Interview | Stéphane Tempier : « Me mettre au service des autres et partager mon expérience »
Par Adrien Protano -
Fraichement retraité de sa carrière de pilote professionnel, Stéphane Tempier vient tout juste d’intégrer son nouveau rôle de manager adjoint au sein du Rockrider Racing Team. Nous avons eu l’occasion de discuter plus longuement avec l’ex-athlète français qui semble impatient d’attaquer cette nouvelle saison. Rencontre :
Lors de l’annonce de sa retraite sportive durant les derniers championnats du monde aux Gets, Stéphane Tempier avait conclu en confiant : « La suite sera différente mais elle sera tout aussi belle et passionnante. » C’est donc sous une nouvelle casquette que l’on a pu découvrir le champion de France marathon en titre lors de la récente présentation du Rockrider Racing Team 2023. Désormais manager adjoint de son ancienne équipe aux côtés de Sam Rocès, Stéphane Tempier sera chargé du secteur performance et développement produit pour la saison 2023. Salut Steph ! Alors comment se passe la retraite ? Est-ce que tu continues de rouler en secret ? Honnêtement, la transition entre la saison dernière et celle-ci est passée tellement vite que je n’ai pas aperçu l’ombre d’une retraite. Ça a été plus calme à partir du Roc d’Azur jusqu’en novembre mais là c’est reparti ! Je dois avouer que je n’ai pas spécialement roulé depuis novembre tellement je suis à fond dans mes nouvelles fonctions. Tu connais Sam Rocès, le manager du Rockrider Racing Team, depuis de nombreuses années. Pour 2023, tu le rejoins en tant que co-team manager, comment s’est mise en place cette nouvelle collaboration ? La saison dernière, Sam cherchait quelqu’un qui puisse remplir le rôle de « directeur sportif » : être vraiment sur le terrain avec les pilotes, participer aux reconnaissances avec eux, échanger sur le choix des lignes… C’est vraiment dans cette optique qu’on a imaginé la collaboration. Puis l’année dernière, il avait à ses côtés Julie (Bresset) qui se chargeait beaucoup de la logistique tel que la réservation des hôtels, les inscriptions sur les courses, etc… Julie ayant décidé de changer d’optique professionnelle, je m’occupe de ce côté-là aussi donc j’ai finalement de quoi m’occuper toute l’année… tant en déplacement qu’à la maison (rires). De cette façon, Sam peut se concentrer entièrement sur ses missions de management, de stratégie ou encore du versant business du team notamment avec les recrutements qui démarrent assez vite dans la saison. C’est un peu le grand manitou finalement ! Et de ton côté, rentrer dans le staff c’était quelque chose qui t’attirait ? De manière plus personnelle, j’étais un peu à bout de performance pure mais je n’étais pas lassé de l’environnement VTT pour autant, c’était donc le parfait combo pour rester dans le milieu avec un nouveau job. Puis je dois avouer que le côté partage de l’expérience me tient beaucoup à cœur, particulièrement avec les jeunes pilotes et les filles du team. Pour la saison 2023, tu as le titre de team manager adjoint en charge du secteur performance et développement produits, peux-tu nous expliquer plus précisément quelle est ta mission ? En ce qui concerne le volet développement produit, j’avais déjà un rôle la saison dernière en tant que pilote mais il est désormais d’autant plus renforcé. L’année dernière, il faut se rappeler qu’on partait d’un vélo de série qui n’était pas conçu pour les World Cup. Si on a réussi à bien l’optimiser durant la saison, cette année va être différente mais je n’en dis pas plus ! Le but est évidemment d’impliquer les pilotes actuels dans son développement mais je pense qu’il est possible de leur faciliter la tâche en proposant un produit déjà bien dégrossi afin qu’il ne leur reste plus qu’à affiner les réglages (variant selon le poids, le style de pilotage, …). Cela permet aussi aux athlètes de se concentrer sur la performance. Rockrider est une marque très à l’écoute sur le matériel et je pense qu’il faut en profiter. De par mon expérience, je pense pouvoir traduire le ressenti des différentes pilotes, et être capable de les transformer en indications claires pour les mécanos, mais aussi pour le reste du staff et des personnes impliquées dans le matériel, que ce soit les ingénieurs de chez Rockrider ou les marques partenaires. Je pense qu’avoir ce relais entre les pilotes et les personnes responsables du matériel peut être