait, quoi que tu fasses par chez nous, tu fais des intervalles ! C’est peut-être pour cela qu’on a pas mal de bons crosseurs danois !Toi, comment as-tu commencé ?
Avec mon papa. Au départ, ce n’était pas une passion spécifique pour le vélo et j’ai commencé tard, vers 10 ans. En fait, c’était surtout pour me rapprocher de lui. Je commençais à me rendre compte qu’on ne passait pas beaucoup de temps ensemble. Alors je me suis intéressée à son sport favori… et ça m’a plu ! Par contre, c’était vraiment une pratique loisir. Et la compétition, ça a commencé comment ?
Mal ! (rires) Je ne vais pas te raconter une histoire comme plein de champions qui ont une sorte de don et qui semblent tous avoir commencé à faire tourner le compteur de victoires à leur première course. Bon, j’ai terminé sur le podium… mais nous n’étions que 4 filles et une a abandonné. Donc, en fait, pour être honnête, il faut dire que j’ai terminé dernière. Cela ne t’a pas dégoûtée ?
Non, pas du tout ! J’ai bien aimé… et cette belle dernière place m’a motivée à m’entraîner pour l’année suivante afin de voir ce dont j’étais réellement capable. Là, ça a marché, j’ai commencé à gagner et aussi, à 17 ans, j’ai terminé 2e des UE Youth Games, ce qui était un de mes premiers vrais résultats internationaux.La suite, on la connaît : tu t’es positionnée comme une des filles les plus régulières au top de la catégorie des moins de 23 ans en coupe du monde. Par contre, tu as dû attendre 2018, ta dernière année dans la catégorie, pour gagner une manche…
Oui, je suis quelqu’un qui a plus une progression régulière, une bosseuse. Et jusqu’à présent, j’arrive plutôt bien à atteindre mes objectifs, même si cela met parfois un peu de temps. C’est justement pour mieux te préparer que tu es venue habiter ici en Espagne ?
Oui, mais aussi pour habiter avec Loïc (Bruni, son compagnon, NDLR). On sort ensemble depuis 3 ans, on voulait passer ce cap. On cherchait un endroit calme, proche des trails, avec une bonne météo, pas trop loin d’une grande ville et d’un aéroport pour faciliter les déplacements. Finalement, on a trouvé dans une petite ville au nord de Barcelone. Le nom ne dira rien à personne, mais on a Tomi Misser, Andreu Lacondeguy et d’autres bons riders espagnols comme voisins. Les routes sont top, il y a de belles traces XC, tout ce que Loïc veut en DH, et on a aussi trouvé très facilement des gens compétents et très impliqués pour nous entourer. Je pense à un kiné, à des compagnons de sortie pour rendre certains entraînements moins pénibles et/ou plus efficaces. Ils sont fiers de nous accueillir chez eux et dans leur région, c’est très agréable. Tu retournes encore souvent au Danemark ?
J’y retourne, oui. Souvent, non. Disons que maintenant, j’y vais en vacances. Mes parents m’ont toujours soutenue, et le VTT nous a vraiment soudés, car comme j’étais souvent partie, quand j’étais à la maison, c’était juste pour de bons moments. Ce n’est pas comme ces parents et ados qui, à force d’être tout le temps ensemble, se bouffent le nez en permanence. Je n’ai pas vécu cela, je ne me suis jamais sentie oppressée par mes parents. Mais aujourd’hui, ça continue un peu comme cela : on se voit peu, mais quand on se voit, c’est très qualitatif. c’est notre façon de fonctionner. Par contre, avec Loïc, on avait vraiment envie d’avoir un petit chez-nous. L’hiver, au lieu de partir tout le temps en stage à gauche à droite, on a choisi d’habiter où les autres viennent habituellement se préparer. On fait nos training camps… à la maison. Quand on rentre de l’entraînement, on est chez nous, pas à glander dans un hôtel.Nouveau team, nouveau départ
Partir en Espagne, c’est un changement important, mais il y en a un autre : tu as changé de team pour rejoindre l’équipe KMC-Ekoi-Orbea. Bon, d’accord, l’équipe s’internationalise de plus en plus, mais après le petit copain français, le team français…
Haha, oui, c’est vrai que la France envahit ma vie de plus en plus ! En fait, oui, c’est vrai que j’aime bien la façon d’être des Français, assez directs mais chaleureux, pas toujours à l’heure – et ce n’est pas un drame si on a un peu de retard,… ça me va bien.Plus sérieusement, qu’est-ce qui t’a poussée à changer ?
