Flashback | Mountain Cycle San Andreas, le coup de génie de Robert Reisinger

Par Olivier Béart -

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Flashback | Mountain Cycle San Andreas, le coup de génie de Robert Reisinger

Même si c’était à son corps défendant, le VTT a tout de même été fortement influencé à ses débuts par le milieu de la route, ne fût-ce qu’au niveau de l’architecture des cadres. Mais une autre influence forte est aussi rapidement arrivée : celle de la moto ! Un des principaux moteurs de ce mouvement est Robert Reisinger, fondateur de Mountain Cycle, qui a secoué le monde du VTT fin 80/début 90 avec le San Andreas. Ce visionnaire vient hélas de décéder, Vojo lui rend hommage.

Le San Andreas du pilote MX Austin Politelli, roulé à la Kamikaze Race lorsqu'il faisait du VTT étant Junior. Il fait aujourd'hui partie de la collection Dirty Sundays.

Le VTT a beau trouver ses origines dans d’anciens beach cruisers modifiés, la route n’a pas tardé à influencer très fortement la conception des mountain bikes. Ne fut-ce que parce que nombres de cadreurs puis de responsables du développement des grandes marques avaient un background provenant de l’asphalte, c’était inévitable. Mais le VTT a aussi intéressé d’autres personnes, venant quant à elles plutôt de l’univers de la moto de cross. Parmi eux, Robert Reisinger est sans aucun doute un des pionniers et un de ceux qui ont eu le plus d’influence, avec sa marque Mountain Cycles et son modèle iconique, le San Andreas, que d’aucuns considèrent comme le premier VTT « all-mountain ».

 

Robert Reisinger vient hélas de décéder à l’âge de 64 ans, dans un accident de moto. Car s’il avait disparu des radars du monde du VTT, Reisinger était resté très actif dans le monde de la moto et surtout passionné de motocross qu’il pratiquait encore régulièrement, y compris en compétition. C’est sur sa moto qu’il s’en est allé. Par cet article qui revient sur son modèle VTT iconique et les innovations qu’il a apportées au monde du vélo, Vojo a voulu lui rendre hommage.

Cadre poutre, tout-suspendu… un choc en 1991 !

Si, aujourd’hui, rouler en VTT tout-suspendu semble presque une évidence, cela n’a pas toujours été le cas. Vraiment pas ! Faisons un voyage dans le temps jusqu’à la fin des années 80 : à cette époque, quasi tout le monde roulait encore en tout rigide et RockShox venait à peine de sortir la toute première fourche suspendue, la RS-1. A cette époque, Robert Reisinger venait tout juste d’obtenir son diplôme en ingénierie mécanique en Californie.

Le Mountain Cycle San Andreas de Michel Forestier, gardé neuf dans son magasin depuis 1993. Il était ici de sortie pour l’expo VTT vintage de la Forestière en 2022.

Ses premiers jobs, Reisinger les trouve dans l’aviation, où il est aussi connu pour avoir mis au point le premier hélicoptère capable de voler à la seule force humaine. Il cumule aussi avec des boulots dans le motocross, sa passion. Il a même été pilote essayeur pour Kawasaki un moment. Touche-à-tout, il s’intéresse aussi au mountain bike, ce sport en pleine expansion aux USA et dans le monde durant les années 80.

Au fond, c'est vrai, pourquoi une suspension arrière, des freins à disques et une fourche inversée ne pourraient pas profiter au VTT, alors qu'ils sont la norme en motocross ?!

C’est à San Luis Obispo, entre San Francisco et Los Angeles, à deux pas de la California Polytechnic State University dont il est diplômé, qu’il crée Mountain Cycle avec une idée en tête : secouer ce petit monde du VTT qui a tendance à s’endormir sur ses lauriers et y apporter des principes et solutions techniques venus du motocross. Au fond, c’est vrai, pourquoi une suspension arrière, des freins à disques et une fourche inversée ne pourraient pas profiter au VTT, alors qu’ils sont la norme en motocross ?!

En 1989, Robert Reisinger commence à développer son premier VTT, et c’est en 1991 qu’il lance le Mountain Cycle San Andreas. Un véritable choc, tellement il est différent de tout ce qui existait jusque-là. Non seulement il a une suspension arrière avec un système monopivot doté d’un point de pivot placé très haut et un bras « banane » (ce n’était pas le premier, mais il était clairement dans les précurseurs), mais il a aussi un cadre poutre monocoque en aluminium (là par contre c’était bien le tout premier dans l’industrie du vélo).

Autre originalité : ce cadre poutre n’est produit qu’en une seule taille, et c’est le berceau qui tient le tube de selle qui est ajustable pour s’adapter à la taille du pilote. Ce berceau est périmétrique et il encercle l’amortisseur. Massif d’aspect mais malgré tout très élégant, le cadre du San Andreas est également très rigide, grâce à son architecture, à sa construction et aussi à son point de pivot surdimensionné.

La fourche inversée Suspenders

Quand Reisinger développe son San Andreas, les fourches suspendues sont encore très peu nombreuses sur le marché et il pense pouvoir offrir plus de débattement et plus de rigidité avec, une fois encore, un design inspiré de la moto. C’est ainsi qu’il met au point la fourche Suspenders, qui offre un débattement de 5 cm, impressionnant à cette époque.

