Hardtail is not dead !

Par Rémi Groslambert -

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Hardtail is not dead !

Moi c’est Rémi, compétiteur pour Origine Vojo Connection en XC Marathon et surtout membre du club très fermé des irrésistibles défenseurs du VTT semi-rigide. Je suis l’un des derniers à utiliser ce type de vélo tant ses utilisateurs se font de plus en plus rares… Mais ces dernières années, on a pu remarquer un certain retour du semi-rigide au plus haut niveau, sur certaines courses. Alors, est-il vraiment voué à disparaître ?

Aujourd’hui, rouler sur un VTT sans suspension arrière peut paraître un peu moyenâgeux. Les tout-suspendus actuels offrent une excellente efficacité au pédalage et disposent de blocages d’amortisseurs performants, ce qui en fait des machines très efficaces avec un haut rendement. Le surplus de poids tourne autour de 1 kg à 1,5 kg (cadre + amortisseur + blocage), ce qui reste marginal surtout comparé au gain de temps, de confiance, de sécurité, de confort et d’efficacité en descente.

Depuis quelques années, nous voyons cependant des semi-rigides (ré)apparaître au plus haut niveau sur certaines courses. Je pense forcément à Pauline Ferrand-Prévot, championne olympique sur son Pinarello Dogma XC HT (lire notre essai) mais aussi à Loana Lecomte, qui a couru les JO sur son Canyon Exceed mais aussi certaines manches de coupe du monde sur des circuits plus surprenants dont celui de Nove Mesto. En marathon également, les semi-rigides se multiplient. Les professionnels possèdent de plus en plus ce type de machine en complément de leur tout-suspendu. Lorsque les parcours possèdent un fort dénivelé, nombreux choisissent leur hardtail.

Dernier exemple en date, les championnats du monde de XCC où nous avons pu apercevoir de nombreux semi-rigides comme un prototype Orbea qui préfigure certainement le prochain Alma. Alors, le semi-rigide est-il vraiment voué à disparaître?

Le semi-rigide, une figure du passé ?

Revenons un peu en arrière. Depuis quand sommes-nous passés au tout-suspendu en XC et pourquoi ? Les tout-suspendus ne datent pas d’hier et remontent aux années 90. Néanmoins, s’ils se sont vite imposés sur les pratiques gravity, le semi-rigide est resté roi en XC pendant encore plus de 20 ans. Quelques équipes ont bien adopté une suspension arrière à la fin des années 2000 (comme Specialized avec le Brain par exemple) mais la majorité du peloton a attendu la deuxième moitié des années 2010 pour faire la transition du semi-rigide au tout suspendu. Eh oui, il y a seulement 10 ans, la plupart d’entre nous, les pratiquantes et pratiquants de XC, ne possédaient pas encore d’amortisseur. 

Comme souvent, la transition a commencé par les professionnels. Sur les saisons 2013, 2014 et 2015, nous avons commencé à apercevoir quelques tout-suspendus dans les paddocks : Nino Schurter puis Julien Absalon, les deux légendes du VTT XC, utilisaient de plus en plus régulièrement leur tout-suspendu.

La raison ? Les circuits de coupe du monde deviennent de plus en plus engagés, avec des obstacles toujours plus imposants et des circuits de plus en plus courts. La technologie évolue également. Les cinématiques sont optimisées, les amortisseurs fonctionnent mieux, les blocages sont efficaces et permettent de bloquer la fourche et l’amortisseur simultanément, etc.

S’ensuit une longue transition de l’intégralité du paddock vers les tout-suspendus, jusqu’à convertir également le monde amateur. Personnellement, mon premier tout-suspendu date de la saison 2017, un Lapierre XR 729. Plus à l’aise en descente, plus en sécurité, moins d’énergie pour contrôler le vélo, les atouts semblent infinis. Certes, on sent un peu de poids embarqué en plus, mais ça ne paraît pas si pénalisant. Après ça, j’ai effectué quatre saisons avec un tout-suspendu comme premier vélo, avec quelques piges sur un semi-rigide pour certaines courses au profil atypique.

Janvier 2021, c’est le point de bascule. Pour cette saison, je roulerai uniquement sur un semi-rigide. Mais pourquoi ? Quelle idée tordue ! L’intégralité du paddock XCO est converti au tout-suspendu depuis des années…

Première spécificité, je roulerai principalement sur le format XC marathon cette année, avec des efforts lisses à des puissances modérées pendant très longtemps. Deuxièmement, j’ai un profil dit “de grimpeur” assez véloce mais avec peu de force brute. Troisièmement, la technologie a encore évolué…

Quels sont les avantages du semi-rigide?

