Interview | Greg Minnaar : « En rejoignant Norco, je deviens beaucoup plus qu’un simple pilote »
Par Olivier Béart -
Beaucoup imaginaient Greg Minnaar terminer sa carrière chez Santa Cruz. Mais, à 42 ans, le vétéran du circuit a décidé de se lancer dans un nouveau défi en rejoignant le team Norco. Et pas pour y faire de la figuration, car le recordman du nombre de victoires en coupe du monde (22) compte bien faire encore tourner le compteur lors de la saison 2024. Vojo l’a rencontré pour évoquer avec lui la saison à venir.
Greg, pourquoi ce changement si proche de la fin de ta carrière ? C’est assez… inhabituel et inattendu !
Je pense que tout le monde a pu constater que j’ai été très fidèle et aussi hyper impliqué durant mes 16 années passées au sein du team Santa Cruz. Mais à un moment de sa vie, on se retrouve parfois face à des choix, et j’ai eu la chance de voir d’autres options se présenter à moi. Ce qui m’a fait réfléchir.
Avec Norco, j’ai vu la chance non pas juste de rejoindre une autre équipe, mais carrément de construire un nouveau team
Etait-ce pour trouver une nouvelle motivation ? Sur le plan technique, en participant au développement de nouveau matériel, ou sur le plan humain, en fréquentant de nouvelles personnes ?
Au départ, non, je n’étais pas vraiment en recherche d’un nouveau team. Mais quand les premiers contacts ont eu lieu avec Norco, j’ai vu la chance non pas juste de rejoindre une autre équipe, mais carrément de construire un nouveau team. Le boss de Norco m’a dit : on veut ton expérience, et on veut la mettre en pratique pour construire notre nouvelle équipe. J’y ai vu un beau nouveau défi. Jusqu’à présent, je n’ai pas vraiment eu l’occasion d’être dans une position où je pouvais réellement transmettre mon expérience à d’autres, où ça faisait partie de mon expérience. Bien sûr, je l’ai fait naturellement et indirectement avec plusieurs de mes coéquipiers plus jeunes, mais ici c’est encore différent : cela fait partie de ma mission de transmettre et aussi de repérer les futurs talents, de les recruter, d’être leur mentor. Pour la saison 2024 je n’ai pas encore pu réellement mettre cela en œuvre puisque Norco continue avec ses deux autres pilotes Gracey Hemstreet et Lucas Cruz, mais pour la suite, le recrutement fera partie de ma mission.
Le côté technique t’a aussi motivé ?
Oui, clairement, Norco est aussi venu me trouver pour développer le vélo. Ils avaient déjà une base, mais nous avons de la marge de développement. Et j’ai eu quasi carte blanche pour le choix des partenaires. Par exemple, pour les suspensions, qui sont un point hyper important en descente, nous avons testé plusieurs produits et au final, j’ai choisi de rester avec Fox. Nous avons testé beaucoup de suspensions très performantes, mais j’ai une relation avec Fox depuis plusieurs années et je sais que leur capacité à adapter les suspensions au vélo et aux désirs des pilotes est selon moi supérieure aux autres. Je sais que nous pourrons avoir des produits adaptés très précisément à nos spécifications.
Donc c’est vraiment cette espèce de « full package » qui t’a séduit ?
Au final, c’est effectivement tout ce package de défis humains et techniques qui m’a vraiment séduit. Sans compter qu’au niveau du staff, j’ai aussi pu m’entourer de personnes que je connais bien, que j’apprécie et dont je connais le professionnalisme. Et c’est indispensable pour espérer gagner. Quand on regarde deux des plus grands teams de DH actuellement, Specialized et Commençal, ils ont des personnes sur la piste qui filment, qui analysent, ils font de l’acquisition de données sur les vélos en permanence, ils ont un staff hyper cohérent où tout le monde travaille pour la performance avec la même passion. Avec Norco, c’est mon objectif de mettre cela en place, avec ma petite touche personnelle. C’est un rêve que je veux voir devenir réalité et qui est déjà en train de se mettre en place puisque j’ai des gens de très grande qualité à mes côtés.
Et toi, désolé d’avance du côté très direct de la question, mais te sens-tu encore dans le coup et capable de jouer la gagne à 42 ans ?
2023 n’a clairement pas été une bonne saison. J’ai eu de la malchance, je n’ai pas pu donner tout ce que j’avais. Mais je me sens encore au top physiquement et vraiment capable d’encore jouer la gagne sur les courses en 2024. Je ne voulais pas arrêter sur une mauvaise saison comme 2023, en sortant par la petite porte. J’ai encore faim de victoire, et je ne me serais pas relancé dans une nouvelle saison comme pilote si je n’étais pas convaincu à 100% que je suis encore compétitif.
La DH a toujours été en quelque sorte la « Formule 1 » du VTT et un laboratoire d’expérimentations techniques. Pour une fois, l’innovation électronique est arrivée en XC avant la DH, mais tu penses que c’est quelque chose qui va révolutionner la discipline ?
