Interview – Passé, présent, futur : Julien Absalon se confie
Par Olivier Béart -
Julien Absalon et tous ses fans viennent de vivre une année riche en émotions. Ses duels avec Nino Schurter, régulièrement animés par un troisième homme, ont enflammé la saison 2015 et livré des images qui resteront gravées dans les annales de notre sport. Des images, justement, il en a été question lors de notre rencontre avec Julien Absalon lors de la présentation de l’équipe BMC en Espagne. Juste avant une petite sortie route, nous avons entamé la discussion avec Julien en lui montrant une sélection de dix images de la saison 2015 que nous considérons comme marquantes, et nous lui avons demandé de partager avec nous ce qu’elles évoquent dans son esprit. Une belle opportunité aussi de parler de l’avenir, et spécialement de 2016, année olympique.
A peine revenu de l’île Maurice où il a participé au Southern Tropical Challenge et pris quelques vacances en famille, Julien Absalon est très détendu et souriant… même s’il a quelques côtes douloureuses suite à une chute et qu’il s’est farci 1300km en voiture pour venir, après avoir loupé de justesse son avion à Nice ! C’est en rigolant de cette petite mésaventure que notre interview commence, avant de rentrer dans le vif du sujet…
Avant de partir pour l’Espagne, nous avons sélectionné quelques-unes des images marquantes de la saison 2015. Pas question de les mettre toutes, il y en aurait bien trop. L’idée est surtout de faire remonter les souvenirs de Julien à la surface et qu’à partir de ces images, il se confie à nous… mais aussi surtout à vous, chers lecteurs de Vojo. Sans plus attendre, plongeons-nous dans l’album !
Mars 2015, Marseille, un début saison compliqué
Pour débuter, nous montrons à Julien cette image du début de la saison 2015, lors de la Coupe de France disputée à Marseille et où Julien n’avait fini que 7e. A l’arrivée, une image marquante : tous les regards sont tournés vers Titouan Carod qui vient de remporter sa première Coupe de France scratch, alors que le Champion du Monde passe entre les micros et caméras de façon presque anonyme. Julien sourit. « J’ai eu un printemps 2015 compliqué, avec des soucis d’allergies qu’il a fallu déceler car c’était nouveau pour moi. Ce n’est pas rare chez les sportifs d’endurance, à force de sur-solliciter les bronches, et encore plus en vtt où on est en forêt et dans la poussière tout le temps. Mais comme je ne l’avais jamais été avant, ça a mis du temps à être décelé. Je me suis farci des antibiotiques pour rien avant qu’un allergologue fasse enfin le bon diagnostic. Cela m’a empêché de me faire une bonne base foncière et cela a retardé ma préparation ».
A Marseille et sur d’autres courses de prépa, je me suis pris de bonnes petites fessées. Avoir du mal à rentrer dans le top 5, ça remet les idées en place !
« Mais je n’ai pas paniqué car après qu’on ait trouvé la cause du mal, ça a été vite et j’étais prêt pour les premières Coupes du Monde. Paradoxalement, c’est en 2e partie de saison que j’ai payé ce manque de foncier. A cause de ces allergies de début de saison, je n’ai pas pu avoir mon 2e pic de forme au championnat du Monde. »
Quand on demande à Julien comment il a vécu le fait de redevenir presque un anonyme à l’issue de cette course, il répond de façon très sereine : « Le sport c’est ça. On peut être très vite oublié. J’en suis conscient et je vis bien avec. Au-delà de cet aspect, sur une Coupe de France, ça fait plaisir de voir une nouvelle génération gagner, et des Espoirs gagner devant les Elites. On a une super génération de jeunes, très prometteuse. Ca me fait vraiment plaisir de voir que ça pousse derrière ! »
Mai 2015, Nove Mesto : Kulhavy intouchable
Pour l’ouverture de la Coupe du Monde à Nove Mesto, Julien Absalon veut se rassurer, ce qu’il fait en accompagnant les meilleurs. Mais Kulhavy et Schurter sont au-dessus du lot. « J’étais satisfait du résultat vu les allergies et contre-performances assez dures connues sur les courses de préparation. Je n’ai jamais gagné Nove Mesto, donc 3e c’est vraiment bien. J’adore rouler là à l’entraînement, où j’ai toujours de super sensations et beaucoup de plaisir. Mais en course, cela correspond moins à mes qualités. C’est trop tonique et cela manque de montées longues. Même si c’est dans le jardin de Jaroslav Kulhavy et qu’il y a gagné cette année, Nino sera le grand favori lors des championnats du Monde 2016 qui se dérouleront là-bas. Mais avec les Jeux Olympiques, la saison 2016 sera très particulière. »
Les Worlds 2016 vont être très durs à planifier car ils tombent juste un mois avant les jeux… et les tracés ne se ressemblent pas du tout !
