Espero | Limiter l’impact de la production d’un casque : l’exemple Urge avec le Rascas

Par Olivier Béart -

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Espero | Limiter l’impact de la production d’un casque : l’exemple Urge avec le Rascas

« Toute production a un impact, nous en sommes bien conscients. Mais nous voulons faire tout ce qui est possible pour le limiter » : voilà comment Fred Glo, co-fondateur de Urge, aime entamer la discussion quand on lui demande de parler de sa marque de casque et des leviers sur lesquels ils tentent d’agir depuis maintenant plus de 10 ans. Dans le cadre de notre rubrique Espero, nous nous sommes penchés sur le développement du tout dernier casque de la marque, le Rascas, qui concentre tout ce qu’il est possible de faire à l’heure actuelle pour limiter l’impact de la production d’un casque de vélo. Et qui trace la voie pour l’avenir, tant pour les futurs casques Urge que pour ceux d’autres marques.

Depuis plus de 10 ans maintenant, la marque de casques Urge, lancée par Fred Glo et Fabien Barel avec le concours du designer Zoobab, essaie d’apporter quelque chose de différent dans le monde du casque. Que ce soit au niveau de l’esthétique, ou de la conception qui se veut nettement plus éco-responsable que la moyenne. Cela dit, quand on aborde ce sujet, Fred Glo ne fait pas d’angélisme : « Bien sûr que nous savons que nous avons un impact en produisant nos casques, qui restent à la base composés de matières plastiques, et donc de dérivés pétroliers. Mais nous pensons que c’est vraiment notre devoir d’essayer de le limiter au maximum en innovant dans les matériaux employés avec l’usage d’un fort pourcentage de composants recyclés ; dans le design, la production, etc. C’est symbolisé par le petit point rouge qu’on retrouve sur tous nos casques, qui est comme un rappel qu’il est important d’agir, même à petite échelle, pour essayer de changer les choses et de limiter notre impact. »

Au-delà des grands principes et de ce qui forge l’identité de la marque depuis son lancement, nous avons voulu nous pencher sur un cas pratique qui illustre ce qu’il est possible de faire aujourd’hui, en 2024, pour produire un casque plus eco-responsable que la moyenne. Pour cela, nous nous sommes rapprochés de Lévy Batista, devenu product manager chez Urge il y a deux ans, pour en apprendre davantage sur le développement du tout nouveau Rascas, le premier casque dont il a coordonné le développement.

Coupons court directement sur un premier sujet sensible : oui, le casque Urge Rascas est produit en Asie, comme d’ailleurs le reste de la gamme. « Nous travaillons avec Strategic, qui n’est autre que le plus gros producteur de casques au monde. Ils travaillent pour les plus grandes marques. Actuellement, nous n’avons pas trouvé le savoir-faire nécessaire en Europe pour produire plus localement. Mais Strategic est en train d’ouvrir une usine au Portugal et, dès qu’elle sera pleinement opérationnelle, nous étudierons évidemment avec eux la possibilité d’y produire au moins une partie de nos casques. Par là, je veux dire nos casques destinés au marché européen. Car Urge est présent un peu partout dans le monde, notamment en Asie, et là c’est intéressant de garder la production plus près du marché. »

Même si Urge est tout de même assez connu, notamment sur le marché francophone, cela reste un petit acteur au niveau du volume de casques produits. Qu’est-ce qui peut bien inciter le géant Strategic à travailler avec le « petit poucet » Urge ? Eh bien justement la recherche constante de la marque pour trouver de nouveaux matériaux et de nouveaux process plus éco-responsables. « C’est un sujet qui préoccupe beaucoup le patron de Strategic, et travailler avec une petite marque comme Urge leur permet de tester des solutions innovantes qui pourront être ensuite proposées à leurs plus gros clients. C’est du donnant-donnant : Urge bénéficie du savoir-faire et de la puissance de Strategic, et Strategic a une sorte de « tête de pont » et un « aiguillon » qui les poussent à tester de nouvelles choses avec Urge. »

