Mercredi après l’école, j’ai suspension

Par Léo Kervran -

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Mercredi après l’école, j’ai suspension

A Gémenos on fait l’école buissonnière, littéralement. Il y a peu, les jeunes pilotes de Tribal Sport, l’un des gros clubs VTT de la région, ont eu une occasion unique : une après-midi pour apprendre à régler ses suspensions avec deux spécialistes de RockShox. On y était et on vous raconte :

 

24 janvier, 14 h. Comme tous les mercredis après-midi, les jeunes de l’école VTT du club Tribal Sport ont rendez-vous sur les contreforts de la Sainte-Baume pour l’une de leurs deux séances hebdomadaires. Tribal, dans la région, est un nom bien connu : avec près de 220 enfants et adolescents licenciés, le club est l’un des plus gros des environs.

A l’échelon d’au-dessus, il s’est également construit une certaine réputation en enduro. A force d’être présent sur les podiums, voire sur la plus haute marche, des épreuves nationales dans les catégories de jeunes, Tribal Sport apparaît aujourd’hui comme l’un des meilleurs clubs formateurs de France dans la discipline.

Ceci dit, la séance du jour est un peu particulière pour certains d’entre eux : la petite vingtaine de jeunes de 10 à 16 ans qui composent le groupe « Race », en recherche permanente de progression et qui pour la plupart participent régulièrement à des compétitions, vont apprendre à comprendre et régler correctement leurs suspensions.

« Cette idée m’est venue à force d’emmener les jeunes sur les courses », nous raconte Romain Lillaz, du magasin Authentic Bicycle Shop, un partenaire important du club. « Je voulais qu’on leur inculque un feeling, ils ont de beaux vélos donc c’est bien de se poser les bonnes questions », poursuit-il. « J’avais d’abord imaginé un système avec de la vidéo et au Roc d’Azur je suis allé voir Jérémy et Guillaume pour leur en parler et ils étaient super motivés. Ils ont l’habitude ce genre de chose avec les adultes mais pas avec les enfants. »

Jérémy et Guillaume, on les connaît déjà puisqu’on les avait rencontrés lors de notre visite chez Sram France il y a quelques temps. Leur travail est (entre autres) de faire la liaison entre les magasins et la marque américaine. Faire la liaison, c’est les écouter, discuter de leurs problématiques et de comment y répondre, mais aussi intervenir en public à certaines occasions.

« On est proches de quelques magasins « moteurs » mais ce ne sont pas forcément de gros clients Sram », explique Guillaume, avant de préciser : « On les soutient sur des évènements notamment. On ne fournit rien clé en main mais les magasins proposent et on soutient. Ce genre de session, c’est un projet qu’on a déjà mis en place avec d’autres magasins mais pour leurs clients. Des enfants c’est cool, c’est bien de les éduquer tôt. »

Le décor – et les tentes – étant plantés, retour à notre programme du jour. Avec moins de temps (une après-midi au lieu d’une journée), un public plus nombreux et surtout différent de celui dont ils ont l’habitude, Guillaume et Jérémy ont dû adapter leur fonctionnement. « Des enfants de club c’est différent d’adultes en magasin, ils ne viennent pas avec des attentes donc il faut plus capter leur attention, même s’ils sont motivés. On ne peut pas non plus utiliser exactement le même vocabulaire », précise Guillaume.

Le contenu change aussi : « on reste sur la base, sag et rebond, le but n’est pas de les perdre. L’objectif, c’est qu’ils sachent qu’on fait des réglages mais qu’ils ne sont pas fixés dans le temps, qu’ils comprennent comment ça fonctionne pour faire les bons choix », détaille Romain.

Et même avec ça, il faut sortir un peu des sentiers battus ainsi que nous l’expose Guillaume : « Les pressions posent problème, comme ils utilisent des pressions très basses c’est difficile de leur enlever de l’air comme on fait avec les adultes, ils sont souvent déjà au max. On a adapté en faisant deux tests de rebonds différents, au lieu d’un test de rebond et un de pression. »

Le sag, c’est l’enfoncement de la suspension sous le seul poids du pilote, en statique. C’est la base de tout réglage de suspension. Il permet à la roue concernée de descendre dans les trous et de rester en contact avec le sol en permanence au lieu d’absorber simplement les bosses. On l’exprime en pourcentage de la course totale de l’amortisseur ou de la fourche.

Le rebond contrôle le retour en position initiale de la fourche ou de l’amortisseur après avoir encaissé un choc. Sans réglage de rebond, le ressort reviendrait trop vite en place et déstabiliserait le ou la pilote : il faut donc dissiper son énergie. C’est donc un réglage à adapter selon la force du ressort.

