Interview | Kevin Miquel : « Quand tu as cette chance, il faut la saisir »
Par Léo Kervran -
Il a découvert l’enduro il y a seulement 5 ans mais il s’est déjà imposé comme l’un des pilotes les plus complets de la planète. En attendant l’ouverture de la saison d’EWS, le 23 juin en Italie, Kevin Miquel a bien voulu se prêter au jeu de l’interview pour discuter de son évolution dans la discipline et de sa nouvelle équipe.
Vojo : Tu fais aujourd’hui partie des meilleurs pilotes mondiaux en enduro mais ça reste une discipline de spécialistes, peu visible pour le grand public. Est-ce que tu peux te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ? Kevin : J’ai 29 ans et j’attaque ma cinquième année en enduro. J’ai attaqué le vélo à 5 ans par du BMX, j’ai fait du VTT, un peu de route et je suis arrivé dans l’enduro. J’ai commencé par un an chez Commencal puis trois ans chez Sunn, et maintenant je roule pour Specialized. Vojo : Ton parcours dans le vélo est très varié, tu as notamment terminé 3e des championnats du Monde de XCE en 2014. Comment en es-tu arrivé à l’enduro ? Kevin : Oui, au départ j’étais parti pour faire du XC. Après, l’évolution morphologique de ma part a fait que je n’avais plus un profil assez compétitif et à ce moment est apparu le XCE. Vu que j’avais fait du BMX avant, ça correspondait à ce que j’aimais et il y avait surtout la possibilité d’inscrire le XCE aux JO de Rio. Jusqu’en 2014 ça a eu une super belle expansion et en 2014, le CIO a choisi le baseball ou le golf, je ne sais plus, à la place [le golf, finalement] et du coup plus de budget, plus rien. En 2015 il y a eu un dernier championnat du Monde en Andorre et après ça s’est arrêté [en réalité la discipline existe toujours aujourd’hui mais n’est plus rattachée à la coupe du Monde de VTT et est de ce fait beaucoup moins développée]. Le truc c’est que je voulais continuer à faire du vélo parce que j’aime ça, compétition ou pas compétition, mais je suis quand même à la base un très gros compétiteur. De là m’est venue l’idée d’essayer l’enduro. C’était une discipline que je ne connaissais pas mais je connaissais très bien les Ravanel, qui m’ont dit au Roc d’Azur « vas-y, fais la course du Roc et vois si ça te plaît, regarde un peu tes temps et s’il y a un truc à faire on le fait ». En fait c’est parti de là, c’est pour ça que j’ai fait cette année chez Commencal avec les Ravanel. Mais c’est plus par « amour » du vélo, parce que j’aime vraiment ça, que par besoin financier ou autre chose, parce qu’à cette époque-là je ne gagnais pas du tout ma vie avec le vélo. C’est juste que je voulais continuer à faire des compétitions, à m’entraîner parce que j’aime ça. Vojo : Jolie progression, devenir en 5 ans un membre régulier du top 5 mondial ! Kevin : Oui, c’est trop cool et surprenant à la fois. J’ai eu quand même deux années de grosses grosses galères, où j’avais pas forcément de bons résultats, beaucoup de casses mécaniques, des chutes… Un peu l’apprentissage et d’un coup, je ne sais pas pourquoi, j’ai explosé fin 2018 avec une 4e place à Ainsa et un podium à Finale Ligure. Ensuite un processus s’est mis en place, je ne sais pas comment. Là j’arrive à être régulier, je pense que j’ai passé une grosse étape et le but maintenant c’est d’arriver à grappiller encore, mais c’est le plus dur. Vojo : Ton objectif, c’est le classement général ? Kevin : J’ai vécu une année folle en 2019 en faisant 3e au général, mais la particularité c’est que je n’ai fait aucun podium. Et je trouve que c’est quand même kiffant de faire un podium ou d’être pas loin pour la victoire. Si tu me demandais de choisir, je pense que je prendrais plutôt un podium ou une victoire sur une manche où ça marquerait plus, que encore une 3e place au général à la fin de la saison. Ça m’a pas apporté un truc, c’était cool mais c’était pas non plus exceptionnel. A part avoir une plaque avec une numéro 3, il n’y a rien d’extraordinaire… Vojo : Tu veux dire que ça ne fait pas des moments riches en émotions dont tu te souviens après ? Kevin : Si, ça fait un moment fort à la fin parce