Florent Payet & Alan Rat : L’alchimie mécano/rider au service du podium
Par Paul Humbert -
Le 11 septembre 2016 restera gravé à jamais dans la mémoire de Florent Payet. Le pilote du VV Racing signe ce jour-là la meilleure performance de sa carrière en grimpant sur la troisième place des championnats du Monde de descente après une saison incroyable. La réalisation d’un rêve ne doit rien au hasard, et son rêve, Florent l’a construit avec Alan, son mécano. Revivez la finale des championnats du Monde avec le duo :
Après une saison passée aux avant-postes, Florent Payet est de retour sur une piste qu’il affectionne particulièrement. En forme et confiant, c’est avec son mécano Alan Rat qu’il prépare ce challenge. Retour sur la finale :
Samedi soir
Alan : Les entraînements sont terminés et il est temps de faire une remise en état complète du vélo de Flo. Après deux journées d’entraînements et la manche de placement où Flo se classe 3ème, le vélo est « validé » mais il souffre pas mal tant la piste est rude. À Val di Sole, nous avons essayé de nouveaux pneumatiques (Schwalbe Magic Mary 2.5) pour trouver un peu plus de confort pour rester sur le vélo. Les suspensions ont été travaillées avec les gars de Suntour et on a mis un plateau plus grand (38 dents) pour limiter le kickback. Je ne termine pas trop tard mais je prépare tout pour le lendemain pour être le plus organisé possible et enlever du stress pour cette finale. Les roues course sont prêtes et je n’ai presque plus rien à faire.
Florent : Je termine 3ème de la manche de placement et je me souviens avoir reçu un message d’Alan en rentrant à l’hôtel : « Ne va pas sur les réseaux sociaux. » J’ai posé mon téléphone et je suis parti retrouver ma famille et mon fils rapidement. J’étais concentré sur mes lignes et sur ce que j’avais à faire le matin de la course. Finalement, la soirée se déroule tranquillement avec le reste de l’équipe de France, tout le monde est dedans. Je suis dans la même chambre que Rémi Thirion et on se couche vers 22h30.
Dimanche matin, 7h30
Flo: On se lève tôt mais ce n’est pas un problème car nous avons bien dormi toute la semaine. Je ne change pas mes habitudes alimentaires au petit déjeuner et pour moi c’est flocons d’avoine, yaourt et muesli. Chaque minute est vraiment longue et j’ai vraiment la pression. Sans qu’on se le dise, je sais que c’est un bon week-end, une bonne saison, mais j’ai vraiment besoin de voir du monde.
Alan: J’arrive au paddock vers 8h-8h30, je mets tout en place et je fais un dernier petit check sur le vélo de Flo avant les entraînements du matin. Même si je sais que le vélo est 100% prêt le samedi soir, je ne peux pas m’empêcher de mettre un petit coup de clé dynamo pour me rassurer. Flo arrive vers 9h et je sens qu’il a besoin de voir du monde et de parler. On savait que tout fonctionnait alors nous n’avons rien changé, ce n’est qu’un chrono de plus. On continue comme d’habitude et on ne pense pas au résultat.
10h
Flo : C’est l’heure des entraînements et j’ai la possibilité de faire deux runs. J’hésite et c’est toujours difficile de gérer. Je suis fatigué depuis l’Andorre et je sais que la piste change énormément. Je suis monté très tôt pour avoir le choix mais je me suis arrêté après une descente. J’avais une ligne à prendre et à valider, ce que j’ai fait, et remonter aurait été inutile, j’aurais pu tomber ou abimer le vélo. C’est une décision que j’ai prise avec Alan et le staff de l’équipe de France. Il me reste 3 minutes 30 où il va falloir s’accrocher et j’aurai besoin de toute l’énergie nécessaire.
10h30
Alan : Flo ne remonte pas et c’est à moi de prendre le relai. Le vélo n’a roulé que 4 minutes sans souci et il est 100% prêt. Mais à 5 heures du départ, j’ai envie qu’il y ait des choses à faire. Je fais le tour du Mondraker environ 2400 fois et je cherche le truc qui ne va pas. Finalement, cela va assez vite et je vais manger un morceau. Quand Flo revient, les pressions s’inversent, sa finale est la mienne jusqu’à ce qu’il monte au départ.
