Présentation | Specialized Diverge STR : un gravel en apesanteur
Par Olivier Béart -
Dans la gamme gravel Specialized, la famille Diverge a pour but d’apporter du confort au pilote. Dans cette quête, après le poste de pilotage, la marque Californienne s’est attaquée à l’arrière de la machine, avec la volonté de proposer un amortissement contrôlé de l’assise. C’est ainsi qu’est né le Specialized Diverge STR, doté d’une tige de selle suspendue particulièrement originale. Nous avons eu l’occasion de le découvrir et de le rouler en avant-première.
Avec le gravel, en ce moment, on a un peu l’impression de revivre la folie créatrice des débuts du VTT, avec des concepts originaux qui voient le jour. Aller plus loin dans la pratique, explorer de nouveaux horizons techniques, résoudre des petits soucis identifiés en roulant : les ingénieurs des marques sont toujours en réflexion. C’est leur job, et aussi leur passion. Et le moins qu’on puisse dire c’est que les équipes R&D de Specialized sont rarement en reste à ce niveau. Après tout, la devise de la marque n’est-elle pas « innovate or die » ?
La différence avec les débuts du VTT, c’est tout de même une certaine expérience des autres disciplines du deux-roues qui évite de reproduire certaines erreur, d’affiner des concepts qui n’ont pas percé à cause de petits détails qui auraient pu tout changer mais qui n’avaient pas pu être modifiés à l’époque. C’est aussi une meilleure connaissance de matériaux comme le carbone et leur démocratisation, sans oublier la partie suspension/hydraulique bien mieux maîtrisée. Bref, les bases sont aujourd’hui plus solides pour explorer un domaine où beaucoup reste encore à faire, comme dans le gravel.
Après cette petite remise en contexte, plongeons dans l’univers propre du nouveau Specialized Diverge STR, doté d’une suspension du poste de pilotage, et désormais aussi de l’assise du pilote, via une solution plutôt originale, puisqu’il s’agit d’une suspension qui utilise le mouvement d’avant en arrière de la tige de selle ! Voilà qui mérite quelques explications !
Les idées derrière le concept du Specialized Diverge STR
Cela ne vous aura certainement pas échappé : le Specialized Diverge STR a un drôle de petit appendice au niveau de sa tige de selle. Pour comprendre la raison de sa présence, il faut revenir sur un concept de base que Specialized veut appliquer au gravel : quand il s’agit d’apporter du confort en off-road, ce n’est pas tout le vélo qui va être suspendu, mais uniquement le pilote. D’où le nom de ce Diverge STR, pour « Suspend The Rider ».
En cela, ce gravel se différencie clairement du VTT, où les suspensions ont bien sûr un rôle de confort et de suspension du pilote, mais aussi de grip et de vitesse pour rouler plus aisément sur des sections bien plus techniques que ce qu’on va rencontrer dans le cadre d’une pratique gravel. C’est pour cela que les suspensions VTT suspendent non seulement le pilote, mais aussi le vélo, alors qu’ici vous aurez constaté que c’est uniquement la selle et le poste de pilotage qui sont suspendus. A noter aussi que, au sein du segment gravel chez Specialized, si vous recherchez avant tout le poids plume et la simplicité, vous pourrez toujours vous tourner vers le Crux qui est le gravel/cyclocross performance de la gamme.
Du côté du Specialized Diverge, souvenez-vous, il dispose déjà depuis deux générations d’une potence suspendue Future Shock, qui offre deux centimètres de débattement au niveau du poste de pilotage. La fourche, elle, reste une carbone rigide pour conserver toute la réactivité, la légèreté, la précision et le rendement d’un gravel classique. Le but ici est simplement de filtrer les vibrations au niveau des mains du pilote pour lui apporter plus de confort et lui permettre de rouler plus longtemps.
C’est ce concept que Specialized a cherché à implémenter à l’arrière aussi. « Nous avons commencé à travailler sur cette idée dès l’arrivée de la suspension Future Shock à l’avant, nous explique Chris D’Alusio, l’ingénieur chef de projet Diverge STR. Lors de nos sorties, il y avait des trails larges mais très chaotiques, vraiment typés gravel et pas VTT, mais sur lesquels nous nous faisions complètement brasser. Nous avons cherché à trouver une solution pour prendre plus de plaisir avec nos machines sur ce type de terrain. Nous avons alors exploré toute une série de concepts un peu fous pour suspendre l’assise du pilote de manière significative sans nuire au rendement ni à la position sur la machine. Cela nous a pris plusieurs années, quatre prototypes et des milliers de kilomètres pour affiner le concept et parvenir au résultat final que nous présentons aujourd’hui. »
Lors de la présentation en Allemagne, Specialized avait eu la bonne idée d’amener les différents prototypes, histoire de bien faire comprendre l’évolution du concept.
