La Corse, entre terre et mer : en itinérance sur la GT20
Par Pierre Pauquay -
La GT20, l’équivalent de la traversée de la Corse à vélo du fameux GR20 que tous les randonneurs pédestres connaissent, est née il y a deux ans. Son parcours est-il à la hauteur de son illustre alter ego ? Vojo a rejoint la Corse pour la parcourir dans son entièreté. Retour sur une belle aventure d’une semaine au coeur de l’Île de Beauté.
La découverte de la Corse en bikepacking permet d’aller au coeur de son identité et de ses particularités intimes. Qui n’a jamais rêvé d’y venir, de rouler sur ces chemins et routes de montagne se jetant dans la mer et de traverser ces villages au caractère authentique ? Un rêve qui s’est concrétisé le printemps dernier et que nous vous allons vous conter.
Si le fameux GR 20 est devenu un itinéraire emblématique de l’île pour les randonneurs pédestres, l’abordant comme une échine du nord au sud, il n’existait pas son alter ego pour les cyclistes. Créé récemment, la GT20 est un tout nouvel itinéraire balisé, long de 600 km qui traverse toute la Corse. Mais l’île ne se laisse pas apprivoiser facilement. Il va falloir gravir les 10 000 mètres de dénivelé pour venir à bout de ce voyage.
Comme toute île, la Corse s’aborde de la plus belle manière qui soit, en bateau ! Et le prendre, c’est déjà voyager, se sentir libre comme ce vent chaud qui souffle sur le pont caressant mon visage. Un vent qui porte aussi les senteurs de l’île, sans encore l’apercevoir…
Au printemps, la végétation du maquis, a mâcha, explose et libère ses mille parfums qui se propagent en pleine mer et m’enivrent. Après une nuit de navigation depuis Toulon, lentement, je vois défiler, comme un travelling de cinéma les côtes du Cap Corse, le lieu de mon futur périple. Vu depuis le bastingage, cette île est une montagne qui se jette dans la mer. La Corse se voit, se sent et se lit dans son paysage.
Kalistê, la plus belle
Des cales du navire, je sors en premier avec mon Santa Cruz : priorité aux usagers lents ! Sur le Pascale Paoli, j’ai pu rencontrer et sympathiser avec un autre bikepacker, César, qui prendra une autre route : dommage, l’aventure aurait pu s’effectuer à deux…
Bastia, c’est l’ambiance d’une ville à l’Italienne. Cela vit, bouge et grouille de vie. Mais très vite, la route du littoral me happe déjà vers le Cap Corse. Au nord, à Erbalunga, les vagues se fracassent contre une côte intacte où l’empreinte de l’homme a peu modifié le paysage de Kalistê, la plus belle des îles, nommée par les Grecs de l’Antiquité. Il en va ainsi jusqu’à la marine de Macinaggio.
Une route à gauche et j’entre vers l’intérieur du Cap où s’étirent des collines recouvertes de maquis. De la mer où la douceur de vivre est omniprésente, je me retrouve, en quelques centaines de mètres d’ascension du col de Saint-Nicolas, dans une région très sauvage. La route d’abord peu sinueuse, se rebelle en rejoignant le belvédère du moulin Mattei. Passant sur le versant de la côte ouest, un vent à décorner les boeufs me surprend : mon vélo fait une embardée. Je m’arc-boute sur le cintre pour garder le cap.
Au cœur de l’identité corse
Je ne roule pas, je contemple les villages traversés et les panoramas à chaque virage. Peu importe la moyenne…. Depuis le col, une tour veille : une situation qui n’est pas le fruit du hasard. Face aux pirates des XVe et XVIe siècles, ces tours de guet génoises ceinturant le littoral corse surveillaient l’horizon de l’arrivée de toute voile barbaresque.
Les signaux émis par les tours circulaient rapidement aux quatre coins cardinaux de l’île, permettant à la population de se réfugier dans la montagne ou le maquis.
La descente vers Centuri et sa marine est une idylle pour tout cycliste. Les belles courbes s’enchaînent à des virages en épingles.
Du petit port, l’envie est top belle de profiter du site et de manger à l’une des plus belles terrasses. Ici tout semble immuable, comme le ballet des langoustiers rentrant de leur pêche. Et rien n’a changé depuis des siècles.
Depuis Centuri, la route est un perpétuel balcon sur les rivages de la Méditerranée : chaque virage est l’occasion d’admirer la Grande Bleue. Nul ne peut se lasser d’un tel spectacle. Et même l’usine fantôme, celle de Canari où l’on exploita de l’amiante jusque dans les années 1950, ne peut ternir ce paysage.
J’évolue dans un jardin d’Eden coloré de genêts, d’arbousiers, de lavande et de romarin. La route rejoint la baie de Saint-Florent et son eau turquoise : je vais y poser ma tente, fourbu après cette première longue journée sur l’île.
