Interview | Pierre Lebreton : « L’Orbea Factory Team, un projet solide et prometteur »
Par Adrien Protano -
Jusqu’alors limité à une équipe d’ambassadeurs, l’Orbea Factory Team vient d’annoncer son arrivée au sein du circuit mondial XC. L’objectif affiché est clair : devenir un projet de référence dans le XC moderne. Nous en avons profité pour discuter plus longuement avec Pierre Lebreton, le nouveau team manager de l’équipe. Rencontre :
Ancien directeur sportif du team KMC-Orbea, Pierre Lebreton est un personnage bien connu des paddocks ainsi que de la rédaction. Suite à la récente annonce de l’arrivée de l’Orbea Factory Team sur les circuits de coupe du monde XC, c’est sous sa nouvelle casquette de team manager que Pierre a accepté de discuter avec nous de cette nouvelle aventure.
Hello Pierre ! Comment ça va ?
Hello Vojo. Pour être honnête, on est déjà bien relancés dans cette nouvelle saison. C’est un moment intense et on est très occupé, mais je pense que c’est bon signe (rires).
Officiellement, tu es passé de directeur sportif à team manager cet hiver. Comment s’est déroulée cette transition ?
Honnêtement ? Un changement dans la signature de mon mail… (rires).
Je suis dans ce domaine par passion, non pas juste celle du VTT mais de tout ce que ça implique autour. J’aime voyager (en polluant le moins possible), travailler en équipe, mais aussi poursuivre des objectifs aux côtés de gens motivés… Quelle que soit ma place dans l’équipe, j’ai toujours fait mon job avec beaucoup de sérieux et d’implication. Ce poste de team manager est finalement venu assez naturellement, jamais je ne me suis dit que « un jour je devais être team manager ». L’aspect responsabilité du poste peut faire peur, mais je me suis toujours senti très responsable de mes actes au sein de mes anciennes équipes, donc ça n’a pas changé grand-chose en réalité.
Il n’y a pas encore eu de communication officielle mais de ce qu’on a déjà pu comprendre au travers des différentes annonces des pilotes, KMC-Orbea se restructure complètement cet hiver. Comment ça s’est passé pour toi, comment es-tu arrivé dans ce projet avec Orbea ?
2023 est avant tout la fin de l’histoire pour moi avec la structure mère du team KMC-Orbea. Nos chemins se sont séparés pour la saison prochaine, car nous avions des visions différentes quant à la manière de travailler. Cette décision de quitter le team KMC-Orbea, je l’ai prise sans plan particulier en arrière-pensée. J’ai même envisagé de redevenir coach ou encore maître-nageur. Toute cette décision a été prise tard dans la saison et j’ai ensuite été approché par Orbea avec cette proposition de diriger un team factory sur le circuit mondial.
De l’extérieur, KMC-Orbea donnait l’image d’un team soudé et proche, plus ou moins international suivant les saisons, mais très familial dans l’esprit avec des athlètes qui restent longtemps. Comment tu as vécu cette séparation ?
Ça n’a pas été facile de laisser le groupe et c’est clair que c’est dur de ne plus travailler avec toutes les personnes de Vaillant TT (la structure responsable du team KMC-Orbea). J’ai pris la décision de partir car j’avais peur de perdre ce côté « team familial » avec une certaine fidélité du staff et des pilotes. C’est quelque chose d’important pour moi de construire sur plusieurs années. Peu de gens arrivent à s’imaginer l’énergie nécessaire à ce job, aussi agréable qu’il puisse être. Donc, avoir un groupe qui s’entend bien et qui est content de se retrouver, c’est important à mes yeux ! Je ne parlerais pas de famille car elle peut être dysfonctionnelle, or nous sommes là avant tout en tant que professionnels.
Ça n’a pas été facile mais il y a des choix qui doivent être naturels.
Avec toutes les variables prises en compte, je me suis rendu compte que c’était la meilleure décision pour tout le monde, pour le groupe comme pour moi. Ça n’a pas été facile mais il y a des choix qui doivent être naturels. Céline (NDLR : Hutsebaut, responsable de la structure Vaillant TT en charge du team KMC-Orbea) est comme une sœur pour moi, mais elle est aussi la boss et je ne voulais pas être un poids vis-à-vis d’elle.
2023 signe donc la fin de ton aventure au sein de KMC-Orbea et la création de cet Orbea Factory Team ?
