Interview | Benoît Coulanges : « j’ai toujours eu ces petits rêves à aller chercher »
Par Léo Kervran -
Du simple rêve de qualification en coupe du monde jusqu’à la lutte pour le titre mondial aujourd’hui, Benoît Coulanges n’a pas suivi la même trajectoire que les autres pilotes français qui brillent aujourd’hui sur le circuit. A force de travail et de patience, il a cependant réussi à se hisser au plus haut niveau, comme en témoigne sa 2e place aux derniers championnats du monde. Il y a quelques semaines, nous l’avons rencontré chez lui, dans les monts du Lyonnais pour une longue interview. Une journée extrêmement intéressante, où l’on a discuté aussi bien de ses débuts que de sa situation actuelle ou encore de l’avenir du sport :
Vojo : Salut Benoît ! On va commencer avec la question la plus classique, celle de la présentation. Quand, où, comment est-ce que tu as commencé le vélo ? Benoît : Waow, je crois que c’est la question la plus dure en fait ! J’ai toujours fait du vélo, mon père faisait du vélo de route donc il nous emmenait vachement faire du vélo. Et j’ai fait un peu de BMX. Et un jour, un été, mon père nous emmenait aux Gets faire une semaine de descente. La première fois que je faisais de la descente. C’était pas un stage, on avait roulé surtout comme ça en station, peut-être pris 1h ou 2h de cours avec un mono, mais pas énorme. Vojo : Tu avais quel âge à ce moment-là ? Benoît : 14 ans, je dirais. Et voilà, on a kiffé ! Donc à partir de ce moment-là, j’ai pris le BMX et je faisais de la descente dans les bois derrière chez mon père, avec juste un frein arrière. Vojo : Tu as toujours grandi dans le coin, dans les monts du Lyonnais ? Benoît : Oui, j’ai toujours été dans les monts du Lyonnais. Après j’ai fait de la DH avec un semi-rigide. En fait, quand j’étais plus jeune, le truc qui me drivait, c’était de faire des sauts. Tu sais, quand t’es petit… Mon père voulait me mettre dans un club de vélo. Je lui ai dit, « je veux bien aller dans un club de vélo mais que s’ils m’apprennent à sauter » ! Du coup je me suis retrouvé dans un club de BMX parce que les clubs de VTT, ça n’existait pas trop. Et puis à l’époque, ça existait vraiment pas les clubs de descente. A part peut-être l’US Cagnes y’avait vraiment rien. Je passais mes journées au terrain de bosses du village. Je sautais les bosses à l’endroit et quand je savais les faire à l’endroit, j’essayais de les sauter à l’envers. Y a même des fois, quand j’arrivais pas à les sauter à l’envers, j’attendais qu’il y ait le vent de dos pour ré-essayer ! Vojo : Tu prends le virus du VTT DH à 14 ans et comment ça se passe après ? Benoît : Je pense que j’ai fait encore un an de BMX. J’aurais bien continué, mais j’avais des problèmes de dos, des problèmes de croissance quand t’es jeune, et le médecin ne voulais plus me signer de licence du coup. J’ai fait 2 ans comme ça, j’allais dans les bois faire la descente, j’avais le temps de faire du saut… En fait, j’ai fait encore plus de vélo parce qu’avant j’allais juste au BMX et suite à ça, j’y allais tout le week-end, tous les soirs… Après j’ai fait du basket et après le basket, j’allais faire du vélo. Au final, j’ai toujours fait plein de vélo. Là où je suis vraiment rentré dans la descente c’est quand… A Irigny, à côté de Lyon, il y a une petite piste de descente qui fait une minute que tu peux faire en semi-rigide, en enduro ou en DH. Chaque année, ils organisent une course qui s’appelle Raptor Cup et moi, je m’étais entrainé tout l’été dessus. Et à l’époque, t’avais Florent Poilane et Simon Rivoire, qui roulaient en coupe du monde, ils passaient les qualifs. Et je les avais battus, avec mon semi-rigide pourrave alors qu’eux ils avaient les beaux vélos, j’étais en cadet 2e année je crois. Suite à ça, mon père m’a dit « bon, tas prouvé que tu roulais vite avec un vélo pourri, l’année prochaine, je t’aide à acheter un DH ». A partir de là, en première année Juniors, j’ai fait les coupes Rhône-Alpes puis en 2e année Juniors, j’ai fait des coupes de France et ma première Coupe du monde. Vojo : Du coup tu n’as pas du tout suivi le circuit classique, « à la française », de commencer jeune, faire les