Interview | Jenny Rissveds : l’or lui va si bien
Par Jan Geys -
Elle n’a pas encore 23 ans, mais elle est déjà au sommet. En quelques années seulement, voire même quelques mois, elle est passée du statut d’espoir du vtt féminin à celui de championne olympique. Un monde de différence qui pourrait en déstabiliser plus d’une. Mais visiblement pas Jenny Rissveds, même si elle avoue avoir parfois encore un peu de mal à réaliser ce qui lui arrive. C’est une jeune femme souriante mais discrète et réservée que nous avons rencontrée en exclusivité lors de son passage pour un week-end chez Scott Benelux. Interview.
Lorsque nous retrouvons Jenny Rissveds, elle est en train de raconter une anecdote aux personnes qui l’entourent. La scène, révélatrice, se passe dans un aéroport Suisse : « Madame, vous n’avez pas d’eau ? D’autres liquides ? demande un agent de sécurité au contrôle. Euh, non, je ne pense pas, répond-elle. « Pas d’appareils électroniques ou d’autres choses dans votre sac ? Elle réfléchit mais elle ne voit pas. Et pourtant, au scanner, quelque chose ne va pas. « Peut-être que ce sont mes écouteurs ? » Mais à la fouille, l’homme trouve quelque chose au fond de son sac : la médaille d’or de Rio ! « J’avais complètement oublié que je l’avais. C’est quelque chose que normalement je n’emporte pas avec moi mais là, je l’avais à la demande de mes sponsors. » Eh oui, cela prend du temps de réaliser qu’on est championne olympique, surtout à 22 ans !
C’est mi-octobre, à l’occasion d’un week-end spécial organisé par Scott Benelux, que nous avons pu rencontrer Jenny Rissveds en exclusivité, entre deux séances d’autographes et sorties-VIP. Bonjour Jenny !
Lors de la coupe du monde à Lenzerheide que tu venais de gagner, Thomas Frischknecht, ton manager de l’équipe, te qualifiait de « jeune oiseau qui a la vie devant lui ». Six semaines plus tard, tu deviens championne olympique ! Ca va vraiment vite…
Oui, c’est vrai. C’est ce qui est amusant avec l’anecdote que je racontais juste avant, à l’aéroport. Mais cela m’a marquée car à ce moment-là, les souvenirs sont revenus et j’ai réalisé un peu mieux ce qui c’était passé cette saison. Mais dire que c’est trop rapide je n’aime pas cela. Si la forme est bonne, pourquoi appuyer sur les freins simplement parce qu’on pourrait penser que tu es encore trop jeune. Je ne pense jamais au fait que je n’ai que 22 ans, je prends les succès comme ils viennent et cela ne me rend pas nerveuse. Je suis toujours Jenny et quand je suis rentrée de Rio, oui on a fait la fête, mais le comportement de ma famille et de mes amis n’a pas changé envers moi. Heureusement ! C’est juste le regard du Monde extérieur qui a changé et qui me voit comme Jenny, la championne olympique.
On peut dire que ta médaille d’or aux championnats du monde U23 à Nove Mesto a joué le rôle de déclencheur et t’a apporté la tranquillité d’esprit nécessaire pour le reste de la saison?
C’est vrai que je voulais vraiment ce titre de championne du Monde U23 qui m’avait échappé jusque là. Mais je ne pense pas que cette victoire m’a donné plus de confiance. Début 2016, j’ai fait le choix de rouler en catégorie Elite sur les Coupes du Monde, un an avant l’échéance normale. Dès la première manche à Cairns, j’ai vu que je pouvais être performante avec les meilleures en terminant 9e malgré une selle cassée qui m’avait fait rétrograder jusqu’en 45e position à un moment. Puis, à Albstadt, j’ai terminé 2e malgré une chute. C’est cela qui a construit ma confiance tout au long de la saison, car j’ai réussi à être constante au plus haut niveau.
Pourtant, la qualification pour les Jeux Olympiques n’était pas directement acquise…
Non, c’est vrai ! Le système de sélections pour les JO est très particulier. Je suis la seule Suédoise à rouler au plus haut niveau en vtt. Donc avant de me qualifier moi, j’ai dû qualifier la Suède et avoir assez de points pour que mon pays ait une place pour les Jeux. Je n’ai atteint cet objectif qu’en mai et c’est seulement à ce moment que j’ai pu me préparer réellement pour Rio.