Flo : Pour moi la pression est redescendue après mon run d’entraînement, je tourne un petit peu les jambes sur le home-trainer et je fais quelques étirements pour calmer mon corps.
12h
Flo : Je retourne à l’hôtel avec le reste de l’équipe de France pour le déjeuner. On a faim ! Je reste bien dans les horaires pour ne pas être décalé au départ et je suis relax avec Thomas Estaque, Amaury Pierron et Benoît Coulanges. Je pars me coucher pour une petite sieste et je sens que j’ai de la force. C’est un moment que j’ai bien aimé ce dimanche. Il ne reste que 3 minutes 30 et rien ne va m’empêcher de tenir le vélo.
14h
Flo: Je repars au paddock, je suis habillé et là je rentre dans le gros brouillard qui m’accompagnera jusqu’au lendemain. Je suis serein mais concentré. Toute la pression est sur Alan et je me laisse guider par les autres. Mon objectif est de me faire plaisir sur le vélo. Mon départ planifié à 15h45 et jusque là c’est Alan, le vélo et moi.
14h45
Alan : On monte un peu plus tôt que d’habitude au départ pour ne pas être perturbés sur le paddock. J’emporte mes outils et mes pièces habituelles : une chaine coupée à la bonne longueur avec un maillon rapide, un manomètre pour la pression des pneus, un multi-outil, une autre paire de roues et une pompe. Pour Flo j’ai deux paires de gants, deux masques, une serviette éponge pour l’échauffement, sa musique, ses écouteurs, sa boisson et de la nourriture.
15h
Flo: J’attaque l’échauffement au calme dans un sous-sol. J’adapte beaucoup cette partie-là en fonction des sensations du jour même si j’ai une trame de base. Parfois je me tape dedans et parfois j’aime me la couler douce. À Val di Sole, j’ai travaillé l’équilibre, le proprioceptif et le mental. Il faut avoir le bon feeling et être capable d’improviser. Il faut réveiller tout ça à l’échauffement. Concrètement, je me mets en équilibre sur un pied ou je ferme les yeux sur les pédales. Je fais des efforts courts et dynamiques, des sauts. Il faut être réactif au moindre truc.
J’écoute de la musique, souvent du reggae et du rap bien lourd avant de partir. J’ai un son de Nekfeu en featuring avec Guizmo que j’ai écouté toute la saison avant mon start. Je termine mon entraînement vers 15h30 et je grimpe à nouveau sur mon vélo de descente pour retrouver mes marques.
15h35
Alan : À ce moment-là ça n’allait pas du tout pour moi. Je viens d’apprendre qu’il y a 17 minutes de retard, Flo essaye d’adapter son entraînement mais il a plus ou moins fini, ce n’est pas grave. Je chauffe les plaquettes, je mets le transpondeur sur le vélo et je signe les papiers au départ. Il reste 2 ou 3 pilotes devant nous et je suis super stressé. Je ne veux pas le montrer et je crois que ça a plutôt marché, j’ai fait soupape !
J’ai confiance car je sais que tout est prêt, ce qu’on a fait est validé mais il y a un mélange de nostalgie et d’excitation. C’est le dernier run de la saison et depuis Lourdes on parle de cette course. On a construit toute une saison pour un run de moins de 4 minutes. Je n’avais jamais ressenti ça, je savais qu’il allait se passer quelque chose !
16h
Flo: Je suis dans la cabane de départ et c’est toujours un moment délicat. Je dois attendre et j’ai l’impression d’être freiné par le temps, j’ai envie d’y aller ! J’essaye de poser les deux premiers virages dans ma tête et je suis prêt à affronter la guerre. Une fois les deux premiers virages passés, le reste va suivre.
16h02
Alan : Flo passe le portique, moi je relâche le pression et quelques larmes m’échappent. Tout le stress et l’excitation de la saison retombent.
