Mort puis renaissance de Probikeshop : interview du directeur Olivier Rochon
Par Paul Humbert -
La disparition du jour au lendemain du site de vente en ligne spécialisé Probikeshop est un des exemples les plus marquants de la crise que traverse l’industrie du cycle. Le site est aujourd’hui ouvert à nouveau, avec un effectif réduit. Le fondateur – et aujourd’hui directeur avec l’aide d’un investisseur – Olivier Rochon nous raconte comment il a vécu cette crise, et les projets de l’entreprise :
Il y a quelques mois encore, Probikeshop faisait partie des leaders de la vente en ligne de vélos, pièces de vélo et accessoires VTT, route et gravel, partout en Europe. À la tête de l’entreprise depuis sa création, on retrouve Olivier Rochon. Après une belle phase de croissance, ce dernier a vendu l’enseigne au groupe Internet Store qui disposait d’un portefeuille de boutiques spécialisées en ligne, d’entrepôts mutualisés en Allemagne (ChainReaction, Bikester…). Ce groupe était lui même abrité par une plus grande structure : Signa.
Si il n’était plus propriétaire, Olivier Rochon est resté responsable de la gestion de la faillite de l’entreprise. Après un « black-out » de plusieurs mois et des licenciements, l’entreprise est de retour avec 24 salariés et toujours Olivier Rochon à sa tête. Il nous explique :
Probikeshop : la chute
La faillite s’est passée à peu près quatre niveaux au dessus de nous. Signa, c’était un groupe autrichien spécialisé dans l’immobilier. C’était très connu en Allemagne, en Autriche, en Suisse, avec à sa tête un milliardaire charismatique. Quand il y a eu la hausse des taux d’intérêts, celui qui était un des plus gros investisseurs immobiliers européens s’est pris un énorme effet ciseau.
La partie Signa n’était pas excessivement bien gérée et après l’introduction en bourse, il y avait eu six cents millions d’euros de pertes en dix-huit mois. Donc forcément, on avait besoin de cash. De mon côté, je n’avais pas de rôle décisionnaire, j’étais le Français qui les faisait chier, et à la fin ils ne m’invitaient plus. Ça avait résolu le problème, mais j’étais toujours le représentant légal de l’entité française. Parce que ça, ils ne voulaient pas l’assumer. Le groupe autrichien, via le milliardaire, finançait et remettait régulièrement au pot pour couvrir les dettes.
L’élément déclencheur de la faillite qui nous a affectés, c’est l’Autrichien qui devait remettre 150 millions d’euros, ce qui donnait un an de perspective au groupe (Probikeshop, Chain Reaction, Fahrrad…). Le lundi 17 octobre à 7h du matin, on m’a appelé pour me dire qu’il avait retiré sa lettre de soutien inconditionnel. Tout ça dans la même phrase, normalement ça ne va pas ensemble.
On savait que c’était compliqué de son côté, mais on ne savait pas à quel point. On est la première branche qui a été coupée. Signa Sport United n’était plus alimenté en cash, donc Internet Store n’était plus alimenté en cash et donc Probikeshop non plus. À partir de là, je me suis retrouvé à devoir lancer la procédure de redressement judiciaire. C’est ta responsabilité de gérant.
Là c’est allé très très vite. L’entrepôt centralisé par Internet Store en Allemagne s’est arrêté. On ne pouvait même pas revendre du stock pour la filiale française. On a arrêté de prendre des commandes pour ne pas planter nos clients. On a remboursé tout ce qui était en cours, parce qu’on avait encore du cash sur les comptes, pour être le plus propre possible. On ne voulait pas cramer la marque. C’était l’enfer sur terre. La procédure de redressement judiciaire s’est ouverte, et il fallait aller très très vite. Il y avait une centaine de personnes qui étaient payées et qui n’avaient plus de travail. Le site internet ne livrait plus de commande. Toute la valeur que tu as créée en 20 ans, si tu ne te bouges pas, elle peut partir à la poubelle.
