Mariana Salazar – Combat sur les pistes, combat contre le cancer

Par Bérengère Boës -

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Mariana Salazar – Combat sur les pistes, combat contre le cancer

Que se passe-t-il lorsqu’on est une jeune athlète de 28 ans, pleine de vie, que l’on vit au rythme des coupes du monde de descente, et que l’on apprend du jour au lendemain que l’on est atteint d’un cancer du sein ? Mariana Salazar nous accordé de son temps et de sa confiance pour retracer son histoire.

Mariana Salazar c’est l’histoire d’une jeune Salvadorienne venue s’installer en France à l’âge de 18 ans pour vivre sa passion : la DH. Auteure de deux podiums en coupe du monde, « Mana » a évolué durant six années au sein de l’équipe Dorval AM que nous n’avons plus à présenter. Sa carrière fut stoppée nette par l’annonce d’un cancer du sein en 2022. Comment cette jeune passionnée a-t-elle surmonté cette épreuve ? Elle nous raconte.

Addict aux sports mécaniques dès son premier âge, Mariana a commencé le VTT à l’âge de 12 ans : « J’ai d’abord fait 8 ans de compétition en moto-cross, puis mes parents m’ont proposé de me diriger vers le VTT qui leur semblait être un sport moins dangereux. J’en suis très vite tombée amoureuse. J’adorais me lever à 4h du matin pour accompagner les sorties de mon père avant d’aller à l’école. J’étais vraiment à fond. »

Pédaler, s’évader, une passion toute trouvée. Mariana s’inscrit rapidement sur les premières compétitions et se fait repérer par sa fédération : « Les courses nationales étaient un mix de XC et de DH, j’étais toujours la seule fille et je me plaçais bien avec les garçons. Un jour le président de la fédé m’a proposé de participer aux championnats panaméricains, j’avais 13 ou 14 ans je crois. Je fais 3e en Élites, derrière Katie Holden et Lorena Dromundo. À la suite de ce podium, elles me disent que ce serait cool que je me motive et que je fasse plus de compet. Tout a commencé comme ça. Puis à 16/17ans, comme j’étais au lycée Français de San Salvador, j’ai voulu poursuivre mes études en France. Et quand j’ai vu que les coupes du monde se passaient principalement en Europe, je me suis dit que j’allais tenter ça. »

C’est à Chambéry qu’elle trouve son bonheur. Elle n’a que 18 ans et se retrouve donc à 9 000 kilomètres de sa famille : « C’est sûr que cela a fait bizarre à mes parents, mais ils m’ont suivie dans mes choix. Ils m’ont toujours aidée, soutenue. »

Extrêmement sociable, « Mana » ne tarde pas à se créer un entourage : « Je suis rentrée au CESNI qui m’a permis de m’entraîner à côté des études. » Elle sympathise rapidement avec Quentin Chanudet qui devient rapidement son ami et lui propose de monter une équipe privée ensemble en 2013. Après trois années à parcourir le monde sous le statut de « privateer » (pilote privée), l’équipe Dorval lui propose un contrat professionnel, un tournant majeur dans la carrière de Mariana : « J’étais payée à faire du vélo, le rêve. » Un accomplissement total pour cette jeune femme pleine de vie : « J’y ai vécu de très belles années même si je sentais que je ne pourrais jamais être une athlète de haut niveau qui accepte de faire des sacrifices. J’aime trop rouler pour mon plaisir, cela reste ma priorité. »

Elle décrochera tout deux même deux podiums en coupe du monde avec une 5ème place à Mont-Sainte-Anne (Canada) en 2018 ainsi qu’une 3ème place aux Gets (France) en 2019 : « C’était une belle surprise car je tournais souvent dans le top 10 mais je ne me suis jamais dit que je veux gagner une coupe du monde ou être sur le podium. Je n’ai pas assez un mental de gagnante. En revanche, j’adore repousser mes limites. C’est certainement ce qui a créé une distance quand le sport s’est développé et que le team Dorval a pris un autre tournant en se professionnalisant. »

Fin 2020, la pression des sponsors en plus, Mariana décide de retrouver sa « liberté » d’un commun accord avec son sponsor : « Je n’ai pas réussi à gérer cette nouvelle atmosphère, c’était devenu trop sérieux pour moi et j’ai été perturbée. Mais comme j’avais une bonne relation avec eux et avec le team manager, ils ont décidé de me soutenir une année de plus mais en tant que « privée ». »

Mariana, toujours le sourire aux lèvres, revient donc au statut de « privateer », se rattachant à son club Les Arcs Mountainbike Team dans le but de partager au maximum son expérience avec la nouvelle génération.

