Le vélo c’est trop cher ? L’enquête Vojo
Par Léo Kervran -
Le VTT, activité populaire en passe de devenir sport de luxe ? A en croire les réactions sous de nombreux articles, certainement. Dans un contexte économique déjà compliqué, les prix de certaines nouveautés ont en effet de quoi effrayer mais au-delà de quelques épouvantails et des discussions de comptoir, qu’en est-il réellement ? Les tarifs augmentent-ils vraiment ? Dans quelles proportions ? Après le temps de l’émotion vient celui de la réflexion et c’est pourquoi Vojo a mené l’enquête. De l’entrée de gamme jusqu’au luxe en passant par les composants à travers toutes les disciplines, nous avons analysé froidement l’évolution du marché ces dernières années afin de comprendre d’où vient ce sentiment.
« Ça n’arrête pas d’augmenter ! C’est de la folie, on nous prend pour des pigeons, les tarifs explosent ! Ca devient n’importe quoi ! » A chaque présentation d’un nouveau produit et très régulièrement dans les commentaires d’articles, c’est le genre d’affirmation qu’on peut lire. Mais au-delà des phrases à l’emporte-pièce, qu’en est-il de la réalité ? Les tarifs augmentent-ils vraiment ? Dans quelles proportions ? Vojo a mené l’enquête pour comprendre pourquoi les prix des vélos et des composants nous semblent toujours plus élevés… alors que la réalité est bien plus complexe que cela !
Ce paragraphe, c’était l’introduction du même article il y a un peu plus de cinq ans, en septembre 2017, lorsque nous nous étions penchés pour la première fois sur le sujet (lire Analyse | « Tout augmente ! » Même le prix des vélos ? Vojo mène l’enquête !). Nous sommes désormais en 2023 et… rien n’a changé, on lit exactement les mêmes réactions. En revanche, le marché du vélo a lui bien évolué, le contexte général également et notre analyse de 2017 n’est peut-être plus valable aujourd’hui.
Parmi les facteurs de cette évolution, la crise du Covid-19 est incontournable tant ses répercussions ont affecté tous les domaines. Explosion de la demande pour tout le marché du vélo, coûts de transports décuplés, problèmes de production… La situation n’est plus du tout la même qu’il y a six ans. Il était donc temps de retourner à nos calculettes et nos tableurs pour voir ce qu’il en est maintenant.
Nous avons repris les mêmes rubriques et exemples qu’en 2017 de façon à vous proposer un véritable suivi du sujet. Comme on le verra avec quelques modèles, cela nous en apprend d’ailleurs beaucoup sur l’évolution de certaines marques ou sur des tendances du marché…
Avant cela, mettons-nous d’accord : oui, le VTT est un sport cher. Il n’est pas ici question de remettre cela en cause, ni les sacrifices que certains ou certaines d’entre nous peuvent faire pour leur passion. L’idéal d’accessibilité et d’activité populaire qu’on prête parfois au vélo sied bien mal à une pratique sportive de l’activité, tant le matériel y tient une place importante. Reste qu’il faut aussi savoir prendre du recul, prendre le temps de la réflexion et c’est ce qui nous a amené à réaliser cette enquête. Le sentiment d’augmentation des tarifs est-il confirmé par une analyse objective ? Pour le savoir, nous sommes remontés jusqu’en 1997 avec une série d’exemples.
Pour bien comprendre cet article, un phénomène dont on entend souvent parler est à garder en tête : l’inflation, c’est-à-dire l’augmentation générale et durable des prix dans une économie. Impossible de comparer les prix d’il y a 25 ans, 15 ans ou même 5 ans avec ceux d’aujourd’hui sans en tenir compte, ce serait tout simplement faux. Sous l’inflation on a la notion de prix constant ou de valeur réelle, c’est-à-dire les prix corrigés en fonction de l’inflation sur une période donnée ((par opposition à leur valeur nominale, autrement dit la valeur absolue). 100 € de 2005 ne « valent » pas 100 € en 2023.
Il existe de nombreux outils pour calculer des valeurs réelles et en France, c’est le calculateur de l’Insee (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques) qui fait référence. Sur cette base, il ne reste plus qu’à se plonger dans ses archives et à sortir sa calculette. Ce que Vojo a fait pour vous, sur base d’une série d’exemples que nous considérons comme représentatifs. Si vous en avez d’autres, allant dans le même sens ou tout à fait à l’opposé, n’hésitez pas à nous le signaler.
Avec 100 balles, t’as plus rien !
Bon, c’est vrai qu’avec 100 € c’est peut-être compliqué d’avoir un bon VTT. Voire d’avoir un VTT tout court. Mais qu’en est-il avec 1000 € ? Cette première barrière psychologique représente aussi, souvent, l’accès aux premiers modèles équipés honorablement, dotés de composants un minimum fiables, performants et agréables à l’usage.
Qu’avait-on en 1997 pour environ 7 000 francs français (on abréviera ensuite en FF) ou 40 000 francs belges (FB) ? Le plus souvent, un cadre en aluminium (parfois en acier) avec une fourche suspendue d’entrée de gamme et une transmission Shimano (à cette époque lointaine, Sram n’était pas encore très présent sur le marché) mélangeant LX et STX-RC, voire Deore XT si on avait de la chance.