J’ai vécu deux très belles saisons avec Ghost. L’an dernier, j’ai fait de bons résultats et cela m’a ouvert des portes. J’ai reçu plusieurs belles offres. Je n’avais rien à reprocher à mon équipe, mais cela m’a simplement rendue curieuse. J’ai senti que je devais aller voir ailleurs, d’autres façons de travailler, de fonctionner, rencontrer de nouvelles personnes pour progresser. Puis, je voulais aussi un bon tout suspendu !Comment as-tu fait ton choix ?
Sur le relationnel. J’ai vraiment eu un bon feeling avec Michel (Hutsebaut) et Pierre (Lebreton) qui dirigent l’équipe. On a parlé, j’ai aimé leur vision, le projet d’internationalisation du team, la mixité (nous n’étions que des filles chez Ghost). Je ne connaissais pas vraiment le team avant d’y rentrer, mais je les suivais et je sentais que c’était une des équipes où je pourrais me sentir bien. On n’a pas encore passé beaucoup de temps tous ensemble, mais la visite de l’usine Orbea et la première coupe de France à Marseille ont été de très bons moments. Le team a changé ta façon de travailler ?
Non, pas fondamentalement. Ils savent que chaque athlète a sa façon de fonctionner, de travailler, et qu’il faut le respecter. Par contre, j’ai senti que Pierre était quelqu’un avec qui on allait bien pouvoir échanger pour fixer les bons objectifs, recadrer en cours de saison si besoin. Au quotidien, il n’y a pas grand-chose qui change mais sur les grandes orientations, le feeling, là, je sens qu’on va bien bosser avec la nouvelle équipe. L’objectif est clairement de viser non pas juste la qualif pour les JO en 2020, mais de pouvoir y jouer un rôle. L’équipe m’a aussi bien aidée sur le plan technique pour que la transition vers le nouveau vélo, mon premier full, se passe pour le mieux.Justement, parlons un peu matos. Tu roules maintenant sur l’Orbea Oiz… mais tu ne vas pas me dire que c’est ton premier full ?
Eh bien si ! J’ai déjà roulé sur un full d’enduro bien sûr, mais en XC, oui, c’est mon tout premier ! Je suis heureuse, parce que c’est comme je l’imaginais : pas de vraie perte en rendement, mais du grip, de la vitesse, moins de fatigue en descente. Je me suis habituée si vite que cela a été super dur de retourner sur le hardtail en vue de la première manche à Albstadt (Allemagne), où cela aura encore moins de sens qu’avant de rouler en full. Mais c’est une exception sur le calendrier.
Au niveau de la transition de ton vélo précédent à celui-ci, qu’est-ce que tu as changé ?
En route vers l’Elite
Comme s’il n’y avait pas encore assez de changements, tu passes aussi dans la catégorie Elite cette année ! Quelles sont tes attentes ?
L’an dernier, j’ai eu une très bonne saison chez les U23. Donc j’ai revu mes ambitions à la hausse. J’ai la conviction que je peux faire partie du top en Elite. Mais je le dis avec beaucoup d’humilité, car je sais que le niveau est très élevé et que cela peut aller très vite ou au contraire prendre plus de temps, comme toutes les bonnes choses. Je suis ambitieuse mais aussi réaliste. Je pense que c’est la meilleure façon d’avoir de bonnes surprises. Même si je sens et si je sais que je suis plus forte que jamais à l’aube de cette nouvelle saison.
Il y a peu de trophées sur les étagères chez Malène et Loïc. C’est un choix. Mais le premier en Elite de la jeune bikeuse trône tout de même en bonne place.