Championnat du monde VTTAE : on fait fausse route…
Par Olivier Béart -
La 2e édition des championnats du monde de VTT à assistance électrique vient d’avoir lieu à Leogang, couronnant le grand espoir britannique du cyclisme Thomas Pidcock chez les hommes et la Française Mélanie Pugin chez les dames. Loin de nous l’idée de rabaisser la performance de ces champions qui sont allés chercher leur titre sous la pluie et dans la boue… mais nous pensons qu’il est indispensable et urgent de réfléchir sur le format de cette épreuve, selon nous complètement à côté de la plaque.
Avant toute chose, il nous semble utile de préciser certains points.
- La rédaction de Vojo dans son ensemble, et l’auteur de ces lignes en particulier, considèrent réellement le VTT à assistance électrique comme une forme tout à fait respectable de pratique de notre sport. Elle permet à un public plus large que jamais de découvrir le VTT, et à des pratiquants qui s’en étaient éloignés pour diverses raisons (emploi du temps ne permettant plus de s’entraîner un minimum pour ne pas transformer chaque sortie en galère, soucis de santé, etc) de revenir au VTT et de vraiment sortir leur vélo régulièrement du garage.
- Jamais nous ne nous permettrions de critiquer ou de remettre en cause les performances des athlètes ayant participé à ce championnat du monde. Ils ont mouillé leur maillot au sens propre comme au figuré vu les conditions météo, fait un réel effort malgré l’assistance (seuls ceux qui n’ont jamais mis leurs fesses sur un VTTAE diront le contraire – les autres savent très bien de quoi on parle et savent aussi que cela reste très sportif) et chacun a mérité sa place. On tient d’ailleurs tout spécialement à saluer les performances des Français, avec le titre de Mélanie Pugin et la nouvelle 2e place de Jérôme Gilloux. Sans aucun chauvinisme (c’est un Belge qui le dit), on aurait d’ailleurs vraiment aimé que ce dernier gagne car, au-delà de sa personnalité très attachante, c’est aussi un authentique spécialiste du VTTAE et un champion hors normes. Quant à la victoire du très polyvalent Thomas Pidcock, sacré chez les U23 juste après et déjà connu pour ses performances sur route et en CX, il a ajouté une preuve – si besoin était – qu’il est un coureur cycliste exceptionnel.
- L’auteur de ces lignes n’est pas non plus juste un gars qui reste derrière son bureau et qui commente sans rien savoir des réalités du terrain. Malgré un modeste niveau amateur, j’ai participé à une très grande variété d’événements, d’épreuves et de courses réservées aux E-Bikes ; dont le premier championnat du monde VTTAE qui a eu lieu en 2019 au Mont-Ste-Anne. C’était d’ailleurs une chouette expérience, qui a bien montré (si besoin était) que le moteur ne fait pas le champion, mais qui a tout de même amené de nombreuses questions.
L’idée est donc vraiment bien de se poser pour réfléchir un instant sur la question suivante : cela a-t-il du sens d’organiser un événement qui s’appelle « championnat du monde de VTT à assistance électrique » qui est en fait une course de moins d’une heure sur un circuit de XC sans réelle spécificité…
De quoi parle-t-on exactement ?
Le souci selon nous, n’est pas l’existence même d’un titre de champion du monde de VTT à assistance électrique. Après tout, pourquoi pas ! Cela valorise les athlètes, les marques et donne une forme de reconnaissance à une manière de pratiquer le VTT, certes récente et encore parfois mal comprise/mal acceptée, mais qui mérite assurément qu’on s’y intéresse. Non, le vrai souci, c’est la forme que prend cette compétition.
Parce qu’elle décerne à la fin un maillot arc-en-ciel, qui est sans aucun doute la récompense la plus prestigieuse et la plus convoitée en cyclisme ; parce qu’elle est aussi la plus visible pour des personnes ne connaissant pas nécessairement bien notre sport, cette course devrait être exemplaire et montrer réellement ce qu’est la pratique du VTTAE, et l’étendue de ce que ces machines d’un genre nouveau permettent réellement.