À proprement parler, le team Orbea Factory existait déjà mais uniquement sous forme d’athlètes ambassadeurs. Pour 2023, on vient greffer ce segment du haut niveau et du circuit mondial à cette structure déjà existante. Le but premier, au-delà des résultats et des performances, est à mon sens de partager. C’est pour cette raison que la base Orbea Factory et de ses ambassadeurs m’a plu.
Donc le nom d’Orbea Factory Team reste mais tout le reste change. Comment ça va se passer pour les ambassadeurs ?
Cette évolution de l’Orbea Factory Team s’inscrit avant tout dans l’aspect partage : on veut partager le fait de partager. Je veux dire par là qu’en tant que team de haut niveau, on veut évoluer au plus haut niveau et le partager comme il faut. D’autant plus avec les récents bouleversements de notre sport tels que l’arrivée de Discovery et l’évolution vers, ce qu’on espère être, de véritables festivals du VTT alliant les différentes pratiques.
Partager la passion du vélo et du VTT en général, ainsi que plus spécifiquement la pratique du cross-country.
Partager d’abord la passion du vélo et du VTT en général, ainsi que plus spécifiquement celle de la pratique du cross-country, avec des gens qui ne sont pas toujours directement tournés vers le haut niveau. Voilà la mission que l’on partage avec l’Orbea Factory Team dans la forme où on la connaissait jusqu’à présent. C’est super intéressant de partir de cette base d’ambassadeurs qui composent déjà l’Orbea Factory Team puisqu’ils sont à même de présenter l’année prochaine ce que le team vit. J’imagine par là que chacun des ambassadeurs pourrait venir passer une semaine ou des évènements particuliers avec nous, on pourrait inviter Arnaud [Jouffroy] aux Gets par exemple…
C’est également ce qui peut expliquer le choix du maillot unique au sein de cet Orbea Factory Team. Plutôt que d’avoir l’Orbea Factory Team déjà existant et un team factory de haut niveau à côté, ça faisait sens d’avoir une seule et même structure.
Dans les faits, vous serez donc bien un team usine ? Quelle est la plus-value par rapport à une équipe privée telle que KMC-Orbea ? Vous étiez déjà proches d’Orbea ces dernières années.
Orbea était déjà un support énorme l’année dernière, mais le passage à un team usine permet d’accéder à un stade supérieur encore. Dans un team privé comme l’était KMC-Orbea la saison dernière, Orbea fournit les cadres et ensuite on doit trouver des partenaires à titre privé. En tant que factory team, on travaille main dans la main avec Orbea pour s’accompagner des meilleurs partenaires possible, ça ouvre d’autres portes d’être appuyé par un constructeur. Puis ce qui redouble d’intérêt est de pouvoir bosser en équipe avec Orbea, on a des échanges quotidiens et un rôle davantage mis en avant dans le développement du matériel.
On a vu la récente annonce de l’effectif 2023 (lire Pierre de Froidmont et Luca Martin s’engagent avec l’Orbea Factory Team), tu peux nous en parler plus en détail ?
En 2023, on va partir sur les coupes du monde avec un effectif de quatre coureurs. C’est plus petit, voire beaucoup plus petit pour certaines saisons, que les effectifs avec lesquels j’ai travaillé par le passé. L’idée générale était de démarrer ce projet d’Orbea Factory Team avec un noyau dur afin de créer un réel esprit d’équipe, mais aussi dans le but de pouvoir s’occuper correctement des coureurs. Pour les prochaines saisons, rien n’est encore décidé : il est possible que nous montions à 5 ou 6 coureurs, comme il est envisageable que nous restions à 4.
C’est également un choix stratégique par rapport à tous les changements que la pratique rencontre actuellement (l’arrivée de Discovery, d’ESO…). On voulait vraiment garder beaucoup de plasticité pour ce projet naissant dans ce contexte d’évolution, et avoir un petit effectif le permet. On avait besoin de sentir qu’on restait adaptable pour pouvoir s’acclimater à toutes les nouveautés qu’on risque de rencontrer durant les prochains mois et années. Évidemment tout cela crée de l’enthousiasme aussi !
Tu connaissais déjà deux des quatre pilotes de cet Orbea Factory Team de par le team KMC-Orbea la saison dernière. En tant que team manager, quelle est ta vision sur ces deux athlètes ?
Je connaissais déjà Pierre de Froidmont et Luca Martin effectivement. À leurs côtés pour 2023, on retrouve Anne Tauber et David Campos.
