Interview exclusive | Peter Sagan : « J’ai commencé par le VTT, je veux finir par le VTT »
Par Olivier Béart -
Dès l’annonce de la fin de sa carrière sur route, Peter Sagan a immédiatement fait part de son envie de revenir au VTT. Une surprise ? Pas tant que cela, quand on connaît l’attachement profond du coureur slovaque pour cette discipline qu’il a quittée avec un goût d’inachevé peu après avoir été champion du monde junior en 2008. Nous avons eu l’occasion de rencontrer la star récemment. Dans cette interview exclusive, il nous en dit plus sur les raisons de ce retour au VTT en 2024, avec les JO de Paris dans le viseur.
Peter, après une carrière sur route aussi couronnée de succès, ce retour au VTT, c’est un pari risqué tout de même !
Oui, c’est vrai que je prends un risque, et je remercie d’ailleurs ceux qui me soutiennent dans ce pari un peu fou : mes sponsors (Specialized et 100% notamment), mon mécano, mon entraîneur. Je n’ai « que » 33 ans et, si je suis lassé/fatigué de la route, j’ai par contre toujours envie de courir. Et j’ai vraiment l’impression d’une histoire inachevée avec le VTT qui est toujours resté ma discipline de cœur. C’est par là que j’ai commencé le vélo et, étant enfant, c’est champion de VTT que je voulais être.
Quand je suis passé pro, je n'étais qu'un jeune petit espoir slovaque. Je n'avais pas vraiment de quoi imposer ma parole et mes vues.
Aujourd’hui, on voit des coureurs comme Mathieu van der Poel ou Tom Pidcock qui cumulent VTT, route et cyclocross. Ce n’était pas possible en 2010 quand tu es passé pro sur la route ?
Quand j’étais junior, je faisais aussi les trois. J’aimais vraiment ça ! Mais quand je suis passé pro sur route chez Liquigas, c’était clair que je devais abandonner les autres disciplines. Les mentalités ont beaucoup évolué depuis cette époque et c’est très bien pour Mathieu et Tom. Il ne faut pas oublier que quand je suis passé pro, je n’étais qu’un jeune petit espoir slovaque. Je n’avais pas vraiment de quoi imposer ma parole et mes vues. Puis, comme les résultats suivaient sur la route, j’ai continué. Après, quand j’ai eu mes titres de champion du monde, j’aurais pu me faire entendre un peu plus, mais les enjeux sur route étaient trop grands. J’aurais aimé pouvoir faire une course de VTT de temps en temps, mais à part quelques exceptions, même cela ce n’était quasiment pas possible. C’était perçu comme trop dangereux par l’équipe et surtout je n’avais pas le temps. Vu le type de coureur que j’étais, sprinteur/puncheur, je courais beaucoup. Jusqu’à 90 jours par an ! Cela ne laisse pas beaucoup de place pour faire autre chose, et quand je ne courais pas, je devais absolument me reposer.
Tu as tout de même fait les Jeux Olympiques de Rio en 2016…
Oui, c’est vrai, mais cela m’a aussi laissé un goût d’inachevé. J’ai intercalé ça dans ma saison de route et, même si j’étais en forme et si j’avais une tactique qui a failli marcher (NDLR : parti en fond de grille, Peter Sagan a pris de l’élan avant le départ, ce qui n’est pas interdit et cela lui a permis de se retrouver aux avant-postes dans le premier tour… avant de crever à plusieurs reprises), je me suis rendu compte que je ne pouvais pas juste faire une course de VTT de temps en temps et espérer que ça marche. Surtout les JO.
Quand as-tu décidé de revenir au VTT après ta carrière sur route ?
J’avais toujours cette idée dans un coin de ma tête, j’y pensais souvent et depuis longtemps. Mais l’élément déclencheur a probablement été ma participation au championnat du monde des Gets en e-bike. J’ai pris tellement de plaisir à rouler en off-road, à être dans le paddock d’une épreuve VTT, à partager des moments avec le team Specialized,… que j’ai vraiment su que je voulais absolument me remettre au VTT après avoir raccroché mon vélo de route.
