Flashback | De Paola à Jolanda, 25 ans de VTT aux JO en deux vélos
Par Olivier Béart -
Nous sommes le 30 juillet 1996, le vélo tout-terrain vient de faire son arrivée aux Jeux Olympiques et Paola Pezzo rentre dans l’histoire de notre sport en décrochant la première médaille d’or olympique de la discipline au guidon de son Gary Fisher Procaliber. 25 ans plus tard, à l’été 2021, Jolanda Neff a suivi ses traces en remportant la course des JO de Tokyo. En exclusivité, Vojo a eu l’occasion de mettre face-à-face les vélos de ces deux championnes hors pair, histoire de prendre la mesure de l’évolution de notre sport en un quart de siècle…
Au travers de deux vélos que nous avons eu l’occasion de réunir le temps d’une séance photo, nous avons voulu évoquer un pan important de l’histoire de notre sport, avec sa présence aux Jeux Olympiques depuis un peu plus d’un quart de siècle. D’un côté, nous avons le vélo utilisé par la première championne olympique de l’histoire, Paola Pezzo, en 1996, et de l’autre celui roulé par Jolanda Neff, couronnée d’or à Tokyo en 2021.
Le vélo de Jolanda Neff est authentique, avec encore de la poussière et un peu de boue du Japon ! Il a été mis à disposition par le service course Trek Factory Racing, situé en Belgique, où nous avons effectué le shooting photo. Vous verrez un peu plus loin que le Gary Fisher qui illustre ce reportage a une toute autre histoire…
1996, une année inscrite dans l’histoire du VTT
Commençons par un petit retour en arrière. A Conyers, une petite ville située à 30 minutes d’Atlanta, le VTT rentre concrètement dans le cercle fermé des sports olympiques le 30 juillet 1996, trois jours à peine après un attentat qui a fait un mort et plus de 100 blessés près du village olympique. Même si les esprits sont marqués par ce triste événement, « the show must go on » et les épreuves se poursuivent. Le mountainbike, notamment, attire beaucoup de regards ! C’est un sport jeune (moins de 20 ans) dont l’ascension fulgurante n’a pas laissé de marbre le CIO (Comité International Olympique), qui a décidé de lui ouvrir la porte des Jeux.
Avec 10,63 km à parcourir trois fois pour les femmes, le circuit des JO de 1996 est particulièrement long par rapport aux standards actuels
Décrié au départ, le tracé de Conyers recueille tout de même les faveurs des pilotes dès les reconnaissances. Avec 10,63 km à parcourir trois fois pour les femmes, ce circuit est particulièrement long par rapport aux standards actuels (les circuits contemporains font plutôt 3,5 à 4,5km) et pas vraiment « spectator friendly » pour reprendre les propos de certains médias à l’époque. Pourtant, près de 30 000 personnes font le déplacement pour voir les mountain-bikers en découdre sur ce circuit alternant côtes raides, portions de singletracks entre les grands arbres et spectaculaires longues descentes sur de grandes dalles de granit.
Chez les Dames, Paola Pezzo figure parmi les favorites, mais son nom n’est pas nécessairement celui qui revient en premier lieu pour la victoire. Championne du monde « surprise » à Métabief en 1993, alors qu’elle n’avait pas encore remporté de manche de coupe du monde, elle doit attendre 1995 pour décrocher ses deux premières world cup. Son style affirmé et ses tenues parfois excentriques marquent les esprits, mais elle connaît un début de saison 1996 discret, voire compliqué. Contrairement à Alison Sydor, championne du monde en titre, qui a déjà accumulé 6 victoires en 7 manches sur les coupes du monde qui se sont déroulées avant les JO au cours de la saison 1996 !
Compliqué, le début de course olympique l’est aussi pour Paola Pezzo. Après un départ correct, la voilà qui glisse et chute dans un virage. Elle entame alors une première remontée mais sa transmission, touchée dans la chute, lui joue des tours. Elle déraille, doit passer quelques sections à pied, mais elle parvient à remettre sa chaîne et à laisser derrière elle les ennuis mécaniques. Cette fois, c’est la bonne. Petit à petit, elle rattrape ses concurrentes et, au terme des 31,8km au programme, elle s’impose avec un peu plus d’une minute d’avance sur Alison Sydor. C’est fait : Paola Pezzo est la première championne olympique de l’histoire du VTT !