Pierre a fait un grand bond en avant la saison dernière et ça a été un réel plaisir de travailler avec lui. En réalité, je le suis depuis de nombreuses années sans qu’il ne soit trop au courant, par l’intermédiaire de Brice (NDLR : Scholtes, team manager du team BH Wallonie MTB, équipe de Pierre entre 2016 et 2021). C’est une grosse motivation de l’avoir au sein du team car il m’apporte beaucoup d’énergie durant chacun de nos échanges.
Pour 2023, l’objectif pour lui sera de confirmer ses bons résultats de la saison dernière. Il a été super régulier et c’est une bonne base pour viser l’étape suivante. Je suis certain qu’il peut encore aller plus haut, mais je pense que c’est nécessaire de prendre son temps et d’y aller sainement. Le but est de ne pas l’écraser sous la pression, de conserver cette régularité et d’échanger avec lui et son coach afin d’identifier quelles sont sportivement les clés qui lui permettront de passer le cap au-dessus.
Aux côtés de Pierre, on retrouve trois autres athlètes, dont un Espoir et une femme. Ce choix vient d’une réflexion sur la manière de faire évoluer l’effectif qui s’est soldée par une envie d’équilibre au sein du team. Je dois avouer qu’intégrer un Espoir est quelque chose qui m’a toujours tenu à cœur. Et s’il y a une chose à retenir et sur laquelle on peut construire pour sûr par rapport à ces évolutions de notre discipline, c’est la mise en avant des Espoirs. Ils vont recevoir davantage de médiatisation et de soutien, je l’espère, de teams usine qui vont enfin se décider à les engager. Auparavant, il fallait vraiment insister pour que les partenaires acceptent les Espoirs.
D’autant plus que Luca est un athlète français prometteur. Il est le premier à être champion de France Espoirs durant sa première année au sein de la catégorie Espoir. Pour moi, ça pose une réalité : son talent. La mission est désormais de construire sur son talent afin d’apporter une certaine régularité. Il a manqué de chance la saison dernière, il est tombé malade plusieurs fois (COVID, carence en fer…) et même pas en raison d’une mauvaise gestion de ses entraînements, juste par manque de chance. Ce sont des choses classiques qui arrivent à son âge, ce n’est juste pas tombé aux meilleurs moments pour lui. Accessoirement, je vais également entraîner Luca sur demande de sa part. Cela va nous permettre d’être encore plus proches et d’affronter un autre challenge ensemble.
Pierre et Luca sont également en partie responsables de cette motivation au départ du projet. Je voulais pouvoir leur offrir le meilleur environnement possible afin qu’ils puissent continuer de progresser. Ils me donnent beaucoup d’énergie.
Et on retrouve donc, à leurs côtés, deux athlètes avec qui tu n’as jamais travaillé par le passé : Anne Tauber et David Campos. Est-ce que tu peux nous expliquer brièvement par quoi ils sont passés ces dernières années ?
Ladies first avec Anne Tauber ! Une super pilote, avec qui je suis en contact depuis des années, avant même ses premiers podiums Elites à vrai dire. À l’époque, on l’avait repérée avec Michel Hutsebaut avant qu’elle n’explose mais cela ne s’était finalement pas concrétisé pour la recruter.
Anne a eu quelques années difficiles, et même durant cette période, elle est restée très investie et a continué à faire son métier de manière très sérieuse. On sait qu’arriver au plus haut niveau c’est une chose, le talent parle, mais il faut également un peu de chance pour y rester. L’objectif est de tout mettre en place pour lui permettre de gagner à nouveau. Elle ne veut pas juste se contenter d’être sur le podium, elle veut passer le cap et lever les bras sur la ligne d’arrivée.
On l’a vue aussi à haut niveau en patinage de vitesse l’hiver. Comment tu abordes ce genre de double projet ?
De manière générale, Anne est quelqu’un qui a besoin d’être dehors pour faire du sport et qui adore la compétition aussi. De manière personnelle, j’ai une approche très multisport du fait de ma formation STAPS. J’adore le VTT mais il y a plein d’autres sports que j’aime à côté donc je conçois tout à fait son double programme. En tant que team, on est évidemment heureux de pouvoir partager une multiactivité comme ça lorsqu’elle a du sens. Nous ne sommes pas là non plus pour lui dicter sa manière de travailler en hiver, on veut simplement que sa carrière soit la plus excitante possible pour elle. Après, je pense que pour cet hiver en particulier, elle s’est rendu compte qu’il fallait faire des choix et se concentrer sur ses objectifs en VTT si elle voulait y revenir au plus haut niveau. Pour les hivers à venir, on verra ce qui fait sens pour elle par rapport à ce double programme.
