Interview | Emeline Detilleux : « Je veux montrer qui je suis et ce dont je suis capable »
Par Adrien Protano -
Championne de Belgique en titre, 16e sur les championnats d’Europe, top 20 en coupe du monde… La dernière saison de la pilote belge Emeline Detilleux ne laisse pas de marbre. Bien connue au sein du paysage VTT belge, la pilote du Rockrider Ford Racing Team commence à se faire une réputation sur le circuit international. Nous avons profité d’une sortie en sa compagnie pour lui poser quelques questions :
Maillot de championne de Belgique sur les épaules, vous avez peut-être aperçu Emeline Detilleux il y a peu sur Vojo puisque la pilote du Rockrider Ford Racing Team nous a permis, en exclusivité, de passer une journée au guidon de son Rockrider Race 940 S, à quelques semaines du lancement de la version de série : Prise en main | Rockrider Race 940 S : coup de maître en préparation !
Nous avons profité de cette sortie en compagnie de la jeune pilote belge pour lui poser quelques questions, revenir sur sa très bonne saison 2023, sur ses objectifs pour la saison prochaine, mais également sur sa future expérience olympique…
Peux-tu te présenter toi et ton parcours ? D’où vient cette passion du VTT ?
J’ai 24 ans et je fais partie du Rockrider Ford Racing Team. J’ai commencé le VTT assez tôt, vers l’âge de trois ou quatre ans. Mes grands frères faisaient de la compétition et je les ai suivis, j’ai directement accroché. Nos parents nous conduisaient sur les courses tous ensemble. Je suis passée par le club SuperBikers, et ensuite au sein du team Merida Wallonie, BH Wallonie et finalement chez Rockrider Ford Racing Team depuis 2022.
Tout le monde n’est peut-être pas au courant, mais tu t’es blessée durant la reconnaissance des championnats du monde la saison dernière. Peux-tu nous raconter cette fin de saison particulière ?
L’objectif était de préparer Glasgow comme les Jeux olympiques, comme une répétition générale. C’est le même schéma de préparation à vrai dire (stage en altitude, période sans courses internationales juste avant). J’étais en forme et j’ai même signé le 3e meilleur temps chez les femmes lors du Team Relay. J’ai effectué les reconnaissances avant le XCO avec Julia Grégoire (NDLR : Athlète belge au sein du BH Wallonie Team) et tout se passait bien malgré la pluie tombée durant la nuit de la veille. En fin de séance, alors qu’il ne me restait plus qu’une montée et une descente avant de rejoindre le stand, j’ai perdu l’avant dans un virage relevé style bikepark. J’avais mal partout, mais particulièrement aux mains. Les secours se sont attardés sur mes genoux qui étaient ensanglantés, et la radio – une fois à l’hôpital – n’a révélé que rien n’était cassé, malgré ma douleur aiguë aux mains.
Après deux fois à m'assurer que je n'avais qu'un bleu, ma troisième venue à l'hôpital a révélé des fractures dans les deux mains. Je venais de perdre 20 jours de consolidation...
Le jour de la course, j’ai tenu à aller jusqu’au circuit à vélo, j’ai fait un tour de reconnaissance et j’ai même fini par prendre le départ malgré la douleur. Mentalement, je ne me voyais pas ne pas prendre le départ après des semaines de préparation et une simple douleur, sans quelconque blessure avérée. Après deux tours, j’ai dû abandonner. La douleur était trop intense, mon coeur montait très haut pour combattre la douleur et je prenais beaucoup de risque. Au vu de la douleur, j’ai tenu à retourner à l’hôpital une fois rentrée en Belgique. Le médecin m’a dit que c’était simplement un bleu et qu’il n’y avait rien de cassé… J’ai donc repris l’entraînement, mais la douleur n’a fait que grimper. Finalement, ma troisième venue à l’hôpital, avec un spécialiste de la main, a révélé que j’avais des fractures aux deux mains. Je venais de perdre 20 jours de consolidation…
Il y a quelques semaines, soit juste après avoir récupéré de ta blessure, on t’a aperçue sur les grilles de départ des courses en Grèce. Tu es également partie en stage à l’étranger. Comment ça s’est passé ?