La traversée d’un désert
Le lendemain, après avoir siroté un petit café sur le port, me voilà prêt à affronter la traversée du désert des Agriates. La région est loin d’être désertique car elle se couvre d’un maquis luxuriant et est le refuge de la vie sauvage, mais tout au long des 40 km, je ne rencontrerai aucun village. Par contre, heureux hasard, je rencontre en sens inverse les participants du raid d’ultra longue distance du Bikingman : les aventures se croisent en Corse.
A la sortie du désert, peu après Ponte-Lecchia, c’est la porte vers le Giussani, un monde à part. Découvrir l’île à vélo permet de toucher l’âme corse qui se découvre dans cette terre oubliée. Les routes sont infinies, tournoient sans trop savoir où elles peuvent me mener, vers des champs abandonnés ou vers des villages vidés de leur population. Des hameaux qui avaient pourtant connu une certaine prospérité par l’exploitation de la châtaigne ou de l’olive, au XIXe siècle.
Aucun doute, je me plonge dans la région avant d’escalader le Bocca a Croce, digne des Alpes. Au sommet, le changement de décor est brutal. J’évolue sur un autre versant dans un site aride, fait de chaos de pierres. Le paysage est infini, se confond entre le ciel, la terre et la mer. Plus je monte en altitude, plus le maquis se fait rase : les vents violents et le froid de la montagne se substituent à la chaleur du bord de mer. L’image d’une Corse baignée par ses eaux turquoise est battue en brèche. Là-haut, c’est le royaume de l’aigle royal, du granite et de la haute montagne.
L’île montagne
L’itinéraire traverse une vallée perdue, celle formée par le Colombano. Arrivé au col éponyme, la beauté de l’île est provocante. Dans la plongée vers la Balagne, en amphithéâtre autour de la Grande Bleue, se déroule face à moi des villages de caractère.
Havres ou nids d’aigle, ces hameaux, accrochés à leur particularisme, sont les gardiens de la mémoire et de l’identité corse. Qui n’a jamais entendu parler de la vendetta qui a inspiré l’auteur Mérimée pour son oeuvre, Colomba. Ce roman contribua grandement au mythe de l’île, à son côté ombrageux.
Patrimoine Mondial de l’Unesco
Quelle joie que de rouler de Belgodère à Calenzana. Je sinue sur cette « Terre des Seigneurs ». La nuit se passera à Cateri. Dans l’ascension vers le col de Salvi, la route est mauvaise. Les Maxxis Ikon, malgré leur profil « race », sont très confortables, bien plus que n’importe quel pneu de gravel. Je rejoins sans doute une des plus belles routes de la Méditerranée qui va me mener vers Porto.
A l’entrée de Galéria, les vagues se fracassent contre une côte intacte où l’empreinte de l’homme a peu modifié le paysage de l’île.
Le jour décroit quand apparait Porto et son golfe, inscrit au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Sur la route en balcon, je me glisse dans ce formidable conservatoire de paysages et d’habitats naturels, le long de roches de granite sculptées par le temps et la mer, formant des figures fantasmagoriques. La roche varie du rouge pourpre au rose. L’émotion me gagne : quel spectacle m’offre la nature !
La nuit s’impose à Porto : le lendemain, je m’octroierai une journée de relâche et pousserai un peu plus loin vers les calanques de Piana afin d’admirer un des plus beaux paysages d’Europe.
Cœur de la Corse
Au quatrième jour, c’est avec un peu de regret que vais devoir quitter la Méditerranée. De la mer où la douceur de vivre est omniprésente, je me retrouve en quelques centaines de mètres d’ascension dans une région très sauvage avec pour seule compagnie des cochons sauvages, avides de mes barres de céréales.
Les contrastes sont perpétuels, saisissants sur cette Corse qui me séduit de jour en jour. Vergio n’est pas référencé comme un grand col, mais ce qu’il est long ! 35 kilomètres d’ascension depuis Porto, qui dit mieux dans les Alpes ou les Pyrénées ? De 0 m d’altitude je m’élève à 1477 m. Au sommet, je bascule vers le Niolo.
J’entre au centre de la Corse. Tout autour de moi, les sommets de l’île dépassent allègrement les 2000 mètres, avec le point culminant, le Cinto, perché à 2706 mètres d’altitude. La descente est bien entendu magnifique. Traversant une forêt de pins laricio, j’émerge dans la grande plaine d’altitude de Calacuccia. A la sortie du village, je longe un interminable ravin aride et désolé : le Golo a creusé les profondes gorges de Santa Regina. Je sors de la vallée en empruntant la D18. Le col inconnu de San Quilico est un fameux casse-patte quand la chaleur s’en mêle. Enfin, de l’autre côté, apparaît Corte. Je pourrai enfin me ravitailler en eau dans cette ville où bat le coeur de la Corse.
Entre Venaco et Ghisoni, l’île est un véritable mini-continent en soi. D’un paysage verdoyant, je progresse maintenant dans un territoire plus aride. En ce début de mois de juin, la chaleur est déjà accablante. Elle se ressent particulièrement dans le défilé perdu de l’Inzecca menant à Ghisoni. Le village est au pied d’un fameux col, celui de Verde. L’ascension est longue et chaque village est l’occasion de remplir les gourdes.