2022. L’année où tout va basculer : « Cela faisait quelques mois que je ne me sentais pas pareille. J’étais fatiguée, je ne roulais plus à mon niveau, j’étais comme dans un état de déprime où le corps ne réagissait plus. J’avais mal aux pecs et je pensais au début que c’était dû à ma dernière blessure. J’ai fini par passer des examens et c’est là que les soupçons de cancer du sein sont rapidement tombés. »

Sous le choc. Mariana n’a que 28 ans à ce moment-là : « J’ai passé une biopsie juste avant les championnats du monde aux Gets, on attendait les résultats des derniers tests mais je sentais que c’était ça même si je ne voulais pas y croire. Je n’ai pas réussi à me mettre dans la course, mon entourage a remarqué que je ne roulais pas à mon niveau alors je m’inventais des excuses. Je voulais pourtant la faire, m’amuser mais je n’y arrivais pas. Je pleurais beaucoup. J’étais vidée de mes forces. »

Le verdict final tomba le lundi suivant, le 29 août 2022 exactement : « J’ai reçu un appel de l’oncologue qui me demandait de venir le voir. Il me confirme que c’est un cancer du sein. J’ai donc annulé mon déplacement sur la dernière manche de coupe du monde qui était à Val di Sole le week-end qui suivait. Ma première opération était prévue trois semaines après et comme dans un film, ils avaient planifié toutes les prochaines échéances. A ce moment-là tout s’arrête, ton travail, tes projets. J’ai dû prévenir mes proches. Appeler ma maman a été le plus dur. »

En décembre, Mariana doit encaisser une autre mauvaise nouvelle : « Les médecins se sont rendu compte que les ganglions étaient aussi touchés et que je devrais enchainer avec de la chimio. Ce n’était pas prévu. Là, ça a été très très dur. »

S’ensuit une véritable descente aux enfers : « J’ai perdu 8 kg dès la première semaine de chimio, c’était le début du premier protocole. Je ne pouvais pas bouger. J’étais dans une telle souffrance. J’étais un légume. C’est là où je me suis demandé comment j’allais m’en sortir. Pendant cinq mois j’étais comme morte. Il faut savoir que la chimio te tue toutes les cellules, les bonnes et les mauvaises. Une fois le 2ème et dernier protocole entamé, j’ai recommencé à marcher, à ressortir de chez moi. De pouvoir simplement sentir l’air frais après cinq mois à souffrir dans mon lit était inespéré, je revivais. »

Mariana retrouve donc petit à petit de la vitalité. Et s’accroche aux « petits » et pourtant si grands bonheurs de la vie : « J’ai relu tous les messages qu’avaient pu m’envoyer les amis, les followers sur Instagram ou autres et ça m’a fait chaud au cœur. Je voulais vivre et je voulais montrer via quelques posts que même quand ça ne va pas, ça va quand même. Je sais que ça fait cliché de dire ça mais c’est vrai. Je voulais me battre pour ma famille, mon copain, mes amis. J’avais envie de remontrer mon sourire aux autres. »

C’est à ce stade que Mariana se rend compte du chemin parcouru : « C’est peut-être la première fois où j’étais fière de moi, de ce que j’ai fait. Je me suis rendu compte que je n’avais pas de regret sur les choix que j’ai pu faire dans ma vie. J’ai pris conscience de ça, et ça m’a fait du bien. »

En pleine radiothérapie, un ami du club des Arcs m’a proposé de faire des runs avec eux. J’ai d’abord trouvé ça osé [...] mais j’ai fini par accepter et j'ai vécu une des meilleures journées de ma vie.

Vivre. Suivre ses envies. Son instinct. Voilà comment Mariana avait toujours fonctionné jusque-là. Une manière de croquer à la vie qui n’allait donc pas changer : « Juste après les chimio courant mai 2023, en pleine radiothérapie, mon ami du club des Arcs m’a proposé de faire des runs avec eux. J’ai d’abord trouvé cette idée osée car cela fait des mois que je n’ai pas roulé et je ne pensais pas que j’arriverais à tenir le guidon. Je finis par accepter et j’ai vécu une des meilleures journées de ma vie. Alors que cela faisait des mois que je ne faisais plus de sport, je me suis retrouvée à rouler comme avant. C’était une journée magique. Je me suis dit : « Bon je sais encore faire du vélo» « , ironise-t-elle.