Histoire d’une reconstruction
Paola Pezzo s’est imposée en 1996 au guidon d’un vélo assez novateur pour l’époque, le Gary Fisher Procaliber. Premier point : son cadre en carbone, partagé avec le Trek OCLV. Logique, Trek étant propriétaire de la marque de Gary Fisher. La marque a aujourd’hui été arrêtée par Trek et Gary Fisher (qui a également repris sa liberté récemment après être resté ambassadeur Trek après l’arrêt de la marque portant son nom) nous a confié que la maison-mère n’a pas trop apprécié que les succès de son team et de Paola Pezzo fassent de l’ombre aux modèles de la marque phare. Conséquence : on ne lui a plus permis par la suite de proposer que des cadres en aluminium au catalogue et plus en carbone !
Lorsque nous avions vu le grand Gary il y a quelques années et que nous avions parlé des succès olympiques en 1996 et 2000 de Paola Pezzo, il nous a appris une drôle de nouvelle : si le vélo champion olympique à Sydney est bien gardé par Trek dans le musée de la marque, personne ne sait exactement ce qui est arrivé à celui de 1996 qui serait… perdu !
Le hasard est parfois curieux : peu après cette discussion, un cadre identique à celui utilisé par Paola Pezzo à Atlanta passe sous les yeux de votre serviteur dans les petites annonces d’un groupe Facebook d’amateurs de VTT vintage !
Bien sûr, ce n’est pas l’original, mais c’est tout de même un vélo exceptionnel car il s’agit d’un exemplaires issu d’une série limitée « replica » lancée par Gary Fisher pour célébrer le titre olympique de leur championne italienne. Pas question d’hésiter, il n’y en aurait eu que 100 exemplaires !
Très vite, le deal est scellé avec le vendeur italien et le projet de remonter un vélo « hommage », le plus proche possible de l’original, germe. Au total, près de deux ans ont été nécessaires pour réunir les pièces, dont certaines provenant directement des USA, comme le poste de pilotage Bontrager ou encore les jantes de la même marque, très rares avec les flancs céramique.
La fourche RockShox Judy SL a été repeinte par les mains expertes d’un ami, Philippe de Strong Cycles, spécialisé dans les motos café racer et la restauration de plaques émaillées, qui a refait à l’identique la déco custom rouge et jaune de la fourche spéciale utilisée par Paola Pezzo à Atlanta.
Le groupe Shimano XTR M950 était LA grande nouveauté de l’année en 1996. Il venait à peine de sortir pour les JO et tous les coureurs n’en étaient pas encore équipés, loin de là. 8 vitesses, un pédalier devenu très vite iconique avec sa couleur distinctive et son axe Octalink bien plus rigide que le classique carré, il y avait de l’innovation. Ce groupe continuera d’ailleurs sa carrière jusqu’en 2003 !
Autre grosse innovation : les freins V-brakes. Curieusement, le groupe XT en a bénéficié avant son grand-frère destiné à la course mais, même aujourd’hui, leur puissance n’a rien de ridicule et elle marque un véritable bond en avant par rapport aux précédents cantilevers du premier groupe XTR (M900). Sur les leviers, vous noterez que les mécanos avaient enlevé les indicateurs de vitesses pour gratter quelques grammes.
Enfin, soulignons aussi que ce titre olympique était également un tout petit peu Français, avec les pneus Hutchinson Python. Ils étaient encore au stade de prototype quand Paola Pezzo les a menés à la victoire. Par la suite, la marque a sorti ce modèle en grande série et il est devenu iconique. Pour notre recréation contemporaine, nous avons déniché une série limitée, éditée par Hutchinson pour célébrer le titre olympique. Qui plus est, on a ici une rarissime version « Team Comp » destinée aux équipes et coureurs sponsorisés.
De Paola à Jolanda
25 ans plus tard, Jolanda Neff devient la 7e championne olympique de l’histoire en s’imposant à Tokyo. Ou plutôt la 6e si on tient compte du fait que Paola Pezzo s’est imposée une deuxième fois à Sydney en 2000, mais c’est une autre histoire. Son titre, Jolanda Neff l’a remporté à l’occasion de Jeux Olympiques eux aussi historiques car reportés d’un an, de 2020 à 2021, à cause de la crise sanitaire. Sur le plan sportif, la Suisse a également marqué l’histoire en signant un triplé sur la course féminine !
Jolanda Neff a remporté son titre de 2021 au guidon d’un Trek Supercaliber, modèle tout-suspendu à petit débattement destiné purement à la compétition de XC.
Ayant eu vent de notre projet de reconstruction du vélo de Paola Pezzo, Trek a directement embrayé et mis à notre disposition l’authentique vélo utilisé par Jolanda Neff à Tokyo le temps d’une séance photo dans les locaux du Trek Factory Racing, situés en Belgique. En mettant les deux machines face-à-face, on mesure pleinement l’évolution technique en 25 ans !