Et on en arrive au dernier, David Campos…
David, encore Espoir la saison dernière, entame sa première saison en Elites avec nous. Il a fait un beau saut de performance durant les deux dernières saisons, et particulièrement l’année dernière. On est presque sur des profils comparables avec Pierre, dans le sens où tous deux devront confirmer leurs bons résultats la saison prochaine, ce qui est parfois plus compliqué. Il va devoir apprendre à connaître cette catégorie Elites mais aussi, comme pour Luca, à courir un short-track chaque week-end. Il faut donc prendre en compte dans la programmation annuelle des courses qu’il risque de sortir des week-ends de coupe du monde un peu plus fatigué. Pour ce qui est de la performance en elle-même, David est un coureur solide et il a déjà montré de belles choses en short-track également (2ème au championnat d’Europe Espoirs XCC et 4ème en XCO).
S’ils veulent gagner dès la manche de Nove Mesto, le staff et les sponsors sont prêts à leur offrir le support nécessaire.
En fin de compte, c’est un peu la logique commune pour les quatre pilotes : ils sont déjà très performants et prometteurs, mais ils désirent tous passer le cap et confirmer. Ça conclut aussi l’esprit sur lequel est basé le team : partir sur quelque chose de solide et en même temps de prometteur. Et c’est une relation solide à double sens, je veux dire par là que ce côté prometteur qu’offre l’effectif, il se retrouve dans le sens contraire dans l’investissement de la part des sponsors. Ils permettent aux coureurs de progresser sans avoir besoin de faire de changements, s’ils veulent gagner dès la manche de Nove Mesto, le staff et les sponsors sont prêts à leur offrir le support nécessaire.
On s’imagine à quel point monter une équipe n’est déjà pas simple en temps normal, mais en plus avec l’arrivée de Discovery au sein du cross-country cette année, comment ça s’est passé ? Tu estimes que c’est une bonne chose que ça soit arrivé maintenant ?
Je pense que pour décider de monter une équipe, il faut une sorte d’optimisme… Pour nous, la décision de mettre en place le team s’est faite tardivement donc on partait en connaissance de cause quant à ces changements vis-à-vis de Discovery. Bon, il y a toujours des choses qui n’ont pas encore été communiquées et qui semblent pourtant importantes mais bon… Je pense par exemple au niveau de la diffusion avec les acheteurs des droits.
En tout cas, je crois que le VTT va continuer à se globaliser et à s’internationaliser. Ça nous semble être une opportunité pour mettre en avant notre sport et le partager au mieux.
Tu as partagé beaucoup de choses au sein de tes anciens teams : les titres de Julie Bresset, les victoires de Victor Koretzky… Est-ce qu’on peut parler de fin d’une ère ou est-ce que cette nouvelle équipe, c’est juste la continuité pour toi ?
Je pencherai pour la continuité. J’ai toujours bossé dans un team privé et cette année marque la séparation avec certaines personnes. Ça a aussi été dur de ne plus pouvoir travailler avec KMC, qui a joué un grand rôle dans le développement de l’équipe ces dernières années. Mais je retrouve une certaine continuité, notamment avec Orbea, mais aussi avec les 2 deux coureurs qui me suivent ou encore avec le staff. Ma forme de travail traduit également une certaine continuité, je garde ce côté sportif/performance.
Là où l’on retrouve de la nouveauté, c’est grâce au passage sous forme de team usine que ce soit niveau matériel, ou du côté de la communication où l’on va pouvoir bénéficier de la force de frappe d’Orbea.
Qu’est-ce qui te fait rêver maintenant, avec cette nouvelle équipe ?
Le but de l’équipe est évidemment de progresser d’un cran avec les athlètes. Je pourrai être satisfait s’il s’avère que j’ai construit un team qui tient la route, d’avoir mis en place une entité qui apporte à Orbea, aux sponsors, mais aussi qui permet l’épanouissement des athlètes et du staff. Mon souhait est que ça se confirme dans les prochaines années, et que le projet soit assez stable pour perdurer quand je ne serai plus là.