TRJV… Benoît : J’ai fait un ou 2 TRJV en réalité, mais… Le vélo, vu que je faisais de la DH avec, je l’avais mis en singlespeed donc ça n’allait pas, les cross-country je pouvais pas les faire. Des fois, j’avais un TRJV et je ne pouvais pas faire le XC donc je ne faisais que la descente. J’en ai quand même fait quelques-uns on va dire, mais pas énormément. Vojo : On avance un peu dans le temps, après ça tu arrives chez Roc VTT ? Benoît : Oui, en 2e année Juniors, avec Claude Pierre qui est encore mon team manager aujourd’hui. Il a vu que je roulais bien en Rhône-Alpes, j’étais en Juniors mais je gagnais les scratchs et il a cassé les couilles à Manu [Emmanuel Huber, l’entraîneur national de descente] pour qu’il m’emmène sur une coupe du monde. C’est grâce à lui que j’ai fait ma première coupe du monde à Val d’Isère en fait, Claude a poussé Manu pour que je sois sélectionné.Les débuts
De Roc VTT à Dorval AM
Dans son club, le Roc VTT, y’avait des jeunes cadets qui roulaient vite. Il avait son fils aussi et il voulait créer un team l’année suivante pour les emmener sur les coupes du monde, pour découvrir un peu tout ça, leur donner la chance d’aller sur le circuit. C’est là que j’ai intégré le team, qu’il l’a créé en fait. A l’époque c’était Roc VTT, le club, et Oz-en-Oisans, car la station nous aidait financièrement. On les aidait à organiser une coupe de France et eux ils nous aidaient financièrement.
Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent d’ailleurs on n’était pas basés à Oz, le club Roc VTT est à Revel.
Vojo : Vous êtes parti de petit team, petit team de club on va dire, pour être l’un des plus grosses équipes mondiales aujourd’hui avec une ex-championne du monde, une championne d’Europe, un vice-champion du monde. Ça fait quoi de le voir évoluer comme ça ?
Benoît : C’est une grande fierté, je crois, pour tout le monde, parce que quand on est parti les objectifs ce n’étaient même pas des résultats. C’était plus des petits rêves, on essayait de passer les qualifs en coupe du monde, on rêvait juste d’aller faire une coupe du monde aux États-Unis… C’était des petits trucs comme ça en fait qui nous faisaient rêver. On a avancé comme ça et puis maintenant, être un gros team, c’est sûr que c’est un truc de fou quand je regarde le chemin. Et l’esprit est toujours là, on aide encore des jeunes comme Alix cette année.
Au début, c’était vraiment plus un groupe de privateers qu’une équipe. On n’aurait jamais imaginé que ça allait aller jusque-là.
Vojo : Claude arrive à suivre le rythme ? C’est passé d’un petit club à un vrai business maintenant.
Benoît : Claude gère avec Dorval parce qu’il connaît bien et il s’occupe de la compta parce qu’il est expert-comptable. Il aide à prendre toutes les grosses décisions mais maintenant, c’est son fils Sam qui est le team manager sur toutes les courses, qui gère vraiment le management, la logistique, un peu les sponsors… Et Camille [Balanche] gère vraiment tous les sponsors du monde du vélo.
Pour Claude ça n’a jamais été simple avec les marques de vélo parce qu’on est un team bien différent dans le sens où on a un gros sponsor qui est en dehors du monde du vélo. Ils n’ont pas les mêmes attentes que les marques de vélo et c’est pas simple de faire comprendre cette vision aux sponsors de vélo et Camille elle est vraiment forte pour ça
Quand elle est arrivée, elle n’avait pas les résultats qu’elle a maintenant, on avait ce gros problème et elle nous a dit « je viens dans votre team mais je peux vraiment vous aider pour ça » et voilà.
Vojo : Tu dis qu’il y a une grosse différence entre les attentes de Dorval et celles des marques de vélo, c’est-à-dire ?
Benoît : Les marques de vélo aiment mettre beaucoup de budget dans la communication, dans les vidéos, tout ça. Dorval, c’est plus de la communication interne, chez eux. Leurs gros objectifs, ce sont les championnats parce que montrer à leurs clients qu’on est champion de France, champion d’Europe, champion du monde, ça a une vraie valeur et tout le monde comprend ce que ça représente. Alors que dans le vélo, on sait par exemple tous que champion d’Europe, malheureusement ça représente pas du tout le titre.