Nous avons retenu le Trek 6500 en guise d’exemple représentatif avec son cadre en aluminium série 6000, une fourche RockShox Indy C (63 mm de débattement), un groupe Shimano ST-RC/LX et des freins V-Brakes Dia-Compe. Il était affiché à facturé 6990 FF soit l’équivalent de 1065 € en France et 38 695 FB, soit un peu moins de 1000 €, en Belgique. En valeur réelle et sur base du prix français, cela équivaut à 1240 € en janvier 2007, 1391 € en 2017 et 1587 € en janvier 2023. Voyons maintenant l’évolution du prix du modèle et de ses équivalents :
- 1997 – Trek 6500 (cadre alu 6000, fourche RockShox Indy C, transmission Shimano STX-RC/LX, freins V-Brakes Dia Compe) : 1065 €
- 2007 – Trek 6500 (cadre alu Alpha SLR, fourche Manitou Slate, transmission Deore/XT, freins Shimano Deore) : 999 €
- 2017 – Trek X-Caliber 9 (cadre alu Alpha Gold, fourche RockShox Recon Silver, transmission Shimano Deore/Sram X7, freins Shimano M365) : 999 €
- 2023 (a) – Trek X-Caliber 8 (cadre alu Alpha Gold, fourche RockShox Judy SL, transmission Shimano Deore/XT, freins Shimano MT200) : 1349 €
- 2023 (b) – Trek Marlin 7 (cadre alu Alpha Silver, fourche RockShox Judy, transmission Shimano Deore 10v, freins Shimano MT200) : 1049 €
Par rapport à 1997, en 2007, on pouvait toujours s’offrir le même vélo et même mieux, puisqu’il bénéficiait de freins à disque. Même chose en 2017, même si le modèle a changé de nom et que la transmission est peut-être un peu en retrait. En 2023 en revanche, la hausse est manifeste même s’il faut noter que l’équipement s’est amélioré par rapport à 2017 (transmission).
Cependant, la hausse du prix reste inférieure à celle de l’inflation. Pris dans l’autre sens, les 1349 € du Trek X-Caliber 8 en 2023 correspondent à 926 € en 1997, soit 140 € de moins que notre Trek 6500 de départ. Autre point à signaler, le « vélo à 1000 € » n’a pas disparu chez Trek puisqu’on le retrouve chez le Marlin, un semi-rigide un peu plus polyvalent avec une géométrie moins typée XC. C’est l’éternel problème de ces comparaisons qui s’étalent sur plus de 20 ans : il n’est pas toujours évident de comparer des modèles lorsque les gammes évoluent et n’occupent plus forcément la même place qu’avant au sein du catalogue de la marque.
Mais en tout cas, on peut tout de même constater que, dans cette catégorie autour de 1000€, on en a aujourd’hui plus pour son argent avec des vélos équipés de freins à disques hydrauliques, roues tubeless et fourche suspendue air/huile. Cette analyse montre également qu’il n’y pas eu d’explosion des tarifs dans cette catégorie et le « premier VTT » n’est pas moins accessible aujourd’hui qu’hier. C’est même plutôt l’inverse. Et c’est une bonne nouvelle pour les moins fortunés d’entre-nous.
Et pour 3500€, qu’en est-il ?
Quelle est la situation deux échelons au-dessus, pour 3500 € ? En 1997 cette somme donnait déjà accès à de très bon tout-suspendus. La plupart étaient en aluminium mais on pouvait déjà trouver quelques modèles avec un triangle avant en carbone (l’arrière restant en alu), à l’image des désormais célèbres Trek Y et Cannondale Raven. Pour ce dernier, la première version (Raven 2000 SL) était affichée à 23 900 FF (3650 € à l’époque) en France et 139 000 FB (3445 €) en Belgique. Avec l’inflation, 3500 € de 1997 représentaient un peu moins de 4600 € en 2017 et valent désormais plus de 5000 € aujourd’hui. Voyons l’évolution du modèle et de ses remplaçants :
- 1997 – Cannondale Raven 2000 SL (cadre carbone/alu, fourche Headshock P-Bone D, transmission Shimano XT, freins V-Brakes Shimano XT) : 3500 €
- 2007 – Cannondale Rush Carbon Si 3 (cadre carbone/alu, fourche Lefty Speed DLR2, transmission Sram X9, freins Avid Juicy 7) : 3549 €
- 2017 – Cannondale Habit Carbon 3 (cadre carbone/alu, fourche Lefty OPI Alu, transmission Shimano SLX/XT, freins Shimano Deore) : 3499 €
- 2023 – Cannondale Habit Carbon 3 (cadre carbone/alu, fourche Fox 34 Performance, transmission Sram GX/NX Eagle, freins Sram Guide R) : 3799 €
Là encore, une petite augmentation mais elle est très mesurée au regard de l’inflation. En d’autres termes, si on tient compte de ce paramètre, le Cannondale Habit équivalent au Raven 2000 SL de l’époque entame moins votre pouvoir d’achat. On peut s’amuser une nouvelle fois à faire le calcul inverse : si le Habit Carbon 3 coûte 3799€ en 2023, il aurait été affiché à 2600 € dans un showroom en janvier 1997… soit bien moins que le Raven.
L’équivalent 2023 en prix constant pour le Raven 2000 SL est à chercher avec des vélos qui tournent autour des 5000 €. Nous avons choisi de suivre les descendants du Raven plutôt dans la catégorie Trail avec le Habit, mais on pourrait aussi le comparer au Scalpel de XC, dont le modèle Carbon 3 est affiché à 4799€ avec un niveau d’équipement comparable à celui de Raven de l’époque sur certains points (transmission SLX/XT, roues alu) mais aussi quelques petits « plus » comme un cadre 100 % carbone nettement plus léger que celui du Raven, la Lefty Ocho en carbone ou encore des freins à disques. Là aussi, on en a globalement plus aujourd’hui pour son argent qu’en 1997.
Un marché plus diversifié qu’il y a 6 ans ?
Dans notre article de 2017, cette section s’intitulait « 20 ans d’évolution… ou de stagnation des prix ? ». Cette année nous avons repris les deux mêmes exemples mais comme vous allez le voir, l’analyse a changé.
Le premier exemple, c’était le Specialized Enduro. Le nom est apparu pour la première fois chez la marque américaine en 1999 avec le modèle FSR Enduro Comp, en 80 mm de débattement (contre 63 mm pour la version XC). Equipé de freins V-Brakes, il coûtait alors aux alentours de 12 000 FF soit un peu plus de 1800 €. Avec l’inflation, cela correspond désormais à près de 2700 €.