Développer un casque n’est pas simple. Bien entendu, les normes de sécurité rentrent en ligne de compte et constituent une base non négociable de tout nouveau lancement de produit. Mais le design de chaque partie, le choix de chaque matériau est source de recherche et de questionnements. « En tout, il faut compter environ deux ans, voire un peu plus pour un projet comme le Rascas qui a une forme « 3/4″ assez complexe avec les oreilles couvertes. Nous avons des échanges constants avec Strategic, et c’est indispensable. Par exemple, le premier design que nous avions imaginé impliquait un moule très complexe qui compliquait la production et augmentait les coûts. En modifiant quelques détails à peine visibles pour le consommateur final, nous avons réussi à simplifier tout cela sans perdre l’âme du casque. Mais tout changement, même minime, est compliqué. Un simple déplacement d’un insert pour accrocher un serrage, même de quelques millimètres, peut déclencher des réactions en cascade (point de pression à un endroit sensible sur le crâne, conflit avec un autre point d’ancrage, etc.). »

Levy Batista poursuit : « Nous avons aussi fait le choix d’éviter le superflu. Par exemple, nous n’avons pas voulu inclure de dispositif type puce qui lance une alerte en cas de chute. C’est quelque chose qu’un smartphone ou un GPS peut faire et, si cela peut sembler une bonne idée sur le papier, nous doutons vraiment de son utilité réelle après avoir fait quelques recherches. Le Rascas, comme tous les casques Urge, se veut centré sur l’essentiel : un casque confortable, sécurisant et au design différent ; une sorte de bon pote qu’on a toujours envie d’avoir avec soi. » 

Le casque décortiqué

Au niveau des matériaux, voici partie par partie du casque les efforts qui ont été faits :

  • Coque interne : EPS – recyclé. Cette partie en polystyrène expansé, de couleur classiquement noire, représente le plus gros volume du casque. C’est donc un point très important, qui pèse lourd dans le bilan de la production et sur lequel l’utilisation d’un matériau recyclé a un réel impact. Dans ce cas précis, il s’agit de déchets recyclés issus de l’industrie l’automobile. Il peut y avoir de légères variations de teinte, qui s’expliquent par l’origine de la matière première dont la teinte, bien que globalement sombre, est parfois un peu plus claire ou plus foncée. Par contre, les performances sont identiques à celles d’un matériau neuf quand on parle de sécurité.
  • Coque externe : Polycarbonate – recyclé (partiellement). Ici, c’est plus subtil : le polycarbonate recyclé est, à la base, plus fragile au thermoformage et c’est seulement depuis très peu de temps qu’il en existe un qui résiste aussi bien que son équivalent non recyclé. Urge s’est donc empressé de l’utiliser… mais sur une seule teinte, le noir, du moins pour le moment. Pourquoi le noir ? Parce que cette partie du casque est en fait une sorte de feuille transparente imprimée par le dessous pour donner de la couleur. Quand elle est recyclée, la feuille de base n’est pas tout à fait transparente : elle est bleutée, ce qui fait que la couleur d’impression ne ressort par comme elle le devrait. L’origine de cette couleur bleutée vient du fait que le polycarbonate recyclé est obtenu à partir de bouteilles en plastique, majoritairement bleues, et il peut y avoir des variations assez importantes selon la proportion de bouteilles bleues dans les granulats de base. Les casque Urge Rascas autres que le noir n’ont pas une coque en polycarbonate recyclé.

  • Visière : PA – recyclé.  Les visières de casques sont habituellement faites en ABS (acrylonitrile butadiène styrène). Mais ici, pour des contraintes de fonctionnalité (compromis rigidité/souplesse), Urge est passé sur du PA (polyamide) qui est plus adapté à la construction d’une visière amovible avec points d’ancrage mobiles dans le casque comme cela a été prévu sur le Rascas (les visières en ABS cassaient alors que celles en PA résistent). Le polyamide utilisé ici est recyclé.
  • Sangles : PET – recyclé. Bien qu’il s’agisse d’un élément de sécurité important, les normes autorisent l’usage de PET (polytéréphtalate d’éthylène) recyclé. Urge l’utilise donc.