Juste après avoir eu le feu vert des médecins, j’ai roulé quelques fois et je suis directement partie sur les courses en Grèce. Je n’étais pas tout à fait prête physiquement, mais j’ai fait ce que j’ai pu. Pendant ma période de convalescence, j’ai perdu des points au ranking olympique, la Belgique est repassée à la 19e place, donc je voulais déjà prendre tous les points possibles avant que la saison débute.
Et tu as enchaîné avec un stage à l’étranger, c’est bien ça ?
J’ai même eu deux stages à l’étranger (rires). Sam (NDLR. Rocès, manager du Rockrider Ford Racing team) a décidé de ne pas réunir l’équipe en novembre/décembre cette année étant donné que Savilia et Samara habitent outre-Atlantique et passent déjà une bonne partie de l’année en Europe pour les compétitions. Je suis donc partie avec le team BH-Wallonie, mon ancienne équipe, qui permet aux talents wallons et belges de se frotter au plus haut niveau. C’était une manière de faire du volume en étant bien entourée, et plus facilement que dans le froid hivernal de la Belgique.
J’ai enchaîné avec le stage organisé par le comité olympique belge. L’ensemble des athlètes belges, toutes disciplines confondues, se réunissent en Turquie, dans un centre sportif qui permet à chacun de s’entraîner dans les meilleures conditions. Cela permet de faire connaissance avec l’ensemble du staff qui nous accompagnera à Paris, mais également de rencontrer des athlètes d’autres disciplines ayant déjà fait (ou pas) les Jeux. Tous les soirs, une conférence sur le thème des JO était également organisée (nutrition durant les Jeux, cérémonie d’ouverture…). C’est super motivant et excitant, je n’arrivais pas à dormir après ça, j’avais juste envie d’aller m’entraîner pour être la meilleure (rires).
De manière plus générale, quel regard portes-tu sur ta saison 2023 ? Un premier top 20 en coupe du monde, ça fait quoi ?
Je suis contente, le bilan de ma saison est vraiment bon. Par rapport à ma première année chez les Élites (2022), où je découvrais une nouvelle équipe, un nouveau vélo et la catégorie reine, et durant laquelle j’ai eu plus de mal à m’exprimer, je remarque que j’ai vraiment passé un palier cette saison. J’étais bien préparée à la sortie de l’hiver et l’arrivée des filles au sein du team m’a boostée. 19e en coupe du monde à Val di Sole, 16e aux championnats d’Europe, c’est que du positif ! Maintenant, je veux montrer qui je suis et ce dont je suis capable !
Le team Rockrider lors de la saison dernière, d’un point de vue extérieur, semblait très uni et humain. C’est quelque chose dont tu as besoin ? On sait qu’il y a des pilotes pour lesquels seule la course compte, tandis que d’autres ont besoin de cette bulle autour d’eux.
C’est clairement important pour moi. J’ai besoin de me sentir bien entourée et le Rockrider Ford Racing Team est une vraie petite famille. On passe beaucoup de temps ensemble et l’on s’entend super bien. Il y a un vrai esprit de groupe.
Avec les autres pilotes féminines de l'équipe, on se tire vers le haut. Il y a une super entente. Je me réjouis de partager la saison prochaine avec Samara.
Au-delà d’une bonne entente, est-ce que le groupe se tire vers le haut avec un échange et une entraide mutuelle ou bien chacun se concentre sur sa performance personnelle ? L’arrivée de Samara – championne du monde en titre U23 – dans l’équipe n’a-t-elle pas rajouté un peu de pression, notamment sur les pilotes féminines ?
On s’entend super bien avec les filles du groupe, on se tire complètement vers le haut. Pour être honnête, je préfère que l’on soit plusieurs filles. Ça permet de relâcher un peu de pression. Quand tu es la seule fille, tous les résultats du team, côté féminin, reposent sur toi. C’est plus difficile à gérer quand tu as un jour de moins bien. Parfois, c’est une des autres filles qui signe un meilleur résultat et je suis contente pour elle, parfois c’est l’inverse.
Pour Samara, je n’ai pas encore vécu de course avec elle puisqu’elle est arrivée après ma blessure. On a un peu papoté et c’est une fille super chouette. Il n’y a aucun sentiment de rivalité ou de pression, ce n’est que du positif. Cela rajoute une crédibilité à l’équipe et c’est enrichissant de l’avoir parmi nous. Je me réjouis de partager la saison avec elle.