16h02 à 16h06
Flo : J’ai réussi à appliquer beaucoup d’automatismes mais comme prévu, il y a eu une grande part d’impro. Je suis rentré progressivement dans mon run et c’est exactement ce que je voulais. J’ai fait quelques erreurs et même si j’ai eu la sensation de galérer, j’étais satisfait.
16h06
Alan : Je suis tout seul en haut, il ne reste plus grand monde et je remballe tout mon matos. Je reçois le chrono de Flo dans la cabine, c’est un tout petit peu au dessus de ce qu’on s’était fixé (3’45 »). En bas, il est second derrière Laurie Greenland, je me dis que tout est jouable même si les 10 autres pilotes en haut ne sont pas manchots. Arrivé en bas, je pose le matos et je vais retrouver Flo à côté du hot seat.
16h10
Flo : Je suis avec Laurie Greenland et Bernard Kerr sur le hot seat. Bernard râle parce qu’il a perdu plein de temps sur le bas, là où j’ai été très fort (Flo réalise même le meilleur chrono du weekend sur le bas de la piste). Je suis content d’être là mais c’est un peu flou, je ne sais pas ce que j’ai ressenti. J’ai un peu tout vécu en spectateur mais je voyais bien qu’Alan et les autres français y croyaient. J’avais un peu peur de terminer à la « place du con ». Aux championnats du Monde c’est le podium ou rien.
16h30
Flo : Il reste Brosnan et Gwin en haut. Hart arrive entre-temps et me met 5 secondes, ce n’est pas une surprise après sa saison de dingue. Troy termine à quelques dixièmes. Maintenant c’est quitte ou double. En une fraction de seconde, le rêve d’Aaron Gwin s’anéantit. Il n’est pas arrivé au bout de son run. On savait qu’il avait eu du mal tout au long du weekend, il a été déstabilisé et il était vulnérable.
16h31
Flo : J’ai pris ma tête dans mes mains. J’avais besoin de 5 secondes pour moi, pour réaliser. J’étais enfin sur la boite à Val di Sole ! J’ai revu Thibaut Ruffin me dire sur le podium des championnats de France que je serai sur le podium aux Worlds. J’ai ensuite pu prendre Alan et ma copine dans mes bras.
Alan : C’est le moment où tu regardes autour de toi pour avoir la confirmation que Gwin est bien le dernier sur la piste. Tout le monde saute de joie, on pleure et on monte sur le hot seat avec Flo. On se prend dans les bras et je me retire, je le laisse kiffer le moment.
16h40
Flo : Tout s’enchaîne très vite après. On est fiers de passer à la TV mais le direct est déstabilisant, il faut parler à un moment précis et ne pas être trop long. On enchaîne avec le contrôle anti-dopage et quelques interviews.
16h50
Alan : Je suis dans la foule après avoir rangé le matos, je filme et je prends des photos du podium.
Flo: Le podium est très protocolaire. On nous dit quand et comment marcher. J’aurais pu monter en costard ! Tu es dans la tente derrière, tu te fais beau et il faut avouer qu’ouvrir le champagne c’est toujours sympa devant tous les photographes. C’était mon premier podium international donc c’était nouveau pour moi. Et comme le dit Shaun Palmer, on a directement envie d’y remonter.
17h30
Flo : On est allés prendre un apéro chez Mondraker avec les trois pilotes du podium. On a bien commencé les festivités. Je suis ensuite rentré à l’hôtel pour manger. J’ai couché mon fils et on est ressortis.
Alan : À ce moment là je pouvais m’occuper de moi ! J’ai retrouvé Flo pour le repas. Son père avait ramené du bon rhum de la réunion et on est sortis par la suite.
0h30
Alan : …
Flo: Le dimanche a été le plus beau jour de ma vie et le lundi le pire (rires) !
Nous étions à Val di Sole au moment où Florent Payet est monté sur son premier podium international, à plus de 30 ans et après ce qui reste jusqu’à présent comme sa meilleure saison. Alan, comme son pilote, fait partie des individus les plus sympa du paddock et c’est toujours une victoire pour le sport de voir un duo de talent réussir à réaliser ses rêves. Vous pouvez retrouver notre portfolio des championnats du Monde ici : vojomag.com/worlds-2016-portfolio/