Petit lexique illustré du VTT : toutes les clés pour comprendre - Partie 2 : les cinématiques
Par Léo Kervran -
Partie 2 : les cinématiques
Sur un tout-suspendu, la cinématique correspond au déplacement de la roue arrière lorsqu’une force lui est appliquée. Ses mouvements sont conditionnés par la longueur et la position des divers points de pivots et biellettes, ce qu’on appelle généralement l’architecture de la suspension. Pour bien reconnaître les différents systèmes de suspension, on s’intéresse à la façon dont la roue arrière est reliée au triangle avant. Deux vélos avec une architecture globalement identique peuvent avoir des cinématiques très différentes selon qu’un point de pivot soit placé sur les bases ou sur les haubans…
La famille des monopivots : dans un système monopivot, la roue arrière est directement reliée au cadre et le point autour duquel elle pivote est matériellement présent sur le cadre. On distingue 3 grands types de monopivots.
Dans le cas d’un monopivot en prise directe, la roue arrière est fixée sur un triangle arrière fermé (appelé également bras oscillant) qui vient directement pousser l’amortisseur. C’est le système le plus simple et le plus facile à comprendre qui soit, il n’y a qu’une seule articulation : le point de pivot. Le ratio de la suspension, c’est-à-dire l’enfoncement de l’amortisseur divisé par le déplacement de la roue arrière, dépend donc uniquement de la position du point de pivot et du point d’ancrage de l’amortisseur.
Exemples : Orange, Morewood
Un peu plus complexe, certaines marques utilisent un monopivot avec triangle arrière fermé et biellette/basculeur. La roue arrière est toujours fixée à un bras oscillant qui s’articule directement sur le cadre mais cette fois, il ne vient pas directement pousser sur l’amortisseur. Un système de biellette et de basculeur vient faire l’interface entre le triangle arrière et l’amortisseur. Selon les systèmes, la biellette (2 points d’ancrages) vient pousser ou tirer le basculeur (3 points d’ancrages, il bascule sur l’un d’entre eux). Ce fonctionnement permet de modifier légèrement le ratio de la suspension, c’est-à-dire la relation entre le déplacement de la roue et l’enfoncement de l’amortisseur.
Exemples : Scott Gambler 2019, Saracen Myst 2020, Focus Jam et Sam…
Dans cette catégorie, on voit parfois des vélos avec un point de pivot très haut, presque à mi-hauteur du tube de selle. L’intérêt de cette architecture est d’avoir un trajet de roue qui recule sur (presque) tout le débattement. Plus on prend un gros choc, plus le vélo s’allonge donc plus il est stable. L’inconvénient de ce système est que la longueur de chaîne varie énormément selon la position du bras oscillant, ce qui entraîne un kick-back (voir plus loin) important. Pour remédier à ce problème, ces vélos disposent généralement d’une roulette de renvoi concentrique au point de pivot pour modifier le chemin de la chaîne et ainsi absorber les variations de la distance axe de roue-pédalier.
Exemples : Commençal Supreme DH 2020, Norco Aurum HSP 2020…
Du fait de leur construction simpliste, ces monopivots sont des systèmes rigides et très durables si les roulements sont bien dimensionnés. Moins il y a d’éléments en mouvement, moins il y a de points faibles potentiels. En revanche, cette architecture est très sensible au pompage et au verrouillage au freinage. Elle nécessite aussi un grand amortisseur, encore plus s’il est en prise directe sur le bras oscillant.
Il existe un troisième système assez différent visuellement. On l’appelle parfois « faux bar », du fait de sa ressemblance avec un 4 Bar Linkage. Sur cette architecture, pas de triangle fermé. On a un monopivot avec triangle arrière ouvert et biellette/basculeur. Les haubans jouent le rôle de biellette. Comme sur un système à triangle arrière fermé, l’ensemble biellette-basculeur sert à influencer le ratio de la suspension. C’est plus rigide qu’un vrai 4 Bar Linkage et moins sensible au verrouillage au freinage si l’étrier est placé sur les bases mais c’est plus sensible au pompage, comme tous les monopivots. Ce système se retrouve généralement sur des cadres à petits débattements pour lesquels le trajet de roue n’est pas un problème trop important (elle ne risque pas de venir toucher le cadre). Certaines marques comme Scott, Specialized, ou Canyon se passent même de point de pivot sur les haubans et utilisent la flexion des haubans. Cela leur permet de gagner en poids et en fiabilité.
Exemples :
- avec point de pivot arrière : Cannondale Jekyll 2019, Commençal Meta 2020…
- sans point de pivot arrière : Specialized Epic, Scott Spark RC, Canyon Lux…
La famille des points de pivot virtuel (VPP, Maestro, DW Link…) : Sur un système avec un point de pivot virtuel, la roue n’est pas reliée directement au triangle avant. Elle est fixée à un élément du cadre (souvent un triangle arrière unifié) qui est lui-même relié au cadre par des biellettes. Le point de pivot principal de cette suspension se situe à l’intersection des axes des deux biellettes et varie en fonction du débattement. Il n’est donc pas matérialisé sur le vélo, d’où son nom de « virtuel ». En mécanique, on l’appelle le centre instantané de rotation (CIR ou IC en anglais).
