Flashback – Cannondale Jekyll GoodBoy : ange ou démon ?
Par Olivier Béart -
Le vtt est un sport jeune mais, à l’instar de l’automobile et de bien d’autres secteurs, l’esprit de collection commence à se répandre de plus en plus dans notre sport et ce qu’on considérait encore hier comme un simple « vieux vélo » devient petit à petit un objet précieux qu’on chérit et dont on prend soin. Parce que, chez Vojo, nous aimons aussi nous replonger dans souvenirs, nous avons décidé de lancer une nouvelle rubrique baptisée « Flashback ». Le but : se mettre en quête d’anciennes machines de rêve que des passionnés conservent avec amour, les sortir de leur cave le temps d’un shooting et même, pour certains, en reprendre les commandes pour mieux mesurer les évolutions des vélos actuels et voir ce que ces références d’hier ont encore dans le ventre. Première machine sous le feu de nos projecteurs : le Cannondale Jekyll GoodBoy, une exceptionnelle série limitée à 300 exemplaires sortie en 2002 avec un cadre et des composants entièrement polis ! On vous sent déjà tout excités alors, c’est parti pour (re)découvrir cette petite merveille.
Le bras arrière du « petit nouveau » a un air de déjà vu. Normal, c’est le même sur sur le Super V Active et le Raven, placement de l’unique point de pivot compris. Par contre, malgré ses formes assez classiques, le triangle avant cache une originalité, assez unique pour l’époque : la partie externe de l’amortisseur Fox est filetée, ce qui permet de faire varier la géométrie. Ce n’est pas neuf (le GT LTS proposait un système similaire), mais cela reste très peu courant.
Concrètement, on peut faire varier l’angle de direction d’un classique 71° à 69,5° ce qui, pour l’époque et pour ce type de machine, est franchement couché. Néanmoins, dans le numéro 59 du magazine belge O2 Bikers, où le vélo est testé, on peut lire que « pour notre part, nous avons ressenti très peu de différence entre les deux positions. On ne peut pas dire que l’une est plus orientée XC et l’autre DH. Nous doutons donc que les bikers profitent de cette possibilité ». Et en effet, les quelques anciens propriétaires du premier Cannondale Jekyll auxquels nous avons posé la questions nous confirment avoir très rarement fait varier ce réglage. Par contre, alors qu’on aurait pu en douter, le mécanisme s’est avéré fiable dans le temps.
Le débattement de la première version est de 115mm, et celui-ci reste fixe quel que soit la position choisie pour l’amortisseur. En 2003, et jusqu’à la disparition du modèle en 2005 avec son remplacement par le Rush, le Cannondale Jekyll verra son débattement arrière porté à 135mm pour répondre pleinement à l’usage all-moutain auquel il s’est naturellement destiné, malgré les ambitions plus XC de ses débuts.
Signalons que, pendant sa longue carrière, le Cannondale Jekyll premier du nom (qui désigne aujourd’hui les vélos d’enduro de la marque) a accumulé les distinctions tant aux USA qu’en Europe. En France, il a notamment remporté le titre de « Vélo de l’année » décerné par nos confrères de Vélo Vert en 2001 devant d’autres vélos qui ont marqué leur époque : Commencal Doctor, Lapierre X-Control et Sunn Neuro Evolution.
Good Boy, une série très spéciale
Cannondale a toujours apprécié proposer des versions un peu spéciales et exclusives de ses vélos. Mais avec ce Jekyll Good Boy sorti en 2002, on atteint des sommets ! Le nom a été choisi en opposition à la série Bad Boy, qui désigne les vtt de la marque qui sont détournés en versions « city » avec des roues de 700c et des pneus de route… ainsi qu’une robe entièrement noire. Quand on voit le modèle illustré ici, on comprend le contrepied !
Pour nous en dire un peu plus, nous avons contacté Guillaume Koch, monsieur Cannondale France, pour qu’il partage avec nous ses souvenirs: « Pour la petite histoire, le Jekyll Good Boy a été mon premier vtt Cannondale paru dans la presse, avec une double page dans VTT Mag en mars 2002. Il a été créé pour célébrer les 30 ans de la marque et c’était une série limitée à 300 exemplaires à l’échelle mondiale. »
L’originalité de ce vélo, et ce qui fait son exclusivité absolue, c’est le polissage intégral du cadre et de tous les composants
Imaginez : même le groupe XTR a été poli entièrement par Shimano. Quand on connaît le géant Nippon, pas du tout friand d’excentricités, on se dit que Cannondale a dû être très, très convaincant à l’époque pour arriver à obtenir une telle faveur… qui ne s’est d’ailleurs jamais revue depuis à notre connaissance.
Toujours soudé à Bedford, en Pennsylvanie, le cadre n’est ni peint, ni vernis, mais entièrement poli et des stickers transparents sont appliqués directement sur l’aluminium.
D’autres versions (Jekyll 2000 et 3000 en 2003 et 2004) ont également été proposées par la suite avec cette finition, mais seul le Good Boy disposait des composants polis. En plus du groupe Shimano XTR 3×9 vitesses, tout y passe : potence, tige de selle, moyeux DT, mais aussi les freins Shimano XT Disc avec leurs magnifiques étriers 4 pistons. Seules les pièces en carbone, comme le cintre, ne sont évidemment pas polies.