- 1997 – Specialized Enduro Expert (cadre alu A1, fourche RockShox Judy, transmission Shimano LX freins V-Brakes, LX) : 1750€
- 2007 – Specialized Enduro Comp (cadre alu M5, fourche Future Shock, transmission Sram X9, freins Avid Juicy 5) : 2599€
- 2017 – Specialized Enduro Comp (cadre alu M5, fourche RockShox Yari, transmission Sram GX, freins Avid Guide R) : 2799€
- 2023 – Specialized Stumpjumper Evo Comp Alloy (cadre alu M5, fourche Fox 36 Rythm, transmission Sram NX Eagle, freins Sram Code R) : 4 400 €
Avant même de parler du prix qui a explosé, il faut s’intéresser au modèle : l’Enduro a considérablement évolué en 2019 (voir Test nouveauté | Specialized Enduro 2020 : retour dans la bataille) et ce format enduro « race » n’a plus la polyvalence de ses prédécesseurs. De plus, il n’est plus disponible en aluminium : la gamme commence désormais avec l’Enduro Comp en carbone, affiché à… 5800 €. Nous avons donc choisi de basculer sur le Stumpjumper Evo, un modèle plus populaire qui s’inscrit bien dans la descendance de l’ancien Enduro (150/160 mm de débattement, roues mulet ou 29″…).
Mais même avec cette « adaptation », l’augmentation du tarif est significative et le graphique très parlant. Le modèle a vécu une première belle hausse entre 1997 et 2007 mais à ce moment-là, on peut difficilement dire qu’il s’agit toujours de la même machine. En 1997, malgré le nom du modèle, pouvait-on déjà parler d’enduro ? En 2007, la discipline enduro commençait réellement à apparaître et l’Enduro Comp de cette époque est une toute autre machine que celle de 1997, avec un débattement de vélo de DH des années 90 mais toujours la capacité de pédaler et de grimper. L’augmentation peut donc s’expliquer dans une certaine mesure.
Ensuite, le modèle s’est stabilisé avec une évolution plus mesurée que l’inflation entre 2007 et 2017. Depuis 2017 en revanche, le prix a bondi à nouveau : + 57 % en six ans ! Or, le segment n’a cette fois pas vraiment changé et ce ne sont pas quelques détails de composants qui suffiront à tout expliquer…
Autre pratique, autre vélo incontournable mais même tendance avec le Scott Spark. Cette fois nous nous sommes penchés sur l’évolution de son tarif sur les 16 dernières années, saison par saison depuis 2007. Pour la première fois au catalogue cette année-là, le Spark 20 était le modèle d’accès au cadre tout carbone. Il bénéficiait en plus d’un équipement flatteur avec un groupe Shimano XT/XTR et une fourche Fox 32 F100RL pour 4200 €.
Que voit-on sur les courbes ? Cette fois, tout semblait bien se passer… jusqu’en 2022, l’année de lancement de la plateforme actuelle avec son amortisseur intégré dans le cadre. En suivant l’inflation le Spark 20 de 2007 aurait dépassé les 4900 € courant 2018 et serait aujourd’hui affiché à 5500 €. Dans les faits le modèle était nettement en-dessous de cette valeur, avec un écart parfois supérieur à 1000 € entre le tarif pratiqué et la valeur en prix constant.
Il faut toutefois relever que son montage est devenu un peu moins haut de gamme avec le temps et que son triangle arrière est passé en aluminium en 2010. Pour cette raison, nous avons également intégré le Spark 910 à la comparaison puisqu’il est aujourd’hui encore entièrement en carbone et avec un équipement plus proche du Spark 20 des débuts (groupe complet Deore XT). Comme vous pouvez le constater, il faisait jeu égal avec le Spark 20 ajusté à l’inflation… jusqu’au lancement de la nouvelle plateforme. Les tarifs du Spark 920 comme du 910 se situent maintenant nettement au-dessus de l’inflation (un peu plus de 14 % pour être précis) ce qu’il signifie qu’il faut plus de pouvoir d’achat pour les acquérir aujourd’hui qu’il y a 5, 10 ou 15 ans.
Pour trouver des modèles tout carbone « accessibles » et plus proche du Spark 20 de 2007 dans l’esprit, il faut regarder du côté de la famille Spark RC. Le tarif d’entrée se situe alors à 4299 € avec le modèle Comp mais cela correspond à un pouvoir d’achat bien inférieur aux 4200 € de 2007 et sans surprise, l’équipement est donc en retrait : Sram NX Eagle, Fox 32 Rythm et freins Shimano Deore. Même chose pour le modèle d’au-dessus, le Team. A 4999 € il se rapproche du prix du Spark 20 ajusté à l’inflation mais l’équipement n’atteint pas encore le XT/XTR puisqu’on a droit un à ensemble Shimano SLX/XT.
Que peut-on en retenir ? Une chose est sûre, contrairement à notre article de 2017 on ne peut plus dire que les prix sont restés stables. Chez certaines marques et pour certains modèles technologiquement plus avancés, ils ont considérablement augmenté et c’est incontestable. C’est d’ailleurs un argument qu’on a pu entendre au sein de l’industrie : le fait que certaines augmentations de tarifs se justifient par des innovations importantes, plus importantes que les renouvellements de modèles habituels avec leurs classiques évolutions de géométrie et de suspension. Le Spark l’illustre bien ci-dessus mais ça peut aussi être le cas en e-bike avec de nouvelles technologies de moteurs plus petits et discrets, avec l’arrivée de l’électronique voire de l’automatisation dans la suspension ou la transmission…
Cependant, on aussi vu avant cela que cette tendance n’est pas valable partout. Chez d’autres marques ou sur certains segments, les tarifs sont restés « raisonnables » en suivant l’inflation voire sont plus avantageux aujourd’hui qu’il y a plusieurs années en termes de relation au pouvoir d’achat. Difficile donc d’avoir une position tranchée : aujourd’hui, deux stratégies différentes cohabitent pour les vélos complets. Mais qu’en est-il pour les composants ?
Quid des composants ?
En 2017, nous avions pris pour premier exemple le groupe qui symbolise à lui seul toute l’histoire des transmissions VTT : le Shimano Deore XT. Aujourd’hui cependant, le groupe complet n’est plus si facile à trouver et trop peu de sites le référencent pour établir un suivi sur la base du prix internet. Nous avons donc opté pour celui qui est devenu au fil du temps son principal concurrent, le Sram GX Eagle.