La trajectoire de ce point de pivot détermine la trajectoire de l’axe de roue lors d’un choc. Les ingénieurs peuvent donc jouer sur la taille des biellettes et sur la position des points de pivots pour maîtriser précisément le comportement du vélo sur les petits comme les gros impacts et avoir ainsi de la sensibilité au début puis de la stabilité sur les plus gros chocs.
De manière générale, cette architecture est extrêmement polyvalente car elle permet d’obtenir le trajet de roue, le ratio et la progressivité que l’on souhaite. Elle est donc aussi bien adaptée aux vélos de XC qu’aux vélos de DH. C’est également un système peu sensible au verrouillage au freinage. Son principal point faible est la rigidité car toutes les contraintes reposent sur deux petites biellettes et leurs points d’ancrage. La fiabilité peut également être un point faible si les roulements et axes sont sous-dimensionnés.
Exemples : BMC, Giant, Ibis, Mondraker, Niner, Santa Cruz…
4 Bar Linkage (Horst Link, FSR…) : Ce terme désigne une architecture de suspension dont le principe est d’avoir un polygone « ouvert » formé par les bases, les haubans, la biellette et le tube de selle, chacun étant relié aux autres par des pivots. C’est un système assez proche de ce que l’on retrouve sur les suspensions indépendantes des voitures. D’un point de vue purement mécanique, c’est une suspension à point de pivot virtuel car la roue arrière n’est pas reliée directement au triangle avant. Cependant, le trajet de l’axe de la roue arrière est différent et l’architecture aussi, on a donc créé une catégorie à part entière.
L’intérêt du 4 Bar Linkage est triple. Vis-à-vis des monopivots, on peut plus facilement jouer sur le ratio de la suspension suivant la position de la biellette et des points de pivots. On peut donc utiliser des amortisseurs plus petits. C’est également un système plus sensible ce qui permet d’avoir une suspension plus confortable. Cette architecture permet enfin de contrôler un peu le trajet de la roue arrière, au lieu d’être contraint de décrire un cercle qui se rapproche du tube de selle. Certains vélos parviennent à obtenir une trajectoire presque parfaitement verticale. Vis-à-vis d’un système à point de pivot virtuel, elle est plus rigide. En revanche, elle est sensible au verrouillage au freinage et au pompage. Pour limiter ce dernier certaines marques utilisent un amortisseur dit « flottant » : il n’est pas directement accroché au cadre mais est monté entre les bases et la biellette. On retrouve parfois cette architecture sur des systèmes à point de pivot virtuel plus classiques.
Exemples : YT, Transition, Cube, Specialized, Rose…
Pour se défaire des problèmes de verrouillage au freinage, un autre système basé sur le 4 Bar Linkage a vu le jour : on l’appelle le Split Pivot, du nom de la cinématique développée par Dave Weagle (Trek utilise un système similaire appelé ABP). Dans ce cas, le point de pivot arrière est concentrique à l’axe de roue et l’étrier de frein arrière monté sur les haubans. L’idée est de rendre la suspension indépendante des efforts de freinage. En revanche, ce système manquerait de progressivité, rendant le réglage de l’amortisseur plus compliqué. Pour remédier à ce problème, Trek développe ses propres amortisseurs en partenariat avec Fox et RockShox.
Exemple : Trek, Devinci, BH…
Ratio ou rapport de levier : le ratio de la suspension (leverage ratio en anglais) désigne le rapport entre la distance parcourue par la roue arrière et l’enfoncement de l’amortisseur, au fur et à mesure que la suspension se compresse. Chaque cinématique de suspension a donc un ratio moyen (distance totale parcourue par l’axe de roue / course de l’amortisseur) mais aussi un ratio instantané, qui peut varier au cours du débattement. Plus le ratio est élevé, plus il est facile de compresser l’amortisseur et plus la suspension est sensible. A l’inverse, si le ratio est faible il faut plus d’effort pour compresser la suspension. Cela signifie qu’une suspension progressive (sensible au début puis « dure » à la fin pour les plus gros chocs) aura un ratio élevé au début puis bas vers la fin de course donc une courbe de ratio qui descend, comme sur l’image ci-dessous. Pour exprimer la progressivité de la suspension, on utilise généralement un pourcentage, en comparant le ratio au SAG et le ratio lorsque la suspension est entièrement compressée.
Notons aussi qu’un ratio élevé oblige à utiliser des pressions élevées et donc un amortissement (rebond) plus important, ce qui peut user l’amortisseur prématurément. C’est entre autres pour cette raison que le standard Trunnion a vu le jour : sur les vélos à petit débattement, il permet de monter des amortisseurs avec une course plus grande pour diminuer le ratio de la suspension, utiliser des pressions plus faibles et améliorer la fiabilité.
