MIPS, Spin, WaveCel, Koroyd… Eclairage sur le casque 2.0
Par Léo Kervran -
Depuis quelques années, de nouvelles technologies ont fait leur apparition dans le domaine des casques de vélo. Du MIPS en 2007 jusqu’au WaveCel cette année, de plus en plus de fabricants proposent des solutions pour améliorer leur niveau de protection et aller au-delà des exigences légales. A quoi ça sert ? Comment ça fonctionne ? Vojo vous guide et vous explique les systèmes derrière ces noms de plus en plus courants.
Pour bien comprendre l’intérêt de ces nouveaux produits, il faut d’abord savoir ce qu’on a dans notre tête. Notre cerveau est l’un nos organes les plus vitaux et il est de ce fait plutôt bien protégé. De l’extérieur vers l’intérieur, on a ainsi : L’ensemble du cerveau flotte donc littéralement dans la boîte crânienne grâce au liquide cérébro-spinal. Cela lui procure une très bonne protection contre les chocs car il peut ainsi se déplacer légèrement dans toutes les directions sans heurter les os du crâne (ce qui entraînerait des lésions). Le cuir chevelu est également bien plus utile qu’il n’y paraît car il peut glisser sur la boîte crânienne. En cas de chute sur la tête, ce glissement va dissiper une partie des rotations liées au choc, aussi importantes que la force de l’impact en lui-même. Aussi efficaces soient-ils, ces mécanismes ont leurs limites (il faut dire aussi que l’être humain n’a pas été conçu pour faire du VTT au départ). Lorsque ces mécanismes sont dépassés et que les structures sont lésées, on parle de traumatisme crânien. Lorraine Truong, rideuse et ingénieure suisse victime d’une violente commotion cérébrale sur l’EWS de Samoëns en 2015 et toujours en convalescence, propose une très bonne analogie sur son site pour comprendre ce qu’il se passe : Résultat : Bien que la boîte en carton soit en parfait état, vous avez pu entendre la balle frapper l’intérieur de la boîte. Suivant le type de force à l’origine de la blessure, les lésions peuvent être localisées en surface au niveau de l’impact, à l’opposé ou même en profondeur (corps calleux, tronc cérébral) lorsqu’il y a cisaillement ou rotation ou que l’accélération est très violente. Le plus souvent, cette accélération ou décélération se produit suite à un impact mais de simples mouvements rapides et violents de la tête (d’avant en arrière par exemple) peuvent également être à l’origine d’un traumatisme. Le syndrome du bébé secoué en est un bon exemple.Un peu d’anatomie…
Les normes
Intéressons-nous maintenant à la manière dont les casques de VTT sont testés avant d’être mis sur le marché. En France et dans l’Union Européenne, ils doivent respecter la norme EN1078+A1 de février 2013 qui s’applique aux casques de vélo, de planche à roulettes et de patins à roulettes. Cette norme stipule que les casques doivent être testés sur des impact à 20 km/h sur une enclume plate et sur un angle. L’énergie de l’impact (ou accélération) doit être inférieure à 250 g (l’unité d’accélération, pas la masse).
Pour mieux comprendre cette norme, il faut comprendre ce qui se passe lorsque l’on chute. On distingue deux types d’accélérations sur un choc : les accélérations linéaires, c’est-à-dire la part de l’impact dirigée droit vers le centre du crâne, et les accélérations angulaires qui entraînent une rotation de la tête. A moins de tomber avec la tête parfaitement à 90° par rapport au sol, c’est-à-dire droit comme un I (très courant en VTT, vous en conviendrez), on retrouve ces deux accélérations dans toutes les chutes.
La norme ignore complètement ces accélérations angulaires et c’est là que les premiers problèmes apparaissent… En effet, il semblerait qu’elles entraînent plus facilement des pertes de conscience que les accélérations linéaires. Les mouvements rapides de rotation font pivoter les hémisphères autour du tronc cérébral, ce qui entraîne des lésions au niveau de ce dernier. Or, le tronc cérébral est une structure essentielle dans le contrôle de l’éveil et de la vigilance…
La vitesse à l’impact est elle aussi très faible, même en VTT la moindre descente vous propulse aussitôt à 30 km/h.