Ils ont aussi des codes couleurs qu’ils veulent garder, il faut toujours qu’on soit en blanc ou bleu. D’autres marques aimeraient rajouter des couleurs, des trucs mais Dorval veut vraiment garder ces valeurs. Ils veulent que ça reste un team familial et qu’ils aient la main à 100 % dessus. On n’est pas là pour acheter des tops pilotes qu’on va payer cher pour qu’ils fassent des résultats. On est là pour développer, vraiment, le team. Ça fait déjà pas mal, non ?
Vojo : Et pour revenir sur toi dans l’équipe, tu disais tout à l’heure que ça fait 9 ans que t’es dans l’équipe. C’est une des plus grosses longévités dans le paddock, non ?
Benoît : C’est vrai que c’est assez rare, oui. L’équipe a changé de nom mais c’est toujours le même staff. Après j’ai l’impression que ça commence vraiment à se stabiliser maintenant, y a Troy chez Canyon, Amaury chez Commencal, Bruni chez Spé…
Vojo : Tu n’as jamais eu envie de bouger ? Personne n’est jamais venu voir pour te proposer autre chose ?
Benoît : Au début, vu qu’on était un petit team, c’est vrai que ça donnait quand même envie d’aller dans d’autres teams mais j’avais pas forcément les résultats pour. Je pense qu’au tout début, forcément, j’aurais aimé être dans un plus gros team mais maintenant je ne regrette pas les choix que j’ai faits. On est au top, on n’a pas grand chose à envier aux autres teams, rien du tout même. Au niveau matériel, je pense qu’on est les meilleurs avec Syndicate et Muc-Off, le staff est au top, le management est bien, l’ambiance est vraiment au top. C’est la famille, on se connaît tous, le fait qu’on parle pratiquement tous la même langue c’est pas mal aussi.
Après, oui, depuis l’an dernier, il y a pas mal d’équipes qui sont venues voir, mais pour l’instant, l’objectif est de rester dans le team. Je trouve que je suis en pleine période de croissance donc ça serait idiot de prendre le risque de casser ça, alors que tout marche bien pour l’instant.
La progression
Vojo : Une chose qui diffère un petit peu, entre toi et d’autres Français qui sont devant, c’est que certains ont bien marché tout de suite, dès la sortie des rangs Juniors ou presque. Toi tu es arrivé plus doucement, plus tard. Comment tu l’analyses, c’est la structure, le travail, le talent de départ, c’est quoi le truc ?
Benoît : C’est hyper dur à analyser. Déjà y a mon histoire qui fait que je pense pas que ça aurait été possible d’arriver tout de suite à leur niveau. Eux en cadets ils étaient déjà dans des gros teams quand moi, ma première coupe du monde, je l’ai faite en 2e année junior. J’ai fait 2 années où j’ai étudié, où j’ai fait 3-4 coupes du monde dans l’année…
En gros, en 2e année Elite, si j’additionnais toutes mes coupes du monde j’avais fait peut-être une saison, eux ils en étaient déjà à la 4 ou 5e. De là c’est compliqué d’arriver à leur niveau et en plus le team était plus petit. Par contre, je me suis toujours amélioré. Si on regarde les saisons j’ai toujours évolué un petit peu et maintenant je me bats pour les podiums donc c’est cool, surtout quand au début l’objectif était juste de passer les qualifs.
Vojo : On voit plein de pilotes qui passent leur carrière entre passer les qualifs et les portes du top 10, top 15 et la marche pour le podium paraît plus dure à passer. Est-ce que tu arrives à voir ce qui a fait la différence pour toi ?
Benoît : C’est énormément de choses. Moi, j’ai toujours évolué, le team a toujours évolué donc c’est un peu un cercle vertueux. Au début, tout le monde était bénévole. Après c’est devenu professionnel, on a des meilleurs mécanos, on a aussi appris à choisir les bonnes personnes qui matchent avec nous… Parfois t’as des personnes qui sont bonnes dans leur métier mais ça marche pas avec le team, ça prend du temps de trouver toutes ces personnes.
Vojo : Justement si on prend ces 2-3 dernières années, sur quoi est-ce que tu t’es le plus amélioré, où est-ce que tu as le plus évolué ?
Benoît : En fait je ne peux pas résumer ça aux trois dernières années, c’est construit avec du travail tout le temps, tout le temps, qui fait qu’à un moment, ça commence à payer.
