Premier essai | Le nouveau Specialized Epic dans les rochers de Mountain Creek
Par Olivier Béart -
C’est à Mountain Creek, une petite station de ski située à 1h30 de New-York, que nous avons eu l’occasion d’effectuer une première prise en main du nouveau Specialized Epic dans ses version S-Works et Expert. Sur des tracés particulièrement rocailleux dignes des plus beaux passages des coupes du Monde de XC et même sur quelques traces enduro, nous avons cherché à cerner les limites de ces nouveaux engins. Voici nos premières impressions :
Le principal changement concerne l’abandon de la mythique suspension FSR et du point de pivot Horst Link sur les bases, puisque le nouveau Specialized Epic est équipé d’un bras arrière entièrement en carbone.
Par contre, le fameux système Brain est conservé pour assurer le verrouillage automatique des suspensions lorsqu’il n’y a pas d’impact provenant du sol.
Pour tout savoir sur l’ensemble des modifications effectuées sur ce modèle, nous vous invitons à lire notre présentation détaillée du nouveau Specialized Epic, ce qui va nous permettre de nous consacrer ici pleinement à l’explication de nos sensations au guidon de cette machine taillée pour la compétition.
Specialized Epic S-Works : sur le terrain
Lors de cette présentation en avant-première, Specialized a mis à notre disposition non seulement une belle équipe de mécanos déjantés, mais aussi un beau petit assortiment de la gamme Epic, avec essentiellement des modèles S-Works et Expert, ainsi que quelques Pro. C’est d’abord le haut de gamme qui m’est proposé. Je ne fais pas la fine bouche, rouler sur une machine d’exception, c’est toujours agréable et ce sera d’autant plus intéressant de comparer le fleuron de la gamme avec la version Expert un peu plus tard. Pour mon 1m78, j’opte sans hésiter pour la taille M, et ce choix va s’avérer être le bon.
Si je vous parle de station de ski, vous allez tout de suite avoir en tête de hautes montagnes. Mais ici, ce n’est pas le cas. Le sommet de la colline est à moins de 500m au-dessus du niveau de la mer. Ca monte, oui, mais pas des heures : 15 minutes tout au plus par une piste verte autorisée dans les deux sens. Mais n’allez pas croire non plus que c’est de la « gnognote ». Nous avons plutôt trouvé cela assez proche et représentatif de ce qu’on trouve sur de beaux circuits de XC contemporains avec une côte mêlant différents pourcentages, des passages lisses et d’autres plus rocailleux ainsi que des portions de descente bien velues.
Mais le plat de résistance, c’est au sommet qu’il se trouve, sur un vaste plateau dont les zones boisées sont parsemées de rochers en granit (donc tout de même avec un bon grip, ouf). Imaginez un immense rock garden de plusieurs kilomètres, entrecoupé de zones au sol moins tourmenté mais remplies de petits virages, le tout saupoudré de quelques petites racines bien glissantes (il faisait beau la journée mais il pleuvait le soir) : voilà le genre de terrain sur lequel nous avons emmené le nouveau Specialized Epic.
Il y avait aussi des ours, des serpents et les fameux poison ivy (ces plantes dont le venin fait l’effet d’une super ortie), mais là on s’écarte du sujet.
Que les amoureux du modèle se rassurent : l’Epic reste bien un Epic !
Revenons à nos moutons : au moment d’attaquer le test, j’ai bien en tête le comportement du précédent Epic, vu que je l’ai pas mal roulé en version Expert lors de la préparation de notre grand test de fulls de XC, et j’ai aussi eu l’occasion de reprendre brièvement le guidon d’un S-Works peu avant. Je vais donc pouvoir facilement comparer les deux et, que les amoureux du modèle se rassurent : l’Epic reste bien un Epic !
Mis à part une sensation de légèreté un peu plus marquante sur le nouveau millésime, on retrouve le comportement typique de la suspension Brain (sans les a-coups et la sensation « pneu crevé », qui a disparu depuis un moment déjà sur l’Epic) et un vélo au rendement phénoménal sur les portions roulantes. Merci aussi à l’excellente rigidité du cadre qui lui permet de ne pas broncher sous les coups de pédale, sans se montrer trop raide ni exploitable uniquement quand on a les cuisses de Kulhavy.