Cela fait longtemps que les fabricants de casque ont compris qu’il fallait donc aller bien au-delà de ce qui est légalement requis (hormis la norme ASTM F1952 – 15 de descente, les normes américaines sont encore plus permissives) pour proposer des produits réellement adaptés à la pratique du VTT et sécurisants.
Les différentes technologies
MIPS
Le MIPS (pour Multi-directional Impact Protection System) est probablement le plus connu et le plus courant de ces systèmes. Développé par une équipe suédoise indépendante dès 1996, les premiers modèles à en être équipés ont vu le jour en 2007. En vélo, la marque a commencé par s’associer avec Poc et travaille désormais de manière très étroite avec Bell et Giro, même si de nombreuses autres marques intègrent un liner MIPS dans leur casque.
Le principe du MIPS est similaire à celui de notre cuir chevelu : permettre à la coque du casque d’avoir une certaine liberté de mouvement (10-15 mm dans toutes les directions) vis-à-vis de notre tête. Cela permettrait de réduire l’impact des accélérations angulaires. Suivant les variantes, le MIPS prend généralement la forme d’un liner transparent (anciennement jaune) ou d’élastiques jaunes entre le système de serrage et la coque en EPS.
En revanche, ces dispositifs n’apportent strictement rien sur le plan de l’absorption directe de l’énergie du choc. C’est pourquoi la dernière option en date, MIPS Spherical, prend la forme d’une coque complète en EPP, une mousse un peu plus souple que l’EPS qui compose le reste du casque. Cependant, ce produit est encore peu présent sur les casques de vélo (uniquement sur le Bell Super DH et le Giro Aether) car il nécessite de repenser de façon plus complète la conception du casque.
Poc SPIN
Le système SPIN (pour Shearing Pads INside) a été lancé par la marque suédoise Poc l’année dernière après des années de collaboration avec MIPS. L’idée derrière ce système est la même, réduire l’impact des forces rotationnelles, mais le mode de réalisation est beaucoup plus simple. Ici, c’est directement les mousses de confort à l’intérieur du casque qui intègrent un gel qui peut s’étirer dans toutes les directions.
Ce système est beaucoup plus simple à intégrer dans un casque et facile à faire évoluer, si Poc découvre un nouveau gel plus intéressant par exemple. En revanche, il n’apporte pas de solutions pour la réduction de la force des impacts.
Fox Fluid Inside
Très similaire dans sa conception au SPIN de Poc, la technologie Fluid Inside (développée à l’Université d’Ottawa) prend place entre la mousse EPS du casque et les mousses de confort. Pour l’instant présents uniquement dans le nouveau casque intégral Fox Rampage, ces pads sont censé « imiter le comportement du liquide cérébro-spinal ». Ils doivent procurer une protection contre les forces linéaires comme contre les forces rotationnelles.
Mise à jour du 04/06/19 : MIPS a racheté le 29 mai la marque Fluid Inside et tous les brevets qui y sont liés. MIPS indique que ce rachat fait partie de leur plan stratégique pour rester leader dans le domaine mais on peut espérer que des synergies se mettront en place au niveau du développement entre la marque suédoise et les canadiens.
Leatt 360° Turbine Technology
La solution proposée par Leatt prend place entre la coque EPS et le système de serrage + mousses du casque, comme le MIPS. En revanche, sa conception est très différente. On a ici de nombreuses petites turbines (comme son nom l’indique) de quelques millimètres d’épaisseur en gel. Ces turbines peuvent à la fois s’écraser pour réduire l’énergie du choc et se tordre pour réduire les accélérations angulaires transmises à la tête.
Vu le volume de ces turbines, il est difficile de savoir si elles ont un réel apport en terme d’amortissement. Leatt a réalisé une étude pour en mesurer les effets et il semble cependant qu’il y ait un réel effet (vis-à-vis d’un casque identique sans technologie particulière). Pour ceux qui souhaitent creuser un peu plus le sujet, l’étude est disponible ici.