Dernier point sur le team, le duo Sam Rocès et Stéphane Tempier ? Ça apporte quoi d’avoir un ancien coureur comme directeur sportif ?
Sam Rocès s’occupe de la partie « business », là où Stéphane est responsable du côté sportif et performance. Steph apporte un grand plus sur le terrain. Il a beaucoup de connaissance, tant dans le pilotage et les trajectoires que sur le matériel où il a beaucoup dégrossi le travail en termes de choix de matériel et de préréglages des vélos. Il fait toutes les reconnaissances de course avec nous et il nous permet de beaucoup progresser.
2024 est une année olympique, qui plus est en France, comment tu abordes cet événement ?
C’est particulier comme approche. Avant ma blessure, j’étais 14e mondiale et la Belgique occupait la 15e place au classement olympique. Avec ma convalescence, on a perdu quelques places et à un moment donné, on n’était même plus assurés d’avoir un ticket pour les JO. Ce qui devait s’apparenter à un début de saison plus léger en compétition pour laisser place à davantage de préparation s’est donc transformé en un début de saison à la recherche de points pour assurer notre présence sur les Jeux. (NDLR. Les 8 premières nations ont droit à 2 coureurs de chaque sexe, les 9e à 19e nations ont droit à un coureur de chaque sexe).
Le classement olympique se termine après la manche de Nove Mesto. Jusque-là, je vais prendre part à pas mal de courses, avec notamment les courses préparatoires en Grèce, la coupe de France à Marseille, et puis peut-être le Brésil. Ensuite, je me focaliserai sur ma préparation pour les Jeux.
Tu fais partie du team « Athlètes Decathlon », peux-tu nous expliquer en quoi cela consiste et ce que ça t’apporte dans ton expérience olympique ?
Decathlon est un partenaire officiel des JO. La marque a donc sélectionné différents athlètes pour la représenter lors des Jeux. À la base, on était 24 en référence à 2024, mais on a fini par être une petite trentaine (rires). C’est une bonne expérience, on se rassemble deux ou trois fois par an depuis 2022. Cela permet de faire plein de rencontres d’athlètes d’autres disciplines, dont certains ont déjà fait des JO. C’est très enrichissant et je suis ravie d’en faire partie.
Tu es l’une des pilotes, au sein du team, qui a connu le passage de l’ancien châssis, le Race 900S, au nouveau, le Race 940S. Qu’est-ce qui t’a marqué dans ce changement ? Il emporte une vraie différence ce nouveau vélo ?
Le changement est incroyable ! C’est un peu comme si tu roulais en 2 CV et que maintenant on avait une Ferrari ! Le Race 940 S est rigide, super réactif et super facile à emmener. Il est très sécurisant dans les descentes et met beaucoup en confiance. Il m’aide beaucoup sur les sauts personnellement. On a une vraie arme, l’une des meilleures, pour se battre sur les circuits de coupe du monde.
Pour retrouver notre prise en main exclusive du Rockrider Race 940 S : Prise en main | Rockrider Race 940 S : coup de maître en préparation !
On a vu plusieurs pilotes opter pour le semi-rigide sur le test-event des JO, aucun par contre au sein du team Rockrider. Est-ce que c’était une décision commune de l’équipe ou chacun était libre d’expérimenter ce qu’il sentait le mieux ?
Personnellement je n’ai pas pu tester puisque j’étais immobilisée. C’est vrai que beaucoup de filles roulaient en semi-rigide. J’ai d’abord eu l’impression que c’était la bonne décision. En plus, toutes les rumeurs allaient dans ce sens, avec cette idée de circuit roulant. Mais en réalité, le parcours est exigeant à sa façon, on est constamment en prise sur ce circuit et j’ai vu la fatigue que les pilotes accumulaient. Finalement, j’ai l’impression que le tout-suspendu s’avère être la bonne solution. Je pense que si tu as un tout-suspendu performant, il ne faut pas se poser la question.
L’aspect matos c’est quelque chose qui te botte et t’intéresse ou tu es plus plutôt « mon job c’est de rouler, la mécanique c’est pour mon mécano » ?