que toute l’équipe est contente du travail réalisé sur l’année parce que t’es méga régulier et on n’a pas craqué, on a tenu et ça c’est trop bien, mais il n’y a pas eu sur une manche un gros coup d’éclat qui te donne en émotions ce que tu as envie d’avoir. C’est ce que j’aimerais rechercher. En 2019 il y a eu 2-3 coups où j’étais pas loin d’y arriver [on pense notamment à la manche de Zermatt, où il termine 4e à 0,65 s de la 3e place] et j’aimerais quand même retrouver ce genre de trucs. Vojo : Parlons maintenant de la toute récente annonce d’une nouvelle médiatisation pour les EWS, avec l’arrivée du groupe Discovery (Eurosport) dans la discipline. Comment tu prends ça ? Kevin : Ça ne peut qu’être positif. Il faut voir comment la mise en place va se faire mais c’est que du positif. Les EWS vont essayer, je pense, de mettre quelque chose en place d’assez attractif, à la fois attractif et représentatif de ce qu’on fait pour vraiment montrer aux gens la discipline. Ça se fait en rallye, ça se fait en moto enduro, je vois pas pourquoi ça ne se ferait pas en enduro vélo. Franchement c’est trop bien si ça peut amener d’autres sponsors, le développement d’autres teams… A l’heure actuelle, ce qui est vraiment rigolo c’est que nos vélos sont parmi les plus vendus, mais ils sont très très peu visibles parce qu’on [les pilotes d’EWS] part sur une boucle de 40 bornes et tu ne nous vois pas de la journée. Je sais pas comment ils vont gérer le truc, est-ce que ça va être juste sur la dernière spéciale, sur 2-3 spéciales… mais je pense que ça ne peut que être bien. Vojo : Toujours sur le sujet EWS, la coupure est très longue entre la dernière manche de 2020 (le 26 septembre à Finale Ligure) et la première cette année, fin juin (le 23 juin à Val di Fassa). Comment tu prends ça, qu’est-ce que tu fais en attendant ? Kevin : Je pense que ça a été très dur, mais les EWS l’ont annoncé très tôt, je crois qu’en novembre on savait déjà que la saison allait attaquer en juin donc tu sais que dans ta tête, jusqu’à fin juin, t’as pas de course. Mentalement c’est pas comme le premier confinement [au printemps 2020] où peut-être que dans 2 semaines ou 3 semaines tu vas avoir une course, mais finalement non, et en termes de préparation c’est beaucoup plus dur. Là, la préparation a été simple. J’ai un préparateur mental et un coach plus sur le côté « physique » et tous les trois on a discuté, on a fait une espèce de courbe de progression pour définir comment on veut être en janvier, en mars, en mai et en juin pour les courses. Du coup ça a été un processus d’entraînement bien réglé, mais c’est quand même très long parce qu’une coupure de 10 mois… c’est trop. L’astuce a été de trouver un entraînement plus ludique. Je me suis par exemple acheté une moto trial pour faire des balades et vraiment m’entraîner en m’amusant. Je pense que pendant le confinement de l’année dernière j’ai fait une erreur, je me suis un peu trop relâché et du coup j’ai eu du mal à repartir. Là le but c’était de pas relâcher mais de ne pas non plus se mettre une pression monstre, il fallait trouver un juste milieu et je pense que je l’ai plutôt pas mal passé. Là on s’attaque aux dernières semaines, ça va vite passer. Vojo : Réponse dans un mois et demi ? Kevin : Oui, mais je pense qu’on va avoir des surprises, peut-être qu’on n’aura pas forcément les mêmes noms devant. Là c’était quand même un deuxième coup dur, je connais autour de moi des gens qui ont un peu plus lâché l’entraînement, il y a des jeunes au contraire qui ont plus les crocs… Je pense qu’on va avoir beaucoup de surprises. Vojo : C’est toujours bien pour le suspense ! Kevin : Oui, à un moment donné Sam Hill il a 40 balais [35 ans, en réalité], il va pas encore nous… Enfin si, il va encore nous la coller cette année mais ce serait ch*** qu’il nous la colle encore pendant 5 ans ! (rires) Vojo : Parlons maintenant de ton équipe. C’est le retour de Specialized dans l’enduro et vous venez tous différents d’horizons différents, comment ça se passe pour l’instant ? Kevin : Franchement ça se passe super bien, on