Mini-interview | Yvan Clolus : « la fédération a une logique de très haute performance »
Par Léo Kervran -
Manager des équipes de France de XC, voilà qui n’est pas un métier facile vu la densité et la diversité des pilotes français aujourd’hui. Il y a quelques semaines, nous avons pu passer quelques minutes avec Yvan Clolus lors d’une journée d’entraînement et de reconnaissance sur le circuit des Gets, en vue des championnats du monde. L’occasion de lui demander comment, du point de vue de la fédération, on compose avec autant d’athlètes, avec leurs particularités, leurs projets… Explications :
Vojo : Tu évoquais la situation de Loana en off juste avant, elle nous disait qu’elle envisageait de faire des impasses cette année (voir Mini-interview | Loana Lecomte : « J’ai su prendre du recul »). Comment vous prenez ça à la fédération, à quel point est-ce que tu mets le curseur, le degré d’importance sur les championnats du monde ?
Yvan : Toute notre réflexion et notre stratégie fédérale est organisée en partant des JO. Les JO, ça demande d’être prêt le jour J. Là on est sur un cycle de 3 ans donc c’est d’abord « comment on fait pour être prêt le jour J, le 28 ou 29 juillet 2024 » et en cascade on organise le reste, ce qui veut dire travailler des choses qu’on a identifiées.
Avec Loana, même si on aurait l’impression que tout est acquis, être capable de mettre en place une stratégie d’objectifs c’est intéressant. Avoir Les Gets cette année en objectif ça conditionne tout le reste, ça challenge personnellement son team, son entraîneur perso, etc, et nous aussi à côté.
Après il ne faut pas tomber dans la caricature, dire que tout le reste sert à faire avancer le projet global qui est la médaille ou le titre aux Jeux et le titre ici aux Gets, c’est vrai mais ça veut pas dire qu’on prend par-dessus la jambe le reste, au contraire.
Vojo : Donc on a d’un côté l’objectif des courses d’un jour, des JO pour Pauline et Loana chez les filles et l’équivalent pour les garçons mais pour les autres, ceux qui sont un peu entre deux eaux ? Thomas Griot par exemple, qui est là aujourd’hui (lire Interview | Thomas Griot : tourné vers l’avenir), est-ce que ça peut être intéressant de construire sa performance sur une saison de coupe du monde pour le faire progresser et ensuite, s’il arrive régulièrement dans le top mondial, de le faire basculer sur une préparation pour un jour ?
Yvan : Pour Thomas la trame de fond, la réflexion, est la même mais dans l’opérationnel c’est clair que c’est un peu différent. Il a besoin de plus courir, il ne fera plus d’impasse comme c’était peut-être prévu à un moment donné. Il a besoin de remonter dans la hiérarchie mondiale, il a besoin de points, il a besoin de se rassurer, de retravailler. Comme dans tous les plans il y a les aléas de la vie qui font que les plans on les fait, on les défait et on les refait mais avec le COVID on a l’habitude depuis 3 ans, c’est pas un souci.
En termes de progression pour des athlètes comme Thomas, ils identifient clairement avec nous ce qu’il y a encore à travailler. Les courses servent aussi à travailler tout ça et donc si on reste dans cette objectif de course d’un jour, de championnats du monde, l’équipe de France qui sera montée pour les championnats du monde ne sera pas forcément représentative du niveau actuel, enfin du niveau de la saison 2022 de coupe du monde mais plus de qui sera capable de performer sur un jour J.
Vojo : Vu de l’extérieur, du public, cette organisation ou cette articulation n’est pas forcément évidente à comprendre.
Yvan : Il y a forcément un peu des deux, c’est-à-dire que nous on a clairement un groupe identifié hommes et dames avec lequel on travaille pour la suite, pour l’avenir. Quand je dis l’avenir c’est cette année, c’est Paris mais c’est aussi Los Angeles déjà avec certains. C’est la trame de fond et puis il y a l’actualité, les résultats à la semaine et les dynamiques de chacun, etc. On voit la dynamique de Thomas et sa blessure, on voit la dynamique de Stéphane Tempier en début de saison avec ses soucis médicaux… En fait, on est capable d’avoir différents niveaux de réflexion suivant l’actualité, les athlètes et puis les conditions dans lesquelles ils sont.
Après, un championnat du monde en France, forcément à la fédération on a toujours une logique de très haute performance. On ne donne pas de sélection pour récompenser nos athlètes, on sélectionne les athlètes qui sont dans une démarche de top niveau, de médailles ou de médailles demain. Il y a aussi des quotas UCI qu’il faut respecter et en fonction de ça on fait des choix, en toute transparence.
On a droit à un quota de 7 pour la France en Elites dames. Aujourd’hui, on n’a pas 7 athlètes françaises qui ont le niveau d’exister dans le championnat du monde donc il n’y a même pas de sujet. On a peut-être un sujet chez les hommes, avec peut-être 8-9 garçons qui pourraient prétendre à une sélection mondiale, on fera une sélection large mais ce n’est pas une sélection large parce que c’est Les Gets uniquement. C’est parce qu’on a une grosse densité chez les hommes, on le voit bien avec un turn-over de 7-8 garçons capables d’être dans le top 10 ou le top 5 en World Cup.