La précédente évolution du Brain, conçue avec Fox, atteignait déjà un haut niveau de raffinement. On ne va donc pas essayer de vous faire croire que le nouveau réalisé avec RockShox est une révolution, cela n’aurait aucun sens. Par contre, sent-on une différence ? La réponse est clairement oui. Même si le triangle arrière en une pièce fait certainement perdre en sensibilité, cette perte est largement compensée par le nouveau Brain dont chaque partie a été optimisée pour améliorer la réactivité sur les impacts et le grip (positionnement du Brain derrière l’axe de roue, trajet de l’huile jusqu’à l’amortisseur, etc).
Les excellentes roues Roval Control SL à jantes carbone de 25mm, ainsi que les pneus Specialized Fast Track à gomme Gripton et carcasse Grid en 2.1 derrière/2.3 devant, sont aussi grandement responsables des excellentes sensations de confort et de grip éprouvées au guidon du nouvel Epic. La gomme des pneus accroche en toutes circonstances (alors que j’avais tendance à trouver les anciens Fast Track inroulables par temps un peu humide) et le gros ballon du pneu sur les jantes larges fait qu’on a l’impression qu’il enrobe les reliefs tout en restant précis. Tout ce qu’on aime. Et au final, on peut vraiment « envoyer la purée » en côte sans craindre de pertes d’adhérence au niveau du train arrière.
Même si la géométrie a changé, les points d’appui sont restés identiques et, comme toujours chez Specialized, je retrouve immédiatement mes marques. Je me réjouis quand même de voir enfin une potence plus courte et un cadre un poil plus long que je sais en général plus adaptés à mon pilotage. Sur le haut du tracé, dans les singles et les immenses rock gardens où il faut se frayer un chemin entre les arbres et les milliers de cailloux qui jonchent le sol, la maniabilité est diabolique.
Si les anciens 29 » semblaient avoir absolument besoin de fourches avec un déport important (51mm) pour ne pas avoir la maniabilité d’un 38 tonnes dans les gorges de l’Ardèche, il semble qu’on soit aujourd’hui à un tournant. Après l’Orbea Rallon en enduro (voir ici pour plus de détails), l’Epic est le premier 29 » de XC contemporain que nous testons et qui revient à un déport de 42mm, soit une valeur qu’on rencontre plus sur des vélos en 27,5 ». En théorie, cela signifie que le vélo devrait être moins maniable car la chasse augmente. Mais en pratique, ce n’est pas le cas.
1000 fois j’ai pensé que tel rocher allait me stopper net, que la roue allait buter sur tel autre… et au final, non.
Pris dans leur ensemble, tous les paramètres qui font la géométrie du nouvel Epic (angle de fourche plus couché, cadre plus long, potence plus courte et déport de fourche plus faible) ne détériorent pas du tout l’agilité du vélo, qui est une de ses qualités marquantes, mais elles dopent ses facultés à garder de la vitesse même sur les pires reliefs, ainsi que l’adhérence du pneu avant.
Comme avec le Rallon en enduro, 1000 fois j’ai pensé que tel rocher allait me stopper net, que la roue allait buter sur tel autre… et au final, non, le vélo continue de rouler et d’enrouler les obstacle. De les avaler même. Là, il y a clairement un progrès par rapport à la précédente génération. J’ai aussi l’impression que c’est une nouvelle voie que Specialized ouvre en XC avec l’Epic, et vers laquelle d’autres vont certainement aller aussi dans un futur proche. Cela répond en tout cas bien aux défis que posent les circuits XC actuels, de plus en plus techniques et où les roues de 29 pouces seules ne suffisent plus.
Après m’être bien épuisé sur le haut, il est temps de redescendre. J’opte d’abord sagement pour une piste bleue dans laquelle l’agilité du vélo fait merveille. Il se montre joueur, s’envoler sur les bosses semble juste naturel et les virages relevés sont pris avec autant de plaisir que de sérénité. Le déclenchement du Brain est absolument insensible (réglé au milieu à l’arrière et un peu plus ouvert devant) et les pressions recommandées (ou réglée automatiquement avec l’Auto-Sag pour l’amortisseur arrière) me conviennent parfaitement au niveau des suspensions. Mais j’ai envie d’en voir un peu plus alors, comme j’ai encore un peu de temps, je tente une piste noire…
Là, sur une trace digne d’une spéciale d’Enduro World Series, je ne vais bien entendu pas aussi vite qu’avec un vélo à gros débattement. Mais une fois encore, l’Epic m’impressionne en passant partout. Ici aussi, sa capacité à survoler les obstacles m’étonne, comme sa faculté à les enrober et à aller toujours de l’avant. Par rapport à l’autre référence XC que je connais bien, le Scott Spark RC, le nouveau Specialized Epic m’a semblé plus facile et maniable en côte, ainsi que dans les enchaînements étroits et rapides sur les portions plates. Par contre, en descente pure, le Spark RC garde l’avantage à mes yeux.