L’autre touche de noir et de fibres de carbone, on la trouve au niveau de la fourche, qui n’est autre que la fameuse Headshock Lefty Carbon ELO en 100mm de débattement. Les trois dernières lettres font référence au système de blocage électronique de la fourche. Eh oui, cela existait déjà il y a plus de 10 ans ! Le système est simple et ne comporte aucun automatisme (contrairement à l’actuel mécanisme Magura eLect), mais un petit bouton discret, placé au plus près de la main du pilote permet d’activer le blocage facilement et sans effort. Alimenté par une pile de 9Volts, ce blocage s’est montré assez fiable dans le temps et il fonctionne d’ailleurs toujours sur le modèle qui illustre ces pages.
Guillaume n’a pas été en mesure de nous donner les chiffres de vente en France, mais il ne doit guère y en avoir eu plus qu’une poignée. Au-delà de la limitation du nombre d’exemplaires produits, il y avait aussi son prix qui avait de quoi faire peur : 50 502 francs français, soit 7699€ à l’époque ou un équivalent de 9250€ en 2015 en tenant compte de l’inflation ! Autant dire qu’en matière d’exclusivité, on peut difficilement faire mieux. Petit détail qui peut aider (un peu) à faire passer la pilule : il était également livré avec des roues Mavic 700c équipées de pneus de route, faisant ainsi le lien avec la version « Bad Boy » typée city.
Presque neuf, 13 ans plus tard
Le vélo que vous avez sous les yeux appartient à Mathieu, grand collectionneur de belles machines dont vous verrez d’autres perles dans cette rubrique prochainement. Il nous explique comment il a acquis cette petite merveille : « Ce vélo, c’était un rêve d’ado ! En 1997, après 4 années de pratique, mes parents m’ont offert un superbe cadeau : un F900 bleu comme le team, avec une Fatty. A cette époque, Cannondale était à la pointe de l’innovation avec la Lefty, le Raven carbone, etc. C’était LA marque de rêve. »
« Un jour, quelques années après avoir reçu mon beau CAAD3 Team Replica apparaît dans les magazines ce Cannondale Jekyll 30e anniversaire entièrement poli. La claque ! Mais un petit étudiant comme moi devait se contenter de rêver devant ces belles photos car l’exclusivité du vélo n’avait d’égal que son prix.
Il y a quelques mois, en tapotant sur le moteur de recherche du « Bon Coin » comme j’aime le faire de temps en temps, je tombe sur un Jekyll Good Boy !
« Il était dans un état plutôt correct d’après les photos donc j’ai contacté le vendeur, qui habitait Font Romeu, non loin d’Andorre où se déroulaient les Worlds cette année. Un de mes collègues avait justement prévu de s’y rendre. On a donc vite bouclé la négociation et à l’arrivée, je me retrouve aujourd’hui propriétaire de ce que je considère comme une des plus belles pièces de l’histoire du vtt. En plus, il s’agit d’un des premiers produits, pusiqu’il porte le numéro 21 sur 300. »
« Quand j’ai récupéré le vtt, j’ai vu qu’il était dans un état de conservation encore meilleur que ce que les photos laissaient présager. En fait, on peut même parler de « non utilisation » car il est quasi neuf. A part un coup de Belgom Alu pour lui rendre son lustre, je n’ai rien dû faire ! Son propriétaire était quelqu’un qui avait bien réussi dans la vie et qui l’avait acheté pour suivre quelques amis qui faisaient du vtt. Mais il n’a pas accroché et ce vélo n’a quasi jamais roulé. Heureusement serais-je tenté de dire, car il y a de quoi faire frémir n’importe quel vélociste ou collectionneur, puisqu’il n’existe aucune pièce de remplacement pour ce modèle ! Par exemple, les plateaux polis du pédalier XTR sont introuvables. Donc, même si je roule parfois avec certains autres modèles de ma collection, celui-ci, je me contente de le regarder et de le bichonner. »
Si l’acquisition d’un modèle similaire vous tente, il faudra vous armer de patience ! Les transactions sont très rares pour cette version Good Boy et, si Mathieu nous dit avoir eu le sien pour une somme « très raisonnable », les quelques montants que nous avons pu voir dépassent en général les 2500, voire 3000€ pour les plus belles pièces. Un Cannondale Jekyll 1 haut de gamme en bon état peut se trouver plus facilement autour de 1000 à 1500€, et les versions plus basiques autour de 500€. S’agissant d’un modèle d’assez grande diffusion et d’une marque mythique qui compte quelques collectionneurs, il est encore possible de trouver assez facilement les pièces d’usure, ainsi que de faire entretenir ses suspensions chez des spécialistes comme Doc Headshock ou dans les centres 88+.
Plus d’infos : www.vintagecannondale.com & www.cannondale.com/bikes/02
Rendez-vous très bientôt pour de nouvelles (re)découvertes de vélos qui ont hanté nos rêves il y a quelques années !
Merci au personnel de la Cathédrale d’Arras d’avoir accepté de nous accueillir pour cette séance photo.