Les plateaux ovales : pourquoi et comment ?
Par Léo Kervran -
Un ovale pour tourner rond ? C’est la proposition de plusieurs fabricants qui disposent dans leur gamme de plateaux (plus ou moins) ovales. Petites marques ou géants de l’industrie, simple déclinaison ou produit phare, les options sont nombreuses. Quel est leur principe ? Ont-ils un intérêt en VTT ? Vojo s’est penché sur le sujet et vous livre quelques explications.
Un plateau ovale est un plateau qui n’est pas rond. Bon, jusque-là c’est facile. On préfère d’ailleurs parler de plateau non-circulaire car en réalité, bon nombre de plateaux ovales ne le sont pas vraiment. Ils ne sont pas ronds, ils ne sont pas ovales, ils sont juste non-circulaires.
Pour comprendre leur principe de fonctionnement, il faut s’intéresser à l’évolution de la puissance lors d’un cycle de pédalage. Avec un plateau rond, elle oscille de manière significative. Elle est maximale lorsque les manivelles sont à l’horizontale, diminue rapidement pour atteindre son niveau le plus faible lorsque les manivelles sont (plus ou moins) à la verticale – ce qu’on appelle le point mort -, et augmente à nouveau sur le prochain quart de tour. Ces variations sont dues aux mouvements de nos jambes, qui peuvent développer plus ou moins de force selon la position des segments et des articulations.
L’idée derrière un plateau non-circulaire, c’est de réduire ces variations de puissance en augmentant la vitesse de rotation des manivelles dans la zone faible : si on passe plus vite au point mort, on y passe moins de temps et on limite donc la perte. Comme le temps de cycle reste le même, cela signifie qu’on passe plus de temps dans la zone où on développe le plus de force et donc qu’on développe plus de puissance au total. Ce principe peut s’illustrer très facilement en essayant de faire rouler un ballon de rugby ou de football américain sur sa longueur. Il « bascule » difficilement en passant son angle aigu puis roule très vite sur sa partie en angle obtus, remonte difficilement sur son autre angle aigu et ainsi de suite. La vitesse est donc plus importante sur l’angle le plus grand et plus faible sur l’angle le plus marqué. Pour être efficace, un plateau non-circulaire doit être positionné de façon à ce que la chaîne soit sur le grand diamètre lorsque les manivelles sont à l’horizontale.
Un peu d’histoire
Les plateaux non-circulaires sont loin d’être une nouvelle idée puisqu’il semblerait que les premières expérimentations dans le domaine remontent au début du XXème siècle. Cependant, il faudra attendre plus de 70 ans pour qu’elles se concrétisent réellement avec le pédalier Polchlopek qui fut en 1978 le premier système du genre à être commercialisé.
Shimano a rapidement suivi le mouvement avec le Biopace, sorti en 1983, mais ce produit s’est rapidement transformé en l’un des plus grands échecs de la marque japonaise. En cause, la forme du plateau qui était à l’opposé du principe décrit plus haut, avec un grand diamètre aligné avec la manivelle. L’idée était de lisser le pédalage et de protéger les articulations en réduisant le temps passé dans la phase de force et en allongeant la phase de transition, afin de laisser plus de temps à la jambe pour changer de sens (descendre ou monter). Dans les faits, il réduisait surtout la puissance développée et il fallait en plus produire plus de force dans la zone morte que dans la zone forte. Pas très adapté pour autre chose que de la balade donc. Shimano continuera malgré tout la production jusqu’en 1993, mais depuis, la marque s’en tient aux plateaux ronds.
Les plateaux non-circulaires sont revenus sur le devant de la scène au début des années 2010 avec l’équipe Sky sur route (aujourd’hui Ineos), alors emmenée par Bradley Wiggins et Christopher Froome. Ces derniers ont adopté le plateau Osymetric et l’ont emmené chacun à leur tour jusqu’à la victoire finale sur le Tour de France, ce qui a relancé les débats sur ce design de plateau. Aujourd’hui, la question n’est toujours pas tranchée, mais de nombreuses marques disposent de plateaux non-circulaires dans leur gamme. On peut ainsi citer Rotor, Ogival, OneUp, Absolute Black, Race Face ou encore Sram, qui s’y est mis en 2017.
