Interview | Greg Callaghan : « Etre le principal bénéficiaire de mes actions »
Par Paul Humbert -
Greg Callaghan est un pur produit de l’enduro. Présent sur le circuit depuis la naissance de la discipline au niveau mondial, il compte des victoires en EWS et de nombreux titres nationaux à son actif. Pourtant, en 2023, il était un des premiers pilotes à s’annoncer sans équipe pour l’année à venir. Il a rebondi, et il nous raconte :
Greg Callaghan arbore les maillots de champion d’Irlande d’enduro et de descente 2023. Il compte à son palmarès trois victoires en coupe du Monde EDR (anciennement EWS) et des années au plus haut niveau. On l’a connu dans l’équipe Cube puis chez Devinci jusqu’en 2023.
Conséquences d’un mal-être de l’industrie doublé d’une crise identitaire de la discipline, les annonces de pilotes sans contrat pour la saison 2024 se sont succédé, faisant se poser un certain nombre de questions auprès des athlètes comme du public.
Le vent a tourné pour lui, mais c’est dans ce contexte que nous retrouvons Greg Callaghan tout près de la rédaction de Vojo, au guidon d’un Ibis HD6 qui l’équipera cette saison (sans annoncer toutefois un retour de la marque avec une structure « factory »). Sur son vélo, on retrouve des suspensions RockShox, une transmission Sram, des roues et des composants Cast (une marque qui nous est inconnue pour le moment) et des pneus Continental. Au rayon des petits accessoires, Greg Callaghan utilise des composants Wolf Tooth.
Retour sur cet hiver et ces derniers mois : tu as été un des premiers pilotes à annoncer que ton team ne serait plus présent sur le circuit de coupes du monde la saison prochaine. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
La marque Devinci a décidé de changer de direction. Leur but était de se focaliser sur leurs vélos d’enduro en aluminium fabriqués au Canada. Ils visaient un marché basé essentiellement sur le continent Américain. Du coup, forcément faire des compétitions sur des vélos en carbone en Europe ne s’inscrivait pas trop dans leurs nouvelles perspectives de développement.
De nombreuses équipes ont disparu en 2024, comment est-ce que tu l’expliques ?
Je pense que c’est une combinaison de plusieurs choses. D’abord, le marché s’est complètement effondré de manière globale cette année et peut être que l’enduro n’était pas vraiment la discipline sous les projecteurs. Les marques ont revu à la baisse leur budget marketing de manière drastique. Finalement, il ne restait plus que très peu de teams auxquels se raccrocher.
Mon objectif principal pour cette année était de trouver le vélo qui me convenait parfaitement sur lequel je pouvais m’entraîner comme je voulais, performer et tout ça entouré des gens en qui j’ai pleinement confiance. C’est pour ça que je me suis dit que la meilleure option était peut être celle de créer mon propre programme, choisir mes propres composants et mon entourage pour construire une structure qui me correspond parfaitement.
Tu as vécu les « belles années » du début de l’enduro, tu as fait partie de grosses équipes… En sommes, tout allait bien sur le circuit jusqu’à cette année. Qu’est-ce que tu ressens par rapport à ce changement de direction ?
C’était clairement un hiver difficile. D’abord, je l’ai pris un peu personnellement. Je n’avais plus de team et plus vraiment d’options sur la table. Je me suis remis en question, forcément. Et puis, au fur et à mesure, j’ai commencé à en discuter avec des pilotes d’autres teams et je me suis rendu compte que la situation était plus globale que ça. Tout le monde sur le circuit a été impacté par ce changement. Même si les marques voulaient aider les athlètes, on s’est bien rendu compte qu’elles ne pouvaient juste pas le faire : le budget n’était pas là. Quand j’ai pris conscience de tout ça, ça m’a fait du bien et m’a d’autant plus motivé à faire mes preuves cette année et à montrer ce que je sais faire !
Entre-temps, la communication des organisateurs des EDR a été très sporadique, n’a dévoilé qu’un petit calendrier de six courses en Europe, et a laissé libre cours à beaucoup de rumeurs – bonnes ou mauvaises – sans confirmer non plus l’existence d’un championnat du Monde qui devrait arriver. Quel est l’impact de toute cette opacité sur les athlètes ?