n’a pas encore rencontré le Néo-Zélandais [Charles Murray], il devrait arriver fin mai en Europe mais la chose très importante, c’est qu’on a un socle très très fort. J’ai le même mécano et le même manager que lors de mes années chez Sunn donc maintenant ça va faire la 4e année qu’on se connaît. On est déjà ces 3 personnes-là qui se connaissent très fort et on diffuse, c’est un peu « venez dans notre famille et ça va bien se passer ». Dans l’équipe on a aussi Cecce [Francescu-Maria Camoin], un Corse, on a Renaud Smanioto, un autre Français, pour la partie média… Le changement ça fait toujours du bien dans le milieu sportif. On a un gros groupe français et on s’entend super bien. Sofia est avec un Français aussi donc elle comprend un peu, on parle anglais mais elle est très bon délire et on a une osmose qui est top donc je pense que ça annonce une belle saison. Charlie, le Néo-Zélandais, je le connais pas du tout mais apparemment on m’en a dit que du bien, et pour s’embrouiller avec les Néo-Zélandais en général, il faut y aller ! (rires) Ça fait ch*** de pas avoir Théo [Galy] avec nous mais quelque part c’est aussi un vent de fraîcheur qui fait du bien, on part sur autre chose avec d’autres personnes et un nouveau matos, d’autres choses. De toute façon le changement ça fait toujours du bien dans le milieu sportif, que ce soit dans l’entraînement, dans la nourriture, dans les vélos, dans le matos… C’est que positif et pour l’instant c’est trop bien. Vojo : Tu parles de changement de matériel, tu t’es bien adapté à ton nouveau vélo ? Kevin : Oui, même si l’Enduro est très différent du Kern EN sur lequel je roulais l’année dernière. Le Specialized encaisse beaucoup et s’allonge pour garder la vitesse, il est plus « souple » que le Sunn qui est très rigide et plus dynamique. J’ai eu un peu de mal avec ça au début mais on a travaillé pendant tout l’hiver sur les réglages, notamment les suspensions, pour retrouver du dynamisme et ça commence à aller vraiment bien. Vojo : Vous avez des relations avec le siège de la marque, aux USA ? Kevin : Oui, ça m’avait fait un peu peur au départ avant de signer pour Specialized parce que tu te dis « c’est une grosse marque, elle va pas te suivre de près parce qu’elle a beaucoup de choses à gérer, elle a des gros teams de route, des gros teams de VTT… » Et en fait non, pas du tout, ils nous ont tout de suite mis au milieu des nouveaux projets, que ce soit dans le textile, dans le matos, dans les pneus… On est vraiment accompagné et je pense que chez Specialized, ils sont tellement « compétition » qu’ils veulent le meilleur pour qu’on soit devant, c’est leur but. J’aime bien cette mentalité. Vojo : D’ailleurs, ça ne te mets pas trop la pression ? Tu fais clairement figure de chef de file dans l’équipe. Kevin : Franchement, non, parce que je le prends plus en mode récompense. J’ai signé un contrat sur 2 ans avec 2 optionnels mais déjà rien que deux ans où tu roules avec une super marque, pourquoi te mettre la pression ? Non, de toute façon tu resteras pro, tu vas donner ton max et c’est deux ans de kiff ! Je préfère donner mon expérience, enfin ma petite expérience, aux autres et juste prendre du plaisir, se donner à fond, passer des bons moments… C’est du vélo, les carrières durent pas longtemps donc si tu commences à te mettre une pression monstre c’est mort. Cecce il a 19 ans, c’est un jeune, il est vite sous pression donc on essaye de le cadrer mais moi non, ça me flatte plus que ça met la pression. Bien sûr que tu as toujours la pression du résultat et je pense que le manager [Mathieu Durand] est plus en pression que quand il manageait une équipe comme Sunn, il a plus de budget… C’est lié, en gros il se dit « j’ai plus d’argent donc je devrais être plus devant » mais ça ne marche pas comme ça. Ça t’aide, beaucoup, d’avoir de l’argent, ça c’est sûr mais c’est pas ça qui va te faire aller de suite devant donc faut juste profiter du moment et juste kiffer. Moi je me considère comme un mec qui est très très très chanceux, et quand tu as cette chance-là, il faut juste la saisir.