Avantages et inconvénients d’après la science
Sur le papier, le principal avantage d’un plateau non-circulaire serait donc de permettre au pilote de développer plus de puissance. Cela a été prouvé par plusieurs études, notamment grâce à une augmentation de la force développée mais cet avantage dépend du plateau utilisé et surtout, il ne dure pas. En effet, puisque ce plateau permet de passer plus de temps dans la zone forte, nos muscles (surtout le quadriceps et le grand fessier) travaillent plus longtemps et se fatiguent plus vite. En revanche, on ne sait pas vraiment déterminer à partir de quand l’effet fatigue devient supérieur au gain de puissance sur le terrain. Cela dépend du profil de la sortie, du niveau d’entraînement, de la forme du plateau…
Toujours d’un point de vue mécanique, on peut aussi se poser des questions sur l’effet de ces plateaux sur l’efficacité du pédalage, c’est-à-dire la direction de la force appliquée par le pilote. Pour être optimale, elle doit être perpendiculaire à la manivelle et on la caractérise avec l’indice d’efficacité du pédalage (IEP), en pourcentage. Des études ont démontré que l’IEP est maximal lorsque les manivelles sont à l’horizontale, soit précisément la zone où on passe plus de temps avec un plateau non-circulaire.
Cependant, d’autres études ont démontré que l’IEP diminue lorsque la fréquence de pédalage augmente et il semblerait justement que les plateaux non-circulaires tendent à augmenter la fréquence de pédalage. Alors, est-ce que ces plateaux ont vraiment un effet sur l’efficacité mécanique du pédalage ? Aujourd’hui, il n’y a pas assez de données et d’études sur le sujet pour répondre à cette question.
Sur le sujet de la fréquence de pédalage, il semblerait donc que les plateaux non-circulaires entraînent son augmentation, du moins avant que la fatigue ne fasse son apparition, mais il est difficile de dire si c’est un réel avantage ou pas. On peut déterminer des fréquences de pédalage optimales en cyclisme sur route pour minimiser la dépense énergétique, la sensation de difficulté, la fatigue ou encore l’accumulation de lactate, mais en VTT, notre fréquence varie en permanence pour s’adapter au terrain. A chacun de voir si cela peut être intéressant ou non, selon son style de pédalage et ses objectifs.
D’ailleurs, ces données sont à mettre en perspective avec ce que le pilote ressent réellement. Là encore, c’est quelque chose qui n’est pas bien compris et identifié aujourd’hui, mais en VTT, on entend souvent des personnes passées au plateau ovale dire qu’elles sentent moins de fatigue, pendant l’effort comme après la sortie, une fois le vélo rangé.
En ce qui concerne le métabolisme (fréquence cardiaque, VO2, lactatémie…), les effets sont aussi discutés. Au stade actuel des connaissances, les plateaux non-circulaires ne semblent pas avoir d’influence directe sur ces paramètres.
Une autre tendance qui apparaît dans les études mais qui reste à confirmer est que ces avantages diminueraient avec le niveau d’entraînement. En effet, utiliser un plateau non-circulaire implique une modification du schéma de contraction musculaire. Il paraît logique qu’il soit plus compliqué pour des cyclistes pédalant depuis des années à plus 10 000 km / an sur des plateaux ronds de modifier cette organisation que pour quelqu’un qui parcourt 4 à 5 fois moins de distance.
Pour terminer avec des remarques spécifiques au VTT, on relèvera qu’en théorie, les plateaux non-circulaires devraient améliorer la capacité de franchissement et le pédalage dans les montées raides puisqu’ils limitent le point mort. Pour les amateurs de longs raids en montagne avec portage, les triathlètes ont aussi remarqué que pédaler avec un plateau non-circulaire facilite leur transition vers la course à pied ou la marche. Ce phénomène est encore mal connu mais il s’agit probablement de quelque chose en lien avec la modification de l’activité musculaire (notamment celle des ischio-jambiers et du triceps sural). Enfin, du côté des inconvénients l’utilisation d’un tel plateau peut rendre compliqué le réglage d’un guide-chaîne, à cause des variations de rayon.
Le temps d’adaptation et les effets sur la performance varient beaucoup en fonction des plateaux.
Ces conclusions générales sont néanmoins à prendre avec des pincettes car il existe de nombreux designs de plateaux non-circulaires, donc des effets plus ou moins importants. L’habituation (du point de vue des sensations) est également un facteur clé : avec un plateau de forme très marquée comme Ogival ou Osymetric, il faudra un certain temps avant de pédaler rond à nouveau tandis que des modèles plus discrets comme Rotor, OneUp, Sram ou Absolute Black ne demanderont que très peu ou pas du tout de temps d’adaptation.
Et sur le terrain ?
La théorie, c’est bien beau mais qu’en est-il sur le terrain ? Nous n’avons pas établi de comparatif avec capteur de puissance, boucle chronométrée et pilote surentraîné car il aurait fallu tester beaucoup trop de plateaux pour que la comparaison soit exhaustive et ait une réelle valeur. A la place, nous vous proposons simplement nos ressentis. Chez Vojo, certains sont des utilisateurs de longue date du plateau non-circulaire, d’autres ont essayé plusieurs fois et l’un d’entre nous l’a testé pour la première fois à l’occasion de cet article. Alors, qu’est-ce qu’on en pense ?