Tout dépend sur quoi tu te concentres. Pour ma part, j’essaye de ne pas trop y prêter attention. Je sais que je serai au départ des six courses principales (EDR) et je connais mes priorités ; je tâche de rester concentré là-dessus. J’essaye de passer outre les questions sans réponse. Je me prépare, je travaille et je vais de l’avant.
Tu nous as dit tout à l’heure que pour sortir de ce contexte, tu as décidé de créer ta propre structure. Peux tu nous expliquer comment tu as fait ? Qu’est-ce que les marques qui te soutiennent attendent de toi ?
Aujourd’hui, tu ne peux plus être juste un athlète qui court sur des courses. Tu dois avoir une influence sur les réseaux sociaux, tu dois présenter une bonne image de toi dans les médias. Le but, c’est vraiment d’apporter de la valeur aux marques qui te soutiennent. De mon côté, je mise sur mon expérience en enduro, je suis un pilote plutôt connu sur le circuit. Mais je ne me limite pas à cela, j’essaye aussi de participer à des projets médias pour promouvoir ce que l’enduro représente à travers les différents canaux de diffusion que je peux utiliser.
Pour toi, cette année, il y a six EDR. Est-ce qu’il y en a une que tu attends particulièrement ?
Je me réjouis de participer aux manches organisées en Pologne et en Suisse. Elles sont nouvelles donc ce sera forcément une belle découverte. Finale Ligure c’est toujours génial donc là aussi, je pense que ce sera une belle course. Globalement, si on regarde le calendrier cette année, on ne peut pas se plaindre : toutes les manches seront intéressantes ! J’espère aussi qu’on aura de nouveaux trails à Leogang, même si l’année dernière c’était déjà vraiment très bien.
Est-ce que les anciens formats de courses plus longues, sur deux jours, te manquent ?
Oui, clairement. C’est surtout le côté endurance qu’il fallait tenir sur les anciens formats que je regrette un peu. Forcément, après les entrainements, les deux jours de course, le dimanche après-midi, tu commençais à le sentir physiquement et cela avait nécessairement un effet sur les résultats.
En même temps, je comprends aussi pourquoi le format a changé actuellement et que les courses ne se font plus que sur une seule journée. Et même si ça se passe sur un jour, ça reste de sacrées journées ! On est également plus en forme, moins éprouvé physiquement, donc forcément, on va plus vite aussi bien en montée qu’en descente. C’est intéressant aussi ! Les perspectives ont changé.
Tu es champion d’Irlande de descente. La descente est une discipline un peu plus médiatisée. N’es-tu pas un peu tenté de faire plus de courses de descente ?
Un peu, mais pas assez pour le faire réellement. J’aime vraiment rouler avec mon vélo d’enduro. J’adore explorer les montagnes. Je pense que l’enduro me convient mieux. Si je voulais faire de la descente, je voudrais le faire correctement et ça impliquerait nécessairement de sacrifier l’enduro, ce que je ne veux pas faire.
Une des rumeurs qui est remontée à nos oreilles serait que l’organisation des EDR aimerait mettre plus en avant le VTTAE. Qu’en penses-tu ?
J’aime bien l’idée. Je pense que le VTTAE encourage plus de monde à faire du vélo et permet à plus de personne d’atteindre la compétition. Il y a des gens qui s’inscrivent à des courses de VTTAE alors qu’ils ne l’auraient pas fait sur des courses de VTT classiques. Je pense que le VTT et le VTTAE sont deux disciplines différentes qui méritent chacune leur existence et qu’il y a de la place pour les deux. Le monde du vélo connait l’apparition de nombreuses nouvelles disciplines et les différences entre elles deviennent de plus en plus ténues. J’espère moi-même faire quelques courses de VTTAE cette année pour tester un peu ce que c’est. J’en ai déjà fait il y a quelques années et j’ai vraiment adoré donc je pense que ça pourrait être une bonne idée de réessayer ! Pour autant, je ne veux vraiment pas voir le « vélo classique » mourir. Je pense que cette discipline sera toujours là, j’espère en tous cas !
