Dégonflez vos pneus (de gravel), vous nous remercierez !
Par Léo Kervran -
Les pressions (trop) élevées, première plaie des gravel modernes ? On exagère peut-être un peu le trait mais le message est là. Aujourd’hui, on voit beaucoup de personnes rouler avec des pneus trop gonflés au regard de leur matériel et de leur pratique, perdant ainsi en confort, en sécurité et même en rendement. Pourquoi dégonfler et comment choisir la bonne pression ? On vous explique :
Ah, le gravel… C’est la discipline à la mode du moment et on ne va pas s’en plaindre, tant on trouve ça sympa nous aussi (et on vous en parle régulièrement). Ceci dit, beaucoup ici n’en font pas leur activité principale et en plus de cela, le matériel est encore en pleine évolution. A ce titre, trouver les réglages optimaux de son vélo n’est pas forcément chose facile. Et s’il y a peu de choses à régler sur un gravel, il y en a une qui est pourtant essentielle : la pression des pneus.
Sur un gravel, on a une section de pneu plus proche de la route que du VTT mais des largeurs de jantes qui sont, de plus en plus, celles des VTT d’il y a quelques années… Faut-il gonfler à mi-chemin entre le VTT et la route ? Plus bas ? Plus haut ? Sans repères le choix n’est pas facile, d’autant plus que le mot « gravel » regroupe des pratiques bien différentes. Et ça, ce n’est pas nous qui l’avançons mais bien vous, nos lecteurs et lectrices, qui le dites : il y a deux semaines, on vous posait quelques questions sur les pressions de vos pneus en gravel.
Un peu plus de 1500 réponses plus tard, un constat : 40 % d’entre vous ne sont pas certains ou certaines de leurs pressions. Et parmi les 60 % qui sont à peu près confiants ou confiantes, rien ne dit que vous avez fait le meilleur choix… Pour y voir plus clair, nous avons décidé de nous tourner vers un expert et pour ça, quoi de mieux que quelqu’un qui connaît les deux côtés du miroir ?
Ingénieur R&D chez Hutchinson, Joël Balez est en charge du développement des pneumatiques vélo pour la marque française et s’il est, comme nous, avant tout un vététiste, il roule également en gravel. Autrement dit, il n’y avait pas meilleure personne pour comprendre nos problématiques, nos habitudes, et répondre à nos questions.
Retour à notre sondage. Les résultats offrent une fenêtre intéressante sur les conditions dans lesquelles vous pratiquez le gravel et ça pourrait pourrait même mériter un article à part entière, mais sur le sujet des pressions, une chose est sûre : la tendance est aux pressions entre 2 et 3 bars, avec une moyenne à 2,3 bars pour l’avant et 2,4 bars pour l’arrière. La distribution varie un peu entre les deux roues mais on peut résumer grossièrement en disant qu’un tiers d’entre vous gonflent à moins de 2,2 bars, un tiers entre 2,2 et 2,5 bars, et un tiers au-delà de 2,5 bars.
Pour Joël Balez, c’est un peu élevé : « Avec un pilote de 70 kg, des pneus en 700×40 montés en tubeless et une jante de 23 mm de largeur interne, je dirais qu’il ne faut pas aller au-delà de 2,2 bars pour une pratique équilibrée entre route et gravel ». Dans notre sondage, 50 % d’entre vous gonflent au-delà de cette pression, voire 60 % pour la roue arrière…
Après lui avoir montré quelques résultats, Joël confirme cette impression : « C’est difficile d’émettre des recommandations générales de pression en gravel, il y a tellement de choses qui influencent le choix entre la section des pneus, la largeur de la jante, le poids, la pratique… Mais 2,4 bars pour du 40 mm c’est beaucoup, sauf si on roule principalement sur de la route. »
Au-delà du confort et de l’adhérence, une pression plus faible amène également du rendement en terrain irrégulier. Avec une carcasse suffisamment souple (120 tpi, pas de renfort trop rigide), ce qui est le cas de la plupart des pneus milieu et haut de gamme de gravel, le pneu demande peu d’énergie pour se déformer et absorbe facilement les obstacles au lieu de rebondir dessus. L’effort passe mieux au sol, la roue ne rebondit pas et on continue à avancer.
Qui plus est, cela apporte aussi de la sécurité : c’est ce que Joël appelle l’effet « ballon de baudruche ». A basse pression, la carcasse pourra se déformer et épouser les contours d’un obstacle tandis que si elle plus gonflée, elle présentera une « peau » plus tendue qui sera plus sensible aux perforations.