Je ne sais pas si cela va réellement révolutionner la discipline, mais c’est clair que l’électronique est partout dans notre vie. Tout est électronique et c’est presque surprenant que cela n’arrive « que maintenant » dans une discipline aussi pointue que la DH. Ce n’est que le début, mais je pense que cela peut contribuer à la performance, clairement.
Parmi tes coéquipiers, il y en a un qui est un peu spécial, Kirk McDowall… qui est aussi ingénieur chez Norco !
Oui, on a voulu lui donner sa chance. Sur les quelques courses qu’il a pu faire, il a réalisé des performances prometteuses et cela nous a tous semblé intéressant qu’il puisse rouler le bike qu’il a conçu au plus haut niveau et vraiment faire partie du team pour aider à développer le matériel. C’est vraiment une opportunité unique.
Au cours de ta carrière, tu as vu plusieurs générations de pilotes passer et tu as aussi vu la DH évoluer. Qu’est-ce qui a le plus changé selon toi au cours de toutes ces années ?
C’est la professionnalisation du sport ! Dans les années 2000 on était déjà sérieux, des athlètes, mais cela n’a pas arrêté d’évoluer. On va de plus en plus dans le détail de la performance et c’est sur une somme de petites choses que la victoire se joue. On est beaucoup plus méticuleux qu’avant. Pour moi, c’est ce qui a le plus changé. Et c’est assez normal comme évolution.
Toi aussi tu as dû évoluer pour rester au top… Quel est le secret de ta longévité ?
Je ne sais pas… (rires). Peut-être que c’est l’adrénaline ? Ou simplement le fait que j’aime ce que je fais. J’estime que j’ai beaucoup de chance d’avoir pu faire de ma passion un métier. Je suis payé pour rouler à vélo, c’est merveilleux. Après, j’ai aussi dû beaucoup m’adapter, changer. Je suis quelqu’un de très critique envers moi-même, je regarde beaucoup dans le rétroviseur pour améliorer ma manière de faire, ne pas refaire deux fois les mêmes erreurs. C’est une recherche constante pour être meilleur, pour être une meilleure version de moi-même.
Et les records, c’est important pour toi ? Par exemple ce fameux record de victoires en coupe du monde.. 22 manches remportées ! Et aussi le fait qu’on t’appelle « the GOAT » (Greatest Of All Times), qu’est-ce que cela te fait ?
Quand j’ai commencé à rouler, je ne pensais pas à cela. Bien sûr, même quand je faisais du motocross étant gamin, je rêvais de devenir un jour champion du monde et de gagner des courses. Quand je me suis mis au VTT, j’ai eu les mêmes rêves. Mais dire que c’était un objectif dès le départ d’être un des coureurs les plus titrés de l’histoire, ce serait mentir. C’est quelque chose qui arrive petit à petit, qui demande énormément de travail… et c’est surtout un cheminement semé d’obstacles et d’embuches. Pensez simplement aux blessures, qui marquent des coups d’arrêt plus ou moins longs, dont il faut se relever. Bien sûr, j’ai toujours tout fait pour être performant, mais je suis plutôt allé chercher les victoires une à une et les titres un à un. Je pensais que gagner le général de la coupe du monde serait le plus difficile, mais c’est arrivé lors de ma deuxième saison seulement. Alors j’ai essayé de devenir champion du monde, ce qui m’a pris un peu plus de temps, mais j’y suis arrivé aussi. Puis, on prend goût à la victoire et on fait de son mieux pour rester au top. Visiblement, ça a pas trop mal fonctionné… mais je suis toujours un peu mal à l’aise quand on dit que je suis le « GOAT » parce qu’il y a tellement d’autres pilotes exceptionnels. Les chiffres ne disent pas tout. Et je ne cours pas après les records, juste après le plaisir de rouler et de goûter à la joie de la victoire.
Les coupes du monde ont connu un changement récent avec la reprise de l’organisation et de la diffusion par Discovery à la suite de Red Bull… Quelle est ta vision et quels sont tes souhaits pour l’avenir de la DH ?
Je pense que nous sommes un sport en bonne santé et que l’UCI ainsi que Red Bull ont amené la descente à un niveau de médiatisation et d’intérêt bien plus haut que ce qu’il était il y a quelques années. Il y avait donc une bonne base pour Discovery. Bien sûr, tout n’a pas été parfait pour leur première année en 2023 mais franchement je trouve qu’ils s’en sont bien sortis et je suis très optimiste pour l’avenir. Je pense que la direction prise est la bonne. Bien sûr, c’est difficile pour le moment avec les remous post-covid dans l’industrie du cycle, mais selon moi les bases du sport sont saines et tout montre que le vélo en général est appelé à se développer, ce qui est bon aussi pour la partie sport de haut niveau que nous représentons. Ce qui est important, c’est de garder un vrai lien entre l’organisation des courses, la diffusion TV et l’industrie du vélo afin de populariser encore plus notre sport. Et je pense qu’on est sur la bonne voie.
Et pour finir, que peut-on te souhaiter pour la saison 2024 ?
De la chance. Bonne chance, tout simplement !