Historiquement, cette fourche est même arrivée avant le cadre San Andreas. « Avec seulement 5000$ en poche au moment de lancer mon entreprise, j’ai dû faire des choix », a expliqué Reisinger à nos collègues de Pinkbike dans une interview. « Quand j’ai designé cette fourche, je revenais de tests avec Kawasaki et on venait de mettre une fourche Fox inversée sur ma moto. Le changement était radical, plus de sensibilité, moins de flex,… pour moi, c’était une évidence. » Mais l’adaptation au vélo n’a pas été si simple. Si notre homme a pu reprendre facilement le design surdimensionné de la partie haute et des plongeurs, comme en moto, d’autres défis se sont présentés à lui.

Le premier gros problème venait de l’absence de moyeux et d’axes de gros diamètre, similaires à ceux des motos. Une tradition venue du vélo de route imposait les axes rapides de petit diamètre comme un standard dans le VTT. Reisinger en a cherché les limites en créant un axe surdimensionné de 12mm de diamètre, qui pouvait tout juste prendre place dans des moyeux classiques avec quelques modifications, et il a aussi dessiné des pattes coquilles ouvertes mais profondes sur sa fourche afin d’obtenir une rigidité suffisante.

Avant de parler des freins à disques, indispensables sur une fourche inversée, signalons qu’à l’intérieur, ce sont de simples élastomères qu’on retrouve. Tout comme au niveau de l’amortisseur arrière. Surprenant de la part d’un ingénieur et pilote essayeur en moto, où d’autres technologies existent ! Reisinger s’explique : « Je venais déjà avec un vélo qui bousculait beaucoup de codes. Tous ces ajustements qu’il y avait sur les motos, j’ai pensé que c’était trop pour les cyclistes de l’époque, que ça risquait d’être la goutte qui ferait déborder le vase. Et c’était aussi très complexe à adapter pour le vélo. Lourd et cher aussi. Je devais tout de même penser à vendre mes vélos et à les vendre à un prix qui restait raisonnable. J’ai donc opté pour des jeux d’élastomères de couleur différente selon leur dureté. C’était simple, fiable et finalement plutôt efficace pour l’époque. »

Pro Stop, précurseur du frein à disques VTT

Même si ce n’est pas totalement impossible (voir la fourche STM), il est difficile de faire cohabiter une fourche inversée avec des freins sur jantes. Puis, venant de la moto, les freins à disques étaient aussi une évidence pour Reisinger, qui a co-développé les Pro Stop, qu’on peut considérer comme les premiers freins à disques conçus pour le VTT.

Persuadé par les freins hydrauliques, mais conscient de la difficulté de développer un frein complet et du besoin de rassurer les vététistes en continuant d’utiliser en partie du matériel connu, Reisinger est parti sur un système hybride avec un levier de frein traditionnel à câble qui venait activer un levier attaché à l’étrier ; étrier qui contenait bien un système hydraulique pour activer les pistons.

Quant aux disques, ils étaient en aluminium et flottants pour s’auto-aligner à l’étrier au freinage. Ils étaient d’abord vissés, comme une cassette de l’époque, sur des moyeux Bullseye modifiés, puis il a conclu un partenariat avec Pulstar pour concevoir des moyeux à rayons droits et dotés d’une interface spécifique pour accueillir le disque, qui peut faire penser au Centerlock actuel. Autre gros défi : la fabrication de plaquettes de freins de qualité, et c’est finalement auprès d’un fournisseur américain de plaquettes pour la course auto/moto (Nascar, Indy,…) qu’il a trouvé son bonheur et pu faire fabriquer des plaquettes sur mesure avec une garniture custom.

L’héritage de Reisinger

Vous ne connaissiez peut-être pas le nom de Robert Reisinger avant de lire cet article, mais ces quelques lignes vous ont sans doute permis de vous rendre compte combien il a compté dans le développement du VTT. Bien sûr, il n’a pas été seul et les innovations de son San Andreas ont mis du temps à s’imposer. Mais si on n’a toujours pas majoritairement des fourches inversées sur nos VTT aujourd’hui, sa prophétie concernant les tout-suspendus et les freins à disques s’est par contre réalisée.

Le San Andreas figure en bonne place au Marin Museum of Bicycling à Fairfax (CA)

Autre signe qui ne trompe pas : Mountain Cycle a conservé une architecture de cadre similaire pendant plus de 20 ans, réussissant à la décliner pour un grand nombre de pratiques, du XC à la DH, et à la faire évoluer au fil des années. On trouve aussi le Mountain Cycle San Andreas en bonne place au Marin Museum of Bicycle à Fairfax en Californie, et dans la collection permanente du San Francisco Museum of Modern Art, rien que cela. Revendue au groupe Kinesis au début des années 2000, la marque a hélas cessé progressivement ses activités au début des années 2010. En laissant tout de même à notre sport un très bel héritage…

Références :

Génération Mountainbike : https://generationmountainbike.com/project/1992-mountaincycle-sanandreas/
L’excellent article de Richard Cunningham publié sur Pinkbike en 2019 : https://www.pinkbike.com/news/now-that-was-a-bike-mountain-cycle-san-andreas.html
Dirty Sundays et son incroyable collection : https://www.dirty-sundays.com/1993-mc-san-andreas-austin-politelli

ParOlivier Béart