Justement, Rio, parlons-en et revenons sur cette journée mémorable du samedi le 20 août. Tu sentais déjà au matin que ce jour pourrait être « ton jour » ?
Non, c’est quelque chose que tu ne peux pas sentir le matin. Ce n’est pas quand tu te lèves que tu sens que tes jambes sont bonnes. C’est plutôt un sentiment global de confiance qui est présent et qui découle de tout le temps et le travail que tu as passé à l’entrainement. Et c’est cela qui permet d’aller se présenter sur la ligne de départ d’une telle épreuve l’esprit tranquille et de se donner à 100%.
Quand j’ai senti que je chutais, je me suis dit « noooon » et pendant une fraction de seconde j’ai eu peur de ne pas être au départ…
Pourtant, il y avait eu cette chute pendant l’entrainement quelques jours plus tôt …
Oui, c’est vrai. Le mercredi je suis tombée lors de mon premier entrainement sur le circuit olympique, ce qui m’a occasionné quelques coupures au genou et au coude. Avec, à la clé, pas moins de 10 points de suture au total ! Franchement, j’étais surprise moi-même de rester si positive après cet incident. Sur le moment même, je me suis dit « noooon » et pendant une fraction de seconde j’ai eu peur de ne pas être au départ. Mais une heure plus tard je me sentais déjà en pleine forme et le jeudi j’étais déjà sur mon vélo pour reconnaître à nouveau le circuit. Dès ce moment, j’avais déjà oublié mes points de suture.
Dans ces moments, le mental joue un rôle capital. Est-ce quelque chose que tu prépares spécifiquement ?
Oui, depuis que j’ai 17 ans je travaille avec un « mental coach ». A ce moment, en 2011, je faisais des courses sur route et, sur les championnats d’Europe en Italie, j’ai fait une très grosse chute. Après cet épisode, j’avais très peur, je ne voulais presque plus monter sur un vélo. Et c’est là que j’ai commencé à travailler avec cette personne. Depuis ce jour là, nous ne nous sommes plus quittés et nous sommes devenus amis. Quand on est athlète, on aime toujours tout contrôler et on a souvent du mal à admettre qu’on a besoin d’aide. Pourtant, parfois il faut l’accepter et se rendre compte qu’on ne peut pas faire tout tout seul. Grâce à ce coach, je parviens à avoir un autre point de vue sur les choses et à être parfaitement bien mentalement tout au long de l’année comme lors des événements majeurs.
En pleine course, quand as-tu senti que tu allais gagner ?
Honnêtement, seulement a l’arrivée, vraiment ! Ca reste une course de VTT et plein de choses peuvent arriver jusqu’à la dernière minute.
C’était important que ton frère soit également présent à Rio ?
Oui, énorme. En fait, toute ma famille a été très importante durant toute ma carrière. Ils m’ont toujours aidée et soutenue dans ce que je fais.
Vu de chez nous, quand on pense à la Suède, on pense plutôt aux sports d’hiver… comment es-tu venue au VTT ?
Eh oui, c’est toujours comme cela, à distance, on a souvent une image un peu déformée. Mais en fait, en Suède, les gens font aussi beaucoup de sports d’été. Il y a vraiment un mélange entre les sports d’été et d’hiver. Vous y voyez beaucoup de gens faire du vélo et courir. Je n’ai jamais vraiment pensé à faire des sports d’hiver en compétition, bien que j’en pratique certains. C’est quand j’avais sept ans que j’ai participé à ma première course de VTT. A partir de 10 ans j’ai commencé à courir sur la route, ce que j’ai fait pendant huit ans. Je n’exclus pas de refaire des courses sur route un jour… mais pas tout de suite car pour le moment j’aime trop le vtt.
Y a t’il une grande scène de vtt en Suède?
Il y a une assez bonne culture de vtt chez nous, je trouve. Toute mon enfance, j’ai participé presque chaque semaine à des courses dans ma région. Et à Falun, où j’habite, tu trouves de nombreux sentiers naturels et des sentiers construit à la main. On n’a pas de vraies montagnes, mais le paysage est vallonnée de sorte que tu trouves de belles montées et plein de descentes courtes et intenses. C’est pas mal de vivre là-bas…
Moi, j’aime m’entraîner dans la neige. Même -5°C ou -10°C comme l’hiver dernier, j’aime sortir rouler !