bénéfique pour tout le monde. À quel stade en est le vélo actuel, peux tu lever un coin du voile ? On travaille sur de nouveaux projets… En ce moment même, nous sommes à Boulouris avec 3 pilotes et 4 ingénieurs/ chefs produit de chez Rockrider, et tout ce que je peux vous dire c’est qu’il y a de belles choses qui arrivent. Est-ce que c’est quelque chose qui t’as toujours plu ce côté développement du matériel ? Cette sensibilité au matériel est plutôt venue avec l’expérience : au plus tu roules et au plus ça vient. Tu ressens de plus en plus les différents changements et tu te rends compte qu’un vélo bien réglé peut vraiment faire la différence donc tu essaies d’optimiser au maximum ton matos. Il faut avouer que le VTT a aussi beaucoup évolué ces dernières années. « Dans l’équipe, nous tenons à créer un cadre de performance chaleureux, je veux y contribuer encore plus à ma manière » Au-delà du côté matériel, on a cru comprendre que tu joueras aussi un rôle au bord du circuit durant les week-ends de course. Peux-tu nous en dire un mot ? Le but est avant tout d’accompagner les athlètes sur les circuits pour les écouter, les comprendre et les mettre en confiance. L’avantage est qu’on parle le même langage puisque j’étais à leur place il y a encore quelques semaines. Dans l’équipe, nous tenons à créer un cadre de performance chaleureux, je veux y contribuer encore plus à ma manière. Cela nécessite de s’adapter à l’athlète que tu as en face de toi et à son style de pilotage lorsqu’on discute de choix de trajectoires par exemple. Dans tous les cas, il ne faut pas oublier que c’est toujours l’athlète qui a le dernier mot une fois en course. Je pense qu’avoir quelqu’un dans le team qui puisse aller jeter un coup d’œil avant la course est bénéfique aussi, par exemple pour voir comment le terrain a évolué en fonction de la météo ou des passages répétés durant les trainings afin de pouvoir informer les pilotes avant le départ. Arrives-tu à ce poste avec des grandes idées de changement ? Des inspirations ? Je n’ai rien inventé, d’autres équipes font déjà ce travail spécifique sur le technique. Comme Oscar Saiz qui encadre l’équipe féminine suisse, et on a pu voir que ça portait ses fruits ! Pierre Lebreton est aussi une inspiration pour moi de ma période chez BH, ou encore Tracy Moseley lorsque j’étais chez Trek qui facilitait le contact entre le staff et les pilotes. Je m’inscris dans la lignée de ces différentes personnes, j’étais encore un athlète récemment et je pense que cela peut m’aider dans la compréhension des pilotes mais aussi faciliter le travail sur le terrain avec eux. Est-ce que tu penses pouvoir accompagner l’ensemble des pilotes malgré leurs différences ? Conseiller Mathis n’est pas la même chose qu’Emeline je suppose ? J’ai justement l’impression que je peux apporter davantage aux filles et aux jeunes pilotes de l’équipe, notamment sur les choix de ligne en course ou encore sur la technique. C’est un beau challenge car effectivement nous avons chacun notre fonctionnement et il faut réussir à s’adapter au pilote que l’on a en face de soi. La saison dernière, Emeline était un peu livrée à elle-même lors des reconnaissances et trainings puisqu’elle était la seule fille du team. Cette année je vais pouvoir réellement l’aider, et en plus elle sera accompagnée de plusieurs coéquipières. Mais c’est vrai que le travail avec Mathis par exemple sera tout à fait différent. L’objectif sera plutôt de le calmer, de maitriser sa grosse technique et le rendre plus efficace en course. Avec un pilote à maturité comme Joshua par exemple, le travail prendra davantage la forme d’un échange. L’avantage en étant aux abords du circuit est que je peux avoir un regard extérieur – voir ce que d’autres pilotes font durant les reconnaissances – et lui en toucher un mot pour qu’on en discute ensemble. Pour le côté mental, rien que l’équipe fait déjà beaucoup. L’ambiance est excellente. Un mélange de moyens, de rigueur et d’ambiance familiale c’est un tout qui rend l’équipe attractive pour les pilotes. Ah justement ! La saison passée, Emeline était la seule fille de l’équipe. Cette saison, elles sont en parfaite majorité (4 pour 2 hommes), comment vois-tu ce changement ? C’est nécessaire de féminiser les équipes Elites selon toi ? Oui, c’est vraiment important ! L’année dernière, on était plutôt sur un recrutement tardif donc nous