A sa sortie en 2015 la version 1×11 s’échangeait contre 588 €, ce qui donne 673 € en 2023 à prix constant. Le groupe est ensuite descendu à 500 € environ avec le passage au 1×12 en 2017 (oui oui) avant de remonter à 555 € en 2020 avec la sortie de deuxième génération et son joli saut vers l’avant en termes de qualité (voir Test nouveauté | Sram GX Eagle 52 : montée en gamme… et en dents !). En 2023, le groupe GX Eagle est affiché à 614 € sur le site Sram. On est donc en-dessous du tarif de 2015 ajusté à l’inflation alors que le groupe est de meilleure qualité qu’à ses débuts.
Quant à l’augmentation depuis 2020 alors qu’il n’y a eu aucun changement technique, elle est parfaitement calquée sur l’inflation : les 555 € de 2020 correspondent à 616 € en 2023. Et encore, on parle uniquement de prix catalogue. Sur internet, acteur incontournable des ventes de manière générale mais plus encore pour tout ce qui concerne les composants, on peut trouver le groupe à moins 400 € assez facilement.
Autre produit de référence, la RockShox Sid Dual Air s’affichait à 880 € lors de sa sortie en 1997-1998 ce qui correspond à 1310 € en 2023. Quatre ans plus tard la Sid BlackBox et son ensemble té-pivot en carbone l’ont porté jusqu’à 1400 € (2000 € en équivalent 2023) puis il est redescendu à 1335 € en 2017 pour le modèle World Cup, voire 900 € en « prix internet » comme nous l’indiquions déjà. Aujourd’hui, le modèle Ultimate est affiché sur le site Sram entre 1082 et 1163 € soit déjà moins que les 880 € de 1997 en prix constant et sur internet, c’est plutôt 600-700 €.
Côté freins, des Magura HS33 sortaient à 250 € en 1997 soit 373 € en 2023 avec l’inflation. Le passage au disque au début des années 2000 a logiquement fait monter les prix et à sa sortie, une paire de Magura Louise s’échangeait contre 500 €. En 2017, des MT8 avaient un prix catalogue de 560 € et on pouvait facilement les trouver à moins de 400 €. C’est toujours le cas aujourd’hui pour le modèle SL et les MT8 Pro, remplaçants des MT6 qui sont eux-mêmes plus proches des Louise que les MT8, tournent aux alentours de 260 € sur internet. En valeur absolue on retombe sur les HS33 de 1997 mais en valeur réelle ou prix constant, c’est beaucoup moins lourd pour le pouvoir d’achat.
Allez, un dernier exemple avec les roues. En 1997, Mavic était au sommet et une paire de Crossmax avec leur piste de freinage recouverte de céramique coûtait 650 €, ce qui donne 970 € en 2023 avec l’inflation. Les Crossmax Pro de 2017 ont atteint 949 € mais aujourd’hui, les Crossmax SLS 29 s’échangent contre 850 €. En 2017, nous écrivions « d’autres marques de roues ont suivi la même voie et les prix dans le très haut de gamme se sont envolés avec l’arrivée des roues carbone pour lesquelles il faut compter entre 1200 et plus de 2000 €. En entrée de gamme, les tarifs moyens ont aussi augmenté de l’ordre de 10 % pour du matériel équivalent. Nous avons donc trouvé un domaine où les prix ont bel et bien réellement augmenté. »
Six ans plus tard, les choses ont un peu évolué puisque si les prix des roues carbones atteignent toujours des sommets, le marché semble s’être un peu stabilisé et les prix des modèles en aluminium ont diminué. De manière générale, il semblerait donc qu’en termes de pouvoir d’achat, les composants même haut de gamme ont tendance à coûter de moins en moins cher avec les années.
Difficile à croire, n’est-ce pas ? En effet, on a parfois l’impression du contraire. Cela peut être dû à l’arrivée de nouvelles technologies haut de gamme, à l’image du sans fil pour la transmission ou les tiges de selles télescopiques. C’est nouveau et c’est souvent (presque) exclusif à une marque donc cela entraîne naturellement des prix élevés mais c’est un peu le buisson qui cache la forêt : derrière cette niche, la masse des composants est plutôt moins cher que par le passé.
L’e-bike, d’autres dynamiques
Nouvelle rubrique de cette analyse version 2023, l’e-bike. En 2017, nous ne nous étions pas intéressés spécifiquement à cette catégorie de vélo car le segment était encore émergent et loin d’être mature, tant sur le plan technique que commercial. Six ans plus tard, ce n’est plus du tout la même chose. Les e-bikes occupent désormais une place incontournable sur le marché et ce ne sont pas les chiffres qui diront le contraire : en 2021, les derniers chiffres dont on dispose, il s’est vendu pas moins de 137 000 VTT AE en France, pour environ 630 000 VTT (source Union Sport & Cycle). A titre de comparaison, c’était à peine plus de 35 000 VTT AE en 2017…
Pour rendre compte de leur évolution, nous avons retenu deux modèles : le Specialized Turbo Levo, l’une des références du marché qui a en plus le bon goût d’avoir une vie rythmée par des « générations » ce qui rend la comparaison encore plus intéressante et le Scott Genius eRide, l’un des tous premiers e-bikes sérieux testés par la rédaction (c’était en 2015 : Test – Scott E-Genius 710 Plus : l’électrique éclectique).
Sur le graphique de gauche, le premier prix dans la famille Turbo Levo (modèle Comp puis Alloy). Sur celui de droite, la version S-Works depuis son passage au carbone en 2018. On constate que bien que le tarif du modèle d’accès ait augmenté dans l’absolu (de 4999 € à 5500 €), son impact sur le pouvoir d’achat est aujourd’hui moindre qu’il y a huit ans. Une bonne chose ? Oui mais dans les faits ce graphique cache d’autre choses : dans l’intervalle, ce modèle a baissé d’un cran en équipement, passant d’une RockShox Revelation / Sram GX a une RockShox 35 Silver / Sram NX et SX Eagle mais la capacité de la batterie à bondi, passant de 460 Wh en 2015 à 700 Wh aujourd’hui. L’accès à la plateforme Specialized Turbo Levo est donc un peu plus facile que par le passé et si cela se fait au prix de composants de moindre qualité, on profite en revanche d’une batterie bien plus robuste.
