Interview | Cécile Ravanel cuisine Sam Hill
Par Elodie Lantelme -
Un petit tour du côté de Montauroux, où vit Cécile Ravanel, et l’idée nous est venue de demander à l’actuelle leader des Enduro World Series de réfléchir aux questions qu’elle poserait à Sam Hill, figure mondiale de la DH, passé à l’enduro mondial l’année dernière. Car nous devions voir le pilote Nukeproof le lendemain, lors de la présentation des nouvelles roues Mavic enduro et DH. On lui a tendu les questions de cette interview rendue un rien foutraque par le besoin d’y mettre notre grain de sel.
Pour poser le contexte, Cécile connaît Sam depuis longtemps. Du temps où elle roulait en cross-country et lui en DH. Hill roulait alors dans le même team que la double championne du monde et meilleure amie de la pilote Commençal. Quand, après lui avoir posé quelques questions générales de notre cru, on lui a expliqué qui l’interrogeait ensuite, l’Australien triple champion du monde DH et double vainqueur de la coupe du monde a esquissé un sourire avant de se prêter au jeu. Avant de passer aux questions de Cécile, quelques interrogations nous taraudent : Sam, est-ce que cette première saison complète d’enduro correspond à ce que tu en attendais ? Oui. L’année dernière, j’étais quand même encore concentré sur la descente, mais j’ai participé à trois ou quatre épreuves d’enduro, et j’ai vraiment aimé les destinations, les pistes, les spéciales. Cette année, j’en ai découvert encore d’autres, et ça fait vraiment du bien. Je suis vraiment très heureux d’avoir switché et d’être passé à l’enduro. Vous avez des conditions particulières depuis le début de l’année, très humides. Comment tu le gères ? La boue et la pluie, c’est une réalité avec laquelle tout le monde doit composer, c’est vrai que ça démotive un peu tout le monde, j’espère bien que les prochaines, relativement techniques, se feront sur le sec. « En enduro, sur les recos, tu n’as pas le temps de t’amuser, d’apprendre la piste de façon relax, c’est plus dur, mais ça rend aussi la compétition bien plus fun… » Comment les abordes-tu ? Tu es 2e derrière Adrien Dailly, mais pas si loin (à 80 points)… Oui, c’est une belle bagarre pour la victoire entre Adrien Dailly, Greg Callaghan et moi, c’est intéressant. Il reste 3 courses et je pense que je peux bien rouler dans les conditions sèches et poussiéreuses du Colorado et à Whistler. Donc je vais continuer à être consistant et à faire de mon mieux, en restant concentré sur chaque spéciale. Whistler sera une course stratégique ? Oui, je le pense. Mais les 3 épreuves seront physiques et techniques, sur des terrains cassants. Je vais essayer de reprendre un maximum de points sur celles du Colorado et de Whistler pour reprendre la tête avant d’arriver à Finale Ligure, mais on verra… Et maintenant, les questions de Cécile : en descente, vous reconnaissez beaucoup la piste, vous avez une reco à pied, une journée complète d’essais dessus, les qualifs… Tout ça pour une piste de 3 minutes. En enduro, il y a parfois jusqu’à 9 spéciales à retenir avec seulement 2 recos. Comment tu le gères ? C’est complètement différent. En enduro, sur les recos, tu n’as pas le temps de t’amuser, d’apprendre la piste de façon relax, c’est plus dur, mais ça rend aussi la compétition bien plus fun, parce qu’il reste forcément une part d’inconnue quand tu es en course. J’essaie de m’assurer de connaître au mieux les endroits-clés de la piste, où je peux aller vraiment vite, les sections un peu plus dangereuses, qui exigent de lever le pied. C’est mon approche. J’aime beaucoup cette dimension de l’enduro, ça exige de savoir réagir vraiment vite pour corriger les trajectoires si besoin. Est-ce que tu souhaiterais quand même reconnaître davantage, quitte à rapprocher l’enduro de la DH ? Non, c’est ce qui fait l’essence et la qualité de l’enduro. Une ou deux recos, ça suffit pour intégrer les parties dangereuses sur la piste ; le reste, c’est à toi de le gérer le jour de la course. Sans ça, ça deviendrait un peu trop facile… « Je suis content de mes pédales plates, et je suis trop vieux maintenant pour essayer autre chose (rires) ! » Comment gères-tu ces reconnaissances ? Tu as gardé la même approche qu’en DH ? En descente, comme on connaît chaque centimètre de la piste, on se doit d’être à chaque fois au maximum de notre vitesse, sur toutes les portions. En enduro, tu ne peux pas toujours te souvenir de ce qui va arriver juste après, donc il faut accepter de parfois perdre un peu de temps, de n’être pas toujours aussi rapide que tu pourrais l’être si tu connaissais la spéciale sur le bout des doigts. On est davantage dans la capacité de réagir vite à une situation. L’enduro demande de l’endurance, de l’explosivité et des aptitudes techniques importantes. La DH met surtout l’accent sur l’explosivité et les aptitudes techniques. Pour cette année, est-ce que tu as éprouvé le besoin de travailler encore ta technique ou tu as plutôt mis l’accent sur le physique? J’ai plutôt ressenti le besoin de travailler sur le côté physique. Plus que sur le technique, que j’entretiens quand je roule chez moi, par exemple. Là, j’ai davantage veillé à m’affûter physiquement…
La descente mondiale est un championnat de l’UCI (Union cycliste internationale), tandis que l’enduro est géré par une autre structure, l’EMBA (Enduro Mountain Bike Association). Souhaiterais-tu que les EWS passent sous le contrôle de l’UCI ?
