Championnats du Monde de cyclisme esport : un maillot arc-en-ciel sur Zwift ?

Par Léo Kervran -

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Championnats du Monde de cyclisme esport : un maillot arc-en-ciel sur Zwift ?

Le 9 décembre auront lieu les premiers championnats du Monde de cyclisme esport, co-organisés par l’UCI et la plateforme Zwift. Après les championnats du Monde d’e-bike, est-ce la nouvelle lubie de la fédération internationale ? Le cyclisme esport a t-il réellement vocation à devenir une nouvelle discipline institutionnalisée du cyclisme ? Explications et éléments de réponse avec les éclairages de deux pilotes qui participeront à l’épreuve : Jordan Sarrou, le champion du monde de XCO en titre, et Lionel Vujasin, champion de Belgique 2019 sur Zwift.

Depuis, les choses se sont très rapidement mises en place et tout indique que cette première mondiale dans le domaine des compétitions sportives se tiendra effectivement la semaine prochaine. Il existe bien depuis des années des circuits de compétition et des championnats du monde pour certains jeux vidéos (si la sémantique du mot « esport » est encore débattue, force est de reconnaître que ce mot s’est imposé pour désigner ce milieu très spécifique) et d’autre part des ergomètres pour simuler la pratique dans de nombreuses activités (aviron, ski de fond, course à pied…), mais ce sera la première fois qu’une activité fait le pont entre ces deux domaines à la base très différents.

Le cyclisme sur Zwift

Photo René Zieger

Si le cyclisme sur Zwift ressemble à du vélo de route classique, la pratique a toutefois de nombreuses particularités qui la rendent réellement technique et peuvent en faire une discipline à part entière du cyclisme, comme nous l’explique Lionel Vujasin : « La position est différente, on n’a pas de problématiques d’aérodynamisme ou de descentes techniques ici donc c’est tout pour la puissance. Pédaler sur un home-trainer c’est aussi quelque chose de différent, on a de grosses variations de cadence de pédalage avec les résistances. Sur ce point, ça s’approche plus du VTT que de la route. »

« Le phénomène d’aspiration est en revanche beaucoup plus important que sur route, sur Zwift il faut oublier toute tentative d’échappée. Les sprints à l’arrivée sont aussi bien plus longs, autour de 20-30 s en général donc ça demande des qualités différentes. » Des choses au final assez faciles à comprendre et imaginer car elles renvoient à des phénomènes connus, mais il y a aussi des éléments moins évidents qui demandent une certaine expérience sur la plateforme : « Connaître le parcours par cœur est important pour anticiper les variations de résistance. Si je fais une accélération à 800 W, le bénéfice peut aller du simple au double en le décalant de quelques mètres. Enfin, il faut savoir maîtriser et jouer avec le petit délai qui sépare l’effort qu’on produit sur le home-trainer du moment où il est retransmis sur Zwift, c’est notamment grâce à des choses comme ça que les spécialistes peuvent battre des coureurs du World Tour sur route. »

Et encore, on ne vous parle pas des Powerups, ces bonus temporaires qui peuvent être obtenus sur le parcours (à utiliser quand on le souhaite) et influencer l’aérodynamisme, l’aspiration, le rendement ou encore le poids de son avatar et ainsi l’effort à fournir…

Le format

Imaginé par Zwift avec l’aide de sponsors comme Canyon, qui a créé la première équipe professionnelle de cyclisme esport en 2019 (dont fait partie Lionel Vujasin), le cyclisme esport s’est développé et structuré jusqu’à aujourd’hui de façon autonome, sans l’implication de fédérations officielles. Sans la pression du monde du cyclisme traditionnel, ils ont ainsi pu inventer un tout nouveau format de compétition pour exploiter au mieux toutes les particularités de cette discipline à mi-chemin entre le réel et le virtuel.

En Zwift Racing League, tout fonctionne par équipe (3 à 6 athlètes d’une même équipe par course). Les classements généraux sont basés sur le nombre de points acquis par chaque équipe durant la saison, points qui peuvent être acquis avec les résultats de chaque athlète sur les courses mais aussi pendant les courses, avec des évènements intermédiaires (sprints, KOMs…), un peu comme sur une course aux points en cyclisme sur piste. Cela permet de rendre plus vivantes les courses malgré le phénomène d’aspiration très présent qui complique considérablement les échappées. Puisqu’il n’y a pas de récompenses individuelles, les jeux tactiques et stratégiques entre équipes sont aussi très importants.

Cependant, l’UCI a imposé un format bien plus traditionnel pour ces championnats du monde puisqu’ils se dérouleront comme une course classique, où le premier pilote à couper la ligne remporte le titre. Au vu du parcours, particulièrement roulant avec ses 483 m de D+ sur 50 km (« 3 bosses principales d’environ 3 minutes chacune, 5 % de pente », précise Jordan Sarrou), on risque fort d’assister à une course d’attente jusqu’au final en côte du dernier kilomètre. Pas forcément le plus intéressant à suivre, d’autant que c’est au final peu représentatif de la discipline, mais cela devrait permettre aux commentateurs de l’évènement d’expliquer tranquillement aux spectateurs novices le principe, les règles et l’activité dans son ensemble, en attendant une édition 2021 sur un format plus adapté.