A l’autre extrémité de la gamme, la situation est radicalement différente. Le Turbo Levo S-Works n’a cessé d’augmenter plus vite que l’inflation et cela même avant le bond de la troisième génération. On vous en reparle juste après dans la section sur le (très) haut de gamme… Notez au passage que le cadre en carbone n’est arrivé qu’en 2018 sur le Turbo Levo S-Works, les trois premières années le modèle n’existait qu’en aluminium et c’est pourquoi nous ne l’avons pas inclus dans le graphique.
Pour l’instant, restons sur les e-bikes avec le Scott Genius eRide, anciennement Scott E-Genius. Lors de notre essai en 2015, le modèle 710 en aluminium et équipé en Fox 34, Shimano Deore XT 11v et moteur Bosch Performance CX de 2e génération était affiché à 5 499 €. Aujourd’hui, son équivalent est la version 920 : Fox 36 Rythm, Shimano Deore/XT mais Bosch Performance CX de 4e génération et batterie 625 Wh pour… 5 499 €. On a donc un équipement similaire et une bien meilleure assistance pour le même prix, ou plutôt moins cher. En effet, ajusté à l’inflation le E-Genius de 2015 vaudrait maintenant 6300 €. Autrement dit, avec ce que coûtait l’E-Genius en termes de pouvoir d’achat on pourrait aujourd’hui regarder du côté du Genius eRide 910 et son cadre carbone/alu (6299 €) voire du Patron eRide 920 et de sa batterie 750 Wh (6599 €).
Si nous avons choisi de faire une section à part pour l’ebike, c’est parce les phénomènes qui régissent les prix dans ce domaines ne sont pas exactement les mêmes que pour les VTT classiques. En effet, le marché est encore jeune et la technologie en plein développement. Chaque nouveauté est donc généralement plus chère que la précédente puisqu’elle est plus avancée technologiquement et a demandé plus d’investissement. Il ne s’agit pas, comme on peut parfois le voir sur les VTT, de déplacer quelques points de pivots ou de raccourcir une biellette et de revoir à la marge la disposition des feuilles de carbone pour raffiner un vélo et l’améliorer dans les détails. Ici, chaque génération de machine a encore tendance à rendre technologiquement obsolète celle qui l’a précédé.
Cependant, cet effet a une deuxième face. Si une technologie d’il y a deux ou trois ans est jugée technologiquement obsolète, elle sera cantonnée en conséquence à des modèles plutôt accessibles (toutes proportions gardées). Cependant, elle reste bien plus avancée qu’une technologie d’il y a 5 ans, ou 6 ans, ou plus. Résultat, en ebike les entrées/milieu de gamme d’aujourd’hui sont effectivement moins chères et plus performantes que le haut de gamme de 2015 ou 2017.
Enfin, par-dessus tout ça il y a tout ce qui gouverne également le marché du VTT classique, avec certaines marques qui ont revu leur positionnement et considérablement augmenté leurs tarifs tandis que d’autres sont restées plus stables.
Le cas particulier du tout haut de gamme
On l’a déjà évoqué par deux fois plus haut dans cet article, il est temps de s’arrêter dessus : le cas particulier du tout haut de gamme et les stratégies adoptées par les marques dans ce domaine. Ces modèles représentent d’ordinaire une part ridicule des ventes (quelques centaines d’exemplaires dans le monde entier le plus souvent, même pour les marques les plus connues) mais comme il s’agit de ce qui se fait de mieux à tous points de vue, ce sont ceux que les marques aiment mettre en avant. « Quand on sort un produit avec une innovation on se doit de montrer le meilleur de ce qu’on sait faire », nous ont confié des personnes de l’industrie.
Pour le contexte, reprenons notre article de 2017 : « Au début des années 90’, rares étaient les vélos très haut de gamme qui dépassaient les 25 000 FF/150 000 FB, soit un peu plus de 3500 €. Il s’agissait alors le plus souvent de vélos en titane venus des USA (type Merlin, etc) et, à prix constant, cela représente un peu plus de 5400 € en 2017 [presque 6500 € en 2023].
L’émergence de vélos de DH de plus en plus perfectionnés et spécifiques à partir de la moitié des années 90’ a tiré les prix vers le haut, avec des tarifs dépassant les 50 000 FF/300 000 FB (un GT STS Lobo DH avec son cadre carbone par exemple), mais dans d’autres disciplines et pour la plupart des grandes marques, le haut de gamme s’arrêtait toujours autour des 35 000 FF/200 000 FB (soit 5000 € à l’époque et l’équivalent de 6700 € aujourd’hui [8200 € en 2023]).
Dans les années 2000, la généralisation des fulls-suspendus et des technologies plus poussées à l’ensemble des pratiques, et notamment au XC qui raflait le gros des ventes, a entraîné l’apparition d’un plus grand nombre de modèles aux tarifs élevés. Comme nous l’avons vu plus haut dans notre analyse de l’évolution des prix, cela n’a pas tiré vers le haut les tarifs des versions phares en milieu de gamme, mais cela a par contre contribué à faire exploser l’offre dans le haut et le très haut de gamme avec des tarifs qui se sont mis à dépasser allègrement les 7000 € et à flirter avec la fameuse barre psychologique des 10 000 € (on pense notamment au Cannondale Scalpel Ultimate qui, en 2008, est affiché au prix record de 9999 € – mais il est à ce moment le seul).
Aujourd’hui cette catégorie du très haut de gamme a grossi et on compte plus d’une bonne dizaine de vélos de grandes marques dont les prix approchent ou dépassent les 10 000 €. Il s’agit principalement de vélos de XC/Marathon (catégorie où le pouvoir d’achat des clients est reconnu comme le plus élevé), dont les prix sont tirés vers le haut par l’arrivée de transmissions électroniques et autres roues carbone. Le développement du segment e-bike n’a pas entraîné, pour l’instant, de surenchère, mais si sa progression se poursuit, il est très probable qu’on verra arriver des machines encore plus chères qui feront rêver autant qu’elles alimenteront les discussions d’après ride. »
En 2023, ce segment du très haut de gamme s’est étendu à toutes les catégories de vélo.