n’avions pas toutes les cartes en main. Puis on partait de zéro donc ce n’était pas évident d’obtenir la confiance de certains pilotes. Pour 2023, on internationalise et on féminise aussi. Pour moi, le sport est au même niveau chez les hommes que chez les femmes que ce soit par rapport à la visibilité ou de la qualité des courses. La parité est donc importante ! Avec Joshua chez les hommes et Savilia ou Greta chez les femmes vous passez un peu un cap non ? Désormais, l’équipe est capable de jouer aux avant-postes voire d’aller chercher un podium dans les deux catégories. Oui, c’est clair qu’on passe un gros cap ! Joshua est en pleine phase de progression et on est fier de notre recrutement côté femmes. Je pense honnêtement qu’on a tout ce qu’il faut pour viser des top 5 en XCC et XCO, tant chez les hommes que les femmes. Et c’est clair que ça motive tout le monde que l’équipe puisse jouer aux avant-postes, moi y compris. On a beaucoup misé sur le potentiel de progression respectif des athlètes dans nos choix de recrutement. Durant toute ta carrière d’athlète, on s’est occupé de toi, maintenant c’est le contraire, tu te mets au service des pilotes. Comment gère-t-on cette transition ? C’est vrai que c’est un gros changement mais j’ai senti intérieurement que j’étais prêt. Physiquement je n’étais plus en phase avec mes performances donc j’avais moins cette « flamme ». Mais de l’autre côté, j’avais ce sentiment que l’expérience que j’avais accumulée durant toutes ces années pouvait servir à d’autres pilotes. C’est simplement comme ça que m’est venue cette motivation de me mettre au service des autres et de partager mon expérience, je n’y avais jamais réfléchi avant d’arrêter. C’est cette impression d’avoir fini d’écrire un chapitre qui m’a poussé dans cette nouvelle aventure. Je sens que ce sera aussi fort de voir un de nos pilotes sur le podium que d’y être moi-même. Tu as toujours été durant ta carrière un athlète accessible et souriant, est-ce que tu penses que pour un coureur, les « à-côtés » sont tout aussi important ? Est-ce que tu penses avoir quelque chose à apporter aux athlètes de ce côté là ? Pour nous l’âme de l’équipe est importante : la personne compte autant que l’athlète. C’est pourquoi lors du recrutement nous avons cherché des gens ouverts, accessibles mais avec une personnalité propre. Je pense que ces « à-côtés » (respecter le public, être accessible pour les médias) comptent aussi dans le métier. C’est pourquoi le team travaillera avec Fred Machabert comme attaché de presse cette saison, c’est un peu une manière de montrer aux pilotes que c’est important et qu’ils ont un soutien du team dans cette partie du job. Tu es à l’aube d’un nouveau volet de ta carrière, est-ce que tu t’es déjà projeté dans le plus long terme ? Où est-ce que Steph Tempier se voit dans 10 ans ? Honnêtement je ne saurais pas te dire où je serai dans 10 ans, je ne me projette pas aussi loin. Actuellement je vise jusque Paris 2024 qui est un objectif important pour Rockrider et Decathlon. Pour le moment, je suis encore un petit nouveau et il faut que je me fasse ma place, ma légitimité. Pour le reste, on verra donc après. On va te revoir sur un vélo, rassure-nous ? Défendre ton titre de champion marathon par exemple ? Sans être catégorique, je n’ai rien de prévu. Je veux vraiment être bon dans mon nouveau job, dans cet encadrement des pilotes, et ça impose une rupture avec la vie d’athlète. Pour te répondre clairement, non je ne défendrai effectivement pas mon titre de champion de France Marathon. En VTT je sais que je serai moins bon qu’avant et ce n’est jamais vraiment agréable. Je préfère découvrir d’autres choses telles que la course de montagne, le trail, ou encore le kilomètre vertical. Ce sont des domaines où j’ai une marge de progression plus importante. Même pas un Cape Epic… Même pas… alors qu’on me l’a proposé ! Ou alors en master dans quelques années à la Hermida ou en mixte. Cela nécessite de l’entraînement et beaucoup de temps, ce qui veut dire que ça ne me permettrait pas de me dévouer au team comme j’en ai envie. Après je ne dis pas que je ne roulerai plus mais dans l’immédiat ce ne sera pas en course en tout cas. L’e-bike me plait aussi, je trouve l’aspect pilotage intéressant surtout en montée. Une chose est sûre : je me rendrai dispo quand le projet e-bike au sein de Rockrider s’orientera vers la performance.