Quels sont les avantages du semi-rigide ? Le premier, le plus évident, c’est le poids, même si selon moi ça n’est pas l’atout principal. Comme évoqué précédemment, entre la construction du cadre, l’amortisseur et le blocage, on gagne autour de 1,5 kg. Pour les spécialistes, sur un effort à 6 W/kg c’est seulement 9 W de plus à déployer pour rouler à la même vitesse avec un tout-suspendu par exemple. Si une personne pèse 70 kg, elle devra donc rouler à 429 W au lieu de 420 W si on prend seulement en compte l’écart de poids. Cela paraît donc minime, effectivement.

Deuxièmement, il y a l’aspect rigidité/ rendement. Sur un tout-suspendu, il y a toujours quelques pertes d’énergie : un amortisseur, même bloqué, ne sera jamais totalement rigide. Le cadre, de par sa conception avec plusieurs points de pivot, ne peut être aussi rigide qu’un cadre de hardtail. De plus, ces articulations comprennent généralement un roulement ou un palier lisse et dans les deux cas la rigidité n’est pas optimale. Si la rigidité du carbone n’évolue pas (ou très peu) dans le temps, celle des points de pivot est mise à rude épreuve. Il n’est pas rare de voir des cadres perdre en rigidité au niveau de ces articulations alors qu’ils paraissaient rigides au premier abord. La visserie, en acier ou en aluminium, participe grandement à ce phénomène et son dimensionnement est primordial.

Ensuite, le semi-rigide est souvent considéré comme plus fatiguant qu’un tout suspendu car moins confortable… mais ça se discute. Deux phénomènes s’opposent : d’un côté, le semi-rigide demandera plus d’énergie pour être maîtrisé sur certaines descentes cassantes, notamment à haute vitesse. D’un autre côté, le surplus de poids va engendrer une fatigue (notamment musculaire) croissante non négligeable. Après 5 heures de marathon à tracter 1,5 kg de plus avec moins de rendement, la fatigue est importante et les dégâts musculaires également. Est-ce que l’énergie sauvée en descente contrebalance cette fatigue ? Pas sûr… D’autant plus que la fatigue engendrée en descente sur un semi-rigide concerne plutôt le haut du corps, ce qui sera moins préjudiciable pour la suite.

Dernièrement, dans certains cas, le semi-rigide est plus maniable est moins énergivore à piloter. Je pense notamment aux sections à basse vitesse, les parties trialisantes notamment. Le vélo est moins lourd à manier, plus facile à placer. L’absence de pompage nécessite une moins grande énergie pour piloter le vélo. Dans une discussion avec Loana Lecomte, la championne me livrait également qu’elle était plus à l’aise sur les sauts en semi-rigide. L’absence de pompage à l’impulsion rend le vélo moins flou.

A tous ces avantages du semi-rigide viennent s’opposer les atouts du tout-suspendu : confort, contrôle, sécurité, capacités, adhérence, etc. Arguments non négligeables, mais rendent-ils le tout-suspendu plus rapide que le semi-rigide dans tous les cas?

Le tout-suspendu, pas pour tous les usages, pas pour tous les pratiquants ?

Le milieu des coureurs professionnels est intégralement passé sur des tout-suspendus depuis une dizaine d’années. Cela veut-il dire que nous devons tous les imiter ? Pas forcément ! Et pour cause, les athlètes médiatisés ont un usage bien différent de la majorité des pratiquants.

Deux facteurs importants diffèrent entre un professionnel et un pratiquant moyen : un pilote de XCO est très puissant et explosif. Ensuite, il roule sur des circuits très engagés, raides, techniques et parfois artificiels. Peu d’entre nous peuvent se targuer d’avoir la force de Nino Schurter, pourquoi devrions-nous donc utiliser le même matériel ?

Si vous êtes puissant et que vous roulez sur un format XCO, il est évident d’utiliser un tout-suspendu. Si vous êtes moins puissant ou que vous roulez sur un format plus long en revanche, ça n’est pas forcément un choix indiscutable. Par exemple, les pilotes très légers (notamment dans les jeunes catégories, minimes, cadettes ou cadets) possèdent généralement moins de force et sont largement pénalisés en montée.

Ici, le temps à gagner avec un semi-rigide est souvent supérieur à celui perdu en descente, d’autant plus que cet écart se creuse au fil du temps. Comme évoqué, les dégâts causés musculairement et la fatigue engendrée en montée se répercutent au fur et à mesure que l’effort s’allonge. C’est aussi valable sur les longues distances, d’autant plus qu’en marathon, les descentes ne se font pas à très haute intensité et l’engagement physique y est plus faible. Les parcours souvent naturels ne nécessitent pas forcément d’avoir des machines très capables pour encaisser de grosses sollicitations.

Aujourd’hui, je pense que la majorité des utilisateurs XC ont une pratique qui se rapproche plus du marathon que du XCO. Pas ou peu d’obstacles artificiels, un rythme moins soutenu, des descentes moins techniques, etc… C’est notamment ce que l’on retrouve sur les événements de masse type randonnées. Tout dépend également du relief sur lequel vous pratiquez. Si votre terrain de jeu est cassant, le tout-suspendu a du sens. Si vous roulez dans le nord ou l’ouest de la France, peut-être moins.