Pour bien comprendre pourquoi cela a été si compliqué, Chris D’Alusio, chef de projet STR, précise : « Nous n’avons pas voulu nous contenter d’une simple tige de selle suspendue, car avoir juste un piston qui coulisse de bas en haut sous l’assise va amener des modifications de la hauteur de selle qui sont totalement incompatibles avec un usage performance. Les riders un minimum pointus règlent leur hauteur de selle au millimètre, et d’un point de vue biomécanique, c’est un non-sens une tige de selle suspendue de cette manière. Après avoir exploré des pistes permettant de suspendre aussi le boîtier de pédalier, avec des systèmes complexes et lourds, nous nous sommes plutôt dirigés vers un mouvement d’avant en arrière de la tige de selle. »
Bien plus naturel, le mouvement d’avant en arrière permet bel et bien d’apporter du confort sans variation significative de la hauteur de selle, mais un autre problème s’est présenté : « Avec ce genre de tige de selle flexible, soit on est limité en débattement comme chez nos concurrents qui appliquent cette recette, soit on s’expose à des soucis à l’utilisation car on a la sensation de se faire éjecter du vélo dès qu’on dépasse 10/15mm de débattement. »
La solution qui a été trouvée : équiper la tige de selle d’un amortissement hydraulique qui va contrôler les mouvements du tube de selle en compression et en détente ! Un artifice qui permet à Specialized, moyennant un surpoids raisonnable et sans variation notable de la hauteur de selle, de proposer pas moins de 3cm de débattement à l’arrière sans avoir ce phénomène de siège éjectable désagréable. « La tige de selle est en fait un ressort. Si on le laisse agir seul, il est difficilement contrôlable. Donc, de la même manière qu’on trouve à la fois une partie ressort (air ou coil) dans une fourche ou un amortisseur VTT, on a aussi ajouté une partie hydraulique pour contrôler tout cela. »
Concrètement…
En pratique, comment cela fonctionne-t-il ? La tige de selle elle-même reste tout à fait standard, en 27,2mm de diamètre (on peut d’ailleurs sans souci mettre une tige de selle télescopique si on le souhaite). Elle est réglable en hauteur de manière classique, mais elle est insérée dans ce que Specialized appelle le « frame post ».
Il s’agit en quelque sorte d’une tige de selle intermédiaire, flexible et qui, elle, va pouvoir bouger de 3cm d’avant en arrière dans le cadre.
Quant au cadre, il dispose d’un tube de selle spécial, rond à sa base avec un collier de serrage pour fixer le frame post, et carré sur sa partie haute pour permettre le mouvement d’avant en arrière du frame post. Une petite chaussette vient rendre l’ensemble étanche, et on remarque aussi que les haubans viennent se raccorder au tube supérieur bien plus loin que sur un cadre classique.
Enfin, et c’est la pièce maîtresse du système, un petit amortisseur coulissant, spécifique au Specialized Diverge STR, vient prendre place dans le tube supérieur. Il est ensuite relié au frame post par un simple collier… et le tour est joué !
A noter que ce petit amortisseur est réglable en détente au moyen d’une petite clé allen (mais on ne touche en principe que rarement à ce réglage), et qu’une mollette permet de régler la compression sur trois modes tout en roulant : ouvert, intermédiaire et fermé. Par contre, pas de réglage de la pression, puisqu’il s’agit uniquement d’un système hydraulique ; la partie ressort étant assurée par le frame post.
Au niveau de l’entretien, le système est bien protégé dans le cadre et ne nécessite en principe aucune maintenance particulière. Specialized le garantit en pendant deux ans. La marque n’a pas encore communiqué sur les modalités d’entretien ou d’intervalle de remplacement, mais on nous a soufflé que sur le banc, le système s’était avéré quasiment increvable et pourrait durer la vie du vélo.
Quant au frame post, il existe dans différentes duretés/souplesses. C’est lui qu’on change pour s’adapter au poids du pilote et aux sensations désirées. 9 tubes sont proposés (7 en taille standard et 2 réservés aux plus petits cadres) et deux sont livrés de série avec chaque vélo. Chaque tube est en carbone et, selon son orientations, les fibres travaillent différemment, ce qui permet d’apporter deux niveaux de flex par frame post en le faisant simplement pivoter à 90°. Il y a environ 20% de différence entre ces deux positions, ce qui est le minimum perceptible. Le changement ne nécessite qu’une clé Allen comme outil et prend quelques minutes à peine.