Nous en profitons pour aborder le chapitre « Rio » avec le double champion olympique : « On l’a vu lors du test event, les jeux c’est fun à rouler, mais c’est dommage que cela ne reflète pas mieux le VTT actuel. C’est visuel et spectaculaire mais d’un point de vue de rider, ce n’est pas représentatif de ce qu’on fait toute l’année. Prenons juste Nove Mesto, où on utilise le full, alors que là on va rouler en rigide, à 24 de moyenne. Les gens qui ne regardent que les jeux n’auront pas la vraie image du vtt, alors que c’est la vitrine de notre sport. C’est dommage que ce soit en décalage et les vttistes ne se reconnaîtront pas non plus dans ce tracé, très éloigné des terrains sur lesquels ils roulent. »
« Sur le plan physique ce sera très compliqué aussi. On a comparé des analyses de puissance sur Nove Mesto et Rio, c’est complètement à l’opposé : on a une cadence de pédalage élevée aux Jeux, des vitesses super élevées,… Ce sera très compliqué d’avoir deux pics de forme. Le mois de juillet sera très dur à gérer avec les Worlds, les championnats de France et les Jeux. Pour ma part, je mettrai la priorité sur les JO pour défendre toutes mes chances. »
Mai 2015, Albstadt : les 4 hommes en forme
En Allemagne, sur la 2e manche de la Coupe du Monde 2015, Julien prouve qu’il est revenu en pleine forme. « C’est ma 30e victoire, sur ma Coupe du Monde favorite qui, contrairement à Nove Mesto, correspond vraiment à mes qualités. Je préfère les entraînements à Nove Mesto, mais la course à Albstadt. Cela dit, Nino a énormément progressé dans ce registre qui n’était pas le sien avant, il est devenu plus grimpeur. Cette année, c’était quasiment impossible de le lâcher. Mais j’ai quand même réussi à le mettre dans le dur, à le pousser à la faute, même si je reconnais que c’était un fameux coup du sort alors qu’il avait course gagnée. »
Nino fait peu d’erreurs mais il en fait parfois, quand il est vraiment sous pression.
Avec cette image, c’est aussi l’occasion de parler de ses autres grands rivaux. « Florian Vogel fait un énorme début de saison, il était au top sur les courses de préparation, et il a réussi à rester stable. On dirait que sa nouvelle équipe lui a fait du bien. Kulhavy a fait son numéro chez lui, puis il a été inexistant. C’est souvent comme ça avec lui, il est capable du meilleur comme du pire. C’est dur de dire comment il sera l’an prochain et s’il pourra défendre son titre olympique. Moi j’espère retrouver mon niveau en 2016, Nino est au summum, il sera là sans souci, Vogel a une nouvelle jeunesse et Kulhavy c’est toujours l’incertitude, on ne sait jamais s’il sera intouchable ou s’il va faire 50e. »
Albstadt toujours. Nino Schurter, le génie de la technique.