Le ratio de la suspension est donc un facteur essentiel du comportement de cette dernière au cours du débattement. Lors de sa conception, les ingénieurs doivent aussi tenir compte du type d’amortisseur envisagé pour le vélo puisque la raideur d’un amortisseur à ressort, sauf exception, est constante (il fonctionne de manière linéaire sur toute sa course), contrairement à celle d’un amortisseur à air qui augmente progressivement. Si certains vélos peuvent s’accommoder des deux types d’amortisseurs, la plupart ont des cinématiques qui ne fonctionnent bien qu’avec le type d’amortisseur monté à l’origine à cause de cette problématique.
Kick-back : lorsqu’une suspension arrière avec un point de pivot au-dessus du point d’accroche de la chaîne sur le plateau se comprime, la roue recule. Problème : il n’y a aucune structure élastique pour absorber cette variation de longueur. La roue arrière va donc tirer sur la chaîne en reculant ce qui va faire tourner les manivelles vers l’arrière : c’est le kick-back. Cet effet dépend fortement de la position du brin tendu de la chaîne, donc du rapport utilisé. On peut ainsi avoir très peu de kick-back en milieu de cassette et beaucoup plus sur les plus grands pignons, a fortiori si on utilise un petit plateau.
Anti-squat : si on pousse sur les jambes (pour pédaler, pour pomper…) sur un vélo sans chaîne, la suspension va se comprimer naturellement. En revanche, avec une transmission complète, le brin tendu de la chaîne (le brin supérieur) peut venir affecter cette compression, suivant la position du centre instantané de rotation, celle du centre de gravité du pilote et celle de la chaîne, qui définit la direction de l’effort. De ce fait, l’anti-squat varie tout au long du débattement et selon le plateau et le pignon sur lequel on se trouve. S’il est inférieur à 100 %, la tension de chaîne contre peu la compression de la suspension. Le vélo s’affaisse, on a un fonctionnement très souple, c’est confortable mais on perd beaucoup d’énergie au pédalage car le pompage est important.
A l’inverse, s’il est supérieur à 100 %, l’effort exercé par la tension de chaîne est nettement supérieur à la force de compression générée au niveau du boîtier. Le vélo se redresse et la suspension tend à se durcir. C’est très bon pour le pédalage, moins pour l’absorption des chocs. L’anti-squat est donc un paramètre important pour définir le comportement d’une suspension au pédalage mais pas seulement. Il intervient également en virage lorsqu’on appuie sur la pédale extérieure ou sur les bosses et compressions (mouvements de pompage notamment).
Malgré toutes les astuces mises en place par les ingénieurs pour isoler le fonctionnement de la suspension de la tension de la chaîne ou en tirer parti, cette dernière conserve une grande influence sur le comportement d’une suspension arrière. A tel point qu’une casse de chaîne dès les premiers mètres de la coupe du monde de Leogang en 2015 n’a pas empêché Aaron Gwin de remporter la course et ce malgré plusieurs relances au milieu du tracé. L’année d’avant, c’est Neko Mullaly qui terminait 4° des championnats du monde à Hafjell avec le même problème. Dans les deux cas, les américains reconnaissaient à l’arrivée qu’ils n’avaient jamais senti la suspension aussi bien fonctionner. Effet placebo dû à l’absence de bruits de chaîne ou réel bénéfice sur le Trek Session sur lequel roulaient les deux pilotes ? Encore aujourd’hui, il est difficile de déterminer quelle influence cette casse a eu sur les performances de Gwin et Mullaly.
Anti-rise : c’est la capacité de la suspension à rester active au freinage. Sous l’action du frein arrière, un vélo peut soit compresser soit affermir soit ne pas influencer sa suspension arrière, suivant sa cinématique. Avec 0 % d’anti-rise, le freinage n’a aucune influence sur la suspension. Cette dernière reste donc très active face aux chocs mais elle se détend, par le seul effet du transfert de masse à la décélération (poids du pilote). A 100 % d’anti-rise, c’est le point d’équilibre : le freinage équilibre le transfert de masse donc la suspension ne bouge pas et la géométrie du vélo reste la même. En revanche, la suspension peut être un peu moins active. Si on dépasse 100 %, l’effet du freinage dépasse celui du transfert de masses et la suspension se compresse, ce qui peut donner une sensation de « blocage » sur les plus gros freinages. Comme pour l’anti-squat, il varie tout au long du débattement, dépend du centre instantané de rotation et dépend du centre de gravité du pilote.
Attention, des valeurs comme 100 % d’anti-squat et d’anti-rise ne sont pas forcément l’objectif ultime des ingénieurs et ne définissent pas un vélo à elles seules. En regardant ces valeurs, on peut émettre certaines hypothèses quant au comportement du vélo mais il y a tellement d’éléments qui interagissent qu’il serait réducteur de critiquer un vélo sur la seule base de ces courbes. Les ingénieurs peuvent jouer volontairement sur l’anti-squat et l’anti-rise pour définir certaines caractéristiques de leur suspension, avant même de choisir l’amortisseur et ses réglages.