Vojo : Si on regarde le mur derrière toi (en photo-ci dessus), même si tu t’es blessé en 2019 l’évolution est quand même assez parlante.
Benoît : Oui, avec le fait de toujours me donner des petits objectifs, des petits rêves à aller chercher, j’ai toujours gardé cette motivation pour essayer de m’améliorer. Le pilotage est meilleur, ma technique est meilleure, mon physique est meilleur… Tout à l’heure je vous parlais de mon préparateur physique, j’ai changé et maintenant ça me correspond mieux. On a l’expérience qui arrive, le team qui est plus gros et plus professionnel, ça m’amène plus de choses aussi. On a des meilleurs sponsors, du meilleur matos.
Je pense que en 2018, je commençais déjà à avoir le niveau pour faire des top 10. Ça m’est arrivé deux fois dans l’année, je crois. Mais pour être régulier ? Il fallait, je pense, du meilleur matériel. Il fallait que moi je comprenne certains trucs sur le pilotage ou sur ma façon de gérer les courses.
À l’époque j’étais pas protégé sur la coupe du monde ce qui n’aide pas forcément pour la régularité. Il suffit qu’il y ait un problème en qualif… En fait c’est comme s’il y avait 2 courses chaque week-end, alors maintenant on en a plus qu’une. Ça ne me permettait pas à chaque fois de m’exprimer comme je voulais.
2020, je pense que ça a été un tournant. Je me suis blessé en 2019 donc ça m’a laissé le temps de réfléchir sur énormément de choses. Il y a eu le Covid, où tout le monde s’est un peu relâché alors que moi je m’étais blessé l’année d’avant et il fallait juste que je performe quoi, j’allais pas faire 2 années pourries, ça me paraissait pas possible, donc j’avais vraiment beaucoup de motivation. J’ai beaucoup bossé quand j’étais à Morzine l’été et je suis devenu champion de France. Après c’est toujours pareil, on fait des résultats, ça met confiance, on avance petit à petit et à chaque fois on grappille des marches, ça avance.
Après ce qui est bien, c’est que tout ce que j’ai construit, c’est hyper solide maintenant parce que c’est pas arrivé par hasard, j’ai vraiment travaillé pour et du coup j’ai une base qui est vraiment solide. Je pense que ça peut encore évoluer et que ça c’est vraiment à mon avantage maintenant.
Vojo : C’est quoi ton petit rêve maintenant ?
Benoît : Ma meilleure place sur un évènement international, c’est 2 donc le but c’est de gagner une coupe du monde ou les championnats du monde. Je pense que j’étais pas loin quelquefois et voilà, maintenant, faut que ça se fasse. C’est toujours dur ce genre de choses, mais je travaille pour.
Vojo : T’étais à 0,2 secondes au dernier championnat du monde…
Benoît : Mais 0,2, quand on met tout bout à bout et que ça se passe bien, c’est quelque chose qui est énorme. D’ aller plus vite que quand on est déjà au max, c’est vraiment très dur.
Vojo : Tu parlais justement de ton changement d’entraîneur, sans critiquer qui ce soit ça peut être intéressant que tu nous dises ce qui a changé, ce qu’un changement d’entraîneur peut apporter.
Benoît : Il n’y a pas que ça qui fait que je performe le mieux maintenant, il y a plein de choses mais c’est juste que chaque entraîneur a sa vision des choses. Ça correspond à certaines personnes, ça ne correspond pas à d’autres. Maintenant, j’en fais un peu moins, je me repose plus. J’ai plus d’activités différentes qu’avant et ça marche bien pour moi, c’est bien pour mon mental, tout ça.
Trouver l’équilibre
Vojo : Ces autres activités qui sont importantes pour toi, pour être bien, qu’est-ce que c’est ?
Benoît : Je peux aller plus facilement shaper, je peux plus facilement aller faire de la moto. Avant je faisais plus de séances entre guillemets, ou des séances d’entraînement plus dures. Du coup, c’était entraînement – repos et après c’était difficile de faire des choses à côté sans se mettre dans le rouge. Maintenant je peux aller faire de la moto sans me mettre dans le rouge pour le lendemain ou sans vraiment foirer ma préparation.
Vojo : On parle d’entraînement, on te voit souvent l’été à Morzine ?
Benoît : Les trois dernières années, j’ai passé mes étés à Morzine ! Je connais bien le coin oui (rires).