On pense bien sûr à la présence d’une suspension arrière, qui est devenue aujourd’hui quasiment une évidence alors qu’elle était impensable en compétition en 1996. Le débattement de la fourche est passé de 65 à 100mm… qui était à l’époque plutôt un débattement de fourche de descente. Et encore, le Trek Supercaliber est un peu atypique dans le peloton actuel avec son « petit » débattement, à l’heure où beaucoup de vélos utilisés par les pros en XC ont jusqu’à 120mm de débattement. Puis, il y a aussi la tige de selle télescopique qui a fait son apparition pour affronter avec aisance les passages les plus raides, devenus courants sur les circuits de XC contemporains.
La taille des roues, passée de 26 à 29 pouces, est également une évolution marquante, directement liée à l’évolution des géométries. Le tracé des JO de 1996 existe toujours aujourd’hui, il est balisé et il est présenté sur les sites référençant les traces comme un tour « singletrack ludique », presque familial. Rien à voir avec les tracés plus denses, partiellement artificiels et très spectaculaires qui imposent aujourd’hui des machines aux capacités de franchissement nettement plus évoluées.
Les freins à disque sont devenus un standard et Sram a pour sa part fait fortement évoluer la transmission avec son groupe XX1 AXS électronique sans fil… qui ne comporte plus que 12 rapports contre 24 auparavant. Mais ils sont évidemment obtenus de manière bien différente : en 1*12 sur le vélo de Jolanda contre 3*8 vitesses sur celui de Paola.
Si, malgré nos efforts, nous ne sommes pas parvenus à rentrer en contact avec Paola Pezzo, Jolanda Neff a par contre répondu avec plaisir à nos questions et accueilli avec enthousiasme notre projet de mettre son vélo de Tokyo 2021 face à celui d’Atlanta 1996. « Evidemment, je ne me souviens pas trop du titre de Paola Pezzo car j’avais… 3 ans à l’époque. Mon premier vrai souvenir des JO, c’est plutôt Julie Bresset à Londres en 2012. Mais comme adolescente et jeune compétitrice, j’ai entendu beaucoup de gens parler de Paola Pezzo. J’ai très vite su qu’elle était une grande dame de notre sport. »
Jolanda Neff a eu l’occasion de rencontrer la championne Italienne à quelques reprises : « En 2010, elle s’occupait des Juniors Filles italiennes et je l’ai un peu fréquentée car ses athlètes étaient mes concurrentes. J’étais encore très jeune, je ne lui ai pas parlé à l’époque mais je me souviens que c’était impressionnant de la voir. Puis, quand je suis rentrée dans le team Trek, à l’occasion de la présentation du Supercaliber, Trek l’avait invitée et nous avons eu l’occasion de vraiment parler. Elle savait très bien qui j’étais et j’ai vu qu’elle s’intéresse encore beaucoup au VTT. Elle roule toujours et elle s’occupe même d’une école de VTT. »
Côté vélo, Jolanda a été assez impressionnée de l’évolution : « Je vois que déjà à l’époque, Paola avait voulu faire un vélo spécial pour les JO. Moi aussi, quand j’ai vu cette peinture faite sur mon Trek spécialement pour les Jeux, ça a encore ajouté au côté spécial du moment. Quand j’ai signé avec Trek en 2018, ils m’ont montré leur projet de nouveau vélo et, sur une épreuve comme cela où tout est optimisé, c’est important d’avoir un vélo au top, comme ce tout-suspendu hyper léger, atypique mais parfait pour cette course. Quand je vois le vélo de Paola Pezzo, je me rends compte de l’évolution énorme des machines sur lesquelles nous roulons aujourd’hui. »
Pour conclure, Jolanda Neff nous touche quelques mots à propos de l’importance de la victoire dans une telle épreuve pour un/une athlète : « Clairement, ça change une vie. C’est vraiment une course à part. J’ai été invitée par de grands médias, sur des plateaux TV,… avant on me reconnaissait sur les événements VTT, aujourd’hui, on me reconnaît dans la rue. C’est sympa et les gens sont toujours très gentils, mais c’est une nouvelle notoriété à gérer. Sportivement, cela reste un moment extraordinaire. Je suis arrivée légèrement blessée mais super bien préparée et l’ambiance dans l’équipe suisse était top. Puis, faire 1/2/3 avec mes coéquipières, c’était un rêve. A ce jour, Paola Pezzo reste la seule double championne olympique féminine… j’avoue que c’est une belle motivation d’essayer de la rejoindre. »
Maintenant, tous les regards sont tournés vers les JO de Paris en 2024 ! Et d’ici là nous vous donnons rendez-vous pour d’autres projets VTT vintage, on a encore quelques jolies choses dans les cartons…