Plus d’explications dans notre lexique : Petit lexique illustré du VTT – Partie 4 : Les réglages

Reconnaissance du parcours de test puis correction des réglages, cours théorique pour comprendre pourquoi on touche à telle molette ou à telle valve… Plutôt que de parler de choses trop techniques, il s’agit avant tout d’apprendre les bonnes pratiques. Pendant que Jérémy joue aux devinettes avec une moitié du groupe (« Quel est le premier élément de suspension d’un vélo ? Les pneus, donc il faut bien régler sa pression avant de toucher aux suspension »), Guillaume s’attelle à la prise des mesures avec les autres et aux éventuelles corrections, non sans avoir pris le temps de leur expliquer comment on compte des clics de rebond, par exemple.

Au milieu de cette agitation, on reconnaît une tête familière : Isabeau Courdurier a rejoint le groupe le temps d’une après-midi ! Se faire aider dans ses réglages par la championne du monde d’enduro, qui dit mieux ?

Nouvelle licenciée chez Tribal Sport, la Française est venue en compagnie de sa coéquipière Lily Planquart, qui a grandi au club, et de Cédric Carrez, le team manager du Lapierre Zipp Collective, pour donner un coup de main. « C’est le club le plus actif de la région voire en France en enduro sur la formation des jeunes, avec [celui de] Fréjus peut-être », nous indique-t-elle. De quoi lui donner envie de s’investir auprès des plus jeunes ? « Si c’est possible oui, j’aimerais bien faire des choses avec les filles surtout. »

A la fin de l’après-midi, Cédric évoquera l’aspect compétition et les différentes configurations possibles : à quels réglages les pilotes touchent-ils sur un week-end de course ? Et entre deux spéciales ? Qu’est-ce qui change entre une course d’enduro et une journée en bikepark ? Comme Romain le disait en préparation, un bon réglage n’est pas figé et doit évoluer suivant les conditions mais pour ça, il faut comprendre comment ça fonctionne.

Retour au terrain. RockShox, Fox, SR Suntour, ici tout le monde est traité de la même façon : « Il n’y a pas de fourche meilleure qu’une autre, il faut juste bien la régler », explique Jérémy… et pour le faire comprendre, rien de tel que de dérégler ! En douce et avec l’aide des moniteurs du club, les réglages de rebond sont freinés au maximum sur tous les vélos. « C’est pour qu’ils aient la sensation d’un truc qui ne fonctionne pas bien sur leur vélo, les forcer à trouver par eux-mêmes le pourquoi du comment et revenir sur un réglage adapté. Y’a une partie de méchanceté mais c’est pour leur bien, pour les éduquer il faut passer par un petit sacrifice ! »

Les retours ne se font pas attendre. Avant même de repartir sur les sentiers, nos testeurs du jour remarquent que quelque chose a changé : « C’est tout dur ! », « ça va être impossible de descendre ! », « mais vous voulez nous tuer en fait ! » Des cris et protestations pour la forme, puisque tout le monde reprend bientôt le chemin de la boucle test.

A voir les visages crispés de certains, cette marche n’a pas été une partie de plaisir ! Et le message est bien passé : « Ça travaille pas du tout de la même façon, quand t’arrives sur une deuxième pierre la fourche est toujours en bas », « ça fait beaucoup plus mal aux bras que le réglage d’avant », entend-on de retour en bas.

Retour au réglage d’origine pour comparer, puis test similaire avec un rebond trop rapide cette fois (« je me suis fait rejeter de mon vélo, il me veutplus »)… Au fil des changements et des rotations, l’après-midi s’écoule vite et le soleil quitte déjà la colline au moment de conclure.

« J’ai été surpris du premier retour sur leurs sensation », nous confie Guillaume. « C’était plus précis qu’attendu et même que des adultes parfois. Ils avaient des mots précis et justes pour décrire leurs sensations et ça correspondait à ce qui était attendu selon les changements qu’on faisait, ce n’était pas juste « c’est mieux » ou « c’est moins bien ». »

A voir l’attention et l’enthousiasme des testeurs et testeuses en herbe, l’objectif est atteint pour Romain, Guillaume et Jérémy. Quelques réglages « inégaux » ont été corrigés et surtout, toutes et tous semblent avoir compris l’intérêt d’y faire attention et l’impact que cela peut avoir sur le pilotage. Et si un pilote averti en vaut deux, alors on risque de voir du Tribal Sport encore longtemps sur les sentiers d’enduro… En attendant que d’autres clubs et magasins suivent le mouvement ?

L’après-midi se terminera par un dernier run tous ensemble, sans réglages perturbés et sans pression, juste pour le plaisir et pour profiter des superbes pistes qui courent sur les pentes du Cruvelier. En bas, un goûter attend les jeunes (et les moins jeunes) pour finir dignement la séance, car que serait un mercredi après-midi sans goûter ?

ParLéo Kervran