C’est à moment-là que son projet caché prend encore plus de sens : « Depuis le début de mon traitement je m’étais fixé comme objectif de rouler la coupe du monde des Gets [prévue en juillet 2023]. C’était symbolique car c’était à partir de là-bas que tout avait changé. C’était comme une date anniversaire. »

Elle n’hésite d’ailleurs pas à prendre conseil auprès d’Anne-Caroline Chausson, que l’on ne présente plus dans le milieu, victime elle aussi de cancers ces dernières années : « Je l’ai contactée pour avoir son avis, pour savoir si j’avais raison de m’écouter. Elle m’a confortée dans mes envies car c’est ce qui me sortait de cet état, c’est ce qui me faisait tenir. Ça m’a bien aidée et motivée. Elle m’a encouragée à m’écouter quand je le sentais et au final, c’est avec elle que j’ai le plus échangé sur cette période. »

Après quelques courses de préparation, Mariana était bien au départ de la manche de qualification dans la station haut-savoyarde : « Mes amis étaient là, j’avais envie de retrouver cette ambiance mais j’étais dans ma bulle. Je le faisais pour moi. J’étais comme une gamine. Ce qui était drôle c’est que personne ne me reconnaissait car j’avais les cheveux courts. »

Son chrono ne lui permet pas de passer la manche des demi-finales mais son objectif n’était évidemment pas là : « Ma satisfaction a été de faire la piste en entier et de passer tous les sauts. A l’arrivée, je crois que c’est l’une des premières fois que je pleurais de joie. »

Comme un second souffle. Mariana avait retrouvé ses premières amours et s’était prouvé à elle-même de quoi elle était capable.

Quel est la suite aujourd’hui ? « Une fois la radiothérapie terminée j’ai commencé l’hormonothérapie, j’en ai pour cinq ans. Ce traitement ne me permet pas de planifier un entraînement ou de me projeter sportivement parlant car je suis souvent fatiguée. J’en aurais envie mais je ne suis sûre de rien alors je n’ai pas beaucoup démarché les sponsors. » Certains d’entre eux la suivent tout de même, ce qui lui permettra certainement de s’aligner aux championnats du monde 2024 qui auront lieu à Vallnord le 31 août prochain : « Je sais que je ne pourrai plus jamais atteindre mon niveau d’avant mais les championnats du monde sont différents. J’ai envie de le faire pour mon pays et je vais tout faire pour y participer. »

Planifier : un peu. S’écouter : beaucoup. Voilà comment Mariana compose aujourd’hui sa vie.

Quel bilan tire-t-elle de cette étape de vie aujourd’hui ? « Je pense que je reste la même mais je vais moins repousser mes limites. Là j’ai juste envie de profiter, je n’ai plus envie d’entendre : « Il faut que ». Je me dis aussi que j’admire les gens qui font du haut niveau et qui arrivent à se mettre des contraintes. A un certain moment c’était une frustration de ne pas y arriver, de ne pas avoir été plus assidue mais au final, je suis comme ça. Je n’ai pas de regrets. »

Et lorsqu’on lui demande quel message elle aimerait faire passer à tous ceux qui vont la lire, elle répond : « Il faut savoir ce que l’on veut et s’écouter. Par exemple dans le sport de haut niveau, je pense qu’il faut savoir dire « non » lorsque le corps ne suit pas. Je pense à ces blessures que l’on pense anodines sur le coup ou aux commotions cérébrales par exemple. Que ce n’est pas une course qui va tout changer même si je constate que tout évolue dans le bon sens : les team managers, sponsors ou athlètes réagissent mieux aujourd’hui et ils acceptent de faire l’impasse sur certaines manches. Qu’il faut aussi s’écouter tout court et profiter. »

Vivre. Tout simplement. L’histoire de Mariana Salazar rappelle à tout un chacun que la vie est précieuse. Une phrase qui peut paraitre banale mais qui prend tout son sens après un tel récit. En espérant que son expérience pourra en aider d’autres, nous lui souhaitons évidemment le meilleur pour la suite et la remercions chaleureusement d’avoir partagé son histoire.

ParBérengère Boës