  • Mousses internes du casque : fibres de bambou – biosourcé. Ici, pas d’usage de matériau recyclé, mais par contre Urge s’est tourné vers un matériau biosourcé à faible impact : la fibre de bambou. En plus de l’aspect réduction de l’impact environnemental par rapport à des matières synthétiques à base de pétrole, le confort et la fonctionnalité (évacuation de la transpiration principalement) sont supérieurs aux yeux de Urge.
  • ERT : mousse complexe – non recyclé. Le ERT, c’est le système de réduction des forces de rotation en cas d’impact développé par Strategic comme alternative au Mips. Il s’agit d’inserts situés à l’intérieur du casque, à des endroits stratégiques. Ils ne représentent qu’une partie assez limitée de l’ensemble du casque et la mousse dont ils sont composés est complexe et développée dans un but de sécurité avant tout. Ces inserts ERT ne sont, pour l’heure, pas réalisables à base de matériaux recyclés.

  • Serrage occipital et pièces de jonction des sangles : plastique – non recyclé. Ici, le non-usage de matériaux recyclés n’est pas lié à une contrainte technique, mais au respect de la norme de sécurité, qui interdit l’usage de matières premières recyclées sur ces composants… du moins pour le moment car les professionnels du secteur semblent s’accorder à dire que ce n’est plus fondé à l’heure actuelle. Chez Urge et Strategic en tout cas, on milite pour que ce verrou normatif saute. Affaire à suivre, donc.
  • Contour des oreilles : TPE – non recyclé. Le tour des oreilles est une spécificité du nouveau casque Rascas et de sa forme « 3/4 ». Cette partie de la coque nécessite d’avoir un compromis rigidité/souplesse qu’il n’est possible d’atteindre à l’heure actuelle qu’avec ce type d’élastomère thermoplastique. Il n’existe tout simplement pas à base de composants recyclés. 

Il est à noter que la quasi totalité des matériaux recyclés dont nous avons parlé plus haut sont des matières premières plus chères que leurs équivalents « neufs ». « C’est quelque chose qui se répercute logiquement sur le prix de vente, mais il y a moyen de rester concurrentiel, notamment en réfléchissant bien la conception du casque et en évitant le superflu. Bref, on parvient à rester dans les prix du marché, tout en ayant une utilisation de matériaux recyclés ou biosourcés bien plus élevée que toutes les autres marques de casques », ajoute Levy Batista.

Dernier point : le packaging. Là aussi, la marque a travaillé pour le réduire au maximum en poids et en volume, et il n’est plus composé que de carton, sauf un sachet de protection pour le second jeu de mousses. Mais celui-ci est d’origine végétale.

Comment faire encore mieux à l’avenir ? Outre la relocalisation d’une partie de la production en Europe pour limiter l’impact du transport, et la recherche constante sur les matériaux pour augmenter encore l’utilisation de composants recyclés, Urge et Strategic travaillent aussi activement sur l’après-vie du casque. « Autrement dit, qu’il ne soit pas juste composé de matériaux recyclés, mais qu’il puisse lui-même encore servir de matériau recyclé à la fin de sa vie et que le cycle puisse se poursuivre. Actuellement, le défi principal est le démantèlement du casque en vue de bien séparer les différents composants. C’est une condition sine qua non pour que chacune de ses parties puisse à nouveau servir de matière première de qualité. Enfin, nous travaillons aussi sur la durabilité des matériaux employés pour pouvoir garantir la sécurité de l’utilisateur sur des durées plus longues. Et nous aimerions que la norme puisse évoluer en conséquence. Sans dire qu’on pourra demain garder son casque 10 ans, il nous semble qu’on pourrait faire mieux que les deux ans officiellement recommandés actuellement. »

Espero est une nouvelle rubrique de la rédaction dédiée aux initiatives positives dans le monde du vélo. Plutôt qu’un tribunal, c’est une tribune : un espace de dialogue autour des actions encourageantes (écologiques, sociales, …) des marques. « Espero », qui signifie « Espoir » en espéranto, vise à diffuser un message optimiste, encourageant les bonnes pratiques sans prétendre juger, mais en valorisant les efforts pour en inspirer d’autres à suivre le mouvement.

ParOlivier Béart