Le point fort du Scott, ce sont ses suspensions qu’on peut ouvrir manuellement et un arrière qu’on peut faire rentrer plus dans le débattement quand on porte le poids sur l’arrière. Le nouvel Epic est, comme son prédécesseur, un vélo qui reste toujours très haut de l’arrière. Et malgré ses énormes qualités de descendeur et sa facilité dans le défoncé, il demande plus de doigté pour aller vraiment vite quand il y a de la pente. L’équiper d’une tige de selle télescopique me semble d’ailleurs une bonne idée. Et c’est ce que je vais vérifier en prenant les commandes du nouveau Specialized Epic Expert dans sa robe jaune et rouge pailletée… mais surtout équipée d’une Command Post !
Specialized Epic Expert : il tient la comparaison
Le deuxième jour, après une longue séance photo, il me reste suffisamment de temps pour faire un deuxième run au guidon d’un Epic. Je veux un Expert pour pouvoir le comparer au S-Works et pour tester une version (un peu) plus accessible. Puis, coup de bol, je vois que le seul exemplaire équipé d’une tige télescopique est disponible ! Je saute dessus et c’est reparti pour la même boucle d’une petite vingtaine de kilomètres.
Mis à part son levier de vitesses un peu plus lent, la transmission Sram GX Eagle n’a pas à rougir par rapport au XX1… et cette version Expert tient aussi vraiment bien la comparaison par rapport au S-Works quasiment deux fois plus cher. Je ne ressens que très peu le surpoids et dans les relances, les nouvelles roues carbone font merveille. Dans les cailloux au sommet, je sens le vélo un peu plus raide et rebondissant que le S-Works, mais le caractère à la fois facile et tonique de l’Epic reste, ainsi que sa capacité à avaler les obstacles.
Comme sur l’Epic HT, l’exécution S-Works du full-suspendu dissipe sans doute un poil mieux les vibrations, mais c’est probablement davantage au niveau des roues équipées de jantes moins large (22mm contre 25) et un peu plus raides que la différence se fait. Cela dit, on reste sur des standards très élevés et ce nouvel Epic Expert nous semble moins éloigné du S-Works que par le passé. Ce que confirme d’ailleurs le chrono vu que c’est… avec l’Expert que je suis allé chercher le KOM de la portion haute de ce tracé XC (pour la saison 2017) et pas avec le S-Works malgré deux tentatives la veille. Comme quoi !
Dans la descente, je reprend la même piste « black » et là, la tige de selle télescopique prend tout son sens. Le vélo est plus facile, bien plus amusant et le fait de pouvoir mieux jouer avec le corps en se plaçant plus facilement sur l’arrière donne l’impression de libérer tout le potentiel de l’amortisseur. Le pauvre, je l’ai fait chauffer, mais sans noter de dégradation de ses performances, pas plus que celles du Brain à cause du disque de frein tout proche. Je continue de préférer mon Spark RC dans ces portions descendantes, mais le nouvel Epic le devance légèrement ailleurs, de sorte qu’on peut dire sans hésiter que Specialized se replace bien parmi les références de la catégorie.
Verdict
Malgré un changement radical au niveau de la cinématique de suspension, le nouveau Specialized Epic reste dans la lignée du précédent. Et c’est heureux, car il avait très bien vieilli. Si le nouveau Scott Spark RC a été une révolution par rapport à son prédécesseur, on peut ici parler plus d’évolution dans la continuité au niveau des sensations sur le terrain quand on le compare à son ancêtre. Finalement, ce n’est pas tant le changement de paradigme au niveau de la suspension qui se sent le plus, mais bien l’évolution de la géométrie qui m’a le plus marqué et qui montre que l’Epic est entré dans une nouvelle ère, celle du « hard XC ». Celle de ces fulls de XC en 100mm de débattement, véritables dragsters en montée, mais capables de se transformer en monster trucks quand on a l’idée de s’aventurer dans des descentes normalement hors programme pour eux. Rendez-vous à la rentrée pour un test plus approfondi sur nos terrains de jeu habituels. On a hâte car cet apéritif nous a mis l’eau à la bouche. Et si vous craquez d’ici là, conseil d’ami : pensez à la tige de selle télescopique.
Liens utiles : notre présentation détaillée du nouveau Specialized Epic – la présentation et notre premier essai des nouvelles roues Roval Control SL
Images : O. Beart, Jurgen Groenwals & David Quesada