Ce comportement peut toutefois varier légèrement suivant les marques de pneus : c’est particulièrement valable chez Hutchinson, qui utilise un renfort en grille (le fameux Hardskin) très résistant face aux déchirures mais moins performant face aux perforations (dans l’esprit de la marque, le liquide préventif est là pour ça et cela permet de garder de la souplesse dans la carcasse), mais l’effet de protection sera peut-être moins fort chez d’autres marques.
Il ne faut pas avoir peur de tester autour de 2 bars pour 70 kg.
De manière générale, Joël recommande donc de rouler assez bas en pression et de s’approcher bien plus du VTT que d’aller chercher quelque chose à mi-chemin avec les valeurs utilisées en route. Pour lui, « il ne faut pas avoir peur de tester autour de 2 bars pour 70 kg. Avec des Tundra en 50 mm, je peux descendre à 1,4 bar. » Avec des pressions aussi faibles, n’y a-t-il pas un risque d’abîmer la jante ? « Il faut tester bien sûr, mais je pense qu’il y a de la marge. Et pour certaines pratiques extrêmes, je pense qu’un insert peut avoir du sens. »
Evidemment, de nombreux paramètres influencent le choix de la pression : le poids de l’ensemble pilote + vélo, le terrain de pratique, le montage (22 % d’entre vous sont encore en chambre à air), la section du pneu, la carcasse de ce dernier et même la largeur de jante, pour laquelle Joël considère que 2 mm font une différence significative et qu’il faut alors ajuster la pression : plus c’est étroit, plus il faut augmenter. C’est pour cette raison que nous nous garderons bien de vous donner un tableau avec la pression prétendument idéale en fonction du poids.
Chaque cas, chaque situation est unique et on ne peut que vous guider dans une direction, « dégonfler » en l’occurence. Pour une pratique du gravel qui compterait au maximum 50 % de route goudronnée, on pourrait même dire « dégonfler jusqu’à éviter de taper la jante ».
Si vous faites plus de route ça se discute mais normalement, il n’y a pas de raison d’aller jusqu’à 3 bars ou au-dessus en tubeless comme le font encore 10 % d’entre vous. Pas de raison… à moins d’avoir les mauvais pneus. En tant que vététistes, nous avons tendance à être rassurés par les crampons, à l’image du Hutchinson Tundra ici en image, et inquiétés par les bandes de roulements presque lisses comme celle de l’Hutchinson Override et ses concurrents (Pirelli Cinturato H, Vittoria Terreno Dry, Schwalbe G-One RS…).
Si vous gonflez à 3 bars pour gagner en rendement, il faut peut-être reconsidérer votre choix de pneus
En réalité, à basse pression, ces pneus s’en sortent bien mieux qu’on l’imagine, même sur sentier, et nous avions pu le constater par nous-mêmes lors de l’essai du BMC Kaius (lire Face-à-face | BMC Kaius et Urs LT : une question d’approche). On touchera surtout à leurs limites lors des freinages en zones humides, mais le pneu qui roule bien sur route et qui accroche bien dans le gras n’existe pas…
Joël Balez nous le confirme : mieux vaut un pneu au profil roulant gonflé à la bonne pression qu’un pneu en apparence plus polyvalent mais trop gonflé. Le surgonflage n’est à envisager qu’en dernier recours, pour un terrain exceptionnellement plus roulant qu’à l’accoutumé ou une sortie route occasionnelle. Si vous vous retrouvez à gonfler à 3 bars la moitié de l’année, il faut peut-être reconsidérer votre choix de pneumatiques…
Conclusion
A quelle pression gonfler ses pneus de gravel ? Vous vous en doutez, il n’y a pas de réponse simple à cette question. En revanche, il y a fort à parier que beaucoup parmi vous roulent avec des pressions trop élevées. Trouver celles qui vous conviennent peut prendre un peu de temps, d’autant plus que c’est un choix qui dépend de nombreux facteurs (poids, section ainsi que profil et carcasse du pneu, terrain, largeur de jante, voire rigidité et confort du vélo…), mais retenez qu’il y a beaucoup de positif à aller chercher en descendant de quelques psi ou dixièmes de bar.
Envie d’en savoir plus sur les pneus ? Nous avions visité l’usine française d’Hutchinson pour découvrir les étapes de leur fabrication : Visite | Hutchinson : dans la cuisine d’un pneu Made in France