De manière générale, Specialized a objectivé les gains du système par une batterie de mesures qui démontrent l’intérêt de ce gain de flexibilité de l’assise par rapport à un cadre de conception plus classique.
Du côté du poids, le cadre Diverge STR en lui-même, nu, est annoncé à 1100g, soit 100g plus lourd que Diverge classique. Avec toute la visserie et l’amortisseur, le STR ajoute 400g. Mais quelques gains sur le châssis et sur les équipements (et notamment de nouvelles roues Roval Terra CLX) permettent de limiter le surpoids à seulement une centaine de grammes sur le vélo complet en version S-Works haut de gamme.
Géométrie
Au niveau des cotes, le Specialized Diverge STR reste très proche de son prédécesseur. Seuls changements, des bases plus longues de 4mm (429mm contre 425mm), un boîtier de pédalier 5mm plus bas et un angle de tube de selle redressé de 0,5° pour compenser l’enfoncement/recul de la selle quand le pilote s’assied. Au niveau du réglage, Specialized recommande simplement d’avancer sa selle de 5mm et d’abaisser légèrement le bec pour s’adapter au système de suspension et retrouver parfaitement ses marques.
Gamme et tarifs
Précisons tout d’abord que le Diverge classique (sans suspension arrière) reste disponible, mais uniquement en version aluminium et carbone entrée/milieu de gamme (Sport avec cadre en fibres 8R, Comp et Expert avec fibres 9R). Seul l’Expert est disponible en version classique ou bien STR. Les niveaux de gamme les plus élevés, Pro et S-Works, sont désormais proposés uniquement en version STR.
De manière générale, on dispose toujours sur le Diverge STR de deux porte-bidons, de points d’ancrage pour la bagagerie, de la Swat Door qui permet d’utiliser l’intérieur du tube diagonal comme stockage, et d’une capacité à accueillir des pneumatiques jusque 47c en diamètre 700, et 2,1″ en 650b.
Le STR se profile donc clairement comme un système pointu, réservé aux modèles porte-étendard de la gamme, tous dotés du plus haut niveau de fibres carbone (Fact 11R). Cela se ressent au niveau des tarifs, puisque le ticket d’entrée est fixé à 7500€ pour le modèle Expert (9,5kg), 9500€ en Pro (8,9kg) et… 15000€ pour le très luxueux S-Works (8,5kg) qui ne se refuse aucun luxe au niveau des équipements.
Specialized Diverge STR : le test terrain
Specialized ne nous avait rien dit sur le modèle que nous allions voir avant la présentation et, clairement, nous ne nous attendions pas à cela. Au fil des explications données par les concepteurs avant le premier ride, notre curiosité a été piquée et nous avions avions hâte de découvrir si les bénéfices étaient palpables sur le terrain. Bon, la météo n’a pas aidé, mais nous avons tout de même passé deux belles journées sur le vélo, au cœur du magnifique parc national de la forêt noire, situé à la frontière franco-allemande.
Nos fidèles lecteurs le savent, nous avons beaucoup aimé la précédente version du Diverge. Pas tant pour sa petite suspension avant que pour sa géométrie, la douceur de son châssis obtenue seulement par la qualité et la mise en œuvre des fibres de carbone qui le composent, et pour le plaisir que cette machine nous a procuré chaque fois que nous avons eu l’occasion de la rouler. Bref, le petit nouveau va avoir fort à faire pour nous convaincre.
Première impression : le Diverge STR reste un Diverge ! La géométrie ne change pas, les points de contact tombent toujours naturellement sous le corps, et on se sent immédiatement bien à son guidon. Ouf. Côté système STR, nous avons suivi à la lettre les recommandations de la marque pour les réglages, avec un flex du frame post indice 35, qui s’est avéré directement parfait pour votre serviteur de 80kg.
Concrètement, oui, ce système STR fonctionne. On peut en voir les bénéfices simplement en jouant avec la mollette de blocage, facilement accessible à l’arrière du tube supérieur. Verrouillé, on sent effectivement bien plus les impacts au niveau de l’assise, et on a beaucoup plus l’impression de subir les chocs. Avec le système ouvert, tout est clairement plus feutré, et si on sent les impacts, on les sent de manière atténuée. Avec du « retard » aussi, car comme la selle recule, on a un micro décalage entre le moment de l’impact et le moment où on le ressent. Ce qui, il est vrai, est agréable.