Quelles sont pour toi les avantages d’avoir créé ta propre structure et quelles en sont les limites en tant qu’athlète professionnel ?
C’est une belle opportunité. En vrai, tu peux être un peu égoïste et t’adapter complètement à ce qui compte pour toi pour tout ce qui concerne les entrainements et les tests de matériels. Il te suffit de te concentrer sur toi, tu n’as pas de contrainte extérieure : tu peux aller t’entraîner là où la météo est clémente et où les sentiers sont cool. Je me réjouis sincèrement. Je pense faire de la compétition depuis assez longtemps pour savoir ce dont j’ai besoin et comment organiser ma saison. Le petit plus c’est que j’aurai un mécano avec moi sur les courses.
Et qu’en est-il de l’organisationnel ? De l’intendance ? Tu vas devoir t’occuper de choses dont tu ne t’occupais pas avant. Est-ce que ça ne te met pas un peu plus la pression ?
Je ne pense pas que ça me mette plus la pression. Je pense que c’est bien de pouvoir contrôler tout ça : je me rends compte que dans tout ce que je fais, j’en suis le principal bénéficiaire. C’est vraiment dans mon intérêt de préparer et faire les choses correctement : les papiers, les entraînements et faire des résultats durant les courses. Tout dépend de moi donc c’est d’autant plus une raison de me donner à fond !
Comment commenceras-tu ta saison de courses d’entraînement ?
Je commence avec une course de descente le week-end prochain. Ça va être cool, c’est une bonne occasion pour moi de ressortir mon maillot de champion d’Irlande que j’ai gagné l’année dernière !
Pourquoi est-ce une bonne opportunité pour toi de courir sur une course de descente ?
C’est un bon entrainement parce qu’en hiver c’est dur de trouver des courses d’enduro sur lesquelles tu peux être vraiment agressif sur le vélo et pousser les limites. Finalement, les courses d’EDR se situent quelque part entre les courses d’enduro niveau national et les courses de descente parce qu’on pratique des reconnaissances à pied, des reconnaissances à vélo, on regarde les GoPro. Quand on roule en EDR, on finit par bien connaitre les pistes de la course, plus en tous cas que sur les pures courses d’enduro.
En plus, c’est aussi intéressant de travailler sur les réglages du vélo sur une seule piste.
Après, je commence la saison d’enduro avec une course qui se situe à l’exact opposé. Le monstre : l’Epic enduro ! C’est une course légendaire en France que j’ai toujours voulu faire par le passé mais habituellement elle était organisée en fin de saison et j’étais trop fatigué physiquement pour y participer. Donc je suis très content d’avoir enfin pu m’y inscrire cette année ! C’est un beau challenge, c’est plus de 100km avec 5000m de d+ et 9 spéciales chronométrées. Bref, ce sera une grosse journée mais je me réjouis franchement ! C’est juste le moment parfait dans l’année pour une course comme ça, c’est en début de saison mais assez tôt pour pouvoir s’en remettre avant d’attaquer la vraie saison des EDR.
Est-ce que tu penses que cette année marquera une année de changement profond pour l’enduro ?
Je pense que chaque année est importante pour l’enduro. Cela reste une discipline récente et depuis sa naissance, chaque année a impliqué des changements de direction. C’est une discipline qui peut encore grandir et qui a l’avenir devant elle.
Dernière question : tu passes beaucoup de temps en France ces temps-ci. Pourquoi ?
Oui, j’ai une copine en France, à Annecy. J’ai toujours passé beaucoup de temps en France. Au début de l’histoire de l’enduro, j’essayais de participer à au moins une coupe de France pour essayer de challenger les pilotes français. J’aime vraiment les Alpes, c’est cool de pouvoir passer plus de temps ici à rouler des pistes plus longues, plus rapides, plus raides. Jusque-là, ça a été un super endroit pour m’entrainer et je pense que ça va être un bon coup de pouce pour cette année.