Frais d’inscription, prize money : l’UCI dans la tourmente ?
Par Léo Kervran -
C’était une information à la fois attendue et redoutée par les équipes et pilotes de coupe du monde : le document listant les frais d’inscription et récompenses financières des différentes épreuves UCI pour la saison à venir est désormais connu. Avec l’arrivée de Warner Bros. Discovery dans le circuit et les nombreux changements que cela a déjà entraîné, beaucoup s’attendaient à une évolution mais la réalité est peut-être encore pire que prévu. Hausse considérable des frais d’inscription, prize-money identiques… On fait le point :
Comme l’indique le tableau ci-dessus, le droit d’entrée minimum pour un Team Elite UCI passe à 11 000 € (x 3,1) et s’il est engagé dans deux disciplines, ce sera désormais 18 000 € (x 3). Et avec l’arrivée de l’enduro au statut de coupe du monde, un Team Elite peut désormais s’engager dans trois disciplines, ce qui porte alors les frais à 23 000 €.
L’augmentation ne touche pas que le plus haut niveau. A l’échelon d’en dessous, pour les Teams UCI, tout est multiplié par deux. Selon le pays d’origine, le tarif va désormais de 1 000 € à 5 000 € contre 500 € à 2 500 € l’année dernière… minimum. En effet, si les Teams Elite UCI voient les inscriptions de leurs pilotes comprises dans le tarif (et encore heureux à ce niveau), les Teams UCI doivent eux payer ces inscriptions à chaque course. Vous nous voyez venir ? Oui, ces inscriptions augmentent elles aussi.
Les tarifs par pilote (Elite ou U23) sont désormais fixés à 150 € par course, contre 80 € en 2022. Pour les Juniors, cela passe de 40 € à 80 €. A chaque coupe du monde, un Team UCI de belle envergure composé de trois pilotes Elites, deux pilotes U23 et deux Juniors devra donc débourser non plus 480 € mais 910 €, en plus des 5 000 € (au lieu de 2 500 €) déjà sortis en début de saison pour avoir droit à ce statut.
« Pour des structures moyennes/intermédiaires, il va se poser la question de l’intérêt d’être team officiel, c’est un gros surcoût et il y a très peu d’avantages » nous confie Patrice Afflatet, team manager du Scott DH Factory Team mais aussi à l’origine de la structure de développement VVRacing Academy. « En fait, le seul gros avantage c’est que quand tu es enregistré en team UCI tu n’as pas besoin que tes pilotes aient des points pour les faire rouler [en pilote privé, il faut 40 points UCI ou être enregistré avec l’équipe nationale pour participer à une coupe du monde]. Aller chercher les points, ce n’est pas forcément évident et ça a aussi un coût, qui équilibre peut-être celui du statut. On ne peut pas se permettre de miser sur une équipe de jeune si on ne peut pas les faire rouler. »
« Je sais pas quel est l’objectif, d’autant qu’on n’a pas encore de confirmation que des privés pourront encore réserver des emplacements sur le paddock », ajoute-t-il.« Ça représente déjà un quart du budget, c’est énorme pour une petite structure. »
Du côté de sa structure principale, Scott DH Factory, Patrice explique qu’il n’est pas fermé à cette augmentation des inscriptions si les contreparties sont à la hauteur : « Payer plus cher, pourquoi pas s’il y a plus d’avantages, sauf que pour l’instant il n’y a rien, on perd même de petites choses comme des accréditations. C’est compliqué avec ESO [Enduro Sports Organisations, la structure à la tête des EWS et qui reprend les coupes du monde pour le compte de Warner Bros. Discovery], on a eu l’information sur les tarifs il y a plus d’un mois et on leur a posé des questions pour avoir leur justification sur cette augmentation et depuis, pas de réponse. »
« Je sais pas quel est l’objectif de cette augmentation. » Patrice Afflatet, team manager Scott DH Factory
Vous vous en êtes sûrement déjà rendu compte si vous suivez le dossier et nos articles sur le sujet avec attention, la stratégie de communication de l’UCI et de Warner Bros. Discovery est très difficile à comprendre tant elle manque de régularité et de transparence. C’est une chose pour le grand public, c’est déjà plus embêtant pour les médias comme Vojo et on vous laisse imaginer ce que ça donne pour les premiers impliqués, à savoir les pilotes et les équipes…
« Pour l’annonce de vendredi dernier [lire Coupes du monde 2023 : vague de nouveautés sur toutes les disciplines !], on a eu le communiqué un quart d’heure avant sa publication officielle. Il n’y a eu aucune concertation sur le sujet de la demi-finale [en DH], personnellement je n’ai pas d’avis tranché mais c’est dommage qu’il n’y ait eu aucune discussion », glisse Patrice, avant de demander, « A quoi sert le groupe de travail Gravity ouvert plus tôt dans l’année ? On ne s’est réuni qu’une seule fois depuis la création. »
A l’heure actuelle, il semblerait qu’il ne reste qu’une seule solution aux équipes pour avoir des réponses : faire pression sur l’UCI .« Ce n’est pas de la vengeance ou quelque chose comme ça mais en prévention ou en attendant, les teams se sont donné le mot pour ne pas s’enregistrer tant qu’on n’aura pas les réponses à certaines questions. Le problème c’est qu’on vient de recevoir un mail indiquant que les bureaux de l’UCI ou d’ESO sont fermés jusqu’au 9 janvier et la date limite pour s’inscrire est le 15 janvier… Ça ne laisse pas beaucoup de temps. »