Nino Schurter a un niveau technique énorme. Pour continuer à rivaliser, Julien Absalon a dû se remettre en question. « J’ai bossé énormément la technique. Dans les zones naturelles, je ne me fais plus prendre, surtout en full. Mais sur certains secteurs spécifiques artificiels, et tout ce qui est aérien, Nino garde un avantage et j’ai encore de la marge. Je suis d’une autre génération. Quand j’ai commencé le vtt, on n’apprenait pas à sauter pour faire du XC. J’ai appris trop tard ce genre de gestes. En prévision de la saison 2016, j’ai mis plus de travail technique à mon planning, notamment sur de la roche et en pumptrack ainsi qu’en BMX pour les sauts. Même à 35 ans, il faut faire preuve d’humilité et se remettre en question.
Quand je vais sur le terrain de BMX de Sainte-Maxime, je me fais coacher par les gamins de 12 ans !
La technique, c’est quelque chose qu’il faut travailler jeune. D’autant que nos vélos ne sont pas faits pour ça. Quand je saute en vélo d’enduro et de pump, c’est différent. En vélo de XC, il faut être sûr de son coup parce que ça ne pardonne pas ! Quelques fois les circuits ont tellement évolué vers le technique que c’est limite avec un vélo de cross. Quant à savoir s’il fera évoluer son vélo en 2016 et en prévision des JO… « Il n’y aura pas de grosses évolutions. On travaille sur quelques détails ». Comme une tige de selle télescopique ? « No comment », nous dit-il avec un petit sourire.
Juillet 2015, Lenzerheide : le coup du sort
A Lenzerheide, en Suisse, tant Nino Schurter que Julien Absalon crèvent, au plus grand bonheur de Jaroslav Kulhavy. Malgré ses efforts pour revenir (comme le montre notre image), le champion du Monde termine 9e. « J’ai vraiment eu cette crevaison là où il ne fallait pas crever. C’était en faux plat montant, sans erreur, quasi le plus loin possible du poste d’assistance. Je me suis arraché pour rouler jusqu’à la zone, changer de roue et assurer le top 10 pour les points. Il faut savoir gérer aussi ce genre de situation. »
« Au final ça n’a rien changé pour le classement général mais à ce stade, on ne le sait pas. Nino a été plus régulier et il a gagné, c’est normal et mérité. Puis, avec des « si » on fait beaucoup de choses. La mécanique fait partie de notre sport et le rend aussi plus beau.
Juillet 2015, Championnat de France : invaincu et toujours motivé
Julien Absalon, seul en tête sur un championnat de France… une image devenue presque habituelle. Quand on lui demande s’il reste motivé par cet objectif, sa réponse fuse : « Oui ! Il y a toujours du stress car je remets en jeu cette tunique Bleu-Blanc-Rouge que j’ai depuis si longtemps… et je ne veux pas la laisser ! Stéphane et Maxime sont là pour la prendre chaque année et on a aussi une super génération qui arrive. On a de beaux talents qu’il faut aider à concrétiser quand ils passeront à l’échelon supérieur. On parle souvent des Espoirs, mais chez les juniors, il y a aussi beaucoup d’éléments prometteurs. Il faut les accompagner et ne pas louper le coche car la transition vers les catégories supérieures est parfois compliquée. Je serais motivé de les accompagner, de transmettre mon expérience. » En restant chez BMC ou en travaillant directement pour la fédé ? « Je pense qu’il est possible de faire les deux. Il est encore un peu tôt pour en parler, mais les portes sont ouvertes. »
Août 2015, Val Di Sole : le scénario piège