Vojo : C’est un petit rituel, d’où ça vient, pourquoi toujours Morzine?
Benoît : Déjà c’est plus ou moins le seul endroit en France où on croise la plupart des bons pilotes de coupe du monde. Y a de quoi s’entraîner. Y a des freerides dans tous les sens donc il y a beaucoup de pistes. Il y a de la diversité. La remontée se fait en 2 secondes. Le rapport montée-descente, c’est incroyable. Vu que c’est les Portes du Soleil on a de la diversité, c’est aussi une station qui est vivante ce qui n’est pas le cas de toutes les stations l’été.
Quand je suis à Lyon ici l’été, c’est compliqué pour rouler. Quand on est un petit peu moins motivé pour aller s’entraîner il y a une différence entre pousser une porte et prendre son forfait, biper ou alors demander à tout le monde s’il y des motivés pour faire des shuttles…
Vojo : Tu disais aussi que tu passes beaucoup de temps à shaper ?
Benoît : Oui, l’hiver je pense qu’il y a une demi-journée par semaine, presque. En fait, c’est même pas vraiment que du shape, hein, c’est juste de l’entretien. C’est peaufiner le travail quoi. En fait, j’adore ça, juste être dans les bois même tout seul, je vais pas forcément shaper avec des gens. Y a beaucoup de personnes qui me disent « ouais je viens shaper avec toi » mais en fait y a plein de fois, je veux juste être tranquille tout seul dans les bois et faire mes petits trucs.
Vojo : Ton tempérament quand t’es tranquille, tout seul, posé, est-ce que c’est le même quand t’es sur un vélo et quand t’es sur une course ?
Benoît : Ah c’est sûr qu’on est tous différent quand on est sur le vélo. Pour un run de course… En fait, par exemple quand on est au départ d’un championnat du monde, la course ça ne fait pas une semaine qu’on la prépare dans notre tête. Ça fait peut-être 6 mois qu’on y pense. Les Gets, je peux vous dire que tous les Français, ça fait un an qu’ils ne pensent qu’à ça. Tu prépares en regardant les trucs de ce qui s’est passé l’an dernier, l’analyse de piste, tu regardes les lives, tout ça, donc il y a beaucoup d’analyses et après ça t’as toute la semaine d’entraînement où tu vas préparer tes ligne pour la course et ta vitesse.
Les Gets, je peux vous dire que tous les Français, ça fait un an qu’ils ne pensent qu’à ça.
Donc quand t’es au départ d’une course, c’est pas pareil que quand tu fais une piste à Morzine, tu sais exactement pourquoi t’es là et, comment dire ? Tu pars pour quelque chose qui est hyper préparé, t’as pas la même vitesse, t’as pas le même engagement que sur une piste quand tu roules à Morzine où il peut y avoir une branche en bas du raide…
Après, en termes de comportement et de feeling, je prends plaisir à rouler à Morzine comme je prends plaisir à faire mon run des championnats du monde.
Vojo : Tu as du plaisir quand tu fais un run aux championnats du monde ?
Benoît : Oui, quand t’es en bas, tu savoures quand même. Peu importe le résultat hein, sur une course quand tu fais vraiment ce que tu veux, c’est quand même des sensations que tu peux retrouver qu’à ce moment-là, et c’est de l’engagement et de la vitesse que tu n’as que à ce moment-là. T’es vraiment à la limite de ce que tu penses pouvoir faire.
Vojo : Il faut être solide dans sa tête parce que le fait de construire un événement, une course, un championnat du monde pendant 6 mois, tous les jours, y penser tout le temps, quand ça se passe mal, comment tu fais pour pas t’écrouler et avoir envie de repartir?
Benoît : Ah je sais pas trop, j’ai pas eu de… En fait, après tout ce que j’ai fait, des super résultats, j’ai été champion de France, tout ça, il y a plein de choses dont je suis super content. Maintenant, si je me loupe, c’est entre guillemets un peu moins grave parce que j’ai fait des trucs qui me rendent super heureux et fier de moi. Et on a quand même plein de chances dans l’année, y a pas que les championnats du monde, y’a les coupes du monde, tout ça. Moi l’objectif, c’est de gagner une coupe du monde ou un championnat du monde. C’est sûr que c’est mieux si c’est un championnat du monde mais le but déjà c’est de gagner une course internationale. Du coup, on a quand même 8 chances, 9 chances cette année avec les championnats du monde.