Le souci est que l’UCI semble se contenter simplement de dupliquer un format existant et d’y coller l’étiquette « e-bike » sans mener une réelle réflexion de fond pour savoir si c’est vraiment la meilleure formule.
Au lieu de cela, nous avons ici simplement un duplicata d’une course en format XC olympique. Les organisateurs de la première édition au Québec avaient bien proposé quelques variantes intéressantes par rapport au parcours XCO classique ; ceux de Leogang qui ont repris l’organisation de l’épreuve en dernière minute pour cause de Covid-19 et d’annulation de la part de Lenzerheide ( où devaient initialement se tenir les Worlds XC 2020) n’ont quant à eux pas vraiment eu l’occasion de se creuser les méninges pour proposer un parcours vraiment adapté, même si la pluie a tout corsé. Ils ont des excuses, c’est vrai, et on peut se réjouir d’avoir eu un championnat du monde cette année… Mais qu’importe : le souci est que l’UCI semble se contenter simplement de dupliquer un format existant et d’y coller l’étiquette « e-bike » sans mener une réelle réflexion de fond pour savoir si c’est vraiment la meilleure formule. Plusieurs éléments nous permettent d’en douter.
Pourquoi on fait fausse route ?
Aujourd’hui, les ventes de VTT à assistance électrique représentent près de la moitié du marché. Les pratiquants sont sans cesse plus nombreux, mais les événements consacrés au VAE ne font pas vraiment le plein, à quelques exceptions près dont on ferait d’ailleurs sans doute bien de s’inspirer. Quant aux « compétitions » au sens plus strict du terme, il n’est pas rare qu’elles n’accueillent que quelques partants. Ce décalage s’explique selon nous par le fait que trop d’événements font une épreuve e-bike « pour faire de l’e-bike », par opportunisme, pour être dans l’air du temps, mais sans vraiment savoir de quoi il s’agit, sans avoir pris le temps d’une réflexion de fond sur les attentes des pratiquants et sur la pertinence de ce qu’ils proposent.
Heureusement, il y a de bons contre-exemples. La liste n’est pas exhaustive mais dans les événements auxquels nous avons eu l’occasion de participer, on pense notamment aux 24h des Crapauds qui proposent une version e-bike sur un parcours en grande partie spécifique, taillé pour exploiter les capacités d’un VAE, sans pour autant perdre la convivialité de l’événement. On pense aussi à une Transvésubienne, dont le parcours se prête par nature très bien à l’exploitation des qualités d’un VAE, tout en laissant aussi au pilote une grande part du boulot au niveau du pilotage et de la gestion de la batterie. Il y a aussi les épreuves du Bosch E-MTB Challenge, séduisantes par la mixité des activités proposées ; ou encore dans un style enduro plus extrême, l’Electro Bike des Portes du Mercantour, qui permet vraiment de pousser les hommes et les machines dans leurs derniers retranchements.
A côté de cela, franchement, à part le fait que des pilotes de haut niveau sont réunis à un même endroit au même moment, ce qui donne une certaine valeur au titre, quel est l’intérêt de faire tourner des gars et des filles en e-bike pendant 1h à bloc sur un circuit de XC ? Est-ce vraiment cela qui dit quelque chose de la qualité d’un VTT à assistance électrique, de son autonomie, de la qualité de son assistance ? Est-ce cela qui met au mieux en avant les qualités des pilotes qui pratiquent vraiment le VTTAE toute l’année, non par simple intérêt, mais par réelle envie et conviction ?
Les pilotes présents au départ des deux premières éditions de ce championnat du monde de VTTAE, justement, parlons-en. Peut-on en vouloir à une marque (Specialized pour ne pas la citer), d’envoyer ses meilleurs jeunes talents en mission pour ramener le maillot et le titre à leur employeur ? Non. Il savent que cela peut donner de la visibilité à la marque, ils mettent en place une stratégie pour conquérir le titre, et ça marche. C’est pro, ils font le job, rien à dire. Mais retrouver sur une ligne de départ fort clairsemée seulement quelques pilotes qu’on voit en VAE le reste de l’année, entre d’anciens champions, des gens de l’industrie et des petits jeunes venus en mission pour ramener une médaille à leur équipe, cela en dit long sur le décalage entre cette course et la réalité de la pratique.