Léo : J’utilise des plateaux non-circulaires depuis plusieurs années, principalement des OneUp et des Absolute Black. Je n’ai jamais senti de problèmes liés à une quelconque fatigue supplémentaire. Là où j’apprécie particulièrement leur apport, c’est dans les montées techniques et autres passages trialisants. Avec ces plateaux, je bloque moins dans les obstacles à basse vitesse et il est plus facile de continuer à pédaler. J’ai aussi l’impression d’un pédalage plus « facile », qui m’encourage à rouler plus vite lorsque je reviens sur ce type de plateau après avoir roulé un modèle rond un certain temps, mais impossible de dire si cela se traduit par quelque chose de concret sur le terrain.
L’autre intérêt de ces modèles, c’est que leur degré d’ovalisation n’est pas extrême et que je peux retourner sans difficulté sur un plateau rond, sans temps d’adaptation. J’ai aussi eu l’occasion d’essayer un Osymetric à plusieurs reprises (sur home-trainer uniquement) et là, il m’a fallu plus de temps pour m’habituer à sa forme, puis pour me ré-habituer au plateau rond ensuite. En ce qui concerne les sollicitations sur la transmission, je n’ai pas relevé jusque-là d’usure prématurée de la chaîne ou du dérailleur.
Olivier :Testant des VTT et des composants depuis plus de 15 ans maintenant, j’ai eu l’occasion de voir quelques-uns des premiers systèmes arriver dans le VTT au début des années 2000, et d’en tester un certain nombre par la suite. Clairement, je n’ai jamais trouvé qu’il s’agissait d’une révolution. Seul le système Osymetric m’a un peu plus marqué que les autres et m’a donné l’impression de m’aider sur les portions roulantes et à ressentir moins de fatigue sur des épreuves type marathon. Pour les autres, je m’y suis toujours adapté très vite, mais le gain sur le plan physique m’a paru marginal, voire insensible. Et je suis toujours revenu tout aussi facilement à un système classique par la suite.
Par contre, de manière un peu inattendue, il y a un aspect où j’ai quasi systématiquement ressenti un bénéfice, c’est dans les franchissements techniques en montée. En gommant légèrement à la fois le pic et le creux de puissance qu’il y a à chaque tour de pédale, bref en rendant le pédalage plus « rond », j’ai plus d’une fois eu l’impression que ces plateaux m’aidaient au moment de franchir une racine en côte, en m’évitant de caler au moment où nos jambes développent le moins de puissance, et ensuite d’avoir le pneu qui glisse/dérape/perd de l’adhérence parce que la puissance déboule d’un coup. Au final, ce n’est donc pas tellement sur des vélos de XC ou marathon que j’ai le plus apprécié ce type de plateau, mais plutôt en usage trail/enduro sur des terrains fort techniques. N’empêche, à mon sens c’est surtout une sorte de petite cerise sur le gâteau, mais cela ne vaudra jamais une bonne suspension bien réglée ou même tout simplement un bon ajustement de la pression de ses pneus…
Paul : Vous voulez du test à l’aveugle ? En voilà un ! Pour une raison que j’ignore, je suis toujours resté loin des débats sur ces plateaux non circulaires. À vrai dire, je ne m’étais jamais vraiment penché sur leurs avantages ou inconvénients théoriques. Olivier et Léo ont donc vu en moi un formidable cobaye. Je me suis ainsi vu installer sur un Nukeproof Mega 2021 en test actuellement un plateau ovale Sram 32 dents. Je reste ainsi sur une « dentition » identique au modèle standard installé de série. Sur les premières centaines de mètres, je ressens immédiatement une forme « d’oscillation », et quelques minutes plus tard : plus rien ! Le temps de m’habituer aura été extrêmement court, et j’ai l’impression de conserver les mêmes habitudes de pédalage, avec toutefois un pédalage toujours très rond, sans cassure.
Je dois avouer que je suis assez déçu, j’aurais aimé pouvoir trancher le débat, mais rien ne me saute aux yeux, ni aux jambes. Je n’ai pas l’impression de mieux appréhender les portions techniques, ni de m’épargner une quelconque fatigue. À la question « plateau ovale ou non ? », je répondrai comme un normand : p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non.
Pas d’avis définitif donc, mais il semblerait tout de même que le plateau non-circulaire ait quelques avantages, sans être révolutionnaire. On espère que les quelques éléments que nous avons apportés dans cet article vous aideront à y voir plus clair sur ce sujet complexe, et si vous avez l’occasion, n’hésitez pas à essayer !