Retour en 2023 : on ne peut que valider la projection de la dernière phrase. Aujourd’hui, ce segment du très haut de gamme s’est étendu à toutes les catégories de vélo et les grandes marques qui n’ont pas au moins trois vélos au-dessus de 11 000 € peuvent se compter sur les doigts des deux mains. Remplacez 11 000 par 10 000 € et il n’est pas impossible qu’une seule main suffise.
Même s’ils sont majoritaires dans ces tranches de prix, les ebikes sont loin d’être les seuls concernés. Le Specialized Enduro S-Works Flight Attendant est ainsi affiché à 16 000 €, un euro de plus que le Scott Lumen eRide 900 SL. Chez Trek, le Fuel EXe et le Slash montent tous deux jusqu’à 14 499 €. Chez BMC en revanche, c’est bien un ebike qui tient le haut du panier : le Fourstroke AMP LT Ltd, à 13 999 €. De quoi faire passer une marque comme Santa Cruz, historiquement reconnue comme « chère », pour presque bon marché : les Heckler et Bullit ne dépassent pas 12 999 €. Reste à analyser cette évolution.
On peut sans trop s’avancer parler d’un véritable basculement vers une stratégie de luxe chez ces marques. Est-ce que ces vélos à 14 500, 15 000 voire 16 000 € valent réellement ce tarif ? Si on parle de coût de production, bien sûr que non. On vous rappelle que dans ces sphères, des vélos d’enduros côtoient certains des plus légers VTT AE qui existent…
On touche ici à la définition même du concept de valeur en économie : est-ce qu’un bien a une valeur indépendante et objective, qui dépend de ses conditions de production et qui peut être calculée (le prix est alors un outil de mesure) ? Ou est-ce qu’un bien n’a de valeur que celle qu’une personne veut bien lui porter, selon un processus d’évaluation qui lui est propre ?
Ces vélos inaccessibles pour nombre d’entre nous sont plus que des vélos : comme des produits de luxe, ce sont aussi des objets qu’on exhibe. Ce genre de pratiques était cantonné à de rares séries spéciales par le passé mais aujourd’hui, ce sont des modèles de série et cela contribue sans doute à cette impression générale que les vélos sont trop chers. D’autant plus que, comme on l’a dit plus haut, ce sont souvent ces vélos que les marques aiment mettre en avant, faire tester, montrer. Ce qui a un effet de miroir déformant qui cache des catégories entières de vélos très intéressants dans lesquelles les prix n’ont pas ou peu évolué, voire même ont un impact moins important aujourd’hui qu’hier sur le pouvoir d’achat.
Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous ne peuvent plus (raisonnablement) se payer le modèle le plus haut de gamme de tel ou tel vélo. Non pas qu’on l’aurait fait avant mais cela restait possible, envisageable au prix de quelques efforts. Désormais, on n’a plus le choix et ce renoncement n’est pas facile à accepter sur le plan psychologique… alors que la même situation est établie depuis des dizaines d’années dans d’autres domaines et ne pose aucun problème. Pensez à l’automobile haut de gamme par exemple : cela ne vous a sans doute pas trop choqué que Bugatti soit passé de 1 100 000 € pour la première Veyron en 2001 à 3 600 000 € en 2023 pour la Chiron soit un tarif multiplié par trois. Même si elle était nettement moins chère en 2001, y compris en tenant compte de l’inflation, vous ne pouviez de toute façon pas vous la payer.
Si parler du vélo comme d’un sport mécanique peut gêner certaines personnes (et ce jusqu’au sein de la rédaction) tant ces mots sont associés aux sports motorisés, il faut admettre qu’il s’en rapproche de plus en plus de ce point de vue. In fine, ce sera toujours le marché qui décidera. A l’image de Bugatti qui est sold-out avec sa dernière Chiron à 3,6 M €, pourquoi les constructeurs de vélos s’arrêteraient de proposer des vélos très haut de gamme si ceux-ci trouvent un public de passionnés pour les acheter ? On pourrait s’inquiéter si tous les vélos devenaient inaccessibles et s’il n’y avait plus d’entrée ou de moyen de gamme. Mais, comme nous l’avons vu plus haut, ce n’est pas le cas : il reste d’excellents vélos accessibles, et même plus accessibles qu’il y a 25 ans. Évitons donc de donner trop de place au très haut de gamme dans nos esprits.
L’accès à la performance
Jusque-là nous nous sommes principalement penchés sur des catégories de vélo qui s’adressent avant tout à des pratiquants et pratiquantes réguliers et sérieusement engagés dans l’activité. Qu’en est-il en-dessous, sur le segment qu’on pourrait appeler « l’accès à la performance », c’est-à-dire les premiers semi-rigides en carbone et les premiers tout-suspendus un peu polyvalents ? Ont-ils suivi la même voie que le reste ou sont-ils restés plus accessibles du fait de la popularisation des technologies utilisées ?
Cette fois nous ne sommes pas remontés 20 ou 25 ans dans le passé mais simplement d’une dizaine d’année, ce qui est déjà un beau retour en arrière au vu de l’évolution des VTT ces derniers temps. Souvenez-vous, début 2012 le double plateau n’existait pas encore (il sera lancé en avril par Sram avec le groupe XX), les tiges de selle télescopique se faisaient encore rares…
A l’époque, l’Orbea Alma S50 était affiché à 1999 € (près de 2370 € en 2023 au prix constant). Roues Mavic Crossride, transmission Shimano Deore/SLX/XT, fourche Fox 32 RL, l’équipement était cohérent avec sa position de « porte d’entrée » de la gamme Alma carbone. Rapidement renommé M50, il est ensuite monté jusqu’à 2199 € en 2014 avant de redescendre à 1799 € en 2017 puis 1699 € en 2020. Aujourd’hui, son tarif est de 1899 €. Alors certes, l’équipement est un peu moins bon qu’avant (groupe Shimano Deore/SLX, fourche RockShox Judy Silver) mais il « pèse » aussi presque 500 € de moins qu’il y a 10 ans sur le pouvoir d’achat. Et on peut trouver encore moins cher, comme le Rockrider Race 740 (1799 €) ou le Cube Reaction C:62 One (1569 €), qui est lui aussi resté dans les mêmes eaux en valeur nominale malgré l’inflation.