Avant de passer à quelques propositions de réflexion pour la suite, soyons clairs à propos des anciens champions qui se mettent au VAE. A nos yeux, c’est plutôt une bonne chose et nous trouvons cela très sympa. Cela montre que le VTT à assistance électrique peut permettre un mélange de catégories d’âge différentes (on pourrait même imaginer une course mixte hommes/femmes, tout en décernant un titre féminin spécifique à la fin… mais nous sommes persuadés qu’il pourrait y avoir quelques surprises au général !), et certains d’entre-eux, comme Julien Absalon, ont acquis une vraie légitimité dans le domaine au fil des années passées à utiliser un VAE en complément de leur VTT classique qu’ils n’ont jamais lâché. Mais ce serait d’autant plus sympa s’il y avait un réel mélange avec d’autres VTTistes, dont certains nouveaux noms que le VTTAE aurait permis de faire émerger. Or, à part le cas remarquable de Jérôme Gilloux, les spécialistes demeurent rares.
Pour que de « vrais » pilotes de VTTAE émergent, pour que la légitimité des pilotes présents sur la ligne de départ d’un championnat du monde, il faudrait une série de courses spécifiques permettant de sélectionner les pilotes autorisés à participer au championnat du monde sur base de critères cohérents, comme c’est le cas dans les autres disciplines. Et il faudrait surtout que cette série de courses répartie sur toute l’année soit cohérente, complète et réellement pensée en fonction des spécificités du VAE. Ainsi, ce championnat du monde serait le point culminant d’une saison et pas comme actuellement un arbre esseulé et pas en grande forme, qui ne peut cacher un grand désert.
Soyons constructifs : quelques pistes d’avenir
L’idée avec cette petite bafouille, ce n’est pas de cracher dans la soupe. C’est juste d’essayer de mettre des mots sur ce sentiment de malaise qui nous habite depuis un moment par rapport à ce genre de course. Et c’est aussi et surtout essayer de secouer le cocotier, de susciter de débat et, modestement, d’amener quelques changements.
Même si elles sont toujours un peu en train de se chercher, les épreuves mondiales de VTTAE d’enduro semblent tout doucement trouver une direction un peu cohérente sous l’égide des EWS. La partie « XC » se cherche par contre toujours. Mais au fond, comme un des atouts des VTTAE, c’est leur polyvalence ; et comme on voit à peu près les mêmes vélos sur les différents formats (ainsi que certain(e)s pilotes – on pense à Mélanie Pugin notamment), ne serait-il pas pertinent d’imaginer la mise en place d’une forme de coupe du monde réunissant différents types d’épreuves : XC, marathon type TransV, épreuve d’endurance type 24h, enduro, etc.
Pourquoi ne pas imaginer un championnat du monde au format inédit et spécifique, disputé sous forme de rallye, mettant justement en avant toutes ces qualités dans un format plus compact, sorte de TFJV pour adultes électrifiés ?
Gestion de l’autonomie, fiabilité, relation homme/machine, qualités techniques, qualités physiques aussi : voilà de quoi couronner des hommes/femmes et des machines ultra complets, qui montrent qu’ils peuvent fonctionner en osmose. Puis, en guise d’apothéose, pourquoi ne pas imaginer un championnat du monde au format inédit et spécifique, disputé sous forme de rallye, mettant justement en avant toutes ces qualités dans un format plus compact, sorte de TFJV pour adultes électrifiés ? Utopique ? Peut-être. Mais notre monde serait bien morne sans utopies et elles ont souvent le mérite d’être le point de départ de changements de fond. Sans ces changements, sans innovations, sans adaptations, sans réflexion, nous ne voyons clairement aucun avenir à ce type de compétition VTTAE.
Images : Whyex
Vous pouvez aussi en savoir plus et découvrir notre vision de la pratique de l’e-bike dans ces deux vidéos :