Néanmoins, Patrice tient à soulever un point positif au sujet du calendrier de coupe du monde dévoilé en début de semaine : « Les teams sont plutôt satisfaits du calendrier, nos demandes sur le regroupement des dates et des localisations ont été écoutées et c’est une bonne chose. »
Pour avoir un autre son de cloche, on a également posé la question à un pilote privé en enduro, le Belge Gilles Franck en l’occurrence (vice-champion de Belgique, 48e du classement général des EWS). A son échelle, le tarif fixe à 150 € est plutôt une bonne chose : « L’année dernière ça allait de 150 € à 220 € par course, Whistler et Crans-Montana étaient plus cher que le reste donc avoir un tarif fixe c’est bien et ça fait même une petite baisse. Après sans la Pro Stage on aura moins de jours de course donc c’est assez cohérent. Ça reste un coût, il faut que ça en vaille la peine, en privé et en payant ce prix-là tu t’attends quand même à avoir un bon ravito, un petit sachet de bienvenue, une tente pour manger… »
Avec cette remarque, Gilles soulève à juste titre la question de l’écoute des pilotes privés, aux besoins et requêtes parfois différents de ceux des pilotes professionnels soutenus par une équipe. Il reste cependant optimiste : « C’est une phase transitoire pas évidente pour un privé mais ça peut s’avérer positif par la suite : si le sport est plus médiatisé il devrait y avoir plus de budget donc plus d’équipes donc moins de privés et plus de jeunes dans des vraies structures. »
Les prize money
L’autre volet important du document publié par l’UCI, c’est la section dédiée aux récompenses pécuniaires. Ou, pour reprendre un vocabulaire plus courant, aux prize money.
Dans ce domaine, la première information à retenir est que les principaux prize money ne bougent pas : les grilles en vigueur en XCO et DH depuis quelques années déjà ont été conservées, avec 3 750 € pour le ou la vainqueur et 200 € pour la 10e place en Elites. Au vu de la médiatisation grandissante de notre sport, ça apparaissait déjà (très) faible mais avec l’augmentation considérable des frais d’inscription, ça en devient incohérent.
On remarque toutefois l’arrivée d’une nouvelle grille pour le XCC, signe que les institutions poussent fort pour développer cette discipline. Sauf erreur de notre part, il n’existait en effet aucun prize money officiel pour le XCC depuis le lancement de la discipline en 2018. Son nouveau statut de coupe du monde acquis cette saison avait amené une récompense au classement général, mais rien pour les victoires d’étape.
L’autre grande information, c’est que le marathon et l’enduro font leur entrée dans la grille. Logique, puisqu’ils ont été élevés à leur tour au statut de coupe du monde pour 2023. Plus surprenant, les récompenses sont loin de ce qui est offert en XCO ou en DH : 1 500 € pour la victoire en XC Marathon et seulement 1 000 € en enduro.
Dans le cas de l’enduro, on pourra argumenter que c’est identique à l’année dernière en EWS mais, sans même s’étendre sur la somme en elle-même, on aurait pu s’attendre à une revalorisation avec le passage en coupe du monde. Deuxième du classement général en 2021 et 2022, vainqueur du Trophée des Nations avec l’équipe de France, Morgane Charre (Pivot Factory Racing) est tout autant surprise : « Effectivement, mauvaise surprise ce matin en découvrant les prize money. Sans l’annoncer officiellement, on nous avait quand même dit en début de saison 2022 que les montants seraient identiques à la DH dès 2022 pour le classement général (ce qui a été fait) et pour chaque manche à partir de 2023. Je n’avais pas eu de nouvelles depuis à ce sujet (je fais partie de l’advisory board pour l’enduro) donc je ne m’attendais pas du tout à ça en découvrant la nouvelle ce matin. »
« Je trouve ça vraiment dommage et un peu ridicule honnêtement d’avoir de tels prize money sur des Coupes du Monde. Si on veut faire progresser le sport ça passe aussi par là. Quand on voit ce qui se fait dans d’autres sports pas forcément plus médiatiques on se dit qu’il y a quand même un problème… » ajoute-t-elle.
Certes, l’intégration dans les formats officiels de l’UCI permet désormais aux pilotes d’enduro d’avoir accès au statut (ministériel) de sportif de haut niveau et d’être mieux reconnu par la fédération mais, à la lecture de ce tableau, on a l’impression que les instances en charge de la discipline n’ont fait le travail qu’à moitié.
A titre de comparaison, sur le circuit Crankworx les titres de King et Queen of Crankworx (les deux pilotes ayant le plus de points, toutes disciplines confondues, à l’issue des quatre étapes) sont accompagnés chacun d’un chèque de 20 000 $ CAN. C’est quatre fois plus que le classement général de la coupe du monde de DH ou d’enduro et 2,5 fois plus que celui du XCO.
Le calendrier des coupes du monde 2023 : Coupes du monde 2023 : le calendrier officiel est (enfin) là !
Le document complet : 2023 UCI MTB Financial Obligations