C’est un aspect que j’aime bien, mais qui est très exigeant et fatigant. J’aime avoir des bases de réglages que l’on peut peaufiner et adapter en fonction du circuit. J’aime que mon vélo réagisse comme je l’attends, je sens les réglages qui ne me conviennent pas, mais je ne suis pas quelqu’un qui va se prendre la tête pour essayer des tonnes de réglages durant toute la saison.
On t’a vue t’essayer à la route l’année dernière un petit peu avant Nove Mesto. C’est une décision de t’ouvrir à d’autres disciplines ou simplement de la curiosité ?
Je suis invitée chaque année avec l’équipe nationale belge. Il faut dire qu’en hiver, notre programme est assez similaire : faire du volume. Je dois avouer que j’avais une petite appréhension, mais ça s’est finalement bien passé. Le coach m’a même proposé de m’essayer à des courses sur route. On a trouvé des dates qui fonctionnaient dans le calendrier et c’était une super expérience. J’ai fait deux courses par étapes et même si je n’étais pas à 100% à l’aise (rouler dans le peloton, routes sinueuses, peur de tomber…), j’ai complètement joué le jeu et ça m’a beaucoup plu. Je ne pense pas que je remettrai le couvert en 2024, la période de récupération étant assez longue et difficilement conciliable avec mes objectifs, mais pourquoi pas dans le futur. Je me rappelle aussi avoir pris beaucoup de plaisir lors du cyclocross de Diegem en Juniors, pourquoi ne pas réessayer également à l’occasion.
Quels sont les objectifs pour 2024 ? On t’a vue rentrer dans le top 20 sur la manche de Val di Sole, l’objectif est de t’y maintenir sur davantage de manches ?
J’ai bien sûr envie de réitérer mon top 20 en coupe du monde, c’est clair, mais mon objectif principal est évidemment les JO. Je veux me préparer et être capable de donner le meilleur de moi-même ce jour-là.
Tu étais avec Pierre de Froidmont à l’époque au sein du team Merida Wallonie. Comment vois-tu ses progrès ? C’est inspirant pour toi de voir que ton ancien coéquipier fonctionne bien sur les circuits internationaux ? On a aussi pu voir qu’il avait eu plus de difficultés la saison dernière, comment tu analyses ça ?
Pierre est un grand ami. On se connaît depuis qu’on a 10 ans et on a fait toutes les étapes de notre carrière en même temps. On a passé beaucoup de temps ensemble et on continue à se côtoyer sur les coupes du monde, dans la sélection belge ou simplement pour aller rouler quand on est à la maison. C’était super chouette de voir sa première année chez Orbea et ses progrès. Voir les enfants qu’on était sur notre vélo il y a quelques années et se dire qu’on est maintenant en direction des Jeux, c’est fou ! Pour cette saison plus difficile, je pense que ça fait partie d’une carrière de sportif et je sais qu’il est capable de grandes choses. Je suis à 100% derrière lui et je lui souhaite tout le meilleur.
Pour (re)découvrir notre interview de Pierre de Froidmont : Interview | Pierre De Froidmont : « Désormais, je sais que je peux viser la victoire »
C’est devenu un rendez-vous habituel pour toi (3 titres consécutifs ), est-ce que tu as prévu de défendre ton maillot de championne de Belgique l’été prochain ?
La date tombe très mal… C’est pile une semaine avec les JO. Je serai présente, car je pense que cela n’a pas de sens de ne pas y aller. Je vais le prendre comme une course de préparation, d’autant plus que le circuit de Beringen est assez atypique, un peu comme les circuits de Jeux olympiques. Je vais faire ce qu’il faut pour défendre mon titre, mais tout en gardant à l’esprit mon objectif principal le week-end d’après. Je pense que je me dois également d’être présente pour le public et les coureurs belges. Je suis la championne de Belgique en titre et c’est la seule course en Belgique que je fais, je leur dois bien ça.
Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour la saison prochaine ? Si tu as un seul souhait, ce serait lequel ?
Ce que je désire le plus est avant tout de prendre beaucoup de plaisir sur le vélo, et évidemment de parvenir à réussir les objectifs que je me suis fixés.
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