Et pour les entraînements, ce n’est pas trop dur avec les hivers froids et des jours sombres dans ton pays ?
Non, ça ne me dérange pas du tout. Je suppose que c’est quelque chose d’individuel. Il y a beaucoup de bikers chez nous qui filent vers Majorque ou Gran Canaria dès qu’ils ont l’occasion, mais moi j’aime m’entraîner dans la neige. Même à moins cinq ou moins dix, comme l’hiver dernier, j’aime sortir, même si les jours en hiver sont aussi beaucoup plus courts. En fonction de la météo je change entre le vtt et le vélo de course/gravel. Il m’arrive aussi de faire du ski de fond ou de nager et courir.
Est-ce que le championnat d’Europe dans ton pays est la plus grande déception de la saison écoulée ?
Non, ce n’est pas parce que j’ai terminé deuxième que j’étais déçue. Même si juste après la course il y avait un peu de regret, rétrospectivement je peux dire que j’étais même heureuse de ce résultat. Beaucoup de coureurs se focalisent sur le résultat et se disent « je veux gagner, je veux faire un top 5 ». C’est bien d’avoir des objectifs, de viser la gagne, mais personnellement je vois les choses autrement car ne se focaliser que sur des objectifs comme ceux-là, c’est le meilleur moyen d’être déçu. Moi, mon but c’est de me donner à 100%, de rester devant, mais aussi de gérer la course pour ne pas me brûler trop vite et d’être flexible, de savoir jouer avec les circonstances de course. Si je sais que j’ai fait tout cela bien, même si je termine 2e, je suis heureuse.
Tu es un membre de l’équipe Scott-Odlo et coéquipière de Nino Schurter. Quelle pression cela met-il sur tes épaules ?
Quand j’ai signé il y trois ans chez Scott-Odlo, ce fut une situation nouvelle pour moi. C’était mon premier contrat professionnel et bien sûr, j’étais nerveuse parce que je signais avec une des meilleures équipes du Monde. Mais tous les gars de l’équipe m’ont accueillie avec les bras ouverts et m’ont fait me sentir à l’aise. Aussi bien Thomas Frischknecht, le team manager, que le reste de l’équipe. Ce sont des amis, on passe plus de 170 jours par an ensemble, alors évidemment c’est très important.
Peut-on dire que Thomas Frischknecht a joué un rôle majeur dans ton développement ?
Bien sûr ! Il y a plusieurs personnes qui sont été importantes pour moi, y compris ma famille qui m’a soutenue tout au long de ma vie. Mais tout comme ma famille, Thomas est quelqu’un sans qui je ne serais jamais arrivée où je suis aujourd’hui. Thomas est plus qu’un chef d’équipe, c’est aussi un ami et un grand homme.
Tu apprends beaucoup de lui et les autres membres de l’équipe?
En fait, je ne sais pas si on peut vraiment parler d’apprentissage. Du moins pas sous sa forme conventionnelle. On ne se dit pas le matin : « Aujourd’hui nous allons apprendre ceci ou cela. » C’est plutôt que nous restons ensemble, nous allons rouler tous les deux et nous nous observons. Parfois, on s’arrête pour discuter ou voir quelque chose plus en profondeur. Alors, là oui, j’essaie d’apprendre quelque chose. Mais pas seulement de Nino ou Thomas. Dans le team, nous travaillons tous ensemble. Nous décidons donc de concert avec les mécaniciens quel type de vélo je vais utiliser pour une course particulière, un semi rigide ou un full suspendu ; ou encore quel choix de pneus je vais faire.
A ce moment, quelqu’un vient tapoter sur notre épaule pour signaler la fin de l’interview. Le repas est servi et quelques convives attendent Jenny. Mais nous ne résistons pas à l’envie de lui poser encore une dernière question : au pays des frites, des gaufres et de la bière, ce n’est pas trop dur de résister ? Et dans un éclat de rire, elle nous répond : « Oh non ! Et puis, pêcher un jour ou deux par an, ce n’est pas trop grave » ! Ouf, nous voilà rassurés et, grâce à Jenny, nous nous sentirons moins coupables la prochaine fois que nous succomberons…