Kali LDL
Le LDL (pour Low Density Layer) est le système proposé par la marque californienne Kali. Il est assez similaire à la 360° Turbine Technology de Leatt, dans la mesure où ce sont des inserts en gel qui prennent place entre la coque du casque et le système de serrage + mousses. Là aussi, ces inserts peuvent s’écraser et se tordre pour réduire à la fois l’impact du choc (sur ceux de faible intensité) et les accélérations angulaires. En revanche, ils prennent ici la forme de petits tubes creux sur un socle, plutôt que les turbines isolées des sud-africains.
Comme pour la 360° Turbine Technology, on peut se demander si ces petits tubes sont réellement efficaces pour amortir les chocs vu leur faible hauteur. Kali ne parle d’ailleurs d’amortissement que pour les chocs à faible énergie.
Bontrager WaveCel
Le dernier en date dans la catégorie ! Le WaveCel de Bontrager a fait beaucoup de bruit a sa sortie il y a quelques semaines en annonçant réduire le risque de traumatisme crânien jusqu’à 48 fois par rapport à un casque standard. Si vous souhaitez comprendre d’où sort ce chiffre impressionnant, l’étude (en anglais) est disponible ici.
Le WaveCel est une structure cellulaire capable de s’écraser et de se déformer. Contrairement aux systèmes cités au-dessus qui ne prennent finalement que peu de place dans le casque, le WaveCel remplace environ 50 % de la mousse EPS qui constitue habituellement le matériau absorbant.
Sa construction particulière en forme de vagues (d’où le nom) lui permet à la fois de s’écraser pour réduire l’énergie du choc, de se tordre et de glisser vis-à-vis de la mousse EPS pour atténuer les accélérations angulaires transmises à la tête.
En revanche, le matériau utilisé est plus lourd que la mousse EPS malgré la structure très ouverte. L’utilisation du WaveCel alourdit ainsi un casque d’environ 53 g ce qui n’est pas négligeable (cela représente entre 15 et 20 % du poids d’un casque).
6D Helmets ODS
Moins connue dans le milieu du VTT que ses concurrents, la petite marque californienne 6D Helmets (qui sponsorise notamment Sylvain André, champion du monde 2018 de BMX) a elle aussi développé un système visant à mieux amortir les chocs et réduire l’impact des accélérations angulaires.
L’ODS (pour Omni-Directional Suspension) prend la forme de nombreux petits « amortisseurs » en élastomère qui relient 2 coques en mousses EPS. Celle au contact de la tête est donc littéralement suspendue vis-à-vis de celle en contact avec l’extérieur (et le sol en cas de chute). En forme de sabliers, ces élastomères peuvent à la fois s’écraser et se tordre pour absorber les accélérations dans toutes les directions.
Ces élastomères sont trop souples pour les chocs les plus violents, d’où la présence encore importante de mousse EPS. D’après la marque, ils sont cependant utiles sur les chocs à faible vitesse (rebond de la tête après une chute, chute depuis une faible hauteur…) là où l’EPS est précisément trop rigide pour amortir le choc.
Autre inconvénient, l’ODS alourdit considérablement le casque. L’ATB-1T Evo, le casque open face de 6D Helmets, pèse ainsi aux alentours de 520 g alors que la moyenne pour un casque de cette catégorie se situe plutôt autour de 370 g.
Koroyd
Dernière technologie importante dans ce domaine, le Koroyd est un matériau développé par une entreprise monégasque. Il ne se cantonne donc pas aux casques de vélos et on le retrouve notamment dans des skis (Salomon, Head), des snowboards (Nitro), des sacs à dos (Head, Nitro, Endura), des protections des cervicales pour moto et même des casques de chantier.
Le Koroyd se compose de tubes en polymère de faible densité avec une résistance à la compression élevée, « soudés » entre eux par un autre polymère. Visuellement, il ressemble à une structure en nid d’abeille, la forme hexagonale en moins.