Le plateau du paradis
A Zicavo, je quitterai cette fois l’itinéraire de la GT20 pour m’élever plus haut, vers le plateau du Coscione. L’endroit est magique, idyllique. Et je perds tout repère. Le paysage est vaste, se confond entre le ciel, la terre et la mer.
Au détour d’un chemin, j’ai l’impression de sillonner l’Ecosse, avec ses étendues vertes ondulées et entrecoupées de rochers épars.
De l’autre côté d’une colline, je pénètre dans un immense jardin avec une profusion de couleurs et de ruisseaux coulant entre des tapis de mousse. C’est le royaume des genêts, des arbousiers, des lavandes, du romarin et des chênes.
Ce passage restera assurément l’un des grands moments de cette itinérance. Des lacets, encore des lacets : j’en profite jusqu’au dernier pour aboutir sur la côte est, à Sotta, près de Bonifacio, l’arrivée de la GT20.
Mon voyage se termine. Difficile de sortir intact de la Corse. Avec ses paysages enchanteurs et contrastés, elle marque à jamais le voyageur itinérant qui n’a qu’une seule envie : retrouver encore et encore cette beauté envoûtante, à la fois pure et simple. La Corse, on y revient toujours…
Carnet pratique
- Manger : la Corse se vit, se sent et se goûte ! L’île produit pratiquement tout, de l’huile d’olive A.O.C. à la charcuterie en passant par les fruits et légumes locaux, les vins et les bières : un délice. Les restaurants sont vraiment accessibles et de qualité, du moins si vous quittez les endroits les plus touristiques, ce que permet le vélo !
- Dormir : nous avons choisi la tente. En Corse, si le bivouac est interdit, il existe nombre de campings le long de la GT20. Parfois, pour mieux dormir et récupérer quelque peu, nous avons choisi ici un hôtel, là un gîte d’étape.
- Transport: la solution la plus économique et la plus écologique est de prendre le bateau avec votre vélo, en laissant votre véhicule sur le continent : la traversée est alors nettement moins onéreuse (30 € environ le voyage aller, prix au printemps 2022). Pensez à réserver assez tôt votre voyage pour bénéficier de meilleurs tarifs. Départ de France (Toulon) ou d’Italie (Savone ou Gênes) – www.corsicaferries.com
- Conseils : évitez la haute saison touristique, en juillet et en août. Il fait trop chaud pour rouler à vélo et la densité de circulation est source de danger. Honnêtement, en Corse, si les insulaires roulent vite, jamais je ne me suis senti en danger. Comme les montagnards, les Corses savent rouler et s’écartent à bon escient du cycliste. Ce qui n’a pas toujours été le cas avec les touristes en voiture.
L’eau est primordiale. Chaque village a ses fontaines : il faut en abuser et ne passez pas outre un arrêt. - Type de vélo : la rédaction devait recevoir un gravel pour cette expérience. Le vélo est arrivé trop tard : j’ai jeté mon dévolu sur mon Santa Cruz Chameleon (modèle 2020), très bien adapté au bikepacking, avec, notamment, son point d’ancrage supplémentaire pour porte-bidons sous le cadre. Il a été conçu aussi pour cela. Sur les petites routes en mauvais état et les chemins carrossables, chargé comme il était, sa suspension et les gros pneus étaient un atout. J’étais heureux de l’avoir pour traverser le plateau du Coscione. Le vélo encaissait les chocs et les sacoches tressautaient moins. Une douceur qui s’apprécie sur les 620 kilomètres de la traversée.
Bien sûr un gravel permet d’engranger des moyennes plus importantes mais opter pour un VTT semi-rigide pour effectuer une itinérance n’est pas un mauvais choix, croyez-en notre expérience. La position cool pour rester des heures sur sa selle et le confort à l’avant grâce à la Fox 34 sont des maîtres atouts qui comptent sur une semaine non-stop de vélo en Corse. - Trace GPX : via le site www.visit-corsica.com/La-GT-20
Cliquez sur l’onglet open runner pour pouvoir télécharger la trace de la GT20 dans son intégralité. - Les étapes : au vu des kilomètres définis, il vous est loisible de doubler les étapes. Voici mon itinéraire
- Etape 1 : Bastia – Centuri : 54 km, 676 m de D+
- Etape 2 : Centuri – Saint-Florent : 58 km, 846 m de D+
- Etape 3 : Saint-Florent – Belgodère : 61 km, 1180 m de D+
- Etape 4 : Belgodère – Calenzana : 43 km, 463 m de D+
- Etape 5 : Calenzana – Galeria : 31 km, 420 m de D+
- Etape 6 : Galeria – Porto : 50 km, 722 m de D+
- Etape 7 : Porto – Verghio : 33 km, 1478 m de D+
- Etape 8 : Verghio – Corte : 51 km, 345 m de D+
- Etape 9 : Corte – Ghisoni : 58 km, 1354 m de D+
- Etape 10 : Ghisoni – Zicavo : 45 km, 900 m de D+
- Etape 11 : Zicavo – Zonza : 44 km, 788 m de D+
- Etape 12 : Zonza- Bonifacio : 71 km, 1014 m de D+