Par exemple cette année à Leogang, je suis tombé alors que mes splits étaient plutôt bien, mais on ne saura jamais si ça aurait fait un podium ou une victoire en bas. Sur le coup on n’est pas super content mais quand je regarde comment j’ai roulé le haut je reste fier de moi quand même, une erreur ça arrive.
La dernière fois que je suis tombé c’était en 2018, pendant un run de course, donc ça ne m’arrive pas non plus méga souvent. Faut pas que ça arrive tous les week-ends quoi, je pense que c’est là où ça devient dur.
Vojo : Depuis tout à l’heure, on parle de Benoît le pilote mais il y a eu Benoît le coach aussi. Tu peux nous en parler un peu ? Est-ce que tu le fais toujours ?
Benoît : En fait, c’était quand je me suis blessé, justement, je voulais trouver quelque chose pour m’occuper. Et j’avais un pote qui voulait faire ça, mais pour le pilotage en général et je me suis dit « moi je suis chaud de faire ça, mais ciblée sur la course ». Tu payes un accès à 25 vidéos qui t’expliquent comment j’approche une course, comment tu fais pour maximiser ton chrono avec le pilotage que tu as actuellement. Je ne donne pas de conseils de position ou de comment prendre un virage relevé, c’est vraiment des trucs pour le chrono.
J’avais fait ça quand j’étais blessé, pour m’occuper, avoir un objectif. Depuis je laisse comme ça, je passe pas du temps avec ça mais ça reste d’actualité, si les gens veulent aller voir. Mais c’est vraiment pour ceux qui font de la compétition.
Vojo : Ça s’appelle comment ?
Benoît : C’est Explose ton chrono.
Vojo : T’avais pris du plaisir à le faire, tu te verrais continuer dans cette voie ?
Benoît : Oui et non, c’était cool de faire un petit projet comme ça mais tourner les vidéos, c’était quand même un peu long. Mais c’était marrant de voir comment tu montes un espèce de mini business en gros, parce que il fallait réfléchir à ce que t’allais vendre, comment t’allais faire la communication… Tout ça c’était intéressant. Puis tu te rends compte qu’au final, ce qui est dur dans les business, c’est pas de faire la chose, c’est le vendre.
Sur le coup, j’étais assez fier quand même parce que c’est quand même pas mal de boulot. C’est un truc que j’ai fini en plus donc j’étais content. Après je suis passé à autre chose mais c’est vrai que j’étais assez fier quand je l’avais fini d’avoir fait ça.
Le matériel
Vojo : On a déjà parlé un petit peu tout à l’heure avant d’enregistrer, quelle est ta relation avec le matos ? Est-ce que c’est quelque chose que tu aimes bien, quelque chose que tu laisses à ton mécano…
Benoît : Je suis un geek du vélo et de tout ce qu’il y a autour (rires). Faire du vélo, le shape, le matos… Vu qu’on a pas toujours été un gros team, au début j’ai beaucoup fait de choses par moi-même, j’ai appris beaucoup de choses sur les réglages par moi-même. J’ai essayé de me rapprocher de personnes qui m’ont aidé. Par exemple dans les monts du Lyonnais, y’avait un préparateur de suspension, Franck Charvolin, qui m’a beaucoup appris sur les suspensions. Et maintenant, j’essaie d’avoir beaucoup d’informations de différentes personnes pour voir ce qu’on peut améliorer même si maintenant, c’est quand même plus mon mécano Yanick [Braun] qui s’occupe de tout ça.
Au début, j’ai fait beaucoup de choses par moi-même.
Par exemple sur les coupes du monde, ça lui arrive d’aller parler à Jordi [Cortes, de Fox] pour les suspensions, à Arthur [Quet, de Commencal] en même temps pour voir ce qu’il pense lui, et revenir vers moi pour me faire un petit debrief, et après on choisit.
Après je m’intéresse toujours à ce qui sort mais surtout en descente, pas trop le reste (rires).
Vojo : Et tes relations avec Commencal ? Vous n’êtes pas un team d’usine, quel support vous avez de leur part ?
Benoît : En fait, Commencal développe le vélo avec le team Muc-Off, et tous les autres teams, on a tous le bénéfice de leur développement, de leur recherche, l’année suivante. Ça fait que nous on peut bosser sur d’autres choses, ça nous prend beaucoup moins de temps et au final quand ça arrive, on sait que ça marche, ça a été éprouvé en course. Moi, ça me va très bien comme ça. En plus chez Commencal ils sont super motivés, ils ont créé une piste en Espagne juste pour nous, il n’y a que les pilotes Commencal qui y peuvent rouler et elle se rapproche d’une piste de coupe du monde.