Ce qui s’est passé derrière, c’est que j’ai lancé une procédure de cession partielle pour qu’il y ait un repreneur pour les actifs. Personne n’allait reprendre l’entité juridique, ça c’était pas possible, il y avait trop de dettes vis à vis du groupe qui avait dilapidé l’argent. De potentiels repreneurs ont été contactés. C’était très humiliant, car en étant toujours le gérant, il faut donner accès à toutes les informations de la société. Le challenge était de trouver un repreneur qui reprenne une logistique opérationnelle, qui recrée un stock et toute la partie IT (informatique). Tout était parti du côté du groupe et n’était plus en France.
Le contexte social n’est pas évident non plus, avec 100 personnes qui t’ont fait confiance et qui sont sur le carreau. L’incertitude est très élevée. J’ai expliqué tout de suite que personne ne reprendra toute la boite et les bureaux, on ne pouvait pas rêver, mais il fallait être clair. Tu avais même pas trois semaines pour étudier le dossier, trouver des fonds et établir un projet prêt à être présenté au tribunal. Début décembre, tout le monde devait se positionner.
Probikeshop : la relance
Je n’avais pas le droit de reprendre seul. Aujourd’hui, j’ai repris en tant que salarié, appuyé par un investisseur (Ken Geissler, de la société Troika, NDLR). Je suis directeur pour la nouvelle entité, mais je travaille pour mon ami.
Mon pote a présenté un plan de reprise, qu’il a présenté au tribunal. En parallèle, Thomas Roualt, le patron de Snowleader que je connaissais depuis longtemps, avait de la capacité logistique. On s’est parlé début novembre, un dimanche après-midi, et il m’a dit que ça l’intéressait. Sans lui, ça aurait été compliqué. Un grand merci. Il n’y a pas eu d’autre offre, juste celle de mon pote. Personne d’autre ne s’est positionné et on a eu le retour du tribunal entre Noël et le jour de l’an, à la période où on a déplacé nos bureaux à l’Ambassade pour une entrée en jouissance au 1er janvier.
Au 1er janvier, on avait la marque Probikeshop, la base client, l’Ambassade et 24 personnes.
Probikeshop : l’avenir ?
On avait comme objectif d’être « live » au premier avril. On a dû tout reconstruire de zéro en 4 mois. On a pris 15 jours de retard et mi-avril, on était prêts à expédier des commandes.
On a arrêté les vélos complets, on a arrêté tout ce qui était urbain, et on voulait vraiment se positionner sur la performance. Musculaire ou électrique, pièces et accessoires. On a un catalogue d’environ 20 000 références, tous nos fournisseurs historiques nous ont suivis. On a eu leur soutien, celui des clients également, sinon je ne serais pas là à parler. Ça a été très dur, mais ça nous a vraiment aidés à avancer.
Au final, on démarre probablement au pire moment niveau business, mais ça nous permet de nous dire qu’on ne rate pas grand-chose. On est repartis de zéro, avec un stock sain, mais si en face les autres sont en sur-stock et déstockent, le climat est mauvais. On revendique d’être spécialistes vélo. On ne fait pas de running, de swimming ou d’outdoor comme le font nos concurrents. Ça ne nous intéresse pas. On fait le pari que les clients veulent des spécialistes en ligne. Tout le monde devient multi-sport et le message est brouillé. Nos conseillers clients ne font que du vélo, ils ne font pas autre chose. C’est très difficile d’être expert dans tout. On est passé par là, nos concurrents font ça pour chercher de la croissance.
Aujourd’hui, la logistique passe par Snowleader, on a une meilleure qualité de service qu’avant la faillite : on livre très bien, on répond au téléphone en étant plus disponibles. On a aussi conservé l’ambassade pour continuer à faire vivre ce lieu. On ne s’est pas fixé d’ambition de chiffre d’affaire. On a juste pour ambition de bien faire notre travail. On est redevenus une PME familiale financée par des êtres humains. Plus que jamais, tout le monde a besoin de tout le monde. À l’issue de cette crise de l’industrie du cycle, il y aura moins d’acteurs, mais on veut en faire partie.
Le (nouveau) site Probikeshop : https://www.probikeshop.fr/