J'aborde ce retour avec beaucoup d'humilité. Il y a beaucoup de talents, jeunes et moins jeunes, et la densité de niveau en VTT est incroyable.
Quelles sont tes attentes pour cette saison 2024… qui sera en fait ta première saison complète en VTT catégorie Elite !
Je n’ai pas réellement d’attentes. Je le fais vraiment pour moi, parce que j’ai cette envie au fond de moi et pour le fun tout simplement ! Le VTT a énormément progressé depuis que je suis parti. J’aborde ce retour avec beaucoup d’humilité. Il y a beaucoup de talents, jeunes et moins jeunes, et la densité de niveau en VTT est incroyable. Donc je sais que ce ne sera pas facile. Mais je pense tout de même que j’ai une carte à jouer. Et j’ai un objectif qui me motive : décrocher ma place pour les JO de Paris à l’été 2024. Rien n’est encore fait, je dois marquer un maximum de points sur le début de saison, mais c’est possible et c’est une grande motivation pour moi.
Cela demande de la préparation, est-elle fortement différente de celle pour la saison de route ?
Jusqu’à présent non, pas tellement car il faut aussi faire du fond pour performer à VTT. Mais j’ai déjà commencé à m’entraîner en technique. A l’époque en juniors j’étais assez bon mais les circuits ont beaucoup évolué et le niveau des pilotes aussi. Je dois me remettre à jour, mais c’est quelque chose que j’adore. Je fais aussi beaucoup de gym pour travailler l’équilibre et les réflexes. Puis début 2024 je commencerai le spécifique. Avec la route, mon corps est devenu assez massif, je dois réussir à le transformer un peu pour le rendre plus adapté au VTT. Tout cela est en cours et c’est agréable d’avoir de nouveaux challenges. La saison sera fort différente aussi, avec moins de jours de course que sur route, mais des déplacements plus longs pour chaque événement, généralement de 5/6 jours pour le VTT alors que mis à part les courses par étapes, il m’arrivait de partir moins de 24h pour certaines épreuves route.
Il y a eu aussi beaucoup de changements au niveau du matériel… tu ne te sens pas « largué » ?
Oui, c’est vrai que le matériel a énormément progressé, mais je ne suis pas largué parce que je constate que les évolutions vont dans le sens d’une plus grande facilité d’utilisation. Les géométries actuelles rendent les vélos plus capables dans le technique, on a des roues et des pneus 29 pouces légers et fiables, l’électronique s’invite sur les transmissions et les suspensions… mais au final, tout cela rend la vie du pilote bien plus agréable. Les vélos actuels sont vraiment incroyables à rouler.
Tiens, et le gravel, tu penses en faire aussi ?
Oui, probablement, mais après les Jeux Olympiques. En 2024 je me focalise vraiment sur le VTT. Par contre, pour le gravel, on ne me verra plus jamais au départ d’un championnat du monde ou d’une course UCI. Cela me rappelle trop la route. Si je refais du gravel c’est pour faire des épreuves de masse ou plus « aventure » comme l’Unbound Gravel ou ce genre de chose.
Dernière question : quelles sont les premières courses VTT sur lesquelles on te verra en 2024 ?
Je commencerai ma saison par une nouvelle course à Abou Dhabi, puis je serai à Marseille pour l’ouverture de la Coupe de France et je ferai aussi des courses en Espagne. Mon début de saison sera assez chargé avant les coupes du monde, histoire de déjà marquer le plus de points possible en vue de la qualification pour les JO et aussi pour espérer avoir une place correcte sur la grille de départ des premières coupes du monde. J’ai déjà hâte d’y être !
Peter Sagan, en bref :
- Né le 26 janvier 1990 en Slovaquie
- Champion du monde junior VTT en 2008
- 3 fois champion du monde sur route (2015, 2016 et 2017)
- 18 victoires d’étapes sur les grands tours
- 7 fois maillot vert du Tour de France
- Vainqueur de Paris-Roubaix et du Tour des Flandres
- Team VTT pour 2024 : Specialized Factory Racing