En tout-suspendu, le moins cher qu’on ait pu trouver aujourd’hui est le Norco Fluid FS 3 (27,5″ ou 19″ suivant la taille, 120/130 mmm de débattement), doté de suspensions X-Fusion et d’une transmission Sram SX Eagle pour 1899 €. En 2012 ce modèle précis n’existait pas encore mais le Fluid DX (26″, 140/140 mm) était plus ou moins son équivalent avec ses suspensions SR Suntour Raidon et sa transmission Shimano Acera/Deore. Il se vendait alors pour un peu moins de 1400 €, soit aux alentours de 1650 € aujourd’hui en prix constant. De 1650 € à 1899 €, cela représente une augmentation de 15 % hors inflation. De manière générale, tout ce segment du premier prix tout-suspendu « roulable » (avec de vrais composants de VTT) a augmenté de 300 à 500 € en valeur réelle dans cette période : la plupart des modèles se situent désormais autour des 2000 € alors que c’était plus proche des 1500 € il y a 10-11 ans. Mais il y a aussi eu de belles avancées technologiques à ce niveau, réellement profitables au plaisir de rouler (plus que sur les semi-rigides).
Et dans d’autres domaines ? L’exemple de l’automobile
Par curiosité nous sommes également allés voir ce qui se faisait dans d’autres domaines. Un peu de perspective, c’est toujours intéressant. On parlait d’automobiles très haut de gamme un peu plus haut, comment a évolué ce milieu dans des segments plus raisonnables ?
En 2017, on notait une tendance à la hausse assez marquée et particulièrement sensibles sur les citadines ou les véhicules milieu de gamme. Ainsi, la Renault Clio avait vu son tarif augmenter de 29 % entre 2000 et 2017 en tenant compte de l’inflation. Aujourd’hui, les choses semblent s’être inversées. Si on reprend notre exemple de la version intermédiaire Clio 1.5 dCi 90 Intens facturée à 20 375 €, elle serait maintenant affichée à près de 23 300 €. Or, le modèle équivalent (TCe 90 evolution) se vend à 21 750 € hors options. Augmentation oui, mais moins que l’inflation donc.
Le VTT, un milieu en phase avec les autres marchés ?
En milieu de gamme, c’était la BMW 320d Touring qui faisait office d’exemple. De 23 500 € en 2000 (34 221 € à prix constant en 2023), elle est passée à 40 200 € en 2017 (45 929 € à prix constant) et s’affiche désormais à 53 500 €. 56 % d’augmentation depuis 2000 et 16 % depuis 2017, en ajustant selon l’inflation. Là, on peut dire que les prix ont explosé mais ce n’est pas sans nous rappeler certaines marques de vélo.
Enfin, on peut s’intéresser au marché du haut de gamme sportif avec des véhicules orientés vers le plaisir de conduite qui peuvent rappeler, dans l’esprit, les vélos qui nous font rêver. Une Porsche 911 Carrera 2 Coupé de base coûtait 74 500 € en 2000 (108 487 € à prix constant en 2023) puis 101 000 € en 2017 (115 395 € à prix constant). Elle est aujourd’hui à 115 656 € soit une augmentation « raisonnable » de 6,6 % depuis 2000 et une belle stabilité depuis 2017.
Analyse et perspectives
Contrairement à 2017 où la tendance était bien à la stabilité malgré le sentiment de hausse des prix, cette année les tarifs ont bien augmenté sur plusieurs segments du marché. Qui plus est, l’impression est encore renforcée par le fait que le segment du milieu-haut de gamme (en termes de performance, tout ce qui est au niveau ou-dessus du Shimano SLX, de la cartouche Grip chez Fox…) est particulièrement touché : on vous a épargné tous les exemples pour ne pas rendre cet article encore plus fastidieux qu’il ne l’est déjà mais on estime qu’environ la moitié des grandes marques populaires ont augmenté leurs tarifs au-delà de l’inflation au cours de ces trois dernières années très… particulières pour l’industrie du cycle et pour le monde en général. Or, c’est cette catégorie qui nous intéresse le plus.
Cette évolution des prix peut s’expliquer par plusieurs raisons. Il y a bien sûr eu la double crise causée par le Covid-19 à partir de 2019. Dans un premier temps cela n’a concerné qu’un bout de la chaîne, avec des problèmes de production et d’approvisionnement qui ont réduit l’offre. C’était déjà de nature à faire augmenter les tarifs mais en plus, le « retour à la nature » qui a suivi les diverses mesures de confinement a provoqué une explosion de la demande à partir de la fin de l’année et en 2021. Hausse de la demande et baisse de l’offre, pas besoin de faire un dessin pour comprendre ce qu’il s’est passé. La plupart des marques ont ainsi enregistré des résultats financiers exceptionnels en 2021 et 2022 semblait suivre la même direction, à un niveau légèrement moindre.
Toutefois, « résultats financiers exceptionnels » ne veut pas dire « tout dans nos poches » pour les marques de vélo. Les coûts du transport, notamment, ont augmenté comme jamais vu auparavant : un conteneur de 12 m valait en moyenne entre 1100$ et 1700$ de 2017 à 2019. Fin 2021 ou début 2022, c’était plus de 10 000$ ! Et encore, on ne parle que d’une moyenne. Certains trajets comme le Shangai-Rotterdam, qui nous intéresse particulièrement en Europe, ont dépassés les 14 000$ selon le World Contenair Index. De même pour les matières premières, influencée en plus par des facteurs géopolitiques comme le coup d’état de septembre 2021 en Guinée où se situe le tiers des réserves mondiales de bauxite (la roche de laquelle est extrait l’aluminium). Conséquence ou non, le prix de la tonne d’aluminium a doublé entre mars 2021 et mars 2022.