Y a vraiment des sections type course, par exemple, il y a une section qui s’appelle Les Gets, c’est que des virages à plat dans l’herbe, à fond. Ça, on ne peut pas le trouver autre part qu’en course, même en station ça n’existe pas. On a une motorway avec des sauts sur lesquels on arrive à fond, on a un pierrier qui ressemble un peu au truc de Snowshoe, en haut on a des grands dévers… Enfin, on a vraiment tout et c’est une piste hyper rapide, je crois qu’on est à 42-43 km/h de moyenne, ce qui est exactement ce qu’on a en coupe du monde. Et puis c’est en Espagne, il fait tout le temps sec.
Après, c’est toujours pareil vu qu’on y va en début de saison, ça fait toujours un peu bizarre d’aller là-bas parce qu’on se retrouve sur une petite coupe du monde et des fois c’est un peu chaud, un peu violent. Niveau plaisir parfois c’est un peu dur les premiers jours mais après c’est cool. Et puis, ce qui est bien surtout, c’est que là on est sûr que la piste est préparée, en bas, on a des abris où les mécanos peuvent être protégés, on n’est pas au milieu de la rue à San Remo ou des trucs comme ça. C’est hyper pratique, on a les jets à côté, le logement est en bas de la piste… Pour développer ou faire du testing, c’est bien.
Vojo : Participer au développement d’un vélo, un jour, c’est quelque chose qui t’intéresserait ?
Benoît : Peut-être. Enfin si, ça m’intéresserait, mais en même temps c’est une grosse responsabilité. Je trouve que plus on apprend sur tous ces réglages pour la compétition, plus je trouve que c’est hyper compliqué de mesurer l’efficacité de quelque chose. Surtout, on arrive au point où, par exemple, après le V4 qui gagnait des coupes du monde, faire mieux que ce vélo, c’était un grand défi pour Commencal. Et essayer de faire mieux que presque le top, c’est toujours hyper dur.
Quand on fait du testing et que tu as un très bon setting puis que tu essaies d’autres choses, souvent la part de mental est plus importante que le setting et ça devient hyper complexe de trouver ce qui est plus rapide. Pourtant nous on veut le meilleur setting et le meilleur mental donc il faut quand même qu’on trouve les deux. Les dernières choses à mesurer c’est quelque chose qui est hyper complexe et qui prend beaucoup de temps donc développer un vélo pour la compétition qui performe en coupe du monde je pense que c’est hyper compliqué.
Je pense que c’est intéressant de le faire que si t’es vraiment bien entouré, Commencal c’est le cas parce qu’ils ont Arthur et d’autres ingénieurs que je connais un peu moins. Ça fait longtemps, ils sont sur toutes les courses donc ils voient vraiment comment ça se passe. Et ça y a pas beaucoup d’équipes qui l’ont. D’ailleurs je ne sais pas comment les autres équipes arrivent à faire quelque chose vraiment au point, je ne vois que la solution de Commencal qui fait que ça marche vraiment.
Discovery et l’avenir du circuit ?
Vojo : Allez, on va finir avec le sujet du moment, Discovery (pour rappel : l’UCI a vendu pour 8 ans la diffusion mais aussi toute l’organisation du circuit de coupe du monde au groupe Discovery, qui détient notamment Eurosport. Lire L’UCI va-t-elle se retirer de la coupe du monde de VTT ?).
Benoît : Ah, vous allez peut-être m’apprendre des trucs ! (rires)
Non, on sait pas trop jusqu’où ils peuvent aller, mais ce qui est sûr, c’est que dans le plan, à long terme, il va y avoir des gros changements. Sûrement sur présenter la coupe du monde plus comme un show, forcément parce que Discovery est là pour faire de l’argent.
Je pense que pour le grand public ce sera mieux mais pour les fans un peu moins bien au début parce que Red Bull, c’est vraiment ciblé sur les fans avec retransmission gratos, les vidéos, enfin tout ce qu’ils faisaient autour de ça en média, c’était hyper ciblé sur un public averti. Si on ne connaît pas, on ne peut pas comprendre alors que Discovery, je pense que ça sera beaucoup plus large, ça touchera plus de monde.