Vojo : Et si on prend l’exemple de quelqu’un comme Victor Koretzky ? Est-ce que vous pourriez le mettre dans la sélection malgré sa saison différente, s’il voulait prendre part à ces championnats du monde ?
Yvan : Alors oui, parce que la démarche est différente avec Victor. On a identifié que ce qui manquait peut-être pour la médaille olympique, c’est-à-dire passer de 5e à 1, 2 ou 3 aux Jeux ça paraît simple mais c’est très compliqué. Ce qui manque pour Victor, c’est peut-être quelques points de physique on va dire, de moteur, et on a estimé que le passage par un an et demi ou deux ans sur la route pouvait peut-être lui donner ça.
Vojo : Donc vous l’avez encouragé ?
Yvan : On ne l’a pas encouragé, on a accompagné ce projet. Ça vient d’abord de lui mais on estime que ça peut être le bon moment. A 29 ans de toute façon… C’est pas à 33 ans qu’il allait signer un contrat chez les pros donc on a décidé de l’accompagner là-dedans. Le bilan de tout ça il se fera plutôt à l’automne en fin d’année.
On a validé le fait qu’il prenne ce risque-là dans sa carrière. Victor, c’était son moment, il pouvait engranger quasiment [des victoires, en restant dans le VTT] mais il prend le risque de repasser au fond de la classe sur la route, à prendre des peignées pendant des mois chaque jour de course. Alors, il a gagné une course mais globalement il prend plutôt des fessées. Et quand il revient sur deux coupes du monde il fait 33 puis 20 et quelques [22e] alors qu’il venait de gagner sur route, c’est un effort pour lui qui est énorme je trouve.
Pour moi c’est beau de savoir faire ça alors qu’il aurait pu dire « j’engrange et voilà ». Non, il fait ça dans une logique aussi de dire « si je veux revenir pour Paris 2024, autant que je revienne en étant en capacité de faire encore mieux que Tokyo« . C’est pour ça que tous les projets sont vraiment individuels, on échange, on valide et on se tient au projet.
Je ne remets pas en cause Victor parce qu’il sort de 30e ou 20 en coupe du monde, non. Victor, je me rappelle que l’an dernier il est capable d’en gagner deux, de faire 5e aux Jeux et d’être médaillé aux championnats du monde. Derrière un guidon c’est à peu près le meilleur crosseur du monde techniquement. Il aurait pu se contenter de dérouler, enfin c’est péjoratif dérouler, mais voilà ce n’est pas lui.
C’est un champion et il veut essayer ça, si ça se trouve le risque qu’il aura pris ne payera pas mais la vie c’est ça. C’est des risques et ça ne paye pas à chaque coup. Après si je vois qu’il est en capacité, en outre qu’il prépare ça et qu’il me dit « banco », tout le monde comprendra qu’il soit au départ de ce championnat du monde.
Vojo : En parlant de sélection et de progression, comment places-tu les Français en XC aujourd’hui ?
Yvan : En France il faut être lucide, aujourd’hui on n’a pas d’athlètes en capacité de gagner en écrasant, de gagner plusieurs fois, etc. On a plusieurs athlètes capables d’aller chercher le top 5, le top 3 ce qui est déjà très bien et très dur mais on voit qu’il nous en manque un petit peu face à Schurter, Flückiger, Pidcock… Ils sont 3-4 comme ça et nous on est on est tout de suite après donc on travaille.
Vojo : Dans les Elites Hommes actuels, les 7-8 que tu évoquais plus tôt, est-ce que tu crois qu’un de ces gars-là peut se transformer et devenir ce Schurter, ce Flückiger, régulier au sommet ?
Yvan : En fait déjà, je ne suis pas, comment dire… Je n’ai pas une démarche de voyance, j’ai une démarche d’accompagnement. La vie m’a montré que beaucoup de choses étaient possibles et qu’il fallait justement sortir de la croyance ou de la voyance. L’idée c’est vraiment de tous les accompagner un par un dans ce qu’ils sont capables de faire avec de la bienveillance mais sans concession je dirais.
A ce niveau-là, quand vous êtes athlète vous êtes entouré de gens qui vous disent que vous êtes superbe, parfait, beau et rapide. Ce n’est pas ça ma démarche, ma démarche c’est de dire « Maxime il te manque ça, Thomas il te manque ça ». On le partage avec l’entraîneur perso, avec le team et on travaille mais ce qu’il faut comprendre c’est qu’on n’attend pas d’eux… En fait c’est impossible d’attendre d’eux une transformation, ce qu’il faut attendre c’est les derniers micro-ajustements qui vous font passer de 98 à 100 %. Aujourd’hui ils sont à 97-98 par rapport à un Schurter : Victor, il est 5e à 12 ou 16 secondes de la médaille [aux Jeux Olympiques de Tokyo] sur 1h20-30 donc en termes de pourcentage c’est très peu. La base et les arguments, les outils pour gagner ils les ont mais on est dans le dernier peaufinage, dans les dixièmes.
Nos entretiens avec Loana Lecomte et Thomas Griot enregistrés le même jour :
Mini-interview | Loana Lecomte : « J’ai su prendre du recul »