Dans le domaine des casques de vélo, le Koroyd est utilisé uniquement par Endura et Smith pour l’instant. Comme le WaveCel, il vient remplacer une grande partie de la mousse EPS. En revanche, ce matériau n’intervient pas du tout sur la réduction des forces rotationnelles. Smith a ainsi intégré un liner MIPS dans ses casques pour « compenser » cette absence.
D’après la société qui le conçoit, le Koroyd serait un matériau extrêmement performant dans l’absorption de l’énergie d’un choc. Elle annonce réduire jusqu’à 8 fois le risque de fracture du crâne sur un choc à 22 km/h par rapport à la norme européenne. Les casques incluant le Koroyd sont ainsi conçus et testés pour ne pas excéder 183 g d’énergie à l’impact alors que 250 g suffiraient pour satisfaire aux exigences de la norme. La société milite d’ailleurs pour revoir la norme et faire des 183 g le nouveau seuil.
En conclusion
Elles ne sont pas abordées dans cet article mais de nombreuses marques ont également développé des technologies spécifiques dans la conception de la mousse EPS du casque. Ces solutions, qui mettent généralement en oeuvre plusieurs densités de mousses liées les unes aux autres de manière plus ou moins complexes, se concentrent exclusivement sur l’absorption de l’énergie du choc. On peut ainsi citer le Composite Fusion chez Kali ou encore le Varizorb chez Fox (photo ci-dessus).
Les chiffres annoncés par les marques sont bien sûr à prendre avec des pincettes. Même si certains produits ont été développés en collaboration avec des laboratoires ou des hôpitaux, ce sont des marques et elles doivent vendre leurs produits. On peut par exemple se demander si les 10-15 mm de liberté autorisés par le MIPS sont suffisants pour réduire les accélérations angulaires, sachant que nous avons déjà le cuir chevelu en dessous.
Cependant, au-delà des discours marketing, on ne peut que se réjouir que de plus en plus de marques mettent des moyens dans ce domaine. Pour une fois que l’industrie se préoccupe de notre sécurité au lieu de développer un nouveau standard pour nous faire gagner 3 secondes sur 5 km, on ne va pas se plaindre de cette course à l’innovation !
La prochaine étape sera peut-être de faire changer la norme, même si certains s’y emploient déjà comme MIPS ou Koroyd. Le processus normatif est extrêmement long, ce ne sera probablement pas avant plusieurs années.
En attendant de nouvelles évolutions, voici déjà quelques conseils pour choisir un casque, même sans aucune des technologies citées dans cet article :
- si la surface du casque est lisse, c’est pour lui permettre de glisser au sol en cas de choc et réduire (encore une fois) les accélérations angulaires. Evitez donc les autocollants, les supports de caméra non démontables…
- le poids du casque est un facteur très important. Moins il y de masse suspendue au-dessus du cou, moins l’énergie de l’impact sera importante. Cela ne signifie pas qu’il faut prendre un casque de route pour faire de la DH mais si vous hésitez entre 2 casques similaires, le meilleur choix est probablement le plus léger.
- l’ajustement du casque est essentiel et comme pour les chaussures, il faut essayer avant d’acheter. Un casque mal ajusté et/ou mal réglé qui tourne ou glisse sur la tête sera beaucoup moins efficace en cas de chute.
A l’ère des objets connectés, des systèmes électroniques commencent aussi à être intégrés aux casques. On pense notamment au Specialized ANGi présenté l’année dernière et qu’on retrouve sur les casques haut de gamme de la marque. Il consiste en une petite balise capable de détecter une chute et d’envoyer un signal à des contacts d’urgence choisis au préalable. Des projets similaires apparaissent de temps à autre dans des concours de design ou sur les plateformes de financement participatif mais ne ils se concrétisent pas souvent.
Par ailleurs, le développement de l’impression 3D permettra peut-être l’émergence de nouveaux matériaux et structures plus adaptés que la mousse EPS pour la gestion des chocs. La start-up canadienne Kupol proposait par exemple l’année dernière un projet de casque imprimé en 3D, sans mousse EPS.
Une chose est sûre, même sans contrainte légale nos casques n’ont pas fini d’évoluer et c’est plutôt une bonne chose…