Pour l’instant je ne pense pas qu’il y ait vraiment des gens qui soient pour ou contre vu qu’on ne sait pas ce qu’ils veulent faire. Le seul point où on n’est pas content c’est que l’UCI l’a vendu sans rien dire à personne, même pas les teams managers ou les pilotes, alors que la partie média c’est ce qui est le plus important dans nos sports parce que c’est grâce à ça qu’on vit. Les team managers ont des comptes à rendre aux sponsors, nous aussi. De la part de l’UCI, ne rien nous dire avant, alors qu’on a tous des contrats sur plusieurs années, c’est vraiment nous mettre dans des situations qui sont pas cool et ça je pense que l’UCI a vraiment merdé là-dessus.
Vojo : Les rumeurs qui évoquent un circuit plus élitiste, plus « Formule 1 », t’en penses quoi ?
Benoît : Vu mon parcours, ça me ferait bizarre, dans le sens où je suis pas sûr que j’aurais pu faire ce que j’ai fait. Après, le sport a évolué depuis que j’ai commencé, quand même. En fait, je pense que la transition va être très dure mais s’il y a des circuits de courses qui se mettent, quelque chose comme un vrai circuit B… Le problème c’est que sur les années où ça va se mettre en place, il y en a qui vont passer à la trappe c’est sûr. Je pense que Discovery, s’ils vont dans cette direction et qu’il n’y a plus que 30 pilotes sur les coupes du monde par exemple, c’est pas eux qui vont s’occuper du circuit B. Ils vont dire « débrouillez-vous » et je ne sais pas s’il y a des personnes qui sont vraiment intéressées pour faire ce circuit B.
C’est une question sur laquelle il faut se poser parce que je pense que c’est la direction que sur le long terme ils veulent prendre, moins de pilotes sur les coupes du monde et plus d’histoires sur les pilotes qui sont sur la Coupe du monde.
Ce que j’aime pas trop, c’est que ça amène un côté encore plus politique au sport où pour rentrer dans ces places, j’espère que il y aura des, entre guillemets, des règles de résultats et que ça soit pas que du copinage et de la politique pour faire rentrer son gosse. Il va y avoir des polémiques comme ça, c’est sûr. Avec tout ça je ne suis pas trop pour réduire le nombre d’athlètes.
Vojo : Si on revient un peu sur l’ère Red Bull, qu’est-ce que tu retiens ? Et si on te donne carte blanche toi pour définir la Coupe du monde de 2023, qu’est-ce que tu ferais ?
Benoît : Ah, pas facile. En fait nous pour les Elites Men, on n’a pas trop de problème parce que malheureusement tout tourne autour de nous du coup, le fonctionnement actuel, je trouve ça plutôt bien. Y a peut-être un problème sur les protégés, 20 pilotes seulement je trouve ça dommage, il y a beaucoup de personnes qui roulent très vite maintenant et qui se retrouvent pas en final juste parce qu’ils ont un problème en qualif.
Ça je sais pas comment on pourrait faire mais je trouve que c’est pas acceptable, maintenant y a beaucoup d’argent en jeu et quand t’as personne de l’équipe en finale, ça craint un peu quand même. Tu vois, je pense que j’aurais pu performer plus tôt si j’avais été plus protégé.
Pour les autres le problème, c’est que les femmes et les juniors ont des horaires de merde, parce que c’est compliqué de faire passer tout le monde. Je pense qu’il faudrait re-réfléchir à tout ça pour que ce soit mieux pour tout le monde.
Au niveau média, c’est trop compliqué pour que je m’aventure à donner des conseils là-dessus. C’est sûr que pour nous, ça va amener l’argent et ça va faciliter plein de choses si le sport est plus grand public, mais après ce qu’on a envie de rouler sur les pistes qui seront peut-être plus faites pour le show que pour les qualités d’un rider, je ne sais pas. Moi, actuellement, je trouve que c’est plutôt bien comme ça.
Après, c’est toujours pareil, si on me montre quelque chose de mieux, pourquoi pas ? Je suis ouvert à tout, tant qu’on peut voir que tout le monde peut arriver au haut niveau sans qu’il y ait des problèmes, sans qu’il faille sortir 50 000€ d’un coup pour une saison ou des choses comme ça.
Tant que c’est bien fait et qu’on peut arriver au niveau comme je l’ai fait moi, même tard si on n’est pas en cadet avec le père qui connaît toute l’industrie du monde du vélo, ça me va. Et qu’on ne nous fasse pas prendre des risques inutiles sur les courses, c’est important aussi.