Les règles

Photo René Zieger

Les règles de l’évènement ont beaucoup fait parler dans le milieu, notamment en ce qui concerne la participation des pilotes. En effet, l’UCI et Zwift avaient dans un premier temps laissé entendre que le processus de sélection serait ouvert à toutes et tous, avec des épreuves qualificatives pour décrocher son ticket pour ces championnats du Monde. Ce ne sera finalement pas pour cette année car l’UCI, pressée par le temps (difficile de réfléchir à des sélections et de les mettre en place en septembre pour une finale début décembre), a fait le choix de la simplicité : pour participer, les athlètes doivent avoir une licence en cours et être inscrits sur le registre de leur agence anti-dopage nationale, c’est-à-dire être sportifs de haut niveau.

Pour le nombre de places, l’UCI a tenu compte pour chaque nation du nombres d’athlètes inscrit sur ses listes anti-dopage mais aussi du nombre d’athlètes Elite enregistrés sur Zwift et de ceux ayant déjà une expérience dans d’autres évènements Zwift. En ce qui nous concerne, la France et la Belgique ont ainsi toutes deux obtenu 7 places officielles chez les hommes (le maximum), tandis que la Suisse doit par exemple se contenter de 5 places. Chez les femmes, la France a obtenu à nouveau le maximum avec 9 places, alors que la Belgique se situe dans le « deuxième » groupe et devra composer avec 6 athlètes au plus.

Néanmoins, toutes les fédérations ne jouent pas le jeu de la même façon. Côté français, seuls deux athlètes non-spécialistes (Jordan Sarrou et Marie Le Net) seront présents tandis que d’autres pays comme la Belgique chez les hommes ou les USA, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni profitent de toutes leurs places attribuées et même un peu plus.

Un peu plus ? En effet, comme le circuit Zwift s’est construit à l’écart de toute fédération, de nombreux spécialistes n’ont pas le statut d’athlètes de haut niveau et sont de ce fait absents de ces listes, à l’image de Lionel Vujasin. Consciente de ce problème, la plateforme a donc décidé d’attribué des « wildcards », des dérogations à certains athlètes triés sur le volet pour leur permettre de participer malgré tout. La condition, intégrer le testing pool de l’UCI, c’est-à-dire la liste d’athlètes qui doivent se soumettre aux contrôles anti-dopage.

Côté matériel en revanche, Zwift maîtrise bien le sujet et a fait le nécessaire pour que tous les concurrents soient à armes égales. Le home-trainer (un Tacx Neo 2T) est fourni par l’organisation, les performances des vélos virtuels seront normalisées (avec les points gagnés en participant à des courses, on peut acheter du matériel virtuel plus performant en jeu comme de nouvelles roues, un autre vélo, un casque de contre-la-montre…) et la pesée du pilote (avec calibration de la balance) devra être filmée pour éviter tout triche ou erreur de mesure sur cet élément primordial sur Zwift, où les performances sont mesurées en watt/kg.

Seuls deux Powerups seront activés, « Lightweight » et « Aero ». Le premier réduit le poids du pilote de 10 % pendant 15 secondes tandis que le second le rend plus aérodynamique de 10 % pendant le même laps de temps. Tous les coureurs en course recevront le même nombre de Powerups mais l’attribution entre Lightweight et Aero sera aléatoire, chaque athlète aura une chance sur deux d’obtenir l’un ou l’autre de ces bonus.

Les communications entre athlètes seront autorisées et Lionel Vujasin nous confiait ainsi que toute la sélection belge sera réunie sur un serveur Discord (un logiciel gratuit qui permet de discuter par écrit ou à l’oral à plusieurs) pour échanger pendant la course. Un directeur sportif par nation pourra également rejoindre l’épreuve et profiter de la « vue spectateurs » tout en restant dans la zone de départ pour analyser les mouvements de course et guider ses coureurs si nécessaire.

La suite ?

Même si d’excellents VTTistes (Jordan Sarrou, Lars Forster, Annika Langvad) ou routiers (Victor Campenaerts, Thomas De Gendt, Rigoberto Uran, Anna Van der Breggen, Ashleigh Moolman, Annemiek Van Vleuten…) seront présents, on s’attend tout de même à voir une nette domination des spécialistes de Zwift. D’abord pour les raisons techniques évoquées plus haut, mais aussi à cause de la date de l’épreuve : début décembre, la plupart des athlètes de VTT et de route reprennent tout juste l’entraînement après une coupure de quelques semaines en novembre. Ainsi, Jordan Sarrou y va « par curiosité, pour voir ce que ça va donner mais sans prétentions de résultat. J’ai un fond de forme, j’ai repris l’entraînement depuis tout juste 2-3 semaines après 2-3 semaines de coupures donc c’est aussi un moyen de faire des intensités autrement ». Seuls les coureurs et coureuses de cyclo-cross sont en forme, mais ils ont d’autres épreuves sur lesquelles se concentrer.

Les courses auront lieu à 14h40 pour les femmes et 15h45 pour les hommes. En Europe, Eurosport 2 retransmettra en direct l’évènement. En Belgique, la VRT/Sporza et la RTBF pourraient également mettre quelque chose en place, tout comme L’Equipe en France. A défaut, la retransmission sera assurée par Zwift partout dans le monde sur la chaîne Youtube de la plateforme. De notre côté, nous ne manquerons pas de suivre l’évènement pour essayer de mieux comprendre la discipline et son avenir.

Plus d’informations :

uci.org/cycling-esports

zwift.com/eu-fr/2020-uci-cycling-esports-world-championships

ParLéo Kervran