La Coupe du Monde de Val Di Sole est une répétition générale avant les championnats du Monde de Vallnord. C’est aussi la dernière apparition de Julien Absalon avec la tenue arc-en-ciel. « Je me suis retrouvé piége et enfermé dans un scénario pas confortable : j’avais une crevaison lente à l’avant et je n’arrêtais pas de me demander si je devais m’arrêter ou pas ! Ca me travaillait. Chaque fois, j’étais à la bagarre en arrivant dans la zone d’assistance technique donc je me disais que je ne pouvais pas m’arrêter, mais je le payais ensuite dans les parties descendantes. Ca a occasionné un certain stress. On cogite et en plus c’est dur et dangereux de suivre un gars comme Nino en descente dans ces conditions. Je voyais aussi qu’il jouait avec moi. En côte je le lâchais un peu, mais il se laissait faire car il savait qu’il allait me rattraper dans le technique et surtout sur la double bosse qu’il sautait et où je perdais chaque fois de précieuses secondes. Quand on parlait d’aérien tout à l’heure, voilà un bon exemple. Et, au final, ce qui devait arriver arriva, il m’a lâché dans la dernière côte. »
Avec notre rivalité actuelle, que ce soit pour Nino ou pour moi, chacune de nos victoires a encore plus de saveur
« On se pousse à être meilleurs, c’est génial d’avoir un adversaire comme ça. J’apprécie vraiment encore plus chaque victoire car elles sont plus rares, il faut LE grand jour pour y arriver. Mais je sais que c’est encore possible de le battre donc c’est gai. J’ai 6 ans de plus, il est au sommet, mais j’arrive à le taper à la régulière de temps en temps, c’est très motivant. » Pas déçu de ne plus avoir le maillot de Champion du Monde ? « Non, j’ai fait ce que j’avais à faire, Nino était juste le plus fort. Je l’ai dit, je n’étais pas à 100% et je n’ai pas réussi à avoir mon 2e pic de forme à cause de mon printemps perturbé. Mais je préfère cette année qu’en 2016… »
Naef part à la retraite… et Julien Absalon ?
Julien Absalon a annoncé plus ou moins officiellement qu’il raccrochera fin 2016. Mais en est-il vraiment sûr ? On aborde le sujet en lui montrant une photo de son coéquipier Ralph Naef, qui vient d’arrêter sa carrière sportive. » Je suis ravi de voir que le début de retraite de Ralph se passe bien. Il a rebondi avec une nouvelle vie de directeur sportif, il a l’air épanoui. Pour nous, chez BMC, ça va être un changement car c’est un des piliers de l’équipe. Il avait un vrai rôle de chef de file, de lien entre les Suisses-Allemands et moi. Par exemple, il faisait toujours attention à relancer la discussion en anglais pour ne pas me mettre sur le côté. Il va falloir faire autrement maintenant. On a aussi beaucoup discuté de l’après carrière ensemble. Il m’a dit avoir eu le déclic et que c’était ça l’important. Moi pour le moment, je ne l’ai pas encore eu. »
J’ai dit que j’arrêterai sans doute fin 2016, mais en fait, c’est encore un peu plus flou. On verra après les jeux.
Ma famille, mon équilibre.
Sur les Coupes du Monde européennes, Julien Absalon voyage en famille, avec sa femme Emilie et leurs deux enfants Tom et Louca. L’ainé, Tom, est d’ailleurs devenu une mascotte dans le paddock, qu’il arpente inlassablement au guidon de son petit vélo. » C’est clair que c’est un équilibre dont j’ai besoin. Etre coureur pro, c’est être parti très souvent. Le fait que la famille puisse régulièrement m’accompagner, c’est très précieux. On prend le mobil-home et on partage ces moments ensemble. Tom adore être sur les courses, sur le vélo. Il est capable de rouler jusqu’à l’épuisement ! Là, il a commencé le BMX avec Sabrina Jonnier comme coach. Je crois qu’il est bien tombé (rires). Mais je veux qu’il le fasse pour s’amuser, parce qu’il aime ça, pas pour faire comme papa. Je ne le pousserai jamais. S’il veut faire de la compétition, il en fera et je le soutiendrai, mais je ne le pousserai pas. S’il choisit le XC, il devra savoir et comprendre que ce ne sera pas facile avec un nom comme le sien. Mais on verra, on a encore du temps avant d’y penser. »
Vous avez aimé la saison 2015 ? Vojo sera à nouveau de la partie en 2016 pour vous faire vivre toute l’intensité des grands rendez-vous ! En attendant, vous pouvez suivre Julien et son actualité via son compte Facebook.
Photos : Paul Humbert, Fred Machabert et Olivier Béart pour VojoMag, ainsi que Jérémie Reuiller, BMC.