Je pense que c’est bien que ce soient des instances différentes qui gèrent ces deux sports. L’UCI doit se concentrer sur le DH pour la développer et l’améliorer encore… mais ça, c’est encore une autre histoire (rires) ! Pour l’enduro, je crois que l’UCI impose trop de règles, trop de règlements.
Est-ce que tu souhaites changer quelque chose à l’enduro mondial, pour l’améliorer ?
Je ne sais pas ce qu’on pourrait changer, je crois qu’ils font vraiment du bon travail. Ils vont chercher de nouvelles destinations à chaque fois, pour conserver de la fraîcheur au niveau des tracés. Et ça, c’est un point-clé, parce qu’une nouvelle destination enduro, ça signifie une piste inconnue pour tout le monde.
Le 29 pouces est un sujet de conversation dans les paddocks de DH mondiale cette saison. L’as-tu testé ?
Non, jamais. J’essaierai peut-être ça durant l’intersaison, mais je crois que le 27,5 convient mieux à ma façon de rouler, à mon pilotage.
Tu es le seul pilote du plateau enduro mondial à rouler tout le temps en pédales plates. Tu envisages de passer en auto ?
Non, je suis content de mes pédales plates, et je suis trop vieux maintenant pour essayer autre chose (rires) ! Encore une fois, j’ai roulé toute ma vie en pédales plates, c’est ma façon de faire.
Cette saison, au vu des conditions difficiles en Irlande, à Millau, les pédales plates ont pu s’avérer un bon choix…
Les pédales, je crois que c’est juste affaire de choix et de préférences personnels, en fait. Plate ou automatique, chacune a ses avantages. Mais pour ma part, je n’aime pas me sentir clipsé… surtout quand c’est boueux !
Tu as roulé en DH mondiale à Fort William cette saison (où il a fini 18e après un gros crash aux qualifs, NDR). Comment as-tu abordé cette pige en descente?
C’était vraiment plaisant de rouler sans avoir toute la pression de devoir assumer une saison complète, sans avoir la pression du résultat, des points à rentrer non plus. J’avais juste à me faire plaisir et à rouler du mieux que je pouvais. Cette année, les championnats du monde se dérouleront chez moi, en Australie, à Cairns (du 5 au 10 septembre, NDR), je veux y rouler, essayer de me qualifier. On verra.
Last but not least, Cécile tenait à te remercier d’être passé à l’enduro, ce qui contribue au prestige de la discipline… Et sinon, de mon côté, je me demandais comment tu voyais la saison prochaine ?
J’ai hâte de découvrir le nouveau calendrier, quelles seront les nouvelles destinations, si ça va être plus rapide, plus dur. Et si je n’ai pas réalisé une bonne saison cette année, je reviendrais plus motivé et encore plus affamé la saison prochaine, parce que j’aurai pris de l’expérience. Le titre mondial, c’est mon objectif. Donc si je ne le décroche pas cette année, je remettrai ça l’an prochain.
Toujours avec Chain Reaction-Nukeproof ?
C’est ma dernière année de contrat avec Nukeproof, mais je suis vraiment bien dans ce team, donc on va voir.
Veux-tu dire quelque chose à Cécile pour conclure ?
Oui, il faut qu’elle arrête de tout gagner et de dominer comme ça ! Il faut qu’elle laisse leur chance aux autres filles (rires) !
Et toi, Cécile?
Pas question de laisser filer la pilote Commençal, victorieuse des EWS 2016, sans qu’elle nous ait dit deux trois choses sur sa saison et ses aspirations. À elle de passer sur le grill…
On est à plus de la mi-saison, il reste 3 courses, comment tu te sens ?
Ça va bien, ça se passe bien jusque-là.
Tu as près de 500 (!) points d’avance sur Inès Thoma. Tu t’attendais à dominer autant ?
Non. J’ai eu de la chance aussi par rapport aux autres. Isabeau a connu des soucis de santé, Inès, pareil, elle a aussi chuté…
Tu arrives à te motiver dans ce contexte ?
Si je ne me motive pas, je fais comme à Millau, où je ne gagne pas la première spéciale, et ça, ça m’énerve !
Comment envisages-tu la suite de la saison ?
Je suis focus pour signer un podium sur les deux prochaines, histoire d’assurer un maximum de points et le général. Aspen (dans le Colorado, la prochaine épreuve, NDR) est assez physique (si c’est comme l’an dernier) et il y a le paramètre de l’altitude à gérer. Whistler, pour moi, c’est le top, mais ça demande une gestion de tous les paramètres, c’est technique, cassant et tu retrouves de tout dans les spéciales, du physique, du single naturel, du bike-park, les journées sont longues… mais on verra.
Finale, le dernier rendez-vous de la saison, tu l’aborderas comment ?
Quoi qu’il arrive, je serai au départ, et si je peux rouler sans pression, comme l’année dernière (où elle était déjà titrée, NDR), ce n’en sera que mieux. L’an dernier, je m’étais vraiment régalée.
Et pour la saison prochaine ?
Wait and see.
Photos ©Richard Bord et EL