Par contre, si l’action du système est bien perceptible au niveau du confort, Specialized a aussi bien réussi son coup pour que ce soit imperceptible sur les autres points. Le mouvement d’avant en arrière reste discret et on n’a aucune sensation désagréable au pédalage ou de perte de rendement. Le contrôle de la compression et du rebond par le petit amortisseur fonctionnent à merveille pour freiner les mouvements de la tige de selle et pour les synchroniser parfaitement avec les mouvements naturels du corps du pilote. C’est d’ailleurs la position ouverte, la plus souple, que nous avons utilisée le plus pour profiter pleinement du système et, même sur route, nous avons rarement bloqué complètement le système. Au contraire de la fourche, qu’on a tendance à plus adapter au relief du terrain.
De manière générale, on reste pourtant bien sur un gravel, et ce système fonctionne avant tout sur les vibrations et les successions de petits impacts. Les gros chocs sont, eux aussi, un peu atténués, mais encore bien perceptibles. C’est bien là la différence avec une vraie suspension : on reste sur des sensations globalement très « gravel » et pas du tout comparables à celles ressenties sur un VTT tout-suspendu. Ni même au comportement d’un gravel tout-suspendu comme Niner en propose. Le Specialized Diverge STR donne clairement une toute autre sensation de légèreté, de réponse à l’accélération et de nervosité sur les terrains moins accidentés. Et c’est une bonne chose, car là aussi on préserve le caractère originel du Diverge. Avec juste ici un petit plus au niveau du confort.
Au niveau du grip et du comportement en descente, celui-ci est influencé surtout par le châssis, les roues et les pneus, bien plus que par les petites suspensions Future Shock. C’est cela aussi qui lui permet de conserver un comportement très gravel, bien distinct de celui d’un VTT, avec des sensations plus brutes, pures. Quand on est debout sur la selle, le système présent à l’arrière ne fait plus effet, et seule subsiste l’action de la potence suspendue à l’avant pour filtrer légèrement les impacts en descente. En montée technique, le bénéfice du système réside dans le fait qu’on reste plus en contact avec la selle et que le pédalage est moins perturbé par les impacts. C’est un gain bien réel, qui nous a d’ailleurs impressionnés.
Mais, de manière globale, c’est surtout sur les longues portions rapides remplies de petites ondulations et un peu chaotiques que le Diverge STR se montre le plus convaincant. On peut vraiment penser juste à pédaler, vite et fort, sans subir le terrain. Puis, sur route, on peut juste bloquer les suspensions (oui, le blocage est total) pour se retrouver exactement sur un gravel classique avec un très haut rendement. Quel que soit le terrain, on se sent paré pour pédaler très longtemps. Et on en profite aussi pour signaler que la capacité de chargement du Diverge est préservée. Là aussi, c’est un intérêt de ne suspendre que le pilote et pas le vélo avec dans un cadre d’utilisation gravel : la présence de bagages sur le vélo n’influence ni le comportement, ni les réglages des suspensions.
Verdict
Est-ce que ce Specialized Diverge STR est innovant ? Oui, clairement. Le système fonctionne-t-il ? Oui, là aussi, c’est évident. Est-il indispensable et s’agit-il d’une révolution. Là, par contre, c’est moins évident. Au niveau des sensations, on garde le côté pur et brut du gravel, avec juste un peu plus de facilité et de confort bienvenu. A ce niveau, c’est une réussite. Après, si le gain est réel, il ne nous a pas paru non plus révolutionnaire et des gravel plus simples, sans aucun système de suspension, comme le Diverge de base par exemple, procurent déjà de très agréables sensations sur le terrain. On peut se réjouir que les marques fassent chauffer les méninges de leurs équipes pour proposer de la diversité aussi dans le segment gravel. Après, ce sera à vous de voir dans le cadre de votre pratique et des terrains sur lesquels vous roulez, si ce type de système de suspension représente une réelle plus-value. Selon les profils, la réponse pourra être diamétralement opposée. Mais la bonne nouvelle, c’est que la gamme Specialized reste vaste entre le Crux, le Diverge classique qui reste disponible sur les modèles moins haut de gamme et le STR pour celui qui recherche la pointe du confort et de la technologie. Et qui est prêt à y mettre le prix.
Plus d’infos : https://www.specialized.com/fr/fr/diverge-str