Evolutions matérielles : pour le semi-rigide aussi !

L’évolution du matériel, voici le point clé qui permet de rouler en semi-rigide actuellement. Je serais totalement incapable de rouler sur un semi-rigide d’il y a 10 ans tant les améliorations sont nombreuses et importantes.

Les cadres, d’abord, sont de plus en plus travaillés et permettent d’obtenir des châssis très tolérants sans sacrifier le rendement. Si la solution des élastomères semble être mise de côté pour l’instant, beaucoup de marques innovent afin de proposer des cadres tolérants verticalement notamment. On pense par exemple au dernier Trek Procaliber avec sa technologie IsoBow (lire Nouveauté | Trek revoit complètement son Procaliber carbone).

Les roues ! Ces dernières ont drastiquement évolué en 10 ans. Nous étions alors aux prémices des roues carbone en VTT et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles étaient rigides. Trop rigides ! Aujourd’hui, la tendance a bien changé et de nombreuses marques proposent des jantes basses et tolérantes verticalement.

De même, la largeur des jantes a bien évolué : le standard actuel tourne autour de 30 mm quand il y a dix ans, c’était plutôt 20 mm… L’écart est immense : une augmentation de 50 % ! Sur le terrain, la différence est majeure : cela offre la possibilité de monter des pneus plus larges, avec plus de ballon, et donc d’utiliser des pressions plus basses. Les jantes sont également aujourd’hui plus solides et pensées pour mieux encaisser les impacts. Le technologie hookless (sans crochets) y est pour beaucoup et les constructeurs essayent de maximiser la résistance aux impacts de leur jante afin que l’utilisateur puisse baisser ses pressions sans avoir peur de venir taper le rebord de sa jante. La forme de la jante évolue également pour éviter de couper le pneu en cas d’impact.

Troisième point, les pneumatiques. Il y a dix ans, nous roulions sur des sections globalement comprises entre 1,9″ et 2,2″. Aujourd’hui le standard est plutôt entre 2,3″ et 2,4″ (voire 2,5″ pour le team Specialized Factory Racing cette année). Cette avancée est majeure. Les pressions baissent, on gagne considérablement en confort, la motricité augmente. Les carcasses sont également de plus en plus souples et solides, ce qui permet encore une fois de pouvoir taper la jante avec moins de risques de pincements.

Dernière avancée justement, les inserts anti-pincements. Ils sont de plus en plus répandus dans le paddock et permettent de rouler encore une fois à basse pression tout en préservant la jante. Ils ont aussi un effet “token”, en réduisant le volume d’air dans le pneu la pression dans le pneu augmente plus rapidement lors d’un impact et il est plus difficile de pincer.

Ces 4 points majeurs permettent aujourd’hui de rouler autour de 1 bar de pression, même si cela est vraiment subjectif et dépend des pilotes. Personnellement, je roule entre 0,85 et 0,95 bar pour 64 kg grâce au ballon généreux de mes Hutchinson Python et Python Race en 2,4″. Je roule constamment un insert PTN à l’arrière et il peut m’arriver d’en monter un à l’avant selon les parcours. Sur un semi-rigide, j’utilise mon pneu comme une suspension. Cela peut paraître dérisoire mais il filtre une grande plage de fréquences de vibrations, peut-être même plus qu’une suspension classique, seulement l’amplitude d’absorption est plus faible. En résumé, j’ai un excellent confort, hormis sur les plus gros chocs. Cela me permet de m’économiser musculairement quasiment comme sur un tout-suspendu.

Conclusion

Pour moi, le semi-rigide est loin d’être obsolète. Si le choix du tout-suspendu est devenu majoritaire chez les élites en XCO, il est loin de s’appliquer pour toutes les pratiques et tous les pratiquants. Je suis intimement persuadé qu’un semi-rigide sera sûrement plus rapide sur une majorité des parcours (fort dénivelé ou tracés peu cassants). C’est également un choix à privilégier pour les coureurs les moins puissants. Si le semi-rigide est le choix de la performance sur une majorité des usages, cela sous-entend deux points :

Il faut prendre le temps de retrouver une aisance sur le semi-rigide afin de ne pas être perdu techniquement. Pour moi, cela prend quasiment un mois à partir du moment où j’arrête de rouler sur un tout-suspendu au profit d’un semi-rigide. La position sur le vélo est différente, le pilotage, la gestuelle, les lignes, la posture, etc… tout diffère!

Le deuxième point : votre but est-il de rechercher la performance absolue en choisissant un semi-rigide ? Ou ne vaut-il pas mieux rester en tout-suspendu en acceptant de perdre en performance au profit du plaisir, du confort ou de la facilité par exemple ?

Vous voulez voir Rémi rouler en semi-rigide ? Découvrez notre vidéo sur l’équipe Origine Vojo Connection tournée lors de la manche française de la coupe du monde XC Marathon :

ParRémi Groslambert