Au-delà de ça, augmenter les prix peut permettre de payer plus cher les fournisseurs pour être servi en premier. Essayer de maintenir des tarifs acceptables ou livrer des vélos, voilà le choix que certaines marques ont dû faire.
Des facteurs globaux, ne concernant pas que le monde du vélo, entrent aussi en ligne de compte. Tout d’abord l’inflation, particulièrement forte depuis 2022. Cependant, que les prix augmentent en valeur nominale pour suivre cette inflation, c’est plutôt normal. Tant que cela ne va pas au-delà, leur « poids » en valeur réelle est censé rester le même.
Ajoutez à cela des factures d’énergie qui explosent et que le coût des postes de première nécessité dans les besoins du ménage vient manger la quasi totalité du budget loisirs, la moindre augmentation, même mineure et/ou justifiée, des prix du matériel dans son sport favori, a tendance à être mal vécue. C’est un peu la goutte qui fait déborder le vase. On assiste aussi à un phénomène d’augmentation de plus en plus grande des inégalités dans nos sociétés, avec des (ultra)riches toujours plus riches au détriment d’une classe moyenne qui se retrouve avec un pouvoir d’achat en berne et dans une situation globale d’appauvrissement (voir notamment cet article très intéressant du Monde pour ceux qui souhaitent aller plus loin dans la réflexion).
Alors, quelles perspectives d’évolution pour la suite ? Côté transport, les coûts reviennent à la normale : le prix du conteneur tourne désormais autour de 2000$. La demande diminue elle aussi et si elle devrait rester supérieure au niveau de 2019, on peut espérer que cela amène une baisse des prix. On a d’ailleurs eu des échos de stocks importants à certains endroits et Rose a récemment fait état d’un stock de 45 000 vélos « dormants », qui ne peuvent pas être livrés à cause de pièces manquantes.
En plus de cela, beaucoup de marques et distributeurs avaient avancé des coûts de transport ou des difficultés de fabrication pour justifier des augmentations de tarifs. A eux maintenant de jouer le jeu et de revenir en arrière au fur et à mesure que la situation se calme, d’autant qu’ils ne sont pas sourds aux critiques sur les tarifs : « On atteint des limites d’acceptation de certains prix publics pour le consommateur. Ces limites, elles sont à remettre dans un certain contexte, d’inflation, d’incertitude. Dans un autre contexte ce serait peut-être différent et mieux accepté » , reconnaît-on chez une marque.
Néanmoins, anticiper une baisse des prix paraît optimiste aux yeux de certains : « Baisser fortement peut-être pas, mais j’ai le sentiment que ça va se stabiliser, on arrive à un maximum. Mais pour que cela se stabilise, voire baisse, cela ne dépend pas que des marques. On a tendance à croire que tout est de leur faute parce que c’est elles qui affichent les prix, alors que la réalité est plus complexe. Il faut que tous les éléments de la chaîne jouent le jeu. Les fournisseurs en amont, et aussi les revendeurs en aval. Sans oublier certaines taxes pas toujours très compréhensibles », a-t-on pu entendre.
Si ces informations invitent à l’optimisme, d’autres éléments suggèrent toutefois que les baisses de prix ne seraient pas pour tout de suite. Ainsi, nos confrères de Singletrack signalaient des problèmes de livraisons de moteurs chez Shimano tandis que l’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait avoir un impact sur certains coûts au niveau mondial, la Russie étant l’un des principaux exportateurs d’énergie et d’aluminium.
Enfin, comme si l’augmentation que nous avons documenté ici ne suffisait pas, la façon dont elle est perçue peut être accentuée par vos lectures. En tant que magazine de VTT Vojo couvre l’actualité du milieu, donc les nouveautés techniques. C’est une part importante de notre métier et c’est ce qui vous permet de vous tenir informé ailleurs que par les canaux « officiels » des marques, avec en plus une part d’analyse des informations. Or, ce qui est nouveau est généralement exclusif et cher : parce que c’est innovant, parce certaines marques ont la fâcheuse tendance de ne dévoiler que des versions haut de gamme en premier lieu… Ce « prisme » peut renforcer cette impression que les prix augmentent déraisonnablement dans le monde du VTT, alors qu’un examen minutieux des chiffres comme nous venons de le faire montre que ce n’est pas vrai dans tous les domaines.
Pour terminer cet article, nous vous proposons de revenir une dernière fois sur notre analyse de 2017. On l’a vu, le marché a bien évolué depuis et pas toujours dans la « bonne » direction mais certains mots seront toujours d’actualité : « Face à cette situation et aux frustrations qu’elle peut créer, au-delà des actions que nous pouvons chacun mener à notre petite échelle pour essayer de faire changer la société, il est important de se rappeler que le VTT est et doit rester un loisir, un moyen de s’évader, de s’aérer l’esprit. Les causes de frustrations dans la vie sont bien assez nombreuses pour éviter que notre loisir en devienne une supplémentaire. A budget égal, les machines sur lesquelles nous pouvons rouler aujourd’hui sont dotées de meilleures suspensions, de freins bien plus puissants et sécurisants ou encore d’accessoires bien agréables comme une tige de selle télescopique, qui permettent de profiter encore plus de ses sorties. »
« Au final, n’oublions surtout pas non plus que, bien plus que ce sur quoi nous roulons, c’est avec qui et où nous roulons qui compte le plus. La nature, les chemins, les potes de sortie : voilà l’important. Vojo ne veut d’ailleurs pas dire « matos », « carbone » ou quoi que ce soit du genre. Cela veut tout simplement dire « le chemin, la voie, le sentier » en esperanto. Alors, bon ride ! »
Il nous reste à vous remercier pour votre lecture attentive de ce long article, mais certains sujet ne peuvent se traiter qu’en prenant le temps d’aller au fond des choses. N’hésitez pas à nous faire part de vos réflexions sur le sujet